(Re)coudre avec du sans fil. Enquête sur des pratiques de médiation infrastructurelle

Le sommet international des réseaux communautaires sans fil se déroule cette année à Berlin au sein de l’hackerspace C-Base (siège du Chaos Computer Club [CCC]). Pour cette édition, L’IS4CWN est porté par les membres du projet berlinois Freifunk mais également par la fondation Heinrich Böll (affiliée au parti politique allemand écologiste Bündnis 90/Die Grünen), l’Open Technology Initiative (OTI) et Chambana.net (Acorn Active Media/Independent Media Center d’Urbana Champaign). Selon les organisateurs, l’événement rassemble la majeure partie des initiatives concernant les Réseaux Sans Fil Communautaires (RSFC) qui existent dans le monde.

Sur le papier de présentation du sommet, l’IS4CWN se veut « plaidoyer international pour un Internet décentralisé et pour un autre regard sur les technologies de l’information et de la communication » ; dans les faits, il s’agit de trois jours d’échanges, de discussions, de démonstrations et de débats autour de la technologie MESH et de ses standards logiciels, des Wi-Fi communautaires, des politiques relatives au 802.11 et de la législation sur les RSFC développés partout dans le monde .

Le colloque s’ouvre par une allocution de Sascha Meinrath, fondateur d’OTI et du logiciel MESH Commotion puis par un discours de Björn Böhning, membre du parti social-démocrate d’Allemagne et adjoint à la mairie de Berlin. Böhning, souligne la créativité que représentent des « infrastructures actives dans la société digitale ». Il cite Freifunk et leur RSFC à de nombreuses reprises et l’intérêt qu’a un « certain type de hackers » pour le « développement de la citoyenneté ». Fotis et Eleftherios sont assis à côté de moi. Je les ai rencontrés l’année dernière à Barcelone où se tenait l’IS4CWN 2012 (organisé par Guifi, une association ayant développé un RSFC de 38 000 nœuds répartis à travers la Catalogne, la communauté de Valence, la Galice, le Pays basque et l’Andalousie). Ils savent que je fais une étude sur ces “infrastructures actives“ comme les nomme Böhning et que je reviens d’un long séjour à Détroit où j’ai suivi la mise en place de RSFC. Ils sont les coordinateurs d’un réseau sans fil communautaire à Athènes et n’aiment pas du tout le discours de Böhning. Pendant l’allocution, Eleftherios me confie à voix basse sur un ton cynique : « Non mais écoute-le celui-là ! Il y a un “bon type de hackers“… Bon, tu sais qu’on a un peu de mal avec les Allemands de manière générale ces derniers temps en Grèce, mais il ne s’agit pas de ça… Tu vois, il le dit à demi-mot : il aime bien ceux à qui il peut récupérer tout le boulot et le mettre dans son bilan politique ! Tu sais, c’est pareil à Athènes avec la crise, maintenant tous les politiques veulent récupérer ce que l’on fait depuis des années, car ils voient que ça fonctionne, qu’on devient l’un des FAI les plus importants dans la ville et qu’on va à l’encontre des intérêts de gros groupes télécoms qui ne sont intéressés que par le profit. Les hommes politiques ne nous ont jamais aidés, moi je ne veux pas avoir à faire avec ces pourris. On fait notre truc seul, pour les citoyens, pas pour les politiques !… ».

Traquer une technologie de médiation

Matériaux et instructions

« La communication met en jeu des techniques, des objets, des machines. D’une part ces techniques et ces machines, dont on peut retracer l’histoire, offrent des supports dont la forme conditionne celle des messages ainsi que leurs modes de circulation. D’autre part, surtout à partir du développement des sciences humaines et sociales, chaque apparition d’une technique nouvelle et des supports qu’elle offre suscite des interrogations, fait naître des théories, favorise des discours et des pratiques scientifiques. La technique joue donc un rôle double en sciences de la communication. Elle est objet d’étude, car elle est intimement liée à toutes les étapes des processus de la communication. Mais elle fait aussi naître des discours scientifiques qui apparaissent à des moments précis de l’histoire des techniques » (Ollivier, 2007, p.6).

Tout au long de ces années d’études, le travail mené a fait apparaître une pluralité de matériaux à la fois réels et virtuels. Ce « MESH » que j’ai étudié et traqué, se dévoilait à plusieurs endroits, sous différentes formes ; il était traduit et retraduit (Callon, Akrich, Latour, 2006) de manière permanente par différentes personnes, diverses périodes et par des milieux pluriels (opération qui ne s’est d’ailleurs toujours pas arrêtée aujourd’hui).

Il était parfois, nous le verrons dans les chapitres suivants, prétexte pour « tester » des types de technologies soi-disant disruptives ; d’autres fois, il était démonstrateur (pour le compte de différents acteurs), mettait en avant les potentiels d’une technologie et construisait une forme de dispositif revendicatif capable de les révéler. Encore aujourd’hui, cet objet singulier qu’est MESH maille un ensemble de « lignes de relations sociales » (Ingold, 2011) pour former des mondes relationnels plus ou moins cohérents.

