Recueil des données et guide d’entretien

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Population de l’étude

La population cible de cette étude était les patients majeurs ayant bénéficié du dispositif PASS de Ville de Médecins du Monde et ayant rencontré un des médecins généralistes du dispositif.
Les critères d’inclusion étaient les suivants :
– Être âgé de plus de 18 ans.
– Avoir bénéficié du dispositif “PASS de Ville” de Médecins du Monde.
– Avoir consulté un des médecins généralistes participant au dispositif “PASS de Ville”.
– Avoir consenti par écrit à participer à l’étude.
Les critères de non-inclusion étaient les suivants :
– Être âgé de moins de 18 ans.
– Avoir refusé de participer à l’étude.

Recueil des données et guide d’entretien

Le recueil des données a été réalisé à partir d’entretiens individuels semi-dirigés en face à face. Le guide d’entretien a été préalablement testé auprès de deux patients ce qui a permis d’identifier les éléments à éclaircir et d’améliorer le guide d’entretien initial.
Les entretiens ont été menés par l’un ou l’autre des deux doctorants. Ils ont été réalisés dans un lieu à la convenance des patients. Il leur était systématiquement proposé de le réaliser soit dans leur lieu de vie s’ils le jugeaient propice à cet effet, soit dans les locaux du CASO de Médecins du Monde, soit au sein de la Maison de Santé Pluriprofessionnelle Peyssonnel (lorsqu’il s’agissait d’un patient suivi par un des 2 médecins de la structure adhérant au dispositif PASS de Ville), ou bien au sein des cabinets des autres médecins traitants des patients inclus. Les entretiens ont été enregistrés à l’aide d’un dictaphone et intégralement retranscrits. La durée initialement prévue des entretiens était évaluée entre 30 minutes et 1 heure. Au sein du guide d’entretien (annexe 1), les thématiques abordées étaient réparties en 3 grandes parties et divisées en 9 questions ouvertes. Il abordait les expériences de soins et les attentes des patients lors du premier contact avec le dispositif PASS de Ville ; les représentations et les expériences des soins primaires après une première utilisation du dispositif ; la satisfaction et les besoins vis-à-vis du dispositif PASS de Ville de Marseille.
Ce guide a évolué au fur et à mesure des entretiens et jusqu’à la fin de l’étude. Les entretiens ont été menés jusqu’à suffisance des données (entendue comme l’absence d’émergence de nouvelle information concernant la thématique étudiée).

Constitution de l’échantillon

Les coordonnées des 4 médecins généralistes participant au dispositif PASS de Ville au moment de l’étude ont été récupérées par l’intermédiaire de la personne en charge de la PASS de Ville à Médecins du Monde.
Les doctorants ont ensuite contacté ces médecins par mail ou téléphone afin de récupérer les coordonnées de patients correspondants aux critères d’inclusion. Trois des quatre médecins ont fourni les coordonnées de plusieurs patients vus en consultation, le quatrième les coordonnées d’un seul.
Du fait des limitations liées à l’homogénéité de l’expérience vécue et à une population source restant limitée, l’échantillonnage a débuté par la méthode d’échantillonnage de complaisance.
Les premières personnes ont alors été contactées par téléphone. Seuls étaient connus leur nom et prénom, le médecin consulté et leur numéro de téléphone.
Secondairement, la recherche de patients présentant des profils diversifiés sur des points d’intérêts identifiés au fil de l’analyse des entretiens a été menée selon la méthode d’échantillonnage théorique.
Le nombre de sujets nécessaires a été déterminé par le phénomène de “saturation des données”, qui précise que les inclusions cessent lorsque deux entretiens à la suite n’apportent pas de nouvelle information concernant la thématique étudiée. Pour cette étude, le nombre d’entretiens nécessaires a été évalué initialement entre 15 et 20. Cette faible taille de l’échantillon est toute relative car justifiée par le fait qu’une seule information apportée par l’entretien peut avoir un poids équivalent à une information répétée de nombreuses fois. En effet, les entretiens sont validés par le contexte et n’ont pas besoin de l’être par leur probabilité d’occurrence.

