Reflexions sur la representation de l’architecture

La représentation d’architecture est une forme créative hybride suscitant admiration et questionnements. A travers et au-delà d’elle, c’est l’image d’une époque, d’un moment précis de la vie d’un architecte qui est révélée au spectateur : de l’esquisse préparatoire à la pure fantaisie architecturale, cette image polymorphe est source d’enseignements. La découverte des représentations d’architecture des années 1960-1970 nous a conduit à nous interroger sur la notion d’image, ce medium qui semble si familier aujourd’hui tant il a envahi chaque parcelle de la vie quotidienne, mais s’avère plus complexe qu’il n’y paraît. A l’analyse, il ressort que, si l’image en elle-même a bénéficié depuis des siècles d’études théoriques poussées – que ce soit dans une approche philosophique, phénoménologique, psychologique ou anthropologique – l’image architecturale n’est en revanche étudiée que depuis quelques décennies. En effet, si l’on excepte les traités, recueils de plans ou les manuels de tracé d’architecture, dans lesquels la représentation n’est évoquée que dans sa dimension pratique opératoire, il faut attendre le milieu du XXe siècle pour que les premiers ouvrages questionnant la représentation d’architecture pour elle même, c’est-à-dire dans sa matérialité et dans son autonomie, voient le jour. Ainsi The Dynamics of architectural form, l’un des ouvrages majeurs de Rudolf Arnheim , ne paraît-il qu’en 1977, alors que Art and illusion d’Ernst Gombrich et Meaning in the visual arts de Panofsky avaient déjà, par leurs diverses traductions, acquis une place de choix parmi les ouvrages de référence depuis près de vingt ans. En France, les ouvrages traitant de la question de la représentation de l’architecture en la situant dans une perspective historique apparaissent à partir de 1980, avec l’intéressant ouvrage pionnier de Jean-Michel Savignat, Dessin et architecture du Moyen-Âge au XVIIIe siècle . Cependant, la réflexion sur le « dessin d’architecture » – et non plus sur le dessin et l’architecture, en tant qu’entités distinctes – n’est effective qu’avec la parution du désormais « classique » Le Dessin d’architecture, origine et fonctions publié par Roland Recht en 1995. Cet ouvrage synthétique ouvrit la voie à une approche nouvelle de la représentation d’architecture, considérée à la fois comme partie constituante d’un processus créatif, mais aussi comme entité acquérant une autonomie grandissante au fil des siècles. Cependant, ces publications, ainsi que celle, plus récente et tout aussi complète de Daniel Rabreau, Les Dessins d’architecture au XVIIIe siècle , ont pour point commun de clore leur champ d’étude au XIXe siècle.

REFLEXIONS SUR LA REPRESENTATION DE L’ARCHITECTURE 

« J’ai toujours eu la conviction que le dessin d’architecture a comme fonction première de représenter, de tout représenter, depuis ce qui n’est pas clair jusqu’aux images les plus vraisemblables de la réalité physique. Moyen de représentation, le dessin d’architecture est aussi pour moi un moyen d’investigation et une source de plaisir. Et puis, l’architecte qui dessine facilement, qui aime ce qu’il dessine, n’est jamais seul. Cette intimité entre l’architecte et son dessin favorise une dynamique créative entre la projettation et la représentation et une interdépendance conflictuelle que le cerveau projectuel devra contrôler. » .

Approches de la représentation de l’architecture 

La notion de « représentation »

« Re-faire le présent »
Représenter, dans une approche étymologique, signifie re-faire le présent (præsens), ou présenter à nouveau. Partant de ce principe, la représentation semble donc intimement liée à un présent, une actualité, un état des choses ou des idées, qu’elle permet de fixer ou de diffuser. La représentation est donc le témoin du passage d’une idée, d’une volonté ou d’une perception à un rendu concret, par le biais d’un processus créatif . Ce processus ne peut avoir lieu qu’à l’aide d’une représentation mentale, qui devient une « charnière cognitive », entre la réalité et le moyen d’expression, qu’il s’agisse du langage ou du dessin. La lecture de l’ouvrage intitulé Pragmatique du discours (1998), écrit par Anne Reboul et Jacques Moeschler, permet de comprendre l’importance de la représentation mentale. Les auteurs y expliquent notamment que si une représentation mentale n’est pas intrinsèquement un objet linguistique, elle est toutefois un objet cognitif multidimensionnel qui permet l’interaction de différentes données, visuelles, spatiales, lexicales, etc. . Notons qu’il existe une multitude de formes de représentations, et que ces dernières ne sont en général pas figées : elles sont en permanence adaptées, transformées, actualisées par leur créateur, notamment en raison de nouvelles perceptions ou idées, ou en fonction de l’utilisation à laquelle elles sont destinées.

