Récupération de l’uranium des phosphates naturels

Avec l’explosion attendue de la démographie mondiale, la production d’électricité à bas coût va devenir un des enjeux majeurs pour les années à venir. La technologie nucléaire peut relever ce défi à condition que le prix de la matière première utilisée, l’uranium, reste abordable. Pour cela, il est nécessaire de diversifier la production de ce métal en exploitant, en plus des gisements existants, de nouvelles ressources. Parmi ces dernières, l’acide phosphorique demeure particulièrement intéressant. En effet, les minerais de phosphates contiennent divers métaux dont de l’uranium en faibles quantités. Cet uranium se retrouve, après lixiviation des minerais par l’acide sulfurique et précipitation du phosphogypse, dans le produit final parfois à hauteur de plusieurs centaines de ppm. L’acide phosphorique est ensuite plus ou moins purifié selon l’utilisation désirée : un acide de qualité pharmaceutique ou alimentaire aura été débarrassé de tous les métaux restants tandis qu’un acide dévolu à la fabrication d’engrais contiendra encore des impuretés. Ainsi, la récupération sélective de l’uranium contenu dans l’acide phosphorique revêt deux intérêts : abaisser la quantité de ce métal dans les produits fertilisants afin d’anticiper la règlementation européenne (qui sera vraisemblablement amenée à fixer des seuils*) et valoriser cet élément principalement sous forme de combustible nucléaire. Etant donné les tonnages importants associés à la production d’acide phosphorique, une extraction systématique de l’uranium pourrait couvrir environ 20% des besoins actuels. Il faut cependant disposer d’un procédé de récupération performant. Plusieurs techniques ont été envisagées, les plus efficaces étant l’extraction par solvant et l’échange d’ions. Dans ce travail, nous avons décidé de traiter uniquement l’extraction par solvant. Les paramètres qui peuvent avoir une influence significative sur le coefficient de distribution du métal (c’est-à-dire sur l’efficacité de l’opération) sont sa spéciation, les éventuelles réactions d’extraction compétitives ainsi que les écarts à l’idéalité tant en phase aqueuse qu’organique.

Ainsi, le but de cette thèse est d’étudier la spéciation de l’uranium(VI) dans l’acide phosphorique, de quantifier les écarts à l’idéalité associés et de proposer, in fine, un modèle d’extraction de l’uranium(VI) valable dans une gamme de concentrations d’acide phosphorique allant de 1 à 7 mol/L. Un modèle chimique décrivant la spéciation de la phase organique, mais ignorant la spéciation en phase aqueuse, a été précédemment proposé par Beltrami et al. pour une concentration donnée d’acide phosphorique (i.e., 5,3 mol/L). Par suite, notre travail se focalisera d’abord sur l’étude des propriétés des solutions d’acide phosphorique de 1 à 7 mol/L, puis nous utiliserons ces résultats pour essayer d’étendre la validité du modèle d’extraction proposé par Beltrami et al. à cette large gamme de concentrations d’acide phosphorique. De plus, nous affinerons ce modèle en prenant en compte les réactions d’extraction compétitives de l’eau et de l’acide ignorées par Beltrami et al..

Récupération de l’uranium des phosphates naturels : un enjeu pour demain

L’énergie nucléaire

La technologie nucléaire civile, développée au début des années 1950, est une réponse envisageable pour satisfaire de tels besoins. Elle possède trois avantages de poids :

➤ Elle est compétitive. En effet, le rapport « Energies 2050 »[2] remis en février 2012 au ministre français chargé de l’industrie a montré que même si son coût d’investissement est nettement plus élevé que celui inhérent à la technologie thermique au gaz naturel ou au charbon, le prix du kWh électrique nucléaire reste inférieur (5,6 centimes d’euros pour 1 kWhe « nucléaire » contre 6,7 pour 1 kWhe «charbon » et 6,9 pour 1 kWhe « gaz », à titre d’exemple, 1 kWhe « éolien » coûte 7,3 centimes et 1 kWhe « solaire photovoltaïque » coûte 15 centimes). Qui plus est, l’évolution du marché des combustibles fossiles ainsi que les mesures de taxation des industries polluantes entreprises par certains pays rendront encore moins rentable l’électricité issue des ressources fossiles. La forte compétitivité de la technologie nucléaire est principalement due au faible coût de sa matière première, à savoir l’uranium naturel.

➤ Elle ne produit pratiquement pas de gaz à effet de serre, ce qui est loin d’être une caractéristique à négliger quand on connaît les ravages du réchauffement climatique. Plus précisément, le dioxyde de carbone est responsable d’au moins 60% de l’augmentation de l’effet de serre induit par les activités humaines. Or la production mondiale d’électricité est une des principales sources de CO2 (elle est à l’origine des rejets de 40% du CO2, soit 9,5 milliard de tonnes annuelles à l’échelle planétaire). Le diagramme suivant donne les masses minimales et maximales de CO2 produites pour 1 kWh obtenu au moyen des technologies actuelles.

