Réalités et matérialité de l’information au XVIe siècle

Réalités et matérialité de l’information au XVIe siècle

Dire la nouvelle. Les mots de l’information

La ville de la première modernité est un lieu de bruissement constant de nouvelles. L’information va et vient, elle court, vole, est démultipliée par tout un ensemble d’acteurs qui dépassent largement le cercle restreint des dirigeants. Appréhender la nouvelle au XVIe siècle n’est pas chose aisée tant cette dernière est à la fois multiple et souvent invisible. Une grande part des informations de cette époque – et peut-être la plus importante – nous échappe aujourd’hui. Seule a été conservée la mémoire des événements ou des bruits telles que les contemporains l’ont retranscrite, c’est-à dire par des écrits souvent produits par les autorités ou par des chroniqueurs qui ne partagent pas la même vision des faits ou ne prêtent pas la même oreille aux nouvelles. L’attention portée aux renseignements passe en effet par les deux sens de l’ouïe et de la vue.

L’information est d’abord une donnée qui s’énonce et qui s’entend : la voix et l’écoute sont souvent à l’origine de la connaissance et de la transmission des nouvelles, formes rapides et efficaces de leur diffusion qui introduisent également la subjectivité de l’énonciateur ou du récepteur. L’information mobilise également la vue puisqu’elle est souvent couchée par écrit dans un second temps pour être fixée de manière momentanée ou durable. Écrit et oralité s’unissent et se complètent donc sans cesse pour faire de la nouvelle un élément multiforme et hybride dont seule nous est parvenue sa version écrite. Le passage par les mots qui définissent l’information est donc essentiel pour comprendre la manière dont les élites nommaient et catégorisaient les différentes nouvelles parvenues à leur connaissance. Pour autant, ne s’intéresser qu’à la terminologie et non à la réalité du phénomène n’a aucun sens. Les dénominations des types de nouvelles disent tout de leur nature, de leur statut aux yeux des autorités, elles renvoient aux lieux où elles circulent, aux supports et aux acteurs qui les diffusent. Elles permettent de comprendre quand et pourquoi une information est écoutée ou rejetée, suscite l’intérêt ou la peur. L’analyse de tous ces éléments est donc un moyen d’approcher ce qui caractérise l’information urbaine de la première modernité : la manière dont elle est perçue et accaparée par les élites et les formes qu’elle embrasse à l’intérieur comme en dehors des arcanes du pouvoir.

Étudier l’information urbaine du XVIe siècle conduit à se heurter, d’emblée, à l’écueil du statut des renseignements véhiculés par des sources écrites relatives à des données orales ou sonores. Il faut bien admettre que la plus grande partie de la diffusion et de la réception des nouvelles, par les pouvoirs comme par la population, est irrémédiablement perdue. Qu’il s’agisse du récit d’un témoin ou d’un acteur d’un événement, de sa propagation par le biais du bouche à oreille, ou bien d’un discours spontané, d’initiative individuelle ou à caractère officiel, transmis par des autorités compétentes, les informations diffusées font intervenir l’oralité et le domaine du sonore. Nombreuses sont les expressions qui évoquent les voix, les bruits et les sons au moment où l’information parvient à la connaissance des autorités ou lorsqu’elle est débattue dans les arcanes du pouvoir. L’historien se trouve donc réduit à travailler à partir de sources écrites qui ne rapportent qu’un écho indirect des faits en question et qui ne font qu’effleurer l’univers sonore de la nouvelle. L’information est partie intégrante des « paysages sonores » qui caractérisent la ville ; elle s’impose comme l’un des bruits qui se diffusent dans l’espace urbain ou qui restent, au contraire, circonscrits à l’espace clos des offices et des salles de réunions des autorités. Dans l’un comme l’autre cas, la documentation laissée par les échevins ou par le gouverneur permet d’appréhender la part prise par le son ou la voix dans la transmission de l’information, à travers les mots qui sont choisis pour parler de la diffusion des nouvelles ou aux expressions qui renvoient à la manière dont était perçue l’information divulguée. L’approche par les mots de l’information éclaire le statut de ces nouvelles orales aux yeux des autorités. En utilisant des vocables différents en fonction des contextes et des acteurs impliqués dans la transmission, les élites lyonnaises œuvrent à une véritable hiérarchisation de la nouvelle en vue d’en définir la véracité, l’importance et son éventuelle dangerosité.

Dire et entendre les informations au XVIe siècle 

Informer et s’informer durant la première modernité nécessite de prêter une attention toute particulière aux manifestations de la parole et de l’ouïe dans les archives. Les nouvelles se disent, s’écoutent, se répètent et se modifient parfois oralement avant d’être couchées sur le papier. L’information mobilise des mots et des sons spécifiques, parfois codifiés, qui permettent aux acteurs d’identifier rapidement la nature du message transmis . Elle s’appuie aussi sur l’aptitude de compréhension du récepteur de la nouvelle, capable d’en saisir la teneur et de la restituer correctement lorsque les cas le requièrent. L’univers informationnel de la ville se caractérise donc avant tout par un monde sonore qui transparaît dans les sources écrites des pouvoirs. À travers les mots choisis pour parler d’une information proche ou lointaine, espérée ou crainte, véritable ou peu crédible, les édiles lyonnais nous renseignent à la fois sur les pratiques mises en œuvre pour obtenir et diffuser des informations orales, ainsi que sur la diversité d’appréciation des nouvelles qui leur parviennent.

