Réalité du travail industriel

Le processus d’invention

Beauviala souhaite se débarrasser de ces deux contraintes techniques précises : le fil qui relie ensemble caméra et Nagra, et le clap avant chaque prise. C’est à ce moment que « Monsieur l’ingénieur, prof à l’université, a eu l’idée de réguler la vitesse de la caméra et de l’enregistreur […] et d’enregistrer le temps à la milliseconde près ». Du projet de film originel et des deux contraintes qu’il identifie naît donc une double-idée : asservir la vitesse de défilement de la pellicule ou de la bande magnétique, afin de supprimer le fil, et inscrire sur ces supports des repères permettant de connaître le moment exact de la prise, afin de supprimer le clap. Ces deux idées correspondent concrètement à deux inventions, que Beauviala considère comme complémentaires : le système de compensation des vitesses de défilement grâce au quartz42 et le « marquage du temps en clair », sur lequel nous reviendrons plus en détail par la suite – puisqu’il ne sera breveté et développé industriellement qu’après la création de l’entreprise et n’est pas encore, durant ce moment de genèse, concrétisé techniquement par Beauviala. Beauviala bricole donc « dans son grenier », lors de cette année 1967, un système électronique qui permet d’asservir le moteur à courant continu de son Arriflex 16 mm standard sur une horloge à quartz. Ce mécanisme est le premier à permettre de réaliser l’asservissement à un temps universel, c’est-à dire à une vitesse de défilement qui reste stable et déterminable, sur des appareils portables d’une manière suffisamment fiable pour être considérée comme exploitable industriellement. D’autres solutions techniques avaient été testées ailleurs, notamment aux États-Unis, mais n’avaient pas dépassé le stade du prototype ou du bricolage-maison en raison de l’instabilité des procédés. Les frères Maysles, déjà cités, avaient fabriqué dès 1959 un système de synchronisation sans fil en utilisant un « convertisseur alternatif piloté par une montre à diapason ». Don Alan Pennebaker et Richard Leacock avaient créé « à la fin des années cinquante […] un système de synchronisation à partir du quartz Accutron des montres Bulova » qui fonctionnait sur le même principe de l’invention de Beauviala mais qui « [coûtait] relativement cher et [était] très sensible aux variations thermiques ». À la même époque, en France, Jean Rouch et Mario Ruspoli travaillent en collaboration avec la société Éclair dans un objectif similaire : synchroniser, de manière suffisamment fiable pour ne pas perturber le tournage en conditions documentaires, le magnétophone portable – ici un Perfectone – et la caméra Éclair 16 mm.
Jean-Pierre Beauviala découvre quant à lui l’existence de cette caméra en 1967, par l’intermédiaire d’une publicité dans le quotidien Le Monde : « Je vois une pleine page de publicité dans le Monde pour Éclair, ils avaient eu l’Oscar de l’exportation pour une caméra qui s’appelait “l’Éclair 16” et qui faisait un malheur aux États-Unis. Et le claim to fame était : “silencieuse”. Moi qui avais une Arriflex qui faisait beaucoup de bruit, je me suis dit : “je vais aller voir ces gens-là.” » Ayant toujours l’idée de réaliser son film, il se rend à Paris dans le but de rencontrer les concepteurs de l’Éclair 15.

Ingénieur chez Éclair

Jean-Pierre Beauviala, pour les besoins de son film et pour satisfaire sa curiosité technique, va rencontrer des employés de la firme Éclair. Ils vont se montrer tout de suite intéressés par son invention et lui proposer un poste au sein de leur entreprise. De jeune universitaire, bricoleur et aspirant cinéaste, Beauviala devient alors ingénieur professionnel dans une des plus grandes firmes française de fabrication de caméras. Il se forme aux spécificités de la conception d’appareils de cinéma au sein de cette société pour laquelle il conçoit ses premières inventions à application industrielle. Mais il se rend rapidement compte des limites induites par son poste et les nécessités économiques de ce type de structure. Un conflit ouvert naît avec les dirigeantes, qui l’amènera à quitter la firme et à fonder sa propre entreprise. Le passage chez Éclair constitue ainsi la première expérience industrielle de Beauviala.
Fondatrice, elle lui permet de rencontrer dès le jour de son recrutement des personnalités qui joueront un rôle important dans l’aventure Aaton.

