Refroidissement Raman 1D d’atomes libres

L’invention des lasers a été à l’origine de spectaculaires avancées dans le domaine de la physique atomique. Il est maintenant possible d’agir mécaniquement sur les atomes, de les ralentir à des vitesses de quelques millimètres par seconde, de les piéger et de les manipuler [1–5]. Le refroidissement d’atomes par laser est ainsi devenu un domaine de recherche extrêmement vaste, dont les retombées sont nombreuses, en particulier en physique fondamentale. Une première mise en évidence expérimentale de l’action mécanique de la lumière sur les atomes a été réalisée par R. Frisch en 1933 [6] ; l’auteur a réussi à dévier un jet atomique de sodium, à l’aide de la lumière résonnante crée par une lampe à décharge de sodium (une expérience similaire, mais plus performante, a ensuite été effectuée en 1972 [7]). Des effets plus spectaculaires, tels le ralentissement de jets atomiques, n’auraient toutefois pas pu être observés avant l’apparition de lasers résonnants ; du fait de leurs finesse spectrale et de leur forte puissance, ces derniers, comparés aux lampes, agissent sur les atomes de façon beaucoup plus efficace [8]. Le ralentissement par laser de jets atomiques a quant-à lui été mis au point pendant les années 80 [9–15] (signalons que l’idée de refroidir des particules à l’aide de lumière avait déjà été introduite en 1950 par Alfred Kastler [16]). On utilise pour cela un laser quasi-résonnant avec une transition atomique fermée, se propageant le long du jet, dans le sens opposé à la vitesse des atomes. Un atome du jet, de vitesse initiale v ∼ 1 000 m/s, peut être excité en absorbant un photon du laser, encaissant du même coup son impulsion ~kL. Ensuite, l’atome retourne dans son état fondamental en émettant spontanément un photon. Cette émission ayant lieu dans une direction aléatoire, le transfert moyen d’impulsion correspondant est nul. Le cycle absorption émission spontanée peut ensuite recommencer. Finalement, l’atome est ralenti (v ∼ 10 m/s) au bout de quelques dizaines de milliers de cycles. La situation est en réalité un peu plus compliquée car il faut tenir compte de l’effet Doppler : la condition de résonance atome/laser dépend de la vitesse de l’atome. Par conséquent, si le laser est résonnant pour des atomes non ralentis, il cesse de l’être dès que la vitesse atomique décroît. Pour contourner cette difficulté, plusieurs techniques (glissement de fréquence accompagnant le ralentissement des atomes, décalage progressif de la fréquence de résonance à l’aide d’un champ magnétique) ont été mises en œuvre. Dans les expériences de ralentissement de jets, les atomes ne sont décélérés que selon une seule direction de l’espace. Avec les mélasses optiques, qui sont basées sur l’effet Doppler, on peut ralentir les atomes dans les 3 directions. Le principe du refroidissement Doppler a été proposé dès 1975 [17, 18]. La première mélasse optique utilisant des atomes neutres fut fabriquée en 1985 [19]. Pour réaliser une mélasse, on utilise 3 paires de faisceaux se propageant en sens opposé (une par direction de l’espace). Ces faisceaux sont désaccordés sur le rouge de la transition (i.e. la fréquence des lasers est légèrement inférieure à la fréquence de résonance atomique). Un atome en mouvement absorbera préférentiellement des photons du faisceau se propageant dans le sens opposé à sa vitesse, l’effet Doppler venant dans ce cas compenser le désaccord du faisceau ; il encaissera alors les impulsions de ces photons et sera donc ralenti.