Analyse des données

Une analyse inductive du contenu a été réalisée à l’aide du logiciel N-Vivo, sur le modèle de la théorisation ancrée, en suivant la méthode d’analyse proposée par Christophe Lejeune dans son ouvrage “manuel d’analyse qualitative : analyser sans compter ni classer”.
Les entretiens ont fait l’objet d’un codage ouvert, entretien par entretien. Après une lecture flottante, chaque texte a fait l’objet d’un étiquetage expérientiel, permettant de dégager le sens du discours pour la personne interrogée (« ce que le patient en dit »). Ces étiquettes ont ensuite été rassemblées au sein de propriétés définies comme ce qui caractérise une ou plusieurs étiquettes. A l’issue de ce processus, un codage sélectif a permis l’émergence de catégories conceptuelles et modélisantes ayant permis, au terme d’un processus d’intégration (confrontation des catégories émergentes aux données de la littérature), l’émergence d’une théorie explicative.
La triangulation de l’analyse a été menée par les deux doctorants de façon permanente, avec discussion des étapes clés avec la directrice de thèse (investigatrice principale). Les entretiens ont ainsi été codés séparément, étape par étape, et ont fait l’objet d’une confrontation des codages à chaque étape, avec recherche d’un consensus lors des désaccords.

Considérations éthiques

Cette étude, centrée sur une population sensible, a soulevé plusieurs questionnements éthiques. Un accord a été obtenu auprès du Comité d’Éthique d’Aix-Marseille Université avec pour numéro de référence le 2020-11-05-12.
D’autre part, avant chaque entretien, un consentement écrit de participation à la recherche a été recueilli auprès de chaque sujet interrogé. Une notice d’information était remise à chaque participant à la recherche.

Caractéristiques des entretiens

Au total 16 entretiens ont été réalisés. Ils se sont déroulés entre le mois de février et de mai 2021. Chacun des doctorants en a réalisé 8.
Ils ont eu lieu dans les locaux de Médecins du Monde Marseille, dans une pièce mise à notre disposition, habituellement réservée à l’accueil des personnes par les assistantes sociales de la structure. Il s’agissait d’un lieu calme, neutre et propice à la discussion.
La durée moyenne des entretiens était de 37 minutes avec un minimum de 20 minutes et un maximum de 52 minutes.
La saturation des données a été atteinte au cours du quinzième entretien et confirmée au seizième.

Description de l’échantillon

Les coordonnées de 118 personnes au total ont été récupérées (nom, prénom, date de naissance et numéro de téléphone). Nous en avons contacté 90, parmi elles 52 n’ont pas répondu à l’appel (messagerie vocale, numéro non attribué), 9 avaient déménagé dans une autre ville, 6 étaient intéressées mais non disponibles aux jours proposés, 3 personnes ne répondaient pas aux points d’intérêts identifiés au cours de l’analyse (langue parlée), 2 personnes nous ont dit ne pas être intéressées et enfin 2 entretiens ont dû être annulés (erreur d’adresse, retard).
Les 16 entretiens effectués ont permis d’obtenir un échantillon diversifié sur l’âge, le sexe, le pays d’origine et le médecin du dispositif consulté. (Tableau 1)
Parmi les 16 personnes interrogées, 3 étaient allophones, nécessitant une traduction par l’intermédiaire d’une plateforme d’interprétariat téléphonique professionnel (ISM Interprétariat)

Résultats de l’analyse

L’analyse du discours des personnes interrogées nous a permis d’en extraire quatre grandes hypothèses (Figure 1). Tout d’abord celle que les patients issus du dispositif avaient des besoins complexes composés à la fois de besoins de santé et de soins mais aussi d’un besoin de droits sociaux.
Médecins du Monde et son CASO étaient bien identifiés des personnes comme une structure leur permettant d’obtenir l’aide nécessaire à la reconnaissance de leurs droits.
Le dispositif PASS de Ville quant à lui ne semblait pas compris mais cela n’empêchait pas le recours aux soins des personnes qui en bénéficiaient.
Enfin, nous avons pu mettre en évidence une intégration plus ou moins réussie. Alors que le soin a pu faciliter cette intégration, les limites du dispositif et de mauvaises expériences sont venues la compliquer.

