Qu’est ce que l’espace psychique du rater ?

Qu’est ce que l’espace psychique du rater ?

Rêver le rater dans les profondeurs créatives

Nous aborderons dans un premier temps le mot « rater » sous l’angle d’une poétique active. Il nous est apparu pertinent d’introduire notre propos par Bachelard (1884 1962) car sa poétique de la rêverie permet d’entrer dans la sphère de la subjectivité primordiale, fond, noyau de l’acte créateur. Pour déterminer la place de l’anima et de l’animus chez le « rêveur » qui sera ici le peintre, nous identifierons l’animus et l’anima comme deux acteurs distincts mais toujours en dialogue dans le psychisme créatif. Nous verrons ainsi comment l’un stimule l’autre en nous appuyant sur une expérience interne de l’acte de peindre que nous proposons de vous faire partager. Nous verrons ainsi que « rater » en ces profondeurs est inhérent à la création.

Un mot peut être une aube et même un sûr abri.

Je propose d’introduire mon propos sur le rater structurant en création en abordant le mot rater sous un jour qui m’est familier de part ma vie et mon activité de peintre : la « rêverie poétique ». Rappelons que l’imagination active se distingue chez Bachelard du rêve comme de l’endormissement. Cette rêverie poétique permet une augmentation de la conscience d’exister, élargissant notre vie. Elle permet de ressentir le bonheur de vivre comme un phénomène spirituel, naturel et utile à l’équilibre psychique humain. Le monde de la rêverie, grâce à la vertu de l’imagination devient alors un monde de confiance. La rêverie est un état d’âme en son essence. Bachelard la distingue du savoir, elle aide « une âme à jouir de son repos, à jouir d’une unité facile […], c’est un lien doux qui poétise le rêveur. » .

La rêverie est aussi bien chez l’homme que chez la femme une manifestation de l’anima selon la psychologie de profondeurs. Nous sommes habitués en tant que peintre à vivre la rêverie face aux paysages mais la rêverie des mots, nous est moins familière. Bachelard, dans sa Poétique de la rêverie en donne de nombreux exemples.

Ainsi pour un rêveur de mots, il y a des mots qui sont des coquilles de parole. Oui, en écoutant certains mots, comme l’enfant écoute la mer en un coquillage, un rêveur de mots entend les rumeurs d’un monde de songes.

Par exemple le mot cheminée, pris comme un chemin de douce fumée qui chemine lentement vers le ciel, montre toute la portée de l’anima qui se laisse pénétrer par le mot et entraîne la rêverie. Nous pourrions appeler cette portée : « l’œil qui aime » (Marion Milner). L’animus quand à lui, prend l’objet par son côté strictement fonctionnel.  Essayons à présent d’envisager le mot rater par notre anima, par sa nature intime, par la lenteur du féminin ? Quelle part de rêverie m’entraîne vers le mot rater ? Tout d’abord j’entends prendre ce mot « en création » en particulier en création picturale ; il convient alors d’imaginer le rater en train de se faire ce qui justifie son infinitif. Je pense qu’il est important de dégager l’angoisse qu’il contient du point de vue de l’animus (aimer les choses pour leur usage) car rater contient les clichés propres aux projets et à l’éducation dans l’enfance.

Combien d’enfants commencent à dessiner et, aussitôt, s’exclament : « C’est raté ! »

Cette exclamation, prévoit un ton de jugement qui renvoie à la pression exercée sur nous depuis notre enfance (instituteurs, adultes, autres…) et dans notre société «hypermoderne » de la performance ou « réussir » est demandé à chacun d’entre nous. Ces souvenirs et cet imaginaire sous cet aspect masculin ont du mal à être évacués, entraînant encore une rêverie douloureuse.

Mais essayons à présent d’entrer dans le bonheur de la rêverie du mot rater. Il devient alors malléable, modulable, mouvant et résistant, informe. Il représente mon bonheur de patauger, de raturer, de tourner la peinture, l’encre. Renvoie au plaisir du faire/ défaire qui procure un sentiment de continuité, d’exister, un plaisir de me saisir de mauvais traits, d’une hallucination (apparition) pour les transformer au contact de la feuille ou de la toile. Des souvenirs d’enfances se réveillent alors en moi comme ceux d’un acte où rater se transforme comme principe élévateur : rater c’est entrer dans une dynamique de la transformation : c’est prendre conscience d’un monde qui vient de nous et ainsi peut tout devenir.

Dans un monde qui naît de lui, l’homme peut tout devenir.

