Regrouper pour mieux gouverner ? : Le cas des hôpitaux publics français

La réforme des GHT, une mesure qui s’inscrit dans une tendance au regroupement d’organisations publiques

Depuis plusieurs années, on assiste au sein de la sphère publique à des vagues de regroupements d’établissements ou de collectivités (Communautés d’universités, intercommunalités, etc.), suivant des finalités différentes et visant à promouvoir de nouveaux modèles d’organisation territoriale (Delannoy, Rieu, & Pallez, 2004; Musselin, 2017; Musselin & Dif-Pradalier, 2014). Le secteur hospitalier n’échappe pas à cette tendance. Ainsi, à peine 7 ans après la loi HPST (Hôpital Patients Santé Territoire) de 2009 et le succès mitigé des communautés hospitalières de territoire (CHT), l’Etat a décidé d’accélérer ce mouvement de recomposition du maillage hospitalier en imposant à tous les établissements de France d’adhérer à un groupement hospitalier de territoire (GHT – Loi de modernisation de notre système de santé promulguée en janvier 2016). Cette réforme promulguée en janvier 2016 implique entre autres :
– La détermination de périmètres rassemblant les établissements membres d’un groupement autour d’un établissement « support » pour le 1er juillet 2016 ;
– La mutualisation progressive de certaines fonctions support, comme la gestion des achats, désormais assurées par l’établissement support ;
– La rédaction d’un « Projet Médical Partagé » décrivant la stratégie territoriale des membres du GHT, à transmettre aux Agences Régionales de Santé au 1er juillet 2017.

Les défis du secteur hospitalier

Cette réforme intervient alors que l’hôpital public en France est confronté depuis plusieurs années à des défis majeurs. L’introduction de la tarification à l’activité marque l’émergence de la notion d’hôpital-entreprise, s’inscrivant dans le cadre d’un vaste mouvement de rationalisation des organisations publiques, inspiré du courant du New Public Management (Pierru, 2012). Outre les enjeux d’ordre financier, la mauvaise répartition des médecins sur le territoire met en péril l’organisation hospitalière existante (Coriat & Pontone, 2013), alors que de nouvelles modalités de prise en charge des patients, comme le virage ambulatoire (Engel, Cauterman, & Tajahmady, 2008) ou la progression de la logique de parcours (Bloch & Hénaut, 2014), semblent rendre nécessaire une organisation plus intégrée du maillage hospitalier. Celui-ci est aujourd’hui encore particulièrement fragmenté, comptant près de 1000 établissements publics indépendants, sans parler des cliniques privées également nombreuses sur le territoire .

De multiples interrogations sur la réforme

Si la nécessité de développer des coopérations territoriales est largement partagée par les acteurs de santé, comme nous le montrerons, la mise en œuvre concrète de la réforme des GHT soulève de nombreux questionnements et inquiétudes fréquemment relayés par la presse hospitalière ou régionale .

La Fédération Hospitalière de France, organisme de défense et de représentation des intérêts des hôpitaux publics français, a activement milité en faveur de la réforme des GHT et de l’instauration de son caractère obligatoire. Toutefois, la FHF est consciente que la généralisation de ces coopérations inter-hôpitaux suscite de nombreux questionnements de la part de ses adhérents. Plusieurs interrogations récurrentes concernent par exemple l’impact de la réforme en matière de GRH (notamment pour les médecins) et la possibilité de développer des modèles économiques « gagnant-gagnant » entre les établissements d’un groupement. Ces préoccupations majeures pour le secteur hospitalier et pour sa transformation ont conduit la FHF à faire appel au Centre de Gestion Scientifique de l’école Mines ParisTech pour l’accompagner dans sa réflexion. Ce partenariat a pris la forme de la conduite de cette thèse, encadrée par deux enseignants-chercheurs du CGS. L’étude s’est étalée entre octobre 2014 et juillet 2017. La FHF souhaitait, grâce à ce travail de thèse, recueillir des retours d’expériences de coopérations déjà amorcées sur le territoire, et ainsi donner lieu à une capitalisation pour l’ensemble des établissements hospitaliers. Par ailleurs, la Fédération désirait poursuivre la réflexion au sujet de la création d’outils permettant de donner corps à ces coopérations, afin de guider les acteurs hospitaliers dans la constitution de « stratégies de groupe public » .