Le vocabulaire de l’information

Qu’il s’agisse des registres de délibérations, des comptes, des correspondances, des mémoires ou encore des journaux ou autres imprimés, la documentation issue des archives des différents pouvoirs lyonnais rapporte les flux d’informations qui n’ont cessé d’abreuver la ville durant la deuxième moitié du XVIe siècle. Bien qu’elles ne fassent pas l’objet d’un traitement identique, les contextes ou les informateurs étant variables, ces nouvelles sont toujours énoncées en vue d’être traitées, vérifiées et mobilisées pour gouverner la cité à bon escient. Les comptes-rendus sont un moyen d’approcher le rapport des élites aux nouvelles en s’appuyant notamment sur les mots qu’elles utilisent pour définir les informations qui leur parviennent. Ainsi, l’entrée terminologique constitue un premier contact concret avec le monde de l’information et renseigne la façon dont les acteurs ont accueilli et catégorisé les nouvelles parvenues à leur connaissance.

Un rapide examen des mots employés pour nommer l’information indique qu’en matière de circulation et de diffusion des nouvelles, le mot « information » est paradoxalement absent. Ce terme ne peut en effet être saisi, durant la première modernité, dans son acception actuelle sous peine de commettre un contre-sens. Comme le précisent les dictionnaires du XVIe siècle, l’information, comme l’action d’informer, renvoie au domaine judiciaire et désigne l’instruction à laquelle l’on se doit de procéder dans le cadre d’une enquête pour rechercher ou constater des faits, au civil comme au pénal . « Informer » équivaut donc à « enquêter », rechercher des renseignements pour apporter des preuves destinées à nourrir une affaire. Ainsi, en mai 1563, les échevins lyonnais en exil à Bourg-en-Bresse rapportent la teneur d’un édit royal visant à « se informer des demolitions, pilleries et autres saccaigemens faytz depuis le paix » dans le but de porter atteinte au pouvoir protestant encore en place à Lyon. De même, Charles IX exhorte son gouverneur, François de Mandelot, de s’informer au sujet de possible ramifications lyonnaises du complot ourdi par l’amiral de Coligny à l’été 1572, présenté comme l’une des justifications du massacre de la Saint-Barthélemy . Le résultat de l’enquête, l’ « information », parvient au roi quelques jours plus tard.

Toutefois, le terme « informer » est aussi employé dans un sens assez proche de celui que nous connaissons aujourd’hui. Le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière indique que le verbe renvoie à l’action de « descouvrir, connoistre, apprendre la vérité de quelque chose ». Une telle définition, placée dans le dictionnaire avant celle de l’enquête, rend compte de l’évolution prise par ce vocable en l’espace d’un siècle environ. Elle se retrouve pourtant déjà dans les lettres de certains envoyés lyonnais.

La parole à l’origine des nouvelles

La définition de la nouvelle, telle qu’elle est proposée par le Thrésor de la langue françoyse, insiste sur le lien puissant qui unit la parole à l’information. La nouvelle est en effet dite par son énonciateur et entendue par celui qui la reçoit . L’oralité constitue, le plus souvent, le premier stade de la nouvelle avant que celle-ci ne soit couchée par écrit. Depuis l’époque médiévale, les informations diffusées oralement sont préférées à celles qui sont divulguées sur le papier, et ce malgré leur possible manipulation . Émanation de l’intérieur, la voix est est souvent présumée porter en elle un élément d’authenticité. Elle révèle le monde et favorise le lien social . Cette appréciation se retrouve dans les documents rapportant les nouvelles apprises par les informateurs lyonnais. Les registres du consulat insistent régulièrement sur les nouvelles annoncées de la bouche de plusieurs personnes. Le marchand Jacques Lemichel est ainsi venu « dire et remonstrer » au consulat qu’il a trouvé du blé dans la région de Tournon, tandis que le procureur de la ville Pierre Grolier est sommé de « parler à monsieur le seneschal » pour connaître le prix des blés qui se pratiquent en Avignon .

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Table des matières

Introduction
Première partie : Réalités et matérialité de l’information au XVIe siècle
Chapitre 1 : Dire la nouvelle. Les mots de l’information
Chapitre 2 : L’écrit, source et support de l’information officielle
Chapitre 3 : Les pouvoirs lyonnais, relais de l’information officielle
Chapitre 4 : L’information en mouvement. La circulation physique des nouvelles
Deuxième partie : Une ville et ses réseaux d’informations
Chapitre 5 : Lyon et la cour. Vie et mort de réseaux épistolaires d’informations
Chapitre 6 : Lyon et ses relations régionales. Communications et connexions interurbaines
Chapitre 7 : Renseignements informels et réseaux d’espionnage
Chapitre 8 : L’occupation protestante de 1562-1563 : une recomposition des réseaux d’informations urbains ?
Volume 2
Troisième partie : Gouverner la cité par l’information
Chapitre 9 : Un art de gouverner. Le traitement de l’information dans les arcanes du pouvoir
Chapitre 10 : Les risques de l’information et l’information du risque. Gouverner les troubles de la cité par l’information
Chapitre 11 : Des guerres et des mots. Lyon et l’information dans un pays en guerre
Chapitre 12 : La nouvelle et le massacre. La Saint-Barthélemy lyonnaise
Conclusion
Sources
Bibliographie
Annexes

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