Rater contient les bienfaits du repos qu’il comprend, car la seule autorisation de rater repose le corps entier qui peut, une fois cela accepté, se nourrir d’insatisfactions. Rater et échouer ne sont que des preuves négatives du toujours expérimental et éloignent des automatismes qui sont l’ennemi de l’art (intemporel). Nous les distinguons néanmoins car il nous semble que Rater comprend la dimension du mouvant, de ce qui est en train de se faire, alors qu’échouer amène une fin sensible. Rater en peinture c’est aussi se consoler seul par le terrain pâteux de la peinture, c’est essuyer son « chagrin » et se réconforter en sa matière ; c’est accéder à son berceau, à la douceur féminine de la peinture qui se régénère. Le rater se trouve dans les profondeurs de l’être qui « sent » qu’il se trompe. Il semble se manifester dans l’homme en solitude comme l’appelle Bachelard quand celui-ci se laisse bercer dans une rêverie poétique. Rater peut-être considéré comme un accident d’un dessein en animus, mais également comme une tranquillité vécue en anima. Pour éclairer cette dernière phrase et après cette considération sur le rater, je propose de partager avec vous mon expérience de la peinture. Elle se concentre sur un rater positif, éprouvé entre animus et anima et qui apparaît en premier lieu comme le guide, l’équilibre possible d’une création. La palette est prête, pleine de taches colorées, celles que j’estime suffisantes et au plus près du sujet que je m’apprête à peindre. Je choisis alors mes pinceaux que je trouve souvent trop gros, un peu usagés ou trop fins. Je m’apprête à peindre avec des taches qui sont à mille lieux de la beauté et de la précision des couleurs du réel, avec un matériel dont, il me semble, je serais toujours insatisfaite. Je précise que malgré tout : j’aime mon matériel (J’en prends grand soin, par exemple, quand je range mon matériel je « lange » mes pinceaux, je mets de coté la toile saine que je trouverai sans pli, car j’ai un profond respect pour la peinture que je sais rangée à un endroit sûr.) Je démarre une toile avec ce défi : Je dois transcender ces imprécisions, j’aime les couleurs brutes et je vais les magnifier en les assemblant et en modifiant leur matérialité, j’aime la toile blanche car je sais que je vais la tacher. Le premier sentiment qui m’habite est donc de relever un défi difficile, j’éprouve une sorte de trac (celui relatif à un défi qui engage l’être en son entier). Ma toile est préparée, scotchée sur les cotés pour prévoir la mise sur châssis  (pourvu que le scotch tienne) et le chevalet est installé, je m’assure qu’il soit stable (pourvu que le temps ne change pas trop…). Je pense qu’ainsi, je m’apprête à peindre dans un risque, sur la brèche, ces conditions me mettent en mouvement, me permettent de décupler mes capacités. Je précise que cette évaluation technique de mon travail qui relève de la sphère relative à l’animus n’exclut pas le fait que je suis déjà sous le principe de l’anima tranquille et reposée qui m’a plongée, dans les profondes rêveries de mon sujet. L’anima a déjà envisagé les aléas et les ratés possibles du médium : les pinceaux, le support sont des alliés, dans une amitié sereine. La nature (mon sujet en général) ne peut se laisser saisir que dans le repos (poétique de la rêverie), dans le calme de la profondeur psychique. Je commence à saisir la branche d’arbre sur laquelle je sens le plus de matière, d’accroche subjective possible. Elle apparaît déjà sur la toile comme trop molle, pas assez colorée, mais le sentiment de plénitude ne me quitte pas. Je me décale (par la vue mais j’ai une impression de mobilité du corps entier) pour saisir le buisson d’à côté que j’esquisse pour me donner des repères (ceux-ci seront plus où moins factices puisque transformables à souhait pour le bienfait de l’ensemble du tableau). Je peins donc dans l’aventure constante et je me nourris d’insatisfactions pour une digestion naturelle de la peinture. Chaque geste me renvoie à un manque de précision, à une insuffisance au niveau de la couleur et des formes.

La joie de rater dans une dialectique créatrice 

L’art naît de contraintes, vit de lutte, et meurt de liberté.

Voyons à présent le lien entre création et rater sous le principe de l’idéalisation. Une dialectique apparaîtra dans la création comme une mise en tension nécessaire entre les actes d’idéalisation/désidéalisation ou de création / destruction.

Cette dialectique introduira notre propos sur la création ou plus exactement sur le lien que nous entrevoyons entre créer et rater. Il convient, pour éclaircir cette affirmation, de déterminer ce que nous entendons par idéalisation/désidéalisation. Nous nous appuierons pour cela sur les écrits de Marion Milner (1900-1998), peintre et psychanalyste, tout en conservant les termes bachelardien d’animus et d’anima pour évoquer les processus psychiques qui se jouent en création.

L’idéalisation permet à l’imagination d’exercer son rôle naturel : celui du «doublement» où « le monde incorpore toutes les beautés de nos chimères ». C’est se gonfler d’espoir quand « l’anima rêve et chante ». C’est autant celui qui tient le pinceau que celui qui regarde que celui qui transforme la couleur et épouse le support. Il nous semble que l’être devient alors protéiforme : quand il se gorge d’une forme ronde, il se sent s’arrondir, quand il aborde le vaste ciel il se sent se gonfler d’air. C’est tout l’être entier du rêveur qui s’anime « La fleur née dans la rêverie poétique est alors l’être même, son être fleurissant. » Ce principe d’idéalisation ne se joue donc pas simplement au niveau de l’esprit mais concerne le corps, un corps qui change jusqu’à devenir la chose observée qui vit. Idéaliser c’est augmenter ainsi son espace intérieur et ses capacités de vie.

