Qu’est-ce que la conception ? Une activité à trois dimensions

Qu’est-ce que la conception ? Une activité à trois dimensions

Dans les milieux professionnels de l’aménagement et du bâtiment, le terme de conception renvoie généralement à un triptyque fonction de projet / univers professionnel / contenus bien défini. La fonction est celle de la maîtrise d’œuvre (voir l’Encadré 0-3) ; l’univers professionnel celui des architectes et, à leurs côtés, des ingénieurs, des paysagistes et des urbanistes ; les contenus ceux de l’architectural et de l’urban design, c’est-à-dire de la composition architecturale et/ou urbaine. Une telle catégorisation, issue des professionnels et institutionnalisée par la loi MOP en 1985, est sans doute utile pour analyser les dynamiques des métiers et professions de l’urbanisme – par exemple en se focalisant sur les luttes pour le contrôle du cercle de la conception – ou encore les modèles d’affaire de la fabrique urbaine – par exemple en travaillant sur l’évolution des dispositions contractuelles, des rémunérations et des offres de services relatives à la conception.

Pour nous cependant, qui travaillons sur les processus d’élaboration des choix d’aménagement, une telle définition est inadaptée. Comme nous l’avions en effet évoqué précédemment, elle renvoie à un modèle du projet où les tâches se divisent rationnellement et s’enchaînent linéairement (programmation → conception → réalisation). Or, les travaux empiriques sur les projets d’aménagement montrent que ce modèle ne correspond pas à la réalité observée, qui voit la commande se préciser en même temps que le projet est conçu, les périmètres d’action se superposer, et les différentes tâches s’opérer de manière dialogique tout au long du projet. Il nous faut donc redéfinir l’activité de conception en suivant l’idée de Robert Prost (2003, p. 21), pour qui « la conception est un type de problème qui se différencie de l’analyse, entre autres, mais qui ne peut s’enfermer sur un type de contenu (la forme urbaine par exemple) ou sur un type d’acteur (l’architecte par exemple) ».

Pour travailler à cette redéfinition, nous nous réfèrerons à différents travaux sur la conception en tant qu’activité générique. Nous appuyant d’abord sur une première définition formelle pour mettre en lumière un certain nombre de principes fondateurs quant à notre approche de la conception, nous travaillerons ensuite sur une délimitation plus précise de cette activité (1.1). Mais la redéfinition de la conception ne permet d’en faire un concept opératoire que si l’on dégage des pistes pour comprendre et analyser des activités relevant, justement de la conception. Pour ce faire, nous parcourrons différents corpus de littérature sur la conception pour mettre en évidence trois dimensions majeurs dans l’analyse de cette activité : une dimension cognitive (1.2), une dimension sociale (1.3) et une dimension productive (1.4).

Définition et délimitation de l’activité de conception

Concevoir (verbe transitif) : Élaborer quelque chose dans son esprit, en arranger les divers éléments et le réaliser ou le faire réaliser (Larousse, Dictionnaire de français en ligne) .

L’appréhension la plus courante et la plus générique de la conception renvoie à un type particulier d’activité qui se définit avant tout par son caractère instrumental, à savoir l’élaboration de quelque chose en vue de sa production puis de son usage. Cette première approche pose cependant plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, en particulier parce qu’elle ne délimite pas de façon claire le périmètre de la conception. Dans les paragraphes qui suivent, nous nous efforçons donc d’opérer ce travail de délimitation en trois temps : d’abord, en dégrossissant l’idée de conception à partir d’une des seules définitions formelles proposées par la littérature ; ensuite, en travaillant sur la distinction entre l’activité de conception et deux autres notions avec lesquelles elle est parfois confondue, celles de dimensionnement et d’innovation ; enfin, en distinguant l’activité de conception d’une hypothétique phase de conception à l’amont des processus de projet.

Premier défrichage à partir d’une définition formelle

Malgré l’immensité de la littérature – notamment anglo-saxonne – sur la conception (design), ce n’est que dans un papier récent de Ralph et Wand (2009) que nous avons trouvé un travail abouti visant à en formaliser une définition. À partir de 33 définitions du design trouvées aux détours de travaux très variés, les deux auteurs ont inventorié les idées récurrentes, les défauts de périmètre ou de clarté, et les points de désaccord entre les différentes approches. En mobilisant les idées récurrentes et en résolvant les points de désaccord, ils aboutissent à la définition suivante  : la conception est une activité intentionnelle de spécification d’un objet à partir d’un ensemble de composantes primitives, qui satisfait un ensemble d’exigences et est soumise à un ensemble de contraintes ; cette activité opère dans un environnement donné, qui concerne aussi bien le ou les concepteur(s) que l’objet de la conception.

À la suite de Ralph et Wand, nous allons reprendre chacun des termes en italique pour baliser au mieux cette définition :