Recrutement

À Paris dans les locaux d’Éclair, Beauviala rencontre l’adjoint du directeur commercial, François Weulersse. Il essaye la caméra Éclair-16, la trouve un peu lourde mais ne peut que constater son silence en fonctionnement. Une discussion technique s’engage. Il finit par présenter son projet de film et la double-invention qui constitue la base de son idée du marquage du temps. On lui rétorque alors que l’entreprise travaille depuis plusieurs années à développer un système de synchronisation entre caméra et enregistreur sonore légers, en collaboration avec un des ingénieurs et dirigeant de l’entreprise suisse Perfectone, Jean-Jacques Bessire, qui fabriquait également des moteurs pour les caméras Éclair. Après ces discussions, les responsables d’Éclair proposent à Jean-Pierre Beauviala de travailler pour eux, de rédiger les plans en vue de développer industriellement son système d’asservissement des vitesses de défilement, adapté à leur caméra 16 mm. Ils conseillent donc à Beauviala de breveter sa découverte – « autant par honnêteté totale que pour se protéger de leur concurrent principal, Arriflex » – ce qu’il n’avait pas encore fait, et lui demandent de leur vendre les droits d’exploitation. En guise de paiement, il réclame une Éclair-16, toujours motivé par la volonté de pouvoir enfin réaliser son film. Il obtient, en
plus de cet appareil, un pourcentage, qu’il estime aujourd’hui à « environ 5 % », sur les ventes de la caméra équipée de son invention. Ce sont donc des revenus très confortables qui s’offrent à lui pour les années qui suivent, puisque ce seront selon lui « 3000 » caméras qui seront vendues. Beauviala se met alors en disponibilité de son poste à l’université et commence sa nouvelle carrière hors du milieu universitaire en tant qu’ingénieur-conseil d’abord, puis directeur des études, chez Éclair. Il avait toutefois exigé de « rester sur [son] territoire» et obtient que le laboratoire d’études qu’il dirige soit installé à Grenoble, dans les locaux de son choix. Il se retrouve donc à travailler pour cette firme avec dans l’idée de pouvoir développer, grâce à des moyens industriels conséquents, sa double-invention du marquage du temps.