Bachelard insiste sur la part d’animus et d’anima présente et interférant dans tout psychisme. L’ « androgynie » représente « la potentialité de l’animus et de l’anima qui réside dans tout être humain ». Tout processus de création relèverait de ce double, un double magnifié qui soutient l’être en un idéal où les complexités psychiques s’harmonisent. Notre hypothèse est que la création, et en particulier la création picturale, émergent de pareilles harmonies qui constituent l’aboutissement d’une toile.

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Table des matières

Introduction générale
1 Naissance par l’expérience de rater, l’art intemporel
2 De l’éthique à la pédagogie
3 Parcours choisi
A. Le rater structurant chez le peintre
A.1 Qu’est ce que l’espace psychique du rater ?
A.1.1 Rêver le rater dans les profondeurs créatives
A.1.2 La joie de rater dans une dialectique créatrice
A.1.3 De la tache à l’œuvre
A.2 Naissance de l’être boueux
A.2.1 Y a-t-il universalité dans les processus psychiques créatifs ?
A.2.2 L’être boueux et le « double » chez Antonin Artaud
A.2.3 Peindre : entrer en résonance
A.3 Les clichés contrés par le rater
A.3.1 Le cliché, la lutte de Cézanne
A.3.2 Existe-t-il des mauvais « rater » ?
A.3.3 Qu’est ce que voir (pour un peintre) ?
A.4 Créer, se créer par le rater
A.4.1 Renforcement psychique par l’imaginaire
A.4.2 Se transformer par l’œuvre : le Jeu
A.5 L’architecture cachée de la peinture
A.5.1 La surdité de la peinture
A.5.2 Transformer la boue en or
A.6 Historique d’une « pensée de rater »
A.6.1 Prémisses du « rater » en art
A.6.2 La notion de corps « réceptif »
A.7 Conclusion intermédiaire
B. L’Art intemporel
B.1 Fondements de l’art intemporel
B.1.1 Nietzsche et L’ivresse de l’art
B.1.2 Une définition du « moderne », racine de l’art intemporel
B.1.3 Ethique du créateur
B.2 Art ou Expression ?
B.2.1 Art et Expression
B.2.2 Les concepts d’art Brut et d’art « intemporel »
B.3 Le rythme en peinture
B.3.1 La notion d’activité chez Minkowski
B.3.2 Rythme universel et rythme intime du peintre
B.4 L’espace pictural : un dialogue des arts
B.4.1 L’espace coloré de la peinture
B.4.2 L’Organicité
B.4.3 Le temps de la peinture et la toile blanche
B.5 Un art vivant
B.5.1 L’authenticité dans la création.
B.5.2 L’Art d’ « actualité » (A. Artaud)
B.5.3 Le cas de Kandinsky
B.6 Le paradoxe de l’éthique
B.6.1 La philia
B.6.2 De l’élan compassionnel à l’accompagnement
B.7 Conclusion intermédiaire
C. Pédagogie et construction de l’individu créateur
C.1 Une pédagogie du corps.
C.1.1 Vivre une rythmanalyse
C.1.2 Accompagner, un dialogue des sens au service du dialogue des arts.
C.2 Pédagogie du rater
C.2.1 Espace des blocages/déblocages
C.2.2 Du sujet à l’ « origine »
C.3 Une pédagogie du lieu
C.3.1 Installation du « petit matériel »
C.3.2 Le lieu de la composition
C.4 Une pédagogie de rater vers une construction de soi.
C.4.1 Les pouvoirs magiques de rater
C.4.2 Naissance d’un être renouvelé (L’appel de l’être à aimer)
C.5 Conclusion intermédiaire
D. Une méthode de l’écoute du « corps musical » en peinture
D.1 Engager une éthique et une créativité.
D.1.1 Les pas vers l’éthique, pré-requis pour accompagner en peinture
D.1.2 L’enjeu de la créativité pour déclencher la peinture
D.2 Développer une écoute corporelle
D.2.1 Se rendre attentif aux espaces « entre »
D.2.2 La structure musicale du corps
D.3 Répondre aux blocages du peintre : les outils de rater
D.3.1 Aider à la création d’espaces psychiques et physiques du peintre
D.3.2 Apprendre à dé-peindre l’enjeu de l’accompagnement
D.4 Une méthodologie de la recherche création à la recherche action
D.4.1 Une démarche subjectiviste
D.4.2 Vers des dynamiques constructrices identitaires
D.5 Conclusion intermédiaire
Conclusion générale

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