Les premiers modèles théoriques prévoyaient que les plus basses températures accessibles à l’aide de mélasses optiques étaient de l’ordre de ~Γ/kB, où Γ est la largeur du niveau atomique excité (cette limite est appelée « limite Doppler », et correspond, dans le cas du césium, à quelques centaines de µK). Pourtant, plusieurs expériences mesurèrent en 1988 des températures bien inférieures à cette limite Doppler [20–22] (un cas tout à fait exceptionnel puisque des expériences fonctionnaient mieux que la théorie correspondante), atteignant finalement, dans le cas du césium, la température de 2,5±0,6 µK [23]. Ceci fut interprété grâce à l’introduction de « nouveaux mécanismes » de refroidissement, qui reposent sur une combinaison de pompage optique, de déplacements lumineux, et de gradients de  polarisation de la lumière laser [24, 25]. On a pu ainsi montrer et vérifier expérimentalement que les mélasses optiques permettent d’atteindre des températures légèrement supérieures à la température de recul, définie par kBTrec = ~ 2k 2 L /M, M étant la masse de l’atome et kL le vecteur d’onde d’un laser résonnant (pour le césium, Trec = 200 nK).

Refroidissement Raman 1D d’atomes libres 

L’expérience que je vais présenter dans ce chapitre est la transposition au césium de l’expérience de refroidissement sub-recul d’atomes de sodium réalisée en 1992 par Mark Kasevich et Steven Chu [76]. Lorsque nous l’avons entreprise, nous souhaitions rapidement acquérir la technique du refroidissement Raman, dont nous avions besoin pour passer au refroidissement sub-recul 3D d’atomes confinés (dont je présente la théorie dans le chapitre 2) ; le but du refroidissement 3D d’atomes confinés était (et reste) d’augmenter de façon importante la densité dans l’espace des phases du nuage atomique, par une méthode différente du refroidissement  évaporatif. La réalisation de cette expérience a finalement pris plus de temps que prévu, et le lecteur pourrait estimer que le fait de ne pas être les premiers n’était pas quelque chose de très motivant. Toutefois, les nouveautés apportées par rapport à l’expérience de Stanford (principalement dues au changement d’atome) sont suffisamment importantes pour nous permettre de considérer cette expérience comme un résultat à part entière. En outre, ce travail a constitué le point de départ de l’expérience de refroidissement au nanokelvin utilisant des impulsions en créneaux [79], laquelle a donné lieu à des développements théoriques et expérimentaux extrêmement intéressants, ce que nous n’aurions absolument pas pu prévoir en 1992. Le césium est utilisé de façon préférentielle dans un certain nombre d’expériences utilisant les atomes froids : c’est par exemple le cas de l’horloge atomique [33, 34]. C’est également le cas d’expériences où la grande masse de l’atome constitue un atout parce qu’elle limite l’étalement des distributions en vitesses (interférométrie atomique, mesure de ~/M). Disposer d’atomes refroidis sous la vitesse de recul peut constituer une amélioration importante pour le fonctionnement de ces expériences. Par conséquent, l’expérience sur le césium que nous avons réalisée constitue un outil qui pourra s’avérer utile par la suite. En outre, le césium est l’atome que notre équipe avait choisi dans les années 80 (entre autres pour développer des horloges atomiques). Le fait de l’utiliser également pour le refroidissement Raman nous a apporté un avantage stratégique non négligeable, puisque nous disposions avant de commencer de diodes laser et de miroirs traités pour la longueur d’onde adéquate. Le changement d’atome a apporté un certains nombre de modifications techniques par rapport à l’expérience de Kasevich. Le principal changement est lié à la longueur d’onde des lasers résonnants. Alors que le sodium nécessite des lasers à colorant à λ =589 nm, il existe des diodes laser résonnantes avec la transition du césium (λ =852 nm). Ceci constitue une importante simplification. Par contre, la fréquence de structure hyperfine du césium vaut νshf =9,2 GHz, contre 1,7 GHz pour le sodium. Par conséquent, il n’est plus possible de fabriquer les fréquences Raman en utilisant un modulateur électro-optique comme dans l’expérience américaine. Nous avons dû recourir à deux lasers asservis en phase à 9 GHz, ce qui constitue une complication sensible (mais ceci nous a fourni l’occasion d’acquérir une technique utile et qui fonctionne remarquablement bien). Une autre difficulté réside dans la compensation du champ magnétique, qui doit être réalisée à une précision inférieure au mG.