Réalité du travail industriel

Beauviala doit, dès ses débuts chez Éclair, se confronter directement aux consignes de la direction et à ses orientations commerciales. L’entreprise attend en effet de lui qu’il laisse de côté cette idée de prises d’image et de son séparées. Par l’entremise de leur responsable américain, Jean Philippe Carson, la firme demande à Beauviala de développer pour l’Éclair 16 un dispositif qui viendrait répondre à la demande du marché États-uniens en permettant de tourner en single-system. Ce système correspond au fait d’enregistrer en même temps image et son, sur le même support et directement dans la caméra, à l’aide d’une piste optique ou magnétique disposée sur le bord de la pellicule.
Cette technique s’oppose au double-system, qui consiste à enregistrer son et image sur deux supports différents, donc à la possibilité de travailler à deux opérateurs différents lorsqu’on le souhaite. Il y a, dans le cas du single-system, obligation de correspondance et de simultanéité entre le point de vue et le point d’écoute, ce qui n’est pas le cas si l’on utilise le double-system : les
opérateurs restent libres de se déplacer ou de ne pas déclencher la prise en même temps et comme les supports sont distincts, le monteur peut choisir de ne pas synchroniser les deux ensemble. Le single-system correspond à une forte demande commerciale de la part des opérateurs de télévision américains, des newsmen qui travaillent à l’époque en 16 mm. Ce paradigme de prise d’images et de sons est dominant sur ce continent à cette époque. Il s’agit pour eux, grâce à l’utilisation d’un tel système, de rentabiliser la chaîne de production en évitant le montage et la synchronisation de l’image et du son postérieurs au tournage. Il suffit pour l’opérateur de capter une situation, puis pour la chaîne de développer le film et de la diffuser dans la foulée grâce au télécinéma. Il n’y a aucun repiquage à effectuer, ce qui permet de gagner à la fois du temps et de l’argent lors des phases de post-production. Or, à cette époque et dans les milieux techniques audiovisuels d’outre-Atlantique, c’est le « règne de l’Auricon 16 single-system ». Éclair et Carson veulent gagner des parts de marché en alignant leur offre d’appareils sur la demande existante. Ils se tournent alors vers l’ingénieur grenoblois.
Comme les caméras Éclair 16 fonctionnent à l’aide de magasins instantanés, on ne peut pas asservir la vitesse de défilement de la pellicule grâce au quartz sans alourdir l’appareil. Beauviala opère alors ce qu’il appelle, citant Renoir, un « pas de côté » en renversant la manière de penser techniquement la synchronisation image et son. Il développe un nouveau système, qui consiste à mesurer les irrégularités dans la vitesse de défilement du film afin de les appliquer à l’enregistrement sonore. Il présente cette invention de la manière suivante.
Beauviala développe une autre manière de synchroniser son et image qui ne repose plus sur l’asservissement grâce au quartz, donc la soumission de la vitesse de défilement à une norme, mais sur la mesure de l’irrégularité de cette vitesse, c’est-à-dire sur une adaptation aux caractéristiques techniques des caméras mécaniques disponibles sur le marché à l’époque. Cette invention prend concrètement la forme d’une « petite boite noire » bourrée d’électronique que l’on peut adapter sur n’importe quelle caméra, même à magasins instantanés.
C’est ainsi que Beauviala met au point pour Éclair « la première caméra 16 millimètres légère, avec prise de son intégrée» grâce à ses connaissances en électronique. Il négocie une forte rétribution pour cette invention, qu’il estime à l’équivalent de « 500 000 euros » d’aujourd’hui – ou « 800 000 francs » de 1978. Il faut toutefois préciser que malgré les dépenses engendrées pour l’entreprise Éclair, ce système permettant de rendre les caméras 16 mm utilisables en single-system ne sera jamais développé à l’échelle industrielle. En effet, quelques années plus tard de grandes entreprises japonaises – notamment Sony – vont commencer à proposer des appareils single-system en vidéo analogique jugés beaucoup plus satisfaisants par les télévisions américaines, qui laisseront donc progressivement de côté la pellicule pour le tournage de news. Ce changement de paradigme technolo-gique dans la chaîne de production télévisuelle du film à la vidéo, que l’on appelle couramment « passage à l’ENG » (pour Electronic news-gathering), empêchera donc le développement à l’échelle industrielle de ce dispositif équipé sur l’Éclair 16.

Ruptures

Au-delà de cette invention spécifique réalisée pour Éclair, Beauviala a développé pour eux d’autres systèmes, qu’il considère dès 1978 comme une perte de temps puisque son énergie ne pouvait se déployer dans la réalisation du marquage chronométrique de la pellicule et de la bande son : « moteurs pilotés par quartz de l’ACL et de l’Éclair 16, […] photomètres et autres choses pas très drôles, pour l’ACL61 ». Il considère d’ailleurs ces inventions comme du temps perdu et affirme également que le single-system, qu’il a pourtant développé pour Éclair, est « un forfait contre le cinéma, en tout cas contre [son] idée initiale du cinéma ». Nous reviendrons sur cette opposition farouche à ce système dans notre dernière partie consacrée spécifiquement à la conception du cinéma de l’ingénieur grenoblois. Notons pour le moment qu’il déclare avoir développé cette invention uniquement par amitié pour Jean-Philippe Carson et qu’il reste persuadé que cet « asservissement du son à l’image est une connerie monumentale ». Cette prise de position illustre bien le fait que Beauviala ne souhaite pas à l’époque abandonner son projet de rendre fiable industriellement le marquage du temps, afin de développer le double-system, qui reste l’origine de sa carrière d’ingénieur.
Il entretient alors, malgré tout, des relations amicales avec des employés qui occupent des postes clefs au sein d’Éclair : François Weulersse et Jean-Philippe Carson du côté des responsables commerciaux, Robert Leroux ou Jacques Lecoeur du côté des ingénieurs. À la fin de l’année 1968, neuf mois environ après l’embauche de Jean-Pierre Beauviala, Jacques Mathot – propriétaire d’Éclair depuis 1938 – vend la firme aux producteurs américains Harry Saltzman et Albert Romolo Broccoli. Ceux-ci sont surtout célèbres à l’époque en tant que détenteurs de la franchise des James Bond. Saltzman dispose de fonds importants, issus notamment d’un emprunt de 70 millions de francs suisses qu’il contractera en 1969 auprès de l’Union de banques suisses. Ces riches producteurs mèneront d’ailleurs à l’époque une politique agressive d’acquisition dans le domaine du cinéma puisqu’ils prendront également le contrôle de la société Debrie fin 1968, en même temps qu’Éclair, et de la firme Technicolor dans le courant de l’année 197064. Suite à ces mouvements de capitaux, les sociétés Éclair et Debrie sont fusionnées afin de former Éclair-Debrie (UK) Ltd. dont le siège social est installé à Orion Park, Northfield Avenue à Londres65. La production et la conception des caméras Éclair 16 et ACL sont alors également transférées à Londres. Jean-Pierre Beauviala entre à ce moment dans un conflit direct avec la direction de l’entreprise en refusant notamment de déplacer le bureau d’études qu’il dirige et de leur vendre le brevet de la « boite noire » pour le singlesystem.Les responsables décident alors de le licencier.

