Regard porté par la sociologie sur les phénomènes religieux

Regard porté par la sociologie sur les phénomènes religieux 

Comme je l’ai annoncé précédemment, tout le fil conducteur de ma démonstration se situe dans une analyse à plusieurs échelles. Partant d’un angle de vue ouvert, je commence ainsi par exposer les réflexions sociologiques et anthropologiques sur la question de la religion et du religieux en sciences sociales. La question du religieux en sciences sociales a vu naître de nombreuses théories qui ne sont pas sans conséquences sur la manière dont nous traitons le religieux aujourd’hui. Il est donc intéressant de prendre en considération les points épistémologiques et méthodologiques soulevés par nos prédécesseurs, d’en examiner leurs pertinences, pour traiter notre sujet d’étude.

L’anthropologie dans sa recherche de terrain ne peut prétendre réellement à une objectivité pure. La grande différence réside dans la conscience de s’appliquer à être objectif tout en reconnaissant avec un œil épistémologique que la concrétisation de l’objectivité est une gageure. Car si des points réflexifs et méthodologiques sont élaborés pour permettre d’ « anthropologiser », se rapprochant ainsi au plus près de la réalité sociologique, la subtilité se situe dans la manière de percevoir l’objet d’étude qui n’est pas sans conséquences sur son devenir dans la société. C’est ce qu’on peut constater avec les travaux de Sébastien Fath qui ont donné de la visibilité à l’évangélisme français (Gonzalez, 2014, p.226).

Une sociologie de la religion

Les débuts de la sociologie de la religion n’avaient pas pour objectif premier d’étudier les formes religieuses en tant que telles. Elle se construit avec l’idée de répondre à l’origine de la cohésion sociale en accordant à la religion un rôle créateur et central (Trigano, 2001).

Dans le courant du XVIIIe siècle les sociétés occidentales sont en pleines transformations tant sur le plan technologiques que sociales. En l’espace d’un siècle, les monarchies européennes ont subi une implosion interne provoquée par une série de révolutions. Ce tournant historique dans l’histoire de l’Europe a modifié durablement le paysage religieux et social laissant place à une sécularisation galopante. C’est dans ce contexte que la sociologie des religions du XIXe siècle a éclos. Après être sorti des monarchies religieuses et donc de son autorité, il est naturel que les chercheurs en sciences sociales se soient interrogés sur le devenir des religions dans les sociétés occidentales en voie à la sécularisation massive des populations. De même se coupant de la vision cosmologique chrétienne, les intellectuels, issus de la pensée des philosophes du siècle des Lumières, ont proposé une vision critique rationaliste des représentations et des formes religieuses: notamment par les versants anthropologiques (Feuerbach), économiques (Marx), psychiques (Freud) et sociaux (Durkheim). La critique visait plus une réforme sociale que l’explication objective des croyances et des pratiques religieuses. C’est ainsi qu’Adam Smith, et sa théorie de l’économie religieuse, fait de la religion un système fonctionnel et utile en omettant la question de la « vérité » qui est pourtant au cœur des mouvements religieux. Engels voit dans la réforme protestante la manifestation d’un conflit des classes sous le masque de la religion, menée par le camp luthérien bourgeois. Marx voit dans la religion une aliénation de l’Homme au régime capitaliste. Alexis de Tocqueville montre que la religion et la modernité sont compatibles. Durkheim soutient que la religion est une source d’intégration sociale en oblitérant sa fonction de désintégration sociale, vecteur de protestation (Willaime, 1998, p.17). Pour Marcel Mauss, il n’existe pas de sentiments religieux, à toute « activité sociale correspond des passions et des sentiments normaux » (p.21). Et enfin Weber présente la religion comme une façon particulière d’agir en communauté et affirme que son fonctionnement est tout aussi rationnel que le reste des activités humaines (p.25).