Principe et théorie du refroidissement Raman

Les niveaux et les faisceaux utilisés

Le refroidissement Raman fonctionne sur un système atomique à trois niveaux (fig. 1.1) : deux niveaux ont une grande durée de vie, tandis que le troisième a une courte durée de vie. Notons que tous les atomes ne possèdent pas a priori une structure de ce type. Le refroidissement Raman n’est donc pas toujours applicable ; toutefois les conditions requises sont bien moins draconiennes que pour la méthode PCPSV. Dans le cas des alcalins, les deux niveaux inférieurs (|1i et |2i) sont séparés par une fréquence du domaine micro-onde. La fréquence de transition entre l’un des niveaux inférieurs et le niveau supérieur |ei est une fréquence optique.

La sélectivité en vitesse

Si un atome est en mouvement, il « verra », d’après la formule (1.3), le système de faisceaux Raman avec un désaccord effectif dépendant de sa vitesse (effet Doppler). En particulier, la transition sera résonnante lorsque δ = (~kA −~kB)·~v +Cte, où ~v est la vitesse de l’atome. Pour espérer atteindre de très basses températures, il est nécessaire de sélectionner les vitesses atomiques très précisément. La meilleure sélectivité en vitesse (i.e. le meilleur rapport vitesse/fréquence) sera assurée lorsque les faisceaux Raman se propagent en sens opposé. Le niveau atomique |2i possède une durée de vie quasi-infinie, donc une largeur radiative nulle. La sélection des fréquences (et donc des vitesses) peut dès lors se faire avec une précision qui n’est limitée que par la durée de l’interaction atome/faisceaux lasers. Toutefois, pour profiter pleinement de cette précision élevée, il faut que le repompeur ne soit pas présent lors de l’excitation. C’est pourquoi l’expérience de refroidissement Raman ne fonctionne pas avec des faisceaux continus, mais avec des impulsions lumineuses. La largeur de la zone d’excitation dépend alors de la durée et de l’intensité de l’impulsion Raman.