Le besoin de soins au premier plan

Les personnes interrogées évoquaient des besoins complexes. En premier lieu venait le besoin de soins médicaux. Ils se rendaient à Médecins du Monde devant des symptômes, le plus souvent des douleurs pour pouvoir bénéficier d’une consultation médicale et d’un traitement.
« La première fois il est venu pour les douleurs qu’il avait au niveau du pied, euh… des pieds. (…) Il est venu pour avoir des médicaments calmants pour ça surtout. » [P13]

Le besoin de droits au second plan

Puis dans un second temps, une fois le problème de santé aigu passé (pour ceux qui venaient dans ce contexte-ci, ou pour les autres), les usagers recherchaient une régularisation sur le plan des droits à la sécurité sociale pour pouvoir bénéficier de consultations médicales ultérieures. Pour la majorité des personnes interrogées, cela passait par l’aide médicale d’Etat, aide accordée aux personnes en situation irrégulière.
« Elle [l’assistante sociale] m’a demandé ce que je viens faire. J’ai dit il faut juste pour l’aide médicale. » [P02]

La santé comme priorité

En effet, les personnes interrogées accordaient beaucoup d’importance à leur santé, ce pourquoi elles entamaient des démarches de régularisation, en vue de consulter un médecin. La bonne santé était pour beaucoup un gage d’intégration.
« Que avant tout c’est d’être vivant. Si on est malade on ne peut rien faire… On ne peut pas travailler. » [P01]
Ils se soignaient également pour faire taire un symptôme et pouvoir retourner à leur vie habituelle. « Parce que ça me donnait mal des fois… au ventre. Mais ça va, l’essentiel c’est que j’avais pas mal au poignet. C’est ce qui comptait, j’arrivais à dormir. » [P04]

Un recours actif au soin

Ces personnes venaient donc satisfaire ce besoin de soins en recherchant activement à se faire soigner. Ils se renseignaient sur la possibilité de voir un médecin pour trouver une explication à leurs maux. Ils prenaient eux-mêmes leurs rendez-vous et demandaient parfois à pouvoir bénéficier d’explorations complémentaires.
« Je voulais savoir ce qui m’arrive, faire des radios, un truc, faire des analyses, faire… Dépasser le médicament. » [P02]

L’aide extérieure

Lorsque les patients ne prenaient pas l’initiative du soin, ils étaient généralement conseillés par de la famille ou des connaissances. Ils pouvaient être aidés financièrement, orientés vers des professionnels de santé connus de leur communauté ou vers Médecins du Monde et la PASS de Ville. « Des fois… je demande à mon collègue, tu m’amènes un doliprane, ou je sais pas quoi… un gaviscon ? » [P06]

Des attentes relationnelles envers le médecin généraliste de la PASS de Ville

Enfin, la rencontre avec le professionnel de santé appartenant au dispositif avait lieu. Les personnes interrogées faisaient part d’un besoin d’un accueil chaleureux et d’une écoute active sans jugement. Cet accueil, pour beaucoup, participait déjà au soin et permettait de soulager les symptômes les ayant conduits à consulter en premier lieu.
« Quand tu pars chez [nom du médecin B] même si tu as mal, il te donne d’abord le courage de tenir ton coup. Avec lui, il est trop drôle, il fait… tu vas même oublier que tu étais malade. » [P10]

Une structure identifiée plus qu’un dispositif

Une structure de premier recours

Pour beaucoup, Médecins du Monde d’une manière générale, et non la PASS de Ville, était une référence. Elle est la structure de premiers recours pour les questions d’ordre sanitaire ou social. « Sauf quand tu viens aux Médecins du Monde parce qu’aux Médecins du Monde ici il y a toujours les médecins qui vont t’ouvrir les portes. Quand il y a des soucis, aux Médecins du Monde, ils vont toujours te soigner, il y a toujours des médecins le jeudi ou le vendredi pour venir se soigner. » [P10]