Au cours de notre recherche, nous avons pu étudier la phase d’émergence et de construction de ces groupements, depuis les premières réflexions entourant la détermination de leurs périmètres, jusqu’à la transmission aux ARS des projets médicaux partagés. Ce qui nous a particulièrement frappé est le fait que les acteurs manifestent régulièrement le sentiment d’avancer dans l’inconnu, de devoir construire des synergies avec d’autres acteurs avec qui ils ne partagent pas nécessairement d’identité ou d’objectifs communs. Les coopérations inter-hôpitaux s’annoncent donc complexes à piloter pour au moins trois raisons, qui justifient selon nous l’intérêt de l’étude de cet objet :
– Elles sont potentiellement déséquilibrées, c’est-à-dire que certains membres peuvent avoir le sentiment de ne pas en tirer autant de bénéfices que d’autres. Ce constat, certes classique en matière de coopérations, conduit à considérer les GHT comme des construits asymétriques. En effet, ils regroupent des hôpitaux aux profils très hétérogènes, d’un CHU à un hôpital local par exemple, avec un établissement désigné comme « support », qui détient davantage de prérogatives que les établissements « périphériques ». Comment alors parvenir à établir une coopération pérenne et constructive dans ces conditions ?
– La crainte d’une coopération déséquilibrée est d’autant plus présente dans des cas où, comme pour les GHT, les acteurs se retrouvent dans une situation d’indétermination quant aux objectifs visés par la réforme. Pourtant, ces cas peuvent conduire à des situations d’exploration (Segrestin, 2003), propices à déclencher de nouvelles dynamiques d’apprentissage. La question que nous nous posons est alors celle du management de la coopération dans un tel contexte d’incertitude.
– Enfin, bien que la coopération ait parfois pu émerger de manière ascendante, c’està-dire sur la base du volontariat des acteurs, les GHT sont des partenariats dont le principe est imposé par un tiers, en l’occurrence par l’Etat, ce qui pose le problème de la construction et de l’appropriation d’un intérêt collectif. Les effets de l’action de l’Etat pour déclencher de telles dynamiques coopératives sont alors à étudier, à la lumière de l’histoire des réformes successives dans le secteur hospitalier (Moisdon, 2012).

Un double positionnement théorique

La principale ambition de cette thèse est de s’interroger sur l’inscription de la réforme des GHT dans un nouveau paradigme de l’action publique. En effet, la plupart des réformes récentes concernant le gouvernement du paysage hospitalier (mise en place de la T2A, création des ARH puis des ARS, etc.) ont marqué une volonté de reprise en main par l’Etat, au détriment de la gestion communale des établissements hospitaliers qui a longtemps prévalu (Couty, 2009; Rolland & Pierru, 2013; Schweyer, 1998). Par exemple, la réforme de la T2A (2004) s’est inscrite dans la doctrine du New Public Management, qui selon Pierru (2012) « ne signifie en aucune façon le retrait de l’Etat, mais bien au contraire son renforcement : dans le domaine de la santé, une bureaucratie renforcée équipée en nouveaux instruments d’action publique […] cherche à reprendre le contrôle d’hôpitaux désormais décommunalisés car étatisés ». (p. 44) Or, dans un tel contexte, la réforme des GHT fait contraste. Certes, le regroupement des hôpitaux du territoire est une mesure coercitive, mais l’Etat semble s’engager dans une nouvelle voie, en donnant à cette réforme des objectifs moins explicites, et en accordant plus d’autonomie aux acteurs de terrain après leur avoir créé ce « terrain de jeu » qu’est le GHT. De nombreux travaux analysant les politiques publiques hospitalières, notamment dans le champ de la sociologie de l’action publique, se situent dans un positionnement critique vis-à-vis de l’action de l’Etat. Nous choisissons ici de prendre un peu de distance avec ce point de vue critique. Si la mise en œuvre de la réforme des GHT, comme nous le verrons, est marquée par un certain nombre d’incohérences et de carences dans l’action de l’Etat, nous souhaitons davantage mettre l’accent sur la rupture que cette réforme constitue. En effet, elle porte selon nous les ferments d’une nouvelle forme d’action publique, autour de nouveaux objets de gouvernement, comme les parcours, et grâce à des rapports transformés entre tutelles et établissements. En ce sens, la réforme des GHT peut évoquer une volonté de « mieux gouverner » le paysage hospitalier, comme le titre de la thèse le suggère, en laissant davantage de marges de manœuvre aux acteurs de terrain pour explorer de nouvelles organisations territoriales de l’offre de soins. Avant d’aborder la littérature sur les politiques publiques hospitalières pour s’interroger sur la rupture que cette réforme constitue en matière d’action publique, au cours de notre itinéraire de recherche, nous avons dans un premier temps exploré les multiples travaux portant sur les coopérations inter-organisationnelles. Nous souhaitions en effet identifier les grands enjeux décrits dans la littérature sur le management souvent complexe de ces coopérations. La plupart des travaux récents se penchent davantage sur la question du pilotage des relations inter-organisationnelles que de leurs finalités. Notre démarche cherche au contraire à articuler les deux dimensions, en montrant que les modalités de pilotage des GHT sont structurées par le caractère asymétrique de l’association et par les situations d’exploration collective qu’ils engendrent. Cela nous a conduits à mobiliser la littérature portant sur le management des coopérations asymétriques (Chabault & Hulin, 2016) d’une part, et sur les partenariats d’exploration (Segrestin, 2003) d’autre part. Les partenariats d’exploration sont des alliances dont les objectifs sont incertains à l’origine mais sont construits progressivement, et qui regroupent des acteurs dont les relations et intérêts à agir ne sont pas clairement définis ex-ante, la cohésion du collectif étant donc à construire également. Les GHT, en obligeant les établissements à coopérer autour de nouveaux objets, dans un contexte d’indétermination sur les objectifs précis à atteindre, constituent des espaces susceptible de permettre le développement de partenariats d’exploration. Contrairement aux partenariats étudiés par la littérature, les GHT sont des regroupements imposés par l’Etat, ce qui interroge plus largement sur le rôle de la puissance publique pour faire émerger et encadrer ces dynamiques d’exploration. Ce question, peut étudiée jusqu’à présent, est au cœur de la thèse.