Histoire d’Aaton et généalogie des appareils

La société Aaton a développé des appareils cinématographiques de différents types : des caméras 16 et 35 mm, une caméra vidéo analogique, une caméra numérique, des systèmes de synchronisation de l’image et du son, des lecteurs de time code, des enregistreurs sonores numériques, un scanneur de pellicule, etc. Il existe donc une grande diversité dans les inventions de l’entreprise. Nous laisserons toutefois de côté une partie d’entre eux. Notre travail est consacré aux appareils de prise de vues et nous n’aurions bien entendu pas pu traiter, de toute manière, de l’ensemble de ces outils. Les enjeux sont trop vastes, puisque de nombreux domaines techniques sont concernés : montage, prise de vues, captation sonore, mixage, transfert d’un support à l’autre, etc. Mais nous ne pouvons pas non plus nous consacrer exclusivement aux caméras, en laissant arbitrairement de côté tous les autres appareils. En effet, les outils dédiés à la synchronisation sont le plus souvent intégrés au sein des caméras. Ainsi, il n’est pas possible pour nous d’aborder la question de leur conception sans englober les modalités de cette intégration. Nous avons choisi, pour des raisons de clarté, de présenter les différents appareils en les classant par support et sous la forme généalogique. Nous commencerons par présenter les tous premiers projets d’Aaton, qui forment un socle duquel se déploieront les appareils qui suivront. Nous étudierons ensuite successivement les caméras 16 mm, la Paluche – vidéo analogique –, les caméras 35 mm et enfin la Pénélope-Delta pour la vidéo numérique. Ce découpage n’a toutefois pas été conçu de manière rigide. Il existe une porosité concrète entre les différents types d’appareils, que nous avons voulu faire apparaître ici.

Les débuts d’Aaton

Fondation de l’entreprise

Jean-Pierre Beauviala quitte la société Éclair en 1970. C’est à ce moment que naît l’idée de créer une société, implantée dans le centre-ville de Grenoble, afin de développer des appareils cinématographiques. Il dispose alors des fonds suffisants pour tenter de fonder son outil de travail : le pourcentage qu’il a négocié avec Éclair sur les ventes des caméras Éclair-16, équipées de son moteur quartz breveté, lui permet de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale en inspirant confiance aux banques1. Progressivement, certains de ses anciens collègues décident de démissionner afin de se joindre à lui. C’est ainsi que François Weulersse, adjoint à la direction commerciale, Robert Leroux ou Jacques Lecoeur quittent Paris pour s’installer à Grenoble avec Beauviala. Ensemble, ils fondent Aaton, qui sera immatriculée auprès du Tribunal de commerce de la ville le 18 mars 1971, sous la forme juridique d’une société anonyme à conseil d’administration. L’entreprise s’installe au numéro 1 de la rue de la Paix, dans le centre-ville, à l’emplacement d’une ancienne fabrique de porcelaine anciennement propriété d’un commerçant local, Antoine Ginas.
Les locaux donnent directement sur la rue, de manière à ce que les travailleurs et les passants puissent se voir l’un l’autre. L’entreprise tire son nom, « Aaton », du Dieu-Soleil de l’Égypte antique « Aton/Aménophis IV, le prototype de Jéhovah, les Moïse issus d’Akhenaton3 ». Un deuxième « a » est ajouté au nom de la divinité de manière à apparaître en haut des annuaires professionnels, avant les nombreuses firmes qui commençaient par cette lettre, comme Agfa, Arriflex ou Angénieux par exemple. Le tréma était présent, selon Beauviala, « parce que ça [faisait] un logo plus joli » et restera présent officiellement jusqu’en 1984 et la refonte juridique de l’entreprise.
Pour des raisons de clarté, nous utiliserons ici uniquement l’orthographe « Aaton », qui est la plus fréquemment utilisée dans les documents de la société et dans l’historiographie.