Un lieu connu et reconnu

La structure était clairement identifiée et constituait pour tous un véritable point de repère. Elle était notamment connue de l’entourage des patients consultant à la PASS de Ville. « C’est un ami qui m’a… qui m’a guidé, qui m’a donné l’adresse. Il m’a dit va à Médecins du Monde, tu peux te faire soigner. » [P11]
Ce rapport privilégié à la structure et non au dispositif et à son médecin généraliste apparenté pouvait expliquer la moindre identification de ce médecin. C’est le cas pour ce patient qui nous disait, en parlant d’un médecin généraliste de la PASS de Ville, :
« Je sais pas comment il s’appelle, je sais pas. Juste je suis allée dans le rendez-vous. » [P08] Également, les personnes se rendant à la PASS de Ville, et à Médecins du Monde de manière plus générale, étaient très reconnaissantes de l’aide apportée par l’ONG.
« Médecins du Monde, la vérité, ils sauvent les gens. C’est… c’est des médecins qui sauvent les gens. Ils se sacrifient… pour les gens. La vérité. Ils sont là. » [P12]

Une aide dans les démarches administratives

Ils appréciaient notamment l’aide apportée par les travailleurs sociaux du dispositif dans la constitution des dossiers administratifs pour l’ouverture de leurs droits potentiels.
« Il l’a aidé pour faire son dossier médical. Il lui a demandé d’avoir des documents comme l’attestation d’hébergement. Et donc le lendemain il a ramené le dossier, il dit. » [P13]

Une aide dans l’obtention des droits

Et cette aide dans la constitution du dossier social se soldait dans la majorité des cas par un succès. Les usagers du dispositif, généralement sans droits ouverts à la sécurité sociale lors de leur première consultation, pouvaient prétendre à l’Aide Médicale d’Etat et l’obtenaient dans la majorité des cas.
« Ils ont bien fait ses démarches pour l’aide médicale. Il a eu l’attestation. » [P15]

Un dispositif incompris mais efficient

Une incompréhension du dispositif

Cependant, au cours des entretiens, il est ressorti que les patients interrogés ne comprenaient pas ce qu’était le dispositif et ce à quoi il servait.
« [silence] J’ai pas vraiment compris [en bégayant] la PASS de Ville. C’est-à-dire ? C’est quoi la PASS de Ville ? » [P12]
Certains même attendaient d’avoir des droits effectifs à la sécurité sociale pour pouvoir consulter un médecin : « Après j’attends la carte aide médicale comme il me donne. Je partis les autres médecins généralistes. Aussi l’autre hôpital aussi. Oui comme ça, c’est tout. » [P07]

Des soins sans avance de frais pour tous

Malgré un dispositif incompris, les usagers parvenaient à l’utiliser et ainsi consulter des professionnels de santé partenaires (médecins généralistes, dentistes), pratiquer des examens biologiques dans des laboratoires d’analyses médicales et retirer des médicaments dans les pharmacies conventionnées avec la PASS de Ville, tout cela sans faire l’avance des frais.
« Parce que quand je suis arrivée à la pharmacie, je m’attendais à payer l’ordonnance. […] Ils m’ont donné les médicaments. J’ai rien payé ! J’étais étonnée ! Je m’attendais pas ! J’ai eu tout ce que je veux, qu’il me fallait. » [P10]

Une orientation simplifiée dans le parcours de soins

La PASS de Ville, en plus de permettre aux patients d’accéder aux soins sans faire l’avance des frais, leur permettait de consulter divers professionnels de santé de manière simple et pratique. Les patients décrivaient avoir été orientés vers un médecin généraliste, une pharmacie ou bien un laboratoire, parfois à l’aide de plans imprimés. (annexe 2) « Ils m’ont donné un papier pour aller voir le médecin traitant… euh… [prénom du médecin A]. » [P01]

Le médecin généraliste de la PASS de Ville reconnu comme médecin référent

De plus, pour une bonne partie d’entre eux, le médecin généraliste partenaire de la PASS de Ville avait été identifié comme médecin référent. Ce médecin était le premier recours des usagers du dispositif et leur interlocuteur principal en ce qui concernait leur santé. « Je venais faire le traitement pour après ils m’ont fait une demande d’AME ici et après ils m’ont montré le Dr. [prénom du médecin B] qui est mon docteur principal maintenant. » [P09]