Dans le but d’étudier cette problématique, nous avons donc dans un second temps mobilisé des travaux relevant de la littérature en management public. Les politiques publiques hospitalières déployées en France au cours des dernières décennies se caractérisent par la superposition de registres d’actions hétérogène quant à la transformation du maillage hospitalier (Moisdon, 2012), avec des effets mitigés sur les recompositions inter-hôpitaux. Afin de caractériser ces différentes modes d’action de l’Etat, et pour montrer en quoi la réforme des GHT constitue une rupture, nous faisons appel au concept de gouvernementalité (Foucault, 2004), déjà plusieurs fois été exploité dans l’analyse des politiques publiques hospitalières (Lenay, 2005). La gouvernementalité, que l’on pourrait définir comme la « conduite des conduites », se focalise sur les dispositifs par lesquels l’Etat oriente et régule les conduites collectives en mobilisant de nouveaux savoirs sur la société et sur son évolution. Nous utilisons ce concept comme une grille d’analyse permettant de caractériser un mode d’action publique donné autour d’un objet de gouvernement, de relations gouverné-gouvernant et de savoirs particuliers. Nous mobilisons donc cette grille pour analyser la réforme des GHT et la rationalité qui la sous-tend, en montrant qu’elle correspond à une volonté de la puissance publique de stimuler des dynamiques d’exploration collective entre établissements.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
GLOSSAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
ORGANISATION DE LA THÈSE
RÉSUMÉ DÉTAILLÉ DE LA THÈSE
PARTIE 1 – CADRE THÉORIQUE, PROBLÉMATISATION ET MÉTHODOLOGIE
INTRODUCTION DE LA PARTIE 1
CHAPITRE 1 ENTRE ASYMÉTRIE ET INCERTITUDE: LES DÉFIS MANAGÉRIAUX
DE L’EXPLORATION COLLECTIVE
INTRODUCTION
SECTION 1 LE MANAGEMENT DES COOPÉRATIONS ASYMÉTRIQUES
SECTION 2 LA GESTION DES PARTENARIATS D’EXPLORATION : LE DOUBLE DÉFI DE LA COHÉSION ET DE LA COORDINATION
CONCLUSION DU CHAPITRE 1 La question de la régulation des partenariats d’exploration
RÉSUMÉ DU CHAPITRE 1
CHAPITRE 2 LES RECOMPOSITIONS HOSPITALIÈRES À LA CROISÉE DES
CHEMINS ENTRE PLUSIEURS RÉGIMES DE GOUVERNEMENTALITÉ
INTRODUCTION
SECTION 1 PETITE HISTOIRE DU GOUVERNEMENT DU PAYSAGE HOSPITALIER
SECTION 2 DE L’INTÉRÊT DU CONCEPT DE GOUVERNEMENTALITÉ POUR
