Quelques expressions sémantiques d’une ascension

Quelques expressions sémantiques d’une ascension

Gérard Delille, dans l’objectif de sortir d’un certain ethnocentrisme, note :

« Pour certains historiens, l’Europe et en particulier les cités-Etats italiennes du bas Moyen Age, auraient « inventé » les sociétés financières et commerciales modernes et conquis ainsi une domination économique absolue. Cette explication n’est que partiellement recevable car elle s’en tient à des facteurs d’ordre strictement économique, sans tenir compte des contextes sociaux, culturels et religieux. À regarder les choses de plus près, la situation n’apparaît pas aussi simple : de nombreuses techniques « inventées » par l’Europe étaient depuis longtemps en usage dans le monde islamique et ont été purement et simplement « copiées » par les Européens qui en reprirent souvent les noms (chèque, endossement bancaire, douane, magasin, tarif, gabelle …) » .

Il rappelle que les Européens ont d’abord imité ces techniques financières, tout en se montrant parfois incrédules à leur égard comme lorsque la description de la monnaie-papier utilisée dans l’empire de Kubilaï Khan par Marco Polo fut jugée mensongère. Il explique aussi :

« Le Qirād (la commande) était largement pratiqué dans le monde musulman et associait capital et travail : un marchand « capitaliste » confiait des denrées