Le médecin généraliste de la PASS de Ville pivot du parcours de soins

Les patients décrivaient, pour certains, une orientation chez différents spécialistes ou bien vers un laboratoire partenaire par le biais du médecin généraliste appartenant au dispositif. « Elle m’a fait une lettre, elle m’a dit tu vas voir ce médecin. » [P01]

Une intégration en demi-teinte

Une intégration par le soin

Les usagers du dispositif PASS de Ville estimaient être réintégrés dans le système de soins français notamment par le biais d’un retour au soin de droit commun.
Par les soins qui leur étaient prodigués, les patients se sentaient considérés comme les autres. « S’il peut [silence], il te… il commence à te faire des visites normales, tension. Il regarde tout ! Tout ce qui ne va pas. » [P10]

Une intégration plus globale, sociétale

Cette inclusion dans le système de santé français allait plus loin encore et leur permettait par le soin de s’intégrer à plus grande échelle dans la société, que ce soit pour trouver un emploi ou en étant considéré “comme les autres”.
“Euh non… Déjà avec ma main j’arrive pas à soulever un verre d’eau… même mon téléphone j’arrive pas. Et je peux pas travailler sans mes droits !” [P04]
“Eh ben… comme tout le monde ! Je me suis senti, j’ai ressenti un peu de dignité en fait. Si je suis malade, je vais me soigner comme tout le monde. Voilà.” [P11]

Pas de médecin référent pour certains à l’issue du dispositif

Cependant, malgré une promesse d’intégration dans le système de soins français, pour une petite proportion des usagers de la PASS de Ville, il n’existait pas de médecin référent identifié à l’issue du dispositif.
« Celui là je l’ai vu qu’une seule fois après je prends juste celui qui est dispo. » [P02]

Des mauvaises expériences des soins

De plus, certains patients décrivaient des mauvaises expériences de soins au sein du dispositif, souvent révélant une peur d’être stigmatisé. Les patients exprimaient en effet un besoin d’être examiné pour se sentir réellement considéré. L’examen clinique par le toucher constituait en lui-même une première étape vers le soin, ainsi lorsque ce dernier venait à manquer les patients pouvaient l’interpréter comme du rejet.
« C’est une grande différence pour moi, comme je suis… La vérité, je suis sale ? C’est pas propre ? Pourquoi elle, ils ont fait comme ça ? Et… c’est pas normal la vérité ! » [P05]

Un dispositif avec des limites

Malgré un dispositif qui permettait un retour aux soins de droit commun, il demeurait certaines limites.
Premièrement, les usagers déploraient l’absence d’accès à un plateau technique spécialisé (scanner, IRM, spécialistes) ce qui pouvait mener à des situations problématiques.
« J’suis allé là-bas après j’ai pris le rendez-vous et tout. Sauf que quand je suis allé, ils m’ont dit qu’on peut pas faire le scanner. J’ai dit pourquoi, je comprends pas, j’ai une PASS de la Ville. » [P04]
De plus, le dispositif apparaissait vite saturé par une demande grandissante. L’attente était décrite comme longue, notamment depuis la pandémie de Covid 19, où le personnel avait dû réduire les jauges de patients acceptés par permanence.
« Oh quand même, on est venus… y avait du monde ! Y avait du monde. Ils n’acceptent que 12. Je viens 4h du matin ici. On s’inscrit voilà. Mais avec le covid, ils ne reçoivent euh… une dizaine puis une douzaine pas plus. Ah ouais, pas plus. Vous êtes obligés de… Carrément je viens à 5h du mat’, je suis ici ! » [P14]
Enfin les patients se heurtaient à des délais administratifs longs pour obtenir leurs droits et ce malgré la convention fixée entre Médecins du Monde et la CPAM des Bouches-du-Rhône. « J’ai renouvelé encore, jusqu’à présent j’attends. Je n’ai rien reçu. Ça fait un an presque que j’ai pas reçu. Depuis 2019 c’était ma dernière carte. » [P10]