Ceci vient donc souligner l’intérêt du nucléaire qui produit, pour 1 kWh d’électricité, entre 9 et 21 g de CO2 et ce uniquement à cause du cycle de vie du combustible. Malgré tout, le problème de la gestion des déchets ne permet pas de classer l’énergie nucléaire parmi les énergies dites « propres » ou « vertes » même si elle est à l’origine de nettement moins de déchets que l’énergie thermique et qu’une partie de ces déchets peut être réutilisée.

➤ Elle est sûre. Même si les accidents de Three Mile Island en 1979, de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011 resteront gravés dans les mémoires, des statistiques établies par l’Institut Paul Scherrer en Suisse révèlent que, sur la période 1970 – 2005, la technologie nucléaire est à l’origine de 31 décès directs, soit bien moins que les autres méthodes de production d’électricité[4]. Elle est en effet loin derrière les technologies hydroélectrique (ruptures de barrages : environ 30000 morts) et thermique au charbon (intoxications, effondrement de mines et « coups de grisou » : près de 32000 morts). Cependant, ce chiffre de 31 morts est à nuancer car les décès indirects dus aux radiations sont difficilement quantifiables (en 2005, l’Agence Internationale à l’Energie Atomique estimait ainsi à 4000 morts le bilan total de la catastrophe de Tchernobyl[5]).

Les sources d’uranium

Les 63875 tonnes d’uranium consommées en 2010 provenait à 85% de la production mondiale (soit 54670 tonnes, 6% de plus qu’en 2009 et 25% de plus qu’en 2008), les 15% restant ayant été couverts avec de l’uranium déjà extrait (sources dites « secondaires » telles que les stocks publics et privés excédentaires, la conversion de l’uranium hautement enrichi de qualité militaire en uranium faiblement enrichi, le réenrichissement de résidus d’uranium appauvri et le retraitement du combustible usé). Cette année-là, 22 pays se sont déclarés producteurs d’uranium mais 8 d’entre eux produisaient à eux seuls 93% de l’uranium mondial. Il s’agit du Kazakhstan (33%), du Canada (18%), de l’Australie (11%), de la Namibie (8%), du Niger (8%, avec notamment les mines d’Arlit exploitées par AREVA qui sont les principales pourvoyeuses de l’uranium français), de la Russie (7%), de l’Ouzbékistan (5%) et des USA (3%).

Selon l’AIEA[7] , les ressources conventionnelles en uranium (primaires et secondaires) seront plus que suffisantes pour satisfaire les besoins des centrales nucléaires jusqu’en 2035 dans le cas de l’hypothèse haute. Cependant, même si certains facteurs contribuent actuellement à une baisse du prix de l’uranium (politiques de sortie du nucléaire consécutives à l’accident de Fukushima, découvertes de gisements de gaz naturel bon marché, climat financier peu propice aux investissements, etc.), il devrait remonter sous peu du fait de l’augmentation des coûts de production et de la forte demande des pays émergents.

Récupération de l’uranium contenu dans l’acide phosphorique

Plusieurs techniques furent envisagées. Elles sont présentées ci-dessous :