➤ Faire de la conception une activité intentionnelle, c’est d’une part souligner qu’on l’aborde au prisme de l’action, et d’autre part acter le principe selon lequel cette action se réfère à des buts. En d’autres termes, on ne conçoit un objet qu’à dessein, même si ce dessein initial – qui n’est pas forcément explicite ni stable au cours de l’action – ne détermine pas l’objet conçu. À ce titre, on rappellera avec N. Arab (2014, p. 101) que les théories de l’action invitent à « considérer avec précaution la place à accorder aux préférences » et à « veiller à ne pas survaloriser la logique causale ». De fait, « les préférences [sont] des moteurs de l’action en même temps qu’elles se construisent et se reconstruisent dans l’action ».
➤ Faire de la spécification le résultat de l’activité de conception, c’est ensuite mettre en évidence le fait que la conception n’aboutit pas forcément à un objet construit, mais parfois à une maquette, un plan, ou toute autre représentation symbolique qui détaille les propriétés structurelles de l’objet conçu. Il s’agit donc de distinguer la conception de l’ébauche en affirmant le besoin d’une description détaillée, mais aussi d’inclure dans la définition les activités de conception qui ne se matérialisent pas dans un objet physique.
➤ Parler d’objet de conception, d’ailleurs, constitue un choix inclusif : la conception pourra ainsi porter sur un artefact physique (un bâtiment, une voiture, une tablette), mais aussi sur d’autres types d’objets. Depuis les années 1980, les Science and Technology Studies (Bijker et al., 1987) ont en effet montré qu’une technologie ne peut être réduite à un artefact matériel, mais doit être appréhendée comme un système sociotechnique, c’est-à-dire comme un tissu enchevêtré d’artefacts physiques, d’acteurs impliqués dans la fourniture et l’usage de services, de règles institutionnelles et de normes pour opérer le système, ou encore de valeurs culturelles et de ressources économiques utilisées pour construire et maintenir le système. Dès lors, l’objet de conception pourra aussi bien désigner un artefact physique qu’une autre composante d’un système sociotechnique (par exemple un processus de fabrication), un dispositif articulant plusieurs composantes (par exemple un dispositif organisationnel), ou un système tout entier (par exemple un système d’approvisionnement en énergie).
➤ Se référer à des composantes primitives permet de mettre en évidence l’inscription de l’activité de conception dans un monde déjà existant. La spécification d’un objet ne part donc pas de rien, mais compose avec un « déjà-là » constitué d’artefacts, d’idées, de normes, de ressources,… qu’il s’agit d’assembler et/ou de transformer.
➤ La satisfaction d’exigences, quant à elle, explicite l’idée selon laquelle l’activité de conception étant intentionnelle, le ou les concepteur(s) souhaitent que l’objet qu’ils conçoivent possède certaines propriétés.
➤ De la même façon, la soumission à des contraintes ne fait que formaliser le constat selon lequel l’activité de conception fait face à des limitations : temps à y consacrer, ressources économiques, politiques et cognitives, lois physiques, etc.
➤ La référence à l’environnement, enfin, rappelle que l’activité de conception s’inscrit dans un contexte (économique, politique, social, organisationnel, cognitif,…), et qu’elle doit composer avec un monde social dans lequel s’inscrit l’objet à concevoir (Akrich, 2006a, 2006b) – typiquement un régime sociotechnique dominant (Geels, 2002; Smith et al., 2005).

Ces différentes précisions permettent déjà de mieux appréhender l’activité de conception, mais elles ne lèvent pas complètement le voile sur les problèmes de frontières inhérents à toute définition. Nous proposons donc de clarifier le périmètre de la conception en discutant de ses liens avec deux notions qui lui sont couramment associées, celles de dimensionnement et d’innovation.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. Genèse d’une question de recherche
2. Positionnement dans la littérature
3. Argument de la thèse
CHAPITRE 1. APPRÉHENDER L’ASSEMBLAGE DES CHOIX D’AMÉNAGEMENT: CONCEPTION ET DÉCISIONS
1. Qu’est-ce que la conception ? Une activité à trois dimensions
2. À la recherche de la décision : de l’explication à la ponctuation de l’action
3. Concevoir en aménagement : des assemblages urbains au cœur de l’action
4. Synthèse : vers un modèle d’analyse à trois niveaux
CHAPITRE 2. RÉASSEMBLER L’ÉNERGIE EN VILLE : CONTOURS D’UNE ACTIVITÉ EN RENOUVELLEMENT
1. La montée en puissance de la problématique énergétique dans le cadrage de l’aménagement urbain
2. Matérialiser la transition énergétique urbaine : des dispositifs sociotechniques qui mettent l’aménagement en première ligne
3. Un réassemblage énergétique qui appelle un renouvellement des modes de conception dans les projets d’aménagement
4. Synthèse
CHAPITRE 3. MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE ET DE SA RESTITUTION
1. Des entretiens exploratoires au choix d’une méthodologie : les premiers pas de l’enquête
2. L’OIN Bordeaux Euratlantique : caractérisation du terrain
3. De l’enquête bordelaise à sa restitution
4. Synthèse
CHAPITRE 4. CONSTRUIRE UNE PROBLÉMATIQUE ÉNERGÉTIQUE ET DES ORIENTATIONS STRATÉGIQUES
1. Construire la « problématique énergétique »
2. Négocier une « stratégie énergétique »
3. Zoom : expertise énergétique et décision dans les projets d’aménagement
4. Synthèse
CHAPITRE 5. ORGANISER LA PRISE EN COMPTE DE L’ÉNERGIE DANS LA FABRIQUE DU BÂTI
1. Suivre les opérations immobilières au cas par cas
2. Monter en puissance dans l’encadrement de la production immobilière
3. Le travail discret des maîtrises d’œuvre urbaines
4. Synthèse
CHAPITRE 6. METTRE EN PLACE UN SYSTÈME D’APPROVISIONNEMENT EN ÉNERGIE
1. Choisir une solution d’approvisionnement
2. Dessiner le réseau de chauffage urbain
3. Concrétiser le réseau de chauffage urbain
4. Synthèse
CHAPITRE 7. QUELLES LOGIQUES À LA CONCEPTION ? UNE LECTURE TRANSVERSALE DE L’ACTION
1. Une maîtrise d’ouvrage guidée par la (facilitation de la) décision
2. Piloter la conception par la décision
3. Une « conception par la décision » rattrapée par la complexité des systèmes sociotechniques
4. Synthèse
CONCLUSION GÉNÉRALE

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