Avec ces travaux, l’idée d’une confrontation religieux-modernité et d’une disparition progressive de la religion était constitutive des réflexions sociologiques (pp. 87-88). Or comme nous le verrons par la suite la modernité ne rime pas forcément avec la sécularisation. D’ailleurs, et paradoxalement, dans son essai Marcel Gauchet (2005) soutient que c’est plutôt à la religion (ici le Christianisme) que l’on doit la naissance de la modernité car la création d’un homme-Dieu (en la personne de Jésus) a permis à la société moderne de voir en l’homme un « dieu » sur terre.

Il ne faut pas penser non plus que la sociologie s’est directement dissociée de la religion à ses débuts. C’est même plutôt l’inverse, la sociologie de la religion est née avec les milieux religieux catholiques (missionnaires, clercs). Par ailleurs, en anthropologie les missionnaires sont présentés comme étant les premiers pré-anthropologues et certains d’entre eux ont même été formés à des séminaires d’ethnologie à Louvain en Belgique (Obadia, 2007). Fort d’un bagage scientifique sur les pré-requis de la discipline sociologique, les missionnaires protestants s’en servaient comme un outil et un tremplin pour l’évangélisation (Willaime, 1998). Pour passer directement à une époque beaucoup plus proche de nous, ce sont dans les années 1970 que la sociologie des religions se tourne vers une étude du « croire » contemporain (Hervieu-Léger, 2001) où on se concentre sur la « question des rapports entre les expériences des individus, les institutions sociales du religieux et la modernité » (p.17). C’est dans cette même ligne directrice que notre recherche se propose de travailler.

Définition sociologique de la religion

Systématiquement lorsque nous sélectionnons un sujet d’étude, nous nous efforçons de définir l’objet selon la manière dont nous le percevons. Une définition nous permet effectivement de partir d’un point mais nous aide-t-elle véritablement pour notre recherche ? Vraisemblablement oui du moment qu’elle n’altère pas ni ne limite la portée de notre observation et de notre réflexion. Quelle définition de la religion a-t-on proposé ? Principalement les définitions les plus courantes se divisent en deux. La première est dite fonctionnelle, elle voit la religion comme un « ensemble symbolique fournissant du sens et permettant aux individus d’inscrire événements et expériences dans un ordre donné du monde » (Willaime, 1998, p.116). Elle inclut toutes formes de religiosité. La deuxième est dite substantive, elle tente de donner les caractéristiques mêmes de son essence. Dans ce cadre la religion est réduite à la représentation et à la communication avec le Transcendant, le supranaturel. Elle supprime dès lors les religiosités sans dieux, ni transcendance (p.119). Pour échapper à ses deux écueils, Claude Bovay et Roland J. Campiche ont proposé une définition qui regroupe les deux termes : « Tout ensemble de croyances et de pratiques, plus ou moins organisé, relatif à une réalité supra-empirique transcendante, qui remplit dans une société donnée, une ou plusieurs des fonctions suivantes : intégration, identification, explication de l’expérience collective, réponse au caractère structurellement incertain de la vie individuelle et sociale » (p.120).

Pour ce qui est des définitions plus contemporaines, nous avons celle de Danièle Hervieuléger qui voit dans la religion l’«expression d’un croire, la mémoire d’une continuité, la référence légitimatrice à une version autorisée de cette mémoire » . Dans La religion pour mémoire, elle adopte une approche désubstantivée de la religion, n’importe quelle croyance devient religion du moment qu’elle trouve sa légitimité dans l’invocation d’une tradition (Hervieu-léger, 2001, p. 23), constituant par là une communauté spirituelle qui rassemble croyants passés, présents et futurs (p. 24). Puis celle de Jean-Paul Willaime qui définit la religion comme une « activité sociale régulière mettant en jeu une relation avec un pouvoir charismatique (1998, p.122). Autrement dit, c’est « une opérativité sociale : l’exercice d’un pouvoir qui, en relation avec un charisme fondateur (ou refondateur), génère une communication symbolique régulière et définit une culture » (p.123). Si on regroupe ces deux définitions, on peut définir la religion comme étant une structure qui trouve un point d’origine dans l’Histoire et qui se construit autour de figures charismatiques légitimant leurs positions en se référant à une mémoire collective autorisée, constituée par une lignée de croyants. La définition d’Hervieu-léger renvoie la religion aux religions historiques qui de fait se caractérisent par le maintien d’une mémoire transversale rassemblant les croyants passés, présents et futurs. Cette définition permet alors d’analyser « les modalités d’activation, de réactivation, d’invention d’un imaginaire religieux de la continuité » (Hervieu-léger, 2001, p.25). En revanche, la définition de J.P. Willaime réduit la religion exclusivement à sa pratique régulière et son pouvoir charismatique (même s’il est vrai que ces deux points soient présents), alors que ces deux expressions se retrouvent sous des formes variées dans une multiplicité d’activités humaines. Ces tentatives de définition ne sont ainsi pas sans impact sur la façon d’étudier et d’analyser l’objet religion. Car au-delà de la difficulté linguistique de produire une définition englobant dans leur entièreté les expressions religieuses, ces définitions reproduiront consciemment ou non ce qui est religieusement correct . Lionel Obadia soutient d’ailleurs que pour l’anthropologie, la religion est un « concept occidental forgé dans le creuset culturel et linguistique du christianisme » (2007, p.22).