Dans tous les cas, la représentation mentale, née de la perception et de la réflexion, facilite la cognition ainsi que la communication, et précède la création d’une représentation concrète le cas échéant. Notons donc que le terme de «représentation » désigne à la fois un processus et le produit de ce processus, soit respectivement, selon les mots de Michel Denis, une « représentation de type cognitif » et une « représentation de type matériel » . Notons que si la représentation mentale (ou cognitive) peut évoluer en permanence, la représentation concrète, elle, est figée à partir du moment où elle se matérialise : elle témoigne d’un état de la représentation mentale, ce qui s’accompagne souvent d’une perte informationnelle par rapport à l’idée que l’on souhaitait exprimer. Cette idée est confirmée par l’analyse qu’en propose Rudolf Arnheim :

« La principale différence [entre les images oniriques/ artistiques et les images mentales] réside en ce que, pour remplir leur fonction, les images de la pensée doivent incarner tous les aspects d’un élément du raisonnement, ces images étant le médium dans lequel la pensée prend forme. (…) Les images de la pensée parviennent à réaliser ce que ne sauraient réaliser les rêves ni les œuvres d’art, parce qu’elles sont à même de combiner des niveaux d’abstraction différents, distincts, en une unique représentation sensorielle. » .

La création concrète, en deux ou trois dimensions, est donc porteuse d’une certaine autonomie et peut ensuite être analysée indépendamment du processus qui l’a précédée, même si celui-ci est en général riche d’informations, notamment au niveau des influences potentielles subies par l’artiste ou l’architecte. Dans un second temps, il est possible, en suivant la théorie avancée par Rudolf Arnheim dans La Pensée visuelle (1969), de considérer la représentation comme l’une des fonctions d’une image. Selon lui en effet, l’image peut être soit une représentation, soit un signe, soit un symbole, mais peut aussi endosser plusieurs de ces fonctions simultanément. Voici comment il définit cette fonction :

« Les images sont des représentations dans la mesure où elles figurent des choses situées à un niveau d’abstraction inférieur à celui des images elles-mêmes. Elles remplissent leur office en appréhendant et en restituant certaines qualités pertinentes – forme, couleur, mouvement – des objets ou des activités qu’elles décrivent. Les représentations ne sauraient être de simples répliques, à savoir des copies fidèles ne différant de leur modèle que par quelques imperfections fortuites. Une représentation peut se situer aux niveaux d’abstraction les plus divers. (…) Une représentation est un énoncé concernant des qualités visuelles, et cet énoncé peut être complet à quelque niveau d’abstraction que ce soit. C’est seulement en cas de représentation incomplète, imprécise ou ambiguë par rapport à ces qualités abstraites que l’observateur est amené à décider lui-même de la nature de ce qu’il voit (…). ».

Notons ici qu’il n’est plus question du processus de représentation, ni du résultat d’un tel processus, mais bien de l’attribution d’une fonction à une certaine typologie d’images. Soulignons également que l’auteur ne semble concevoir la fonction de représentation que dans le cadre d’une restitution plus ou moins fidèle et complète d’une réalité préexistante, ce qui n’est pas exactement applicable à la représentation dans le domaine de l’architecture.

Spécificités de la représentation architecturale

A partir de ces réflexions liminaires, le choix a été fait, dans le cadre de cette étude, de nommer « représentation » toute production plastique en deux ou trois dimensions, produite par des architectes dans le cadre de recherches théoriques ou d’inspiration, qu’il s’agisse d’un travail de conception, destiné à un usage privé restreint, ou de communication, destiné à une plus large diffusion. Ces productions peuvent être des dessins, allant du simple croquis à l’étude élaborée, des collages, des photomontages, des publications artisanales ou, plus rarement, des maquettes. Notons que, dans un contexte de faible commande, les formes traditionnelles de représentations architecturales, telles les coupes, plans et élévations, sont également présentes, mais qu’elles sont réinterprétées, transformées afin de se distinguer de la production académique et en raison de la liberté ressentie par les architectes. En mettant l’accent sur les représentations en elles-mêmes, sur leurs compositions, leurs qualités plastiques, ou les matériaux utilisés, les dimensions subjectives et oniriques qu’elles renferment sont donc mises en valeur, en tant qu’éléments signifiants d’une histoire des idées dans l’architecture contemporaine. Remarquons que, comme dans toute production plastique, la notion de contexte culturel et historique est également à prendre en considération car les représentations en sont les témoins. En s’inspirant de la notion de « représentation pour » inventée par Michel Denis afin de désigner les représentations créées dans un but précis et donc formées en fonction de cet objectif, avec toute la subjectivité que cela suppose, il semble possible de proposer la notion de « représentation avec» pour désigner tous les paramètres contextuels influant sur la production plastique des architectes. Interviennent ainsi, entre autres, les avancées techniques et artistiques contemporaines, mais aussi la vie personnelle de l’architecte, car, de façon plus ou moins dissimulée et assumée, toute représentation d’architecture abrite un dessin « autobiographique » .