Principe du refroidissement Raman

Le principe du refroidissement Raman 1D est donc le suivant : on envoie successivement une impulsion de faisceaux Raman, puis une impulsion de repompeur. L’impulsion Raman, qui possède un certain désaccord δ, excite vers |2i les atomes dont la vitesse est voisine de δ/2k (à une constante additive près, indépendante de la vitesse de l’atome). Ensuite, l’impulsion de repompeur Raman excite les atomes vers |ei, et un photon spontané est émis pour revenir dans |1i. Au cours de ce processus, l’atome a encaissé et émis plusieurs photons, avec un caractère aléatoire dû à la direction du photon spontané. Il a donc effectué un saut dans l’espace des vitesses : c’est la marche au hasard dont j’ai parlé dans l’introduction (p. 16). Signalons que pour que les atomes soient effectivement poussés (en moyenne) vers la zone de vitesse comprise entre −vrec et +vrec, il faut que le désaccord δ soit négatif. Un fois le processus terminé, on recommence avec une autre impulsion Raman de désaccord δ et de puissance différents. Cette impulsion va exciter les atomes dans une autre classe de vitesse, etc.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 : Refroidissement Raman 1D d’atomes libres
1. Principe et théorie du refroidissement Raman
a) Les niveaux et les faisceaux utilisés
b) La sélectivité en vitesse
c) Principe du refroidissement Raman
d) Choix du profil temporel des impulsions Raman
i) Excitation par une impulsion de faible puissance
ii) Les impulsions de Blackman
iii) Cas où les impulsions sont puissantes. Condition d’impulsion π
2. Le dispositif expérimental
a) Présentation générale du dispositif expérimental
b) Le piège magnéto-optique
i) Elements optiques
ii) Séquence temporelle
c) Fabrication des fréquences Raman
i) Verrouillage en phase des deux lasers
ii) Définition du désaccord ∆
d) Mise en œuvre des impulsions Raman
i) Création du profil des impulsions (Blackman)
ii) Le désaccord δ
iii) Le sens des faisceaux. Les cellules de Pockels
iv) Le repompeur Raman. Choix des niveaux et pompage des atomes
e) La détection du signal
f) Distribution en vitesse
3. Mise au point de l’expérience
a) Compensation du champ magnétique
i) Nécessité de la compensation et solution apportée
ii) Mesure du champ magnétique avec les atomes
b) Optimisation de la séquence d’impulsions
i) Influence d’un impulsion Raman unique : les « trous » dans
la distribution
ii) Recherche de la séquence ad hoc
iii) Minimisation de quelques effets parasites
4. Résultat expérimental
a) Présentation du résultat
b) Temps de refroidissement
5. Conclusion
Chapitre 2 : Théorie du refroidissement Raman dans un piège harmonique
1. Présentation générale du refroidissement
a) Principe du refroidissement dans un piège
i) Dispositif utilisé
ii) Effets attendus
b) Le modèle de Pritchard
c) Les théories semi-classiques du refroidissement d’atomes confinés
i) Le régime de l’atome lourd (ωx Γ)
ii) Le régime de l’atome rapide (ωx Γ)
iii) Le régime de Lamb-Dicke
iv) Récapitulation des différents régimes
2. Etude préliminaire : cas d’un profil d’excitation en δ
a) Dimension 1
b) Généralisation aux dimensions supérieures
c) Simulations de Monte-Carlo
d) Rôle des fréquences du piège
3. Etude quantitative
a) Mise en place des équations
b) Simulations de Monte-Carlo
i) Refroidissement utilisant une seule paire de faisceaux Raman
ii) Refroidissement utilisant plusieurs systèmes de faisceaux Raman
c) Etude particulière à 1D
i) Moyenne sur le temps d’oscillation
ii) Développement en puissances de w
iii) Intégration de l’équation de Fokker-Planck
iv) Etude asymptotique
v) Comparaison avec une simulation Monte-Carlo
vi) Rôle des paramètres du problème
4. Etude du temps de refroidissement
a) Deux modèles à 1 dimension
b) Rôle des paramètres du problème
c) Les causes du long temps de refroidissement
5. Le refroidissement par impulsions
a) La condition de passage adiabatique
b) Diagramme durée-fréquence de Rabi
c) Résolution numérique de l’équation de Schrödinger
d) Simulation de Monte-Carlo à 1D
e) Simulation de Monte-Carlo à 3D
f) Le refroidissement par impulsions de Blackman
6. Conclusion
Complément A : Obtention des équations du mouvement
a) Notations
b) Equation d’évolution, hamiltonien du système
c) Approximation séculaire. Equations de Bloch optiques
d) Approximation Raman
e) Elimination adiabatique du niveau |ei
f) Passage en représentation de Wigner
g) Elimination adiabatique du niveau |2i
Chapitre 3 : Réalisation d’un nouveau piège à atomes
1. Principe du piège opto-électrique
a) Le piège dipolaire très désaccordé
i) Principe général du piège dipolaire
ii) Intensité lumineuse au voisinage du foyer d’un faisceau gaussien
iii) Déplacement lumineux des niveaux du césium
iv) Conditions de fonctionnement du piège dipolaire
v) Conclusion
b) Le piège opto-électrique
i) Principe du piégeage
ii) Evaluation du potentiel électrostatique. Détermination de la taille de l’électrode
iii) Les paramètres du faisceau dipolaire. Diagramme de fonctionnement
iv) Valeurs numériques retenues
v) Conclusion
2. Description du montage expérimental
a) Le piège magnéto-optique
b) Le faisceau dipolaire
i) Le laser utilisé
ii) Le couplage dans une fibre optique monomode
iii) Caractéristiques du faisceau à la sortie de la fibre
c) La cellule et l’électrode
i) La cellule en verre
ii) L’électrode
iii) L’alimentation électrique de l’électrode et la coupure de la haute tension
iv) L’alignement du POE par rapport au PMO
d) Les méthodes de détection
i) Détection par absorption
ii) Détection par fluorescence
e) La séquence temporelle
f) Résultat préliminaire
3. Résultats expérimentaux
a) Première mise en évidence expérimentale du piégeage optoélectrique
b) Mesure des oscillations longitudinales dans le POE
c) Mesures de la durée de vie du POE
i) Principe des mesures et facteurs limitatifs
ii) Les collisions inélastiques
Conclusion générale

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