Il est resté à mes yeux longtemps flou, multiple et « fluide » (Mol & Law, 1994), à la croisée de discours techniques et de discours militants sur les médias, le pouvoir d’agir citoyen, l’action collective, les technologies de l’information, les pratiques collaboratives informatisées. À ce titre, il a investi une pluralité de lieux, d’acteurs, de langues et de terrains d’études potentiels pour l’ethnographe de cette technologie, l’enquêteur que je souhaitais être. Dans le vocabulaire de ce dernier, ces terrains sont d’ailleurs doublement un signe : ils désignent à la fois un espace géographique (ou une unité sociale localisée) et le lieu dans lequel se déroulent leurs propres activités. Ils servent à désigner aussi bien l’objet de recherche que les lieux où s’effectue cette recherche : ils sont en quelque sorte l’expression d’une autorité ethnographique.

Souvent perdu au milieu des données relatives à cet objet passeur et traducteur de «versions » (Law & Singleton, 2005) particulières qu’est cette technologie réticulaire (données qui émergent de mondes aussi différents les uns des autres), en difficulté quant à désigner l’espace et les matériaux sur lesquels s’effectuait ma recherche et où s’incarnait mon objet d’étude, je crois que j’ai appris au fur et à mesure comment une enquête se déroulait et de quoi le travail d’enquêteur se composait :

« L’enquête s’apprend en se faisant, d’une manière sinueuse et chaotique. L’enquêteur ne cesse d’explorer différentes voies qui se révèlent être parfois des impasses ou des chemins de traverse. Ce n’est qu’après de longs détours qu’il retombe sur ses pieds. Un cours ou un guide sur l’enquête ne peut se substituer à la pratique. Rien ne peut remplacer les essais et les erreurs personnels, la rencontre directe des difficultés, le “doute”, l’expérience de la “solitude du terrain” » (Beaud & Weber, 2010 [1997], p.45).

Au-delà de cette expérience commune à ceux qui mènent une enquête ethnographique plutôt interdisciplinaire, entre empirie et théorie, mon enquête, via un cheminement plus ou moins continu a su produire des résultats capables de nous renseigner sur les versions que cette technologie produit. Parce qu’elle a été morcellée sur plusieurs terrains, à cheval sur différents matériaux et du fait que son objet d’étude était mouvant, non figé dans une interprétation unique (et non-basé sur un groupe ou sur une communauté), je pense qu’elle est assez originale pour révéler quelque chose sur les MESH-RSFC et les « ethnométhodes » (Garfinkel, 1967) des différents membres qui les manipulent et les questions relatives au pouvoir d’agir de citoyens connectés via cette technologie.

Lorsque cette enquête se déroulait, elle m’a beaucoup interrogé, en dehors de l’étude de ces discours en question qui disaient déjà beaucoup de choses, sur l’interrogation d’Isaac Joseph à propos de la « grande leçon » de l’école de Chicago :

« Comment penser ensemble des dispositifs (des opérateurs ou des “programmes”) qui élaborent ou instituent des normes d’usage et des dispositions (des compétences sociales et techniques) qui ajustent ou redéfinissent ces normes d’usage dans une situation singulière ? » (Joseph, 1998, p.32).En observant les emboîtements entre ce qui se disait sur cette technologie (presse générale, spécialisée, rapports de recherches) et les relevés que je pouvais moi-même effectuer sur différents terrains (entretiens, observations participantes, participation à des réunions, des conférences, des ateliers, etc.), je suis arrivé à comprendre cette technologie et ses dispositions/normes d’usages, son apparition dans notre monde et les formes de médiation qu’elle opère vis-à-vis de publics pluriels.

Pour étudier cette collection d’objets, les acteurs qui lui sont associés, ses « alliés  » (Akrich, Callon, Latour, 1988), ses relations et ses pratiques, quatre matériaux-sites se sont emboîtés les uns à la suite des autres, puis se sont superposés à de nombreuses reprises. Ces quatre matériaux (qui correspondent souvent à ce que je nomme des instructions, des mouvements d’investigation que je me suis attaché à suivre) et le parcours entre eux, constituent la gamme de sites, d’humains, de nonhumains et de moments sur lesquels j’ai enquêté.

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Table des matières

Introduction générale
CHAPITRE 1 Enquêter par le milieu
CHAPITRE 2 Architectures télécoms « révolutionnaires »
CHAPITRE 3 Du global au local : vers un cosmopolitisme médié par une
technologie de réseau
CHAPITRE 4 Équiper la résilience pour créer les conditions de la reliance
CHAPITRE 5 Penser ensemble infrastructures, communs et médiation
Conclusion générale
Bibliographie

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