L’étude des représentations permet donc de soulever différentes questions inhérentes à l’architecture et à la façon dont elle est perçue par le spectateur, mais aussi par l’architecte lui-même. En effet, comme le souligne Robin Evans dans l’ouvrage intitulé Translations from drawing to building and other essays (1997), le travail de création chez l’architecte est particulier dans le sens où, contrairement au peintre ou au sculpteur, il ne travaille pas directement sur son objet d’étude, ni à l’aide des matériaux qu’il souhaite utiliser , mais il est toujours forcé de passer un temps important à créer, visualiser, et faire visualiser à d’autres personnes les principaux aspects de son projet. L’image, elle-même issue d’un acte créatif, lui permet de donner un aperçu du futur acte de création que sera la construction. Elle témoigne d’un état d’évolution du projet et des différentes hypothèses qui ont été prises en compte à un moment donné de la conceptualisation.

La représentation d’architecture recèle donc une spécificité dans la sphère de la création artistique, en ce qu’elle impose à l’architecte des contraintes importantes, pour un rendu qui, en général, n’est pas considéré comme une œuvre d’art ou un produit fini mais comme une étape intermédiaire en vue d’une réalisation finale. De plus, la majorité des représentations d’architecture sont faites avant la création, ce sont alors des « instruments d’anticipation » , ce qui implique que le référent n’existe pas encore et distingue ce type de représentation de la définition traditionnelle qui suppose un objet préexistant à toute représentation . En fait, ce type de représentation concerne une réalité à venir, et est censé permettre de l’imaginer concrètement, ce qui induit une vocation opératoire.