ÉCLAIRER UNE ACTION COMPOSITE DE L’ÉTAT
SECTION 3 LES INSTRUMENTS D’ACTION PUBLIQUE, STIMULATEURS
D’EXPLORATION ET D’APPRENTISSAGES
SECTION 4 QUESTIONS DE RECHERCHE
RÉSUMÉ DU CHAPITRE 2
CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE
INTRODUCTION
SECTION 1 DESIGN DE RECHERCHE
SECTION 2 PRÉSENTATION DES TROIS TERRAINS D’ÉTUDE
SECTION 3 RECUEIL ET ANALYSE DES DONNÉES
RÉSUMÉ DU CHAPITRE 3
PARTIE 2 – RÉSULTATS ET DISCUSSION
INTRODUCTION DE LA PARTIE 2
CHAPITRE 4 LES FINALITÉS DE LA RÉFORME DES GHT: REGROUPER POUR
AMORCER UNE DYNAMIQUE D’EXPLORATION COLLECTIVE
INTRODUCTION
SECTION 1 UNE RÉFORME QUI SEMBLE CHERCHER SES OBJECTIFS
SECTION 2 UN CADRAGE HYBRIDE, ENTRE PRESCRIPTION ET MISE EN RETRAIT DES TUTELLES
SECTION 3 LES VERTUS DE L’AMBIGUÏTÉ : REGROUPER POUR EXPLORER
CONCLUSION DU CHAPITRE 4 LES GHT, DES ESPACES D’EXPLORATION DE
NOUVELLES FORMES D’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’OFFRE DE SOINS
RÉSUMÉ DU CHAPITRE 4
CHAPITRE 5 LA CONSTITUTION DES GHT: DES MODÈLES DIFFÉRENCIÉS FACE AUX DÉFIS DE L’EXPLORATION COLLECTIVE
INTRODUCTION
SECTION 1 LA CONSTRUCTION DES PÉRIMÈTRES DES GHT : DES TRAJECTOIRES DE COOPÉRATION SOUVENT SINUEUSES
SECTION 2 FACE AU DÉFI DE LA COHÉSION, DIFFÉRENTES STRATÉGIES
D’ORIENTATION DES TRAJECTOIRES D’EXPLORATION
SECTION 3 LA COEXISTENCE DE PLUSIEURS MODÈLES DE GHT
CONCLUSION DU CHAPITRE 5
RÉSUMÉ DU CHAPITRE 5
CHAPITRE 6 DE NOUVEAUX OBJETS DE COOPÉRATION ET DE
GOUVERNEMENT POUR LES GHT
INTRODUCTION DU CHAPITRE 6
SECTION 1 LE PROJET MÉDICAL PARTAGÉ, VÉHICULE POUR EXPLORER DES
SYNERGIES
SECTION 2 LA COORDINATION AUTOUR DE LA CONSTITUTION DES PARCOURS
SECTION 3 UNE TERRITORIALISATION DE LA GESTION DES RESSOURCES
HUMAINES MÉDICALES
SECTION 4 DE NOUVEAUX SAVOIRS ET OUTILS EN APPUI DE CES OBJETS DE
COOPÉRATION ET DE GOUVERNEMENT
RÉSUMÉ DU CHAPITRE 6
CHAPITRE 7 DISCUSSION : UN NOUVEAU RÉGIME DE GOUVERNEMENTALITÉ, LA STIMULATION DE L’EXPLORATION COLLECTIVE
INTRODUCTION
SECTION 1 UNE RÉFORME MARQUÉE PAR UNE TRIPLE RUPTURE
SECTION 2 … ET UNE TRIPLE INCOHÉRENCE
SECTION 3 PILOTER ET GOUVERNER L’EXPLORATION COLLECTIVE: ENTRE
PRÉCONISATIONS MANAGÉRIALES ET INGÉNIERIE DE L’ACTION PUBLIQUE
CONCLUSION ET RÉSUMÉ DU CHAPITRE 7
CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES
INDEX DES FIGURES
INDEX DES TABLEAUX
INDEX DES ENCADRÉS
ANNEXES

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