« Caméra brousse »

Aaton se fixe un double-objectif. Il s’agit, dans un premier temps, de concevoir parallèlement deux appareils distincts qui reposent sur des conceptions différentes du cinéma. Le premier projet consiste en une « caméra brousse », « bonne et pas chère, une caméra “eco” ». Cet appareil trouve son origine dans une initiative de Jean-Philippe Carson, « fondateur (1964) et propriétaire d’Eclair Corp of America [… et] caméraman-réalisateur » pour lequel Beauviala avait développé le single-system de l’Éclair 16. Ce commercial est un baroudeur fortement politisé qui parcourt, au moment de la fondation d’Aaton, le continent sud-américain. Son idée est de mettre en place une chaîne de production audiovisuelle d’un nouveau genre, qu’il appelle le plus souvent « cinéminima », ou parfois « caméra agricole », « cinéguérilla ». Beauviala décrit ce projet ainsi.
Carson demande à Jean-Pierre Beauviala de l’aider à rendre fiable un tel système, difficile à mettre en place du point de vue technique. Plusieurs raisons feront que ce projet ne verra jamais le jour. Premièrement, cette chaîne de production doit être conçue pour fonctionner en single-system et ne
correspond pas « vraiment [au] projet des Aatoniens grenoblois ». Il s’agit d’une conception du cinéma proche du reportage télévisuel, dont Carson est directement issu. En cela, le projet est diamétralement opposé à la perception du médium qui se dégage de l’idée de film sur Grenoble de Jean-Pierre Beauviala. Cette « caméra-brousse » entraîne à ce titre, logiquement, une certaine réticence de ce dernier. La deuxième raison qui peut expliquer la non-réalisation du « cinéminima » est l’éloignement géographique de Jean-Philippe Carson qui réside aux États-Unis, puis au Mexique au moment de la fondation d’Aaton. Enfin, la dernière et plus importante des explications est le décès accidentel de Carson en 1974. Cet événement viendra mettre un terme à la dynamique de développement du « cinéminima » chez Aaton. Parallèlement à ce projet de « caméra brousse », la société grenobloise entend développer une « caméra adaptée à la ligne [que Beauviala avait] dès le départ choisie, pour cette sorte de cinéma-fiction travaillé à partir du réel », « la caméra-chat-sur-l’épaule », sur laquelle nous reviendrons plus longuement dans le chapitre suivant, mais dont nous pouvons dire dès à présent qu’elle verra le jour sous le nom d’Aaton.