Une confusion entre les acteurs du soin et l’outil

Nous avons pu observer durant les entretiens chez la quasi-totalité des participants une complète méconnaissance de ce qu’était la PASS de Ville et une confusion avec Médecins du Monde. Quand nous les interrogions sur ce sujet, les patients ne parvenaient pas à nous décrire la PASS de Ville, ils évoquaient systématiquement l’organisation non gouvernementale et non le dispositif.
Cette confusion entre l’outil et les acteurs du soin peut s’expliquer par le fait que le dispositif fonctionnait dans le même lieu que celui de la structure, ceci ne permettant pas la différenciation des deux par les usagers. De plus, certains jours étaient alloués aux consultations de la structure tandis que d’autres l’étaient pour le dispositif.
Dans le cadre d’observations non participantes sur site, nous avons pu constater que peu d’informations concernant le dispositif et son fonctionnement étaient délivrées aux usagers.
A l’heure de l’information claire, loyale et appropriée, nous pouvons nous questionner sur la raison pour laquelle les patients ne semblent pas être suffisamment renseignés sur le fonctionnement du dispositif (28).
Plusieurs travaux ont suggéré qu’une surcharge d’informations pouvait avoir des effets négatifs. Les patients peuvent se retrouver déconcertés par la nature et la quantité d’informations, même de qualité, entraînant une forte tendance à réduire leur ensemble d’alternatives et de décisions possibles (29, 30).
Pourtant une réduction de la quantité d’informations n’entraînerait probablement pas une utilisation plus efficace des informations comparatives sur les soins de santé par les patients. Les caractéristiques et les compétences des personnes semblent être des facteurs plus influents contribuant à la compréhension et à l’utilisation de l’information (31).
Une autre piste pouvant expliquer la confusion entre la structure et son outil vient du fait que l’organisation Médecins du Monde est une structure reconnue de longue date par la population locale constituant un point de repère dans le maillage du réseau de la précarité.
Ouverte en 1987, elle est la seule association sur la ville de Marseille disposant d’un centre médical gratuit ouvert tous les jours et accessible sans condition de droits. Plus de 3500 patients y consultent chaque année.
Le rayonnement et l’identification forte de cette structure sont expliqués par le fait qu’elle associe plusieurs paramètres recherchés par les usagers des centres de soins : elle accompagne sans distinction les personnes quelles que soient leur situation sociale ou conditions de vie, elle propose des soins gratuits par l’intermédiaire de son CASO qui est aussi un espace de mise en oeuvre d’une solidarité participant à la création de liens sociaux d’intégration (32, 33).
Bien qu’incompris le dispositif n’en demeurait pas moins efficient. En effet, les objectifs principaux de la PASS de Ville sont d’améliorer l’accès des plus démunis aux soins premiers en ambulatoire et d’allier prise en charge médicale et accompagnement social afin de lutter contre le non-recours et d’éviter le report des soins ambulatoires vers l’urgence. Nous avons pu voir qu’à l’issue du dispositif la plupart des patients se tournaient vers un médecin généraliste de ville que certains qualifiaient même de médecin “référent” ou “traitant”. Il serait intéressant maintenant de quantifier le taux de réussite d’ancrage dans le parcours de soins que les entretiens ont laissé percevoir par le biais d’études quantitatives. D’autant plus, il s’avère que les patients qui sont plus étroitement liés à un médecin en particulier bénéficient de soins de meilleure qualité (34).
Il ne semble pas indispensable alors de limiter la confusion entre l’acteur et son outil, la satisfaction et l’adhésion aux soins des patients étant principalement lié à une communication médecin-patient de qualité, à la compétence des professionnels de santé et à la qualité de l’éducation sanitaire (35, 36).
De plus, les personnes interrogées n’évoquaient pas avoir de difficultés à s’orienter vers les différents professionnels du dispositif. Une fois leurs droits sociaux ouverts, ils consultaient régulièrement le même médecin qu’ils ont pu rencontrer dans le cadre du dispositif. Sur place, nous avons pu constater qu’ils étaient accompagnés par l’équipe de la PASS de Ville vers les médecins généralistes, les pharmacies et les laboratoires partenaires à l’aide de plans imprimés (annexe 2). Or, avoir une couverture maladie, un médecin régulier et un lieu de consultation habituel sont les principaux critères d’un accès aux soins primaires perçus comme satisfaisant par les patients (37).