Face à la difficulté qu’impose la définition du mot « religion » au plus près de ses réalités sociologiques, le terme même de « religion » a été substitué subtilement par celui de « religieux ». Dans les travaux en sciences humaines, désormais on ne parle plus de sociologie de la religion (au singulier) mais plutôt de sociologie des religions (au pluriel) ou du religieux. Le premier terme « désigne l’activité dans sa diversité institutionnelle et pratique tandis que l’adjectif substantivé désigne l’instance même de cette activité sans pour autant désigner son lieu spécial d’exercice » (Trigano, 2001, p.295). Ou encore le terme « religieux » peut être qualifié comme une activité singulière qui se pratique dans les religions ou en dehors.

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Table des matières

1. Introduction
2. Regard porté par la sociologie sur les phénomènes religieux
2.1. Une sociologie de la religion
2.2. Définition sociologique de la religion
2.3. L’individu entre subjectivation et communautarisation en sciences sociales
2.4. A l’origine de la religion
2.5. L’individu dans sa religion
2.6. Le chercheur et les théories
2.7. Le chercheur et sa méthode
2.8. Ethnographier le religieux
3. Une reconfiguration particulière du croire à travers le mouvement de la Réforme au XVIe siècle. Un éclatement confessionnel des identités protestantes
3.1. Historicisation du protestantisme
3.1.1 Des Eglises protestantes
3.2. Modèles idéals-types des mouvements protestants
3.2.1 L’idéal-type wébérien
3.2.2 Types de communalisation religieuse
3.2.3 Caractéristiques transversales de l’évangélisme
4. La figure du croyant dans le monde moderne caractérisé par le phénomène amplifié et contrasté de la sécularisation. Le passage d’une référence religieuse à une référence séculière
4.1. L’émergence du monde moderne
4.2. Un nouveau paysage religieux en sociétés occidentales
4.3. L’individualisation du « croire »
5. La place des religions et du croyant dans une France laïque
5.1. Parcours de la laïcité française
5.2. Une individualisation du « croire » en territoire français
5.3. La laïcité et les religions
5.4. Les rencontres interreligieuses
5.5. Les impacts du contexte français ?
6. Dialectique subjectivation-communautarisation
6.1. Les processus de communautarisation au sein du protestantisme évangélique
6.1.1. L’institutionnalisation de la religion
6.1.2. La conversion s’inscrit dans une institution
6.1.3. Le rôle des alliances entre les Eglises
6.1.4. Une « supra-communautarisation » ?
6.1.5. Les « prophètes » et les « apôtres » de l’évangélisme
6.2. Les processus de subjectivation religieuse au sein du protestantisme évangélique, l’évangélique en train de se faire
6.2.1. Subjectivation en sciences sociales
6.2.2. Subjectivité religieuse ?
6.2.3. Subjectivation du « Sujet » évangélique
7. Conclusion
8. Bibliographie

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