✠ L’extraction par solvant, qui fut la seule technique utilisée à l’échelle industrielle. Elle présente en effet des avantages conséquents : c’est une opération unitaire dont la technologie est mature et elle ne nécessite pas d’équipements très coûteux tout en étant facile à mettre en œuvre en continu. En revanche, elle nécessite une étape préliminaire de conditionnement de l’acide visant notamment à optimiser sa température et son potentiel redox ainsi qu’à éliminer toute trace de solide et de matière organique pour éviter la formation de crasses. Les coûts d’investissement et d’exploitation relatifs à cette étape sont assez élevés. Qui plus est, l’acide phosphorique ainsi traité peut contenir des traces de solvants organiques et la rentabilité du procédé est intimement liée à la quantité d’uranium dissoute dans l’acide. Une fois l’uranium transféré en phase organique à l’aide d’un extractant ou d’un mélange d’extractants, celui-ci est désextrait puis précipité sous forme de carbonates mixtes de sodium ou d’ammonium et d’uranyle.
✠ Les résines échangeuses d’ions : cette technologie connut un franc succès au début des années 1980 non seulement pour traiter l’acide phosphorique mais également l’acide sulfurique. Comparée à l’extraction par solvant, elle possède en effet certains avantages : elle peut traiter de l’acide phosphorique même pauvre en uranium pour des coûts faibles, elle ne contamine pas l’acide et elle est peu affectée par la concentration en acide et par sa température. Cependant, même si certaines résines polymères imprégnées d’extractants ou possédant des groupes fonctionnels amino-phosphoniques se révèlent efficaces[15]-[19], leurs faibles capacité et sélectivité vis-à-vis de l’uranium ne permettent pas leur utilisation industrielle. Une fois l’uranium fixé par ces résines, il peut être désorbé/désextrait au moyen d’un éluant acide ou basique. Autre inconvénient : il n’existe à l’heure actuelle aucun procédé continu utilisant cette technologie, la densité des résines étant trop faible comparée à celle de l’acide phosphorique pour permettre la formation d’un lit fluidisé.
✠ La précipitation : ce fut la première méthode utilisée industriellement pour récupérer l’uranium de l’acide phosphorique. En effet, au début des années 1950, The Blockson Chemical Company développa un procédé dans lequel l’uranium(VI) était réduit et précipité sous forme de dioxyde d’uranium UO2 par ajout de dithionite de sodium. Le précipité obtenu était ensuite lavé et redissous dans de l’acide sulfurique dans des conditions oxydantes. Le carbonate de sodium était alors utilisé pour obtenir un nouveau précipité contenant entre 40 et 60% de U3O8 [20] . Une méthode alternative consistait à faire coprécipiter l’uranium au degré d’oxydation +IV avec le phophogypse, à lixivier ce dernier avec un acide minéral et à récupérer l’uranium (extraction par solvant, échange d’ions ou précipitation au fluorure d’ammonium) [21]- [24] . Ces procédés présentaient certains points forts : ils étaient applicables pour une large gamme de concentration en H3PO4 et on ne risquait pas de contaminer l’acide avec des solvants organiques. Leur efficacité était en revanche intimement liée à la nature du minerai car les phénomènes de précipitation sont fortement affectés par la concentration et la nature des ions présents dans le milieu.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 : Contexte de l’étude
I) Récupération de l’uranium des phosphates naturels : un enjeu pour demain
1) L’énergie nucléaire
2) Les sources d’uranium
3) L’acide phosphorique : production et utilisations
4) Récupération de l’uranium contenu dans l’acide phosphorique
II) L’extraction par solvant : généralités et définitions
1) Utilisations
2) Les différents types d’extraction
3) Grandeurs caractéristiques
4) Influence des écarts à l’idéalité et de la spéciation
III) Les écarts à l’idéalité
1) Activité dans les mélanges
2) Les coefficients d’activité : estimation et mesure
3) Particularités des électrolytes
4) Les modèles thermodynamiques
a) Les modèles d’enthalpie libre d’excès
b) Les équations d’état
c) Les modèles empiriques
IV) Base de données pour la modélisation de l’extraction de l’uranium(VI) contenu dans l’acide phosphorique
1) Le milieu phosphorique : spéciation et modélisation
2) Spéciation de l’uranium(VI) dans l’acide phosphorique
3) Le mélange D2EHPA/TOPO pour extraire l’uranium(VI) contenu dans l’acide phosphorique
4) Les complexes uranium(VI)-extractants
V) Bibliographie du chapitre 1
Chapitre 2 : Acquisition de données complémentaires
I) Spéciation de la phase aqueuse
1) Position du problème
2) Technique analytique : la spectroscopie ATR-IR
3) Protocole expérimental
4) Résultats
a) Aires des pics de l’acide phosphorique seul
b) Aires des pics de l’acide phosphorique en présence d’uranium(VI)
II) Spéciation de la phase organique
1) Position du problème
2) Technique analytique : l’osmométrie à pression de vapeur
3) Protocole expérimental
4) Résultats
a) Auto-association de D2EHPA en milieu anhydre et saturé d’eau
b) Auto-association du TOPO en milieu anhydre et saturé d’eau
c) Association du D2EHPA avec le TOPO en milieu anhydre et saturé d’eau
III) Extraction de l’eau et de l’acide phosphorique par la phase organique
1) Position du problème
2) Technique analytique : la méthode de Karl-Fischer
3) Protocole expérimental
4) Résultats
a) Extraction d’eau en fonction de la concentration en extractants
b) Extraction d’eau en fonction de l’activité d’eau
c) Extraction d’eau et d’acide phosphorique en fonction de la concentration en acide phosphorique en phase aqueuse
IV) Bibliographie du chapitre 2
Chapitre 3 : Modélisation de l’extraction liquide-liquide de l’uranium(VI) contenu dans l’acide phosphorique par le mélange D2EHPA/TOPO
I) Objectif
II) Modélisation thermodynamique de la phase aqueuse
1) Etude du système H3PO4-H2O
2) Etude du système U(VI)-H3PO4-H2O
III) Couplage phase aqueuse – phase organique : amélioration du modèle de Beltrami et al
1) Présentation du modèle
2) Modélisation de l’isotherme d’extraction de l’uranium(VI) en fonction de la concentration en acide phosphorique
a) Prise en compte des écarts à l’idéalité et de la spéciation en phase aqueuse
b) Prise en compte de l’extraction d’eau et d’acide phosphorique par le mélange D2EHPA/TOPO
IV) Bibliographie du chapitre 3
Conclusion

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