Des professionnels de santé spécialisés

Le dispositif de PASS de Ville de Médecins du monde a permis le retour dans le droit commun des personnes en situation de précarité grâce à des professionnels de santé libéraux et des structures ambulatoires partenaires.
L’orientation de ces patients vers les acteurs partenaires et notamment les médecins généralistes du dispositif, formés et sensibilisés aux problématiques de la précarité, a pu permettre une meilleure intégration de ces personnes par les soins.
En effet, la dimension humaine est la qualité principale recherchée par les patients précaires lorsqu’ils rencontrent des acteurs du soin. De plus, la qualité de l’accueil et la communication facilitent la relation de confiance qui est le garant d’une accroche aux soins de qualité (36, 38). D’un autre côté, des études ont mis en évidence que les médecins généralistes prenant en charge des populations en situation de précarité développaient des compétences spécifiques pour améliorer la relation médecin-patient et répondre à leurs besoins de santé. Cela pouvait se traduire dans les faits par l’établissement d’un lien personnel afin de surmonter la distance sociale, par la prise en compte de la vulnérabilité sociale des patients pour répondre à leurs attentes et en les impliquant dans leurs soins afin d’améliorer l’auto-gestion de leurs pathologies (39).
Il existe, et ce même chez les médecins travaillant dans des zones défavorisées, certains jugements moraux et des incompréhensions concernant la pauvreté. La compréhension des déterminants sociaux de la santé et le développement des compétences précédemment décrites apparaissent comme essentielles dans la formation des futurs médecins généralistes afin d’améliorer l’accès aux soins pour les plus démunis (40).
Cependant, le recours systématique à des professionnels d’un réseau identifié “précarité” peut-il entraîner une stigmatisation de ses usagers ?
Dans certaines régions du monde où la précarité est très ancrée, il a été constaté que la pauvreté et l’histoire de la région étaient étroitement imbriquées ce qui engendrait une stigmatisation socio-spatiale qui à son tour contribuait au caractère persistant et intergénérationnel de la pauvreté (41).
Fréquemment les plus démunis expérimentent des violences symboliques lorsqu’ils se rendent dans des institutions pour faire valoir leurs droits, ou lors de rencontres avec des soignants ce qui contribue à des non-recours aux droits ou aux soins (42-44).
Ils peuvent également être victimes de refus de soin qui peuvent prendre la forme de discrimination directe (du fait d’une couverture maladie particulière, ou simplement selon l’origine) ou de discriminations indirectes (lieu ou mode d’exercice professionnel, non application du tiers payant c’est-à-dire de la dispense d’avance des frais) (44, 45).
Afin de maintenir une adhésion aux soins et éviter une discrimination des patients en situation de précarité, il apparaît comme préférable de faire appel à des professionnels de santé formés et identifiés au sein d’un réseau de la précarité au risque d’entraîner une stigmatisation du fait du recours à ce réseau spécifique.