Notons que ce positionnement dans le processus créatif implique forcément des paramètres supplémentaires à prendre en compte lors d’une analyse, notamment, si l’on connaît la destination des représentations. En effet, il y a une différence entre les projets réalisés pour informer et ceux qui ont pour but de persuader. Selon le projet sous-jacent, publication, exposition, présentation à un jury ou un investisseur , l’accent peut être mis sur un aspect spécifique du projet, sur certains détails plastiques, et la représentation peut avoir subi différentes contraintes (taille, couleurs, épaisseur de trait, technique utilisée etc.). L’auteur d’un dessin peut ainsi être amené à présenter des vues partielles, incomplètes de son projet, voire à lui faire subir de légères distorsions, dans le but de convaincre ou de mieux faire comprendre les spécificités de son projet (effets de volume, vue en plongée ou contre-plongée, jeux d’ombres et de lumières etc.). A ce sujet, Rudolf Arnheim rappelle que l’architecture, lorsqu’elle est conçue en vue d’une réalisation, ne peut se limiter à quelques images statiques et imposant un point de vue unique et partiel, car cela ne correspondrait pas à ses futures qualités physiques et ne permettrait pas une bonne visualisation tridimensionnelle . Dans tous les cas, puisqu’il s’agit d’architecture, on considère que la construction, le résultat final, sera toujours extérieur à la représentation, que cette dernière le précède ou lui succède.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 REFLEXIONS SUR LA REPRESENTATION DE L’ARCHITECTURE
Chapitre 1 Approches de la représentation de l’architecture
A La notion de « représentation »
a- « Re-faire le présent »
b- Spécificités de la représentation architecturale
B Jalons historiques
a- Naissance du dessin d’architecture : le bas Moyen-Âge
b- Théoriciens et perspectivistes, la Renaissance
c- Science et illusion, les XVIIe et XVIIIe siècles
d- Révolutions : l’orée du XIXe siècle
e- L’architecture à l’époque de sa reproductibilité technique
f- Fantaisies architecturales et végétales
g- Du Moderne au Post-Moderne
Chapitre 2 De la perception au message
A De la perception à la représentation
a- Questions de perception
b- Réflexion sur le processus créatif
B De la représentation au projet
a- Le désir d’exprimer et d’expliquer une idée
b- Avant l’ère du Dessin Assisté par Ordinateur
C Du projet au message
a- Une proposition concrète de changement
b- Un monde qui ne verra jamais le jour
c- Un support de revendication
Chapitre 3 Changements, réformes : vers le renouvellement de la représentation d’architecture
A Les changements contextuels
a- Un contexte historique déterminant
b- Un contexte socio-économique innovant
c- Un contexte idéologique en mutation
B Les réformes de l’enseignement de l’architecture
a- Mise en place d’une « rénovation fondamentale » en France
b- Un espace de liberté : l’Architectural Association en Angleterre
c- Emergence de la pensée radicale en Italie
PARTIE 2 REPRESENTER L’ARCHITECTURE EN EUROPE DE 1960 A 1975 149
Chapitre 1 Les acteurs du renouvellement de la représentation de l’architecture
A Le phénomène des groupes architecturaux dans les années 1960
a- Un groupement tactique ?
b- La créativité de groupe
B La place dominante et stimulante d’Archigram
C Les groupes français
a- Yona Friedman, du G.E.A.M. au G.I.A.P
b- Constant et les Situationnistes
c- Le groupe Utopie
d- Architecture Principe
D Les groupes italiens
a- Archizoom
b- Superstudio
E Les groupes autrichiens
a- Haus-Rucker-Co
b- Coop Himmelb(l)au
F Contacts et interactions entre les groupes européens
Chapitre 2 Les sources d’inspiration de ces représentations d’un genre nouveau
A Liens avec les arts plastiques
a- La révolution graphique, le Pop Art
b- La question d’une architecture « Pop »
B La bande dessinée de science-fiction
a- L’importance des bandes dessinées dans la culture populaire
b- La puissance évocatrice des héros de bande dessinée : le cas de Barbarella
c- Les influences formelles de la science-fiction sur le dessin d’architecture
C « But today we collect ads » : publicité et vie quotidienne
a- Naissance et diffusion de la publicité en Europe
b- Art et publicité
c- L’invention d’un nouveau langage : hybridations entre la publicité et l’architecture, l’exemple d’Archigram
D La technologie et les médias
a- « Je veux être une machine »
b- La crainte d’une déshumanisation de l’architecture
c- L’influence des « médias froids »
Chapitre 3 Les modes de représentation de l’architecture
A Le dessin, medium transitoire
B Le collage, entre dislocation et cohésion
C Le photomontage, tradition du XXe siècle
D Les procédés de reproduction et de coloration
E La maquette, entre visualisation et invention
Chapitre 4 Les nouvelles conceptions de la ville
A La ville-corps
B La ville-machine
C La ville mobile
D La ville « spatiale » et la ville-pont
E La ville sous-marine ou souterraine
F La ville consommable et éphémère
G Vers une ville virtuelle ?
VOLUME II
PARTIE 3 LE STATUT DE LA NOUVELLE REPRESENTATION DE L’ARCHITECTURE A PARTIR DE 1960
Chapitre 1 Les moyens de diffusion en l’absence de commande
A Exposer, s’exposer
a- Les expositions ponctuelles
b- Les Biennales et Triennales
c- Les Expositions Universelles
d- Les expositions ayant eu lieu depuis la dissolution des groupes
e- Les « évènements »
B Diffuser
a- L’importance des publications pour les groupes d’architectes
b- Les fanzines estudiantins et le magazine Archigram
c- Conséquences et limites de l’auto publication
d- Fortune critique
Chapitre 2 Utopie versus radical
A Utopies
a- Utopie de la fuite et utopie de la reconstruction
b- Le paradoxe des utopies localisées
c- Entre technotopie et contre-utopie
C La question de l’architecture radicale
a- Une naissance conceptuelle tardive
b- Demostratio per absurdum
c- Des expressions diverses
Chapitre 3 Le statut des représentations d’architecture
A Aux limites de l’œuvre d’art
a- L’autonomie de l’architecture de papier
b- La place de ces représentations au sein des collections de musées
c- La difficile entrée des représentations d’architecture dans le marché de l’art
B La question de l’image
a- Entre image et symbole
b- « Il n’y a plus d’autre destin à l’image que l’image »
C Vers une architecture de la communication
a- La « machine colossale de communication »
b- Inventer une nouvelle architecture signifiante
c- « The medium is the message »
CONCLUSION

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