Accessoires

Développer une nouvelle caméra coûte très cher et prend du temps, surtout si l’on ne souhaite pas repartir directement des plans d’un appareil précédent dans le but de le modifier. L’entreprise Aaton des débuts ne peut pas se permettre de ne se consacrer qu’à la conception de caméras nouvelles,
souhait premier de ses fondateurs. Son activité industrielle commence donc par la fabrication en série d’accessoires pour des caméras déjà existantes, commercialisées par d’autres sociétés. Grâce notamment aux employés d’Éclair qui se sont joints à lui, mais aussi à son expérience au sein de cette entreprise, Beauviala développe un nouveau moteur adapté pour l’Éclair-16 dans le but de la rendre plus légère. Cette invention correspond au premier brevet déposé par Aaton. Cette caméra 16 mm est en effet dotée d’un « moteur interchangeable et amovible » : libre à son propriétaire de ne pas l’utiliser. On peut même décider de n’acheter que le corps de l’appareil, dépourvu du moteur de série fabriqué par Éclair. Beauviala finance donc les débuts de son entreprise, qui se veut une concurrente des autres firmes dans le domaine du 16 mm, en concevant un accessoire qui vient directement grignoter le chiffre d’affaires de son ancien employeur.
Ce nouveau moteur est essentiel dans l’histoire d’Aaton pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il a permis à l’entreprise grenobloise de disposer des ressources suffisantes pour mener à bien l’étude complète de ce qui deviendra leur première caméra, l’Aaton 7. Ensuite, sa commercialisation a été pour Jean-Pierre Beauviala l’occasion de rencontrer de jeunes cinéastes documentaires, comme Raymond Depardon, venus à Grenoble pour équiper leur Éclair 16 avec son moteur, mais également de nouer des premiers liens commerciaux avec l’ORTF qui sera un de leurs premiers clients importants.
Enfin, c’est consécutivement à cette invention que Beauviala a co-réalisé Opération fermes ouvertes avec Suzanne Rosenberg. Il s’agit là de son premier et unique film en tant qu’opérateur. Ce documentaire a été tourné au Larzac en 1972 lors de la lutte contre l’extension d’un camp militaire sur le causse. L’ingénieur a pu à cette occasion éprouver directement et concrètement la condition d’opérateur sur le terrain, en situation documentaire et avec l’Éclair-16. Malgré l’allègement offert par son moteur, il se rappelle encore les douleurs d’épaule causées par le port de l’appareil. C’est à ce moment, selon ses dires, qu’il aurait réellement commencé à dessiner l’Aaton 7 en prenant en compte cette expérience.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 -DE L’ENVIE DE FILMER « EN DIRECT » À LA CONCEPTION D’APPAREILS
I. Formation : entre art et science, dans l’air du temps du « direct »
I.a) Repères biographiques
I.b) Filmer en « direct »
I.c) La « révolution » Nagra
II. Un désir artistique à l’origine des premières inventions
II.a) Le projet de la « Villeneuve »
II.b) Le cinéma comme vecteur de contestation
II.c) Le processus d’invention
III. Ingénieur chez Éclair
III.a) Recrutement
III.b) Réalité du travail industriel
III.c) Ruptures
PARTIE 2 -HISTOIRE D’AATON ET GÉNÉALOGIE DES APPAREILS
IV. Les débuts d’Aaton
IV.a) Fondation de l’entreprise
IV.b) « Caméra brousse »
IV.c) Accessoires
V. Les caméras 16 mm
V.a) Genèse du « chat sur l’épaule »
V.b) Aaton 7
V.c) Aaton 7 LTR
V.d) Aaton XTR
V.e) A-minima
VI. Vidéo analogique et caméras 35 mm
VI.a) Aaton VR30 – la « Paluche »
VI.b) L’expérience Aaton 8-35
VI.c) Du prototype 8-35 à l’Aaton 35
VI.d) Évolutions de l’Aaton 35
VII. Du 35 mm au numérique
VII.a) Aaton Pénélope
VII.b) Un appareil hybride
VII.c) La Pénélope-Delta
VII.d) Un capteur mobile
VII.e) Fin de l’ère Beauviala
PARTIE 3 -AATON À L’ÈRE DE LA PRISE DE VUES NUMÉRIQUE
VIII. Problème(s) de l’image numérique
VIII.a) Une perte esthétique
VIII.b) Le « grain »
VIII.c) Du numérique à l’argentique : le hasard
IX. La Pénélope-Delta : une réponse critique
IX.a) Un désir de continuité paradoxal
IX.b) Nier l’image numérique
IX.c) Un « révolutionnaire-réactionnaire »
X. Pratiques numériques
X.a) La fin de la résistance
X.b) Le numérique comme changement de paradigme
X.c) Le retour à la Paluche : vers une « d-minima » ?
PARTIE 4 -ENTRE UTOPIE ET INDUSTRIE
XI. Un modèle industriel atypique
XI.a) Historiographie du modèle aatonien
XI.b) Entre industrie et artisanat
XI.c) Des appareils haut de gamme
XII. De la conception d’appareils à la théorie : le marquage du temps
XII.a) Penser le cinéma à partir d’un dispositif
XII.b) Une théorie à l’épreuve des usages
XIII. Une nouvelle praxis du cinéma : de la pratique à l’esthétique
XIII.a) Un « cinéma-fiction travaillé à partir du réel »
XIII.b) Contre le « réalisme » mimétique
XIII.c) Une esthétique de la « raréfaction »
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
GLOSSAIRE
INDEX DES BREVETS CITÉS
INDEX DES FILMS CITÉS

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