Forces et faiblesses de l’étude

Tout d’abord, les investigateurs n’avaient pas d’expérience à la méthode de l’entretien. Ceci a été pallié par une documentation et des recherches bibliographiques approfondies avant de débuter les entretiens, un retour d’expérience des premiers entretiens ainsi qu’une discussion des moments clés avec la directrice de ce travail.
La principale force de cette étude réside dans son caractère novateur explorant un phénomène jusque-là non encore étudié. En effet, il s’agit de la première étude explorant l’expérience et les attentes des usagers d’une PASS ambulatoire.
L’inclusion de patients allophones, par le biais d’un service d’interprétariat professionnel, a permis de se rapprocher au plus près de la population source, en grande partie allophone. L’interprétariat professionnel est actuellement recommandé par la HAS assurant une traduction la plus fidèle possible et limitant l’incertitude sur la qualité de la traduction, la charge émotionnelle, la rupture du secret médical dans le cas du recours à un membre de la famille (46).
La barrière de la langue a cependant probablement limité la compréhension de certaines questions par les autres personnes interrogées malgré les reformulations effectuées. Cela a pu également perturber la retranscription de certains entretiens avec des mots ou expressions non comprises par les deux doctorants.
Les entretiens ont tous été réalisés dans les locaux de Médecins du Monde et ce malgré la possibilité d’un entretien au domicile ou dans un autre lieu neutre proposé aux patients.
Le fait que les entretiens se soient tous déroulés dans les locaux de Médecins du Monde a pu limiter la parole de certains patients sur des expériences vécues négatives. Cela a pu également orienter leur discours sur le plan médical ou surreprésenté dans leur esprit la présence de Médecins du Monde.
Nous avons également rédigé tout au long de ce travail de thèse un journal de bord, document où l’on consignait toutes nos pensées et nos a priori ce qui nous a permis de structurer nos idées et de prendre une distance avec nos résultats afin de les aborder avec neutralité (47).
De plus, nous avons associé nos recherches à de l’observation non participante en assistant à une matinée d’accueil du public de la PASS de Ville par l’assistante sociale et le médecin, avec des prises de notes consignées dans notre journal de bord. Nous avons également assisté à des consultations de patients de la PASS de Ville avec un des médecins généralistes du dispositif en tant qu’étudiants en médecine générale.
La triangulation de l’analyse par deux chercheurs a renforcé la rigueur du travail. Les données ont également été confrontées à l’opinion de l’équipe de la PASS de Ville de Médecins du Monde pour recueillir leur avis et ainsi enrichir les résultats de par leurs expériences différentes.

Pistes d’amélioration et ouverture

De notre thèse ressortent des points d’amélioration du dispositif déjà retrouvés dans une étude préliminaire sur l’expérience des professionnels de la PASS de Ville (48).
Une extension du dispositif avec le recrutement d’autres professionnels de santé partenaires serait souhaitable au vu des besoins importants retrouvés par cette étude. Cela permettrait de faire intervenir d’autres spécialistes mais également des paramédicaux tels que des infirmiers ou bien des masseurs-kinésithérapeutes. Également, cela permettrait d’étendre la zone géographique d’action du dispositif.
De plus, comme mentionné dans l’introduction de cette étude, les PASS hospitalières sont saturées par une demande importante, notamment par des patients pouvant relever de la PASS de Ville. Dans ce contexte, il serait intéressant de développer une coordination entre la PASS de Ville et les PASS hospitalières. Ceci permettrait une meilleure régulation des demandes et une orientation efficace vers le dispositif le plus adapté.
Enfin, nous avons constaté un manque d’information des usagers vis-à-vis de ce dispositif. Pour pallier à ce problème, il serait utile de proposer aux patients, dès leur inclusion dans le dispositif, un guide multilingue expliquant ce qu’est la PASS de Ville et son utilité.
Dans une optique de généralisation du dispositif, il semble important désormais de pouvoir démontrer son efficience en termes d’accès aux soins des personnes et de qualité de parcours de soins.
Pour ce faire des études quantitatives pourraient être employées afin d’évaluer voire de comparer l’efficacité d’une intervention en soins primaires avec un dispositif comme la PASS de Ville de Marseille par rapport à une prise en charge classique réalisée dans un CASO d’une autre ville. La réduction du recours aux urgences des personnes précaires pourrait être étudié, tout comme l’évaluation de leur qualité de vie ou de la santé perçue.

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Table des matières

1.INTRODUCTION
2 MATERIEL ET METHODE
2.1 Type d’étude
2.2 Population de l’étude
2.3 Recueil des données et guide d’entretien
2.4 Constitution de l’échantillon
2.5 Analyse des données
2.6 Considérations éthiques
3 RÉSULTATS
3.1 Caractéristiques des entretiens
3.2 Description de l’échantillon
3.3 Résultats de l’analyse
3.3.1 Un besoin complexe
3.3.2 Une structure identifiée plus qu’un dispositif
3.3.3 Un dispositif incompris mais efficient
3.3.4 Une intégration en demi-teinte
4 DISCUSSION
4.1 Principaux résultats
4.2 Une confusion entre les acteurs du soin et l’outil
4.3 Des professionnels de santé spécialisés
4.4 Forces et faiblesses de l’étude
4.5 Pistes d’amélioration et ouverture
5 CONCLUSION
6 BIBLIOGRAPHIE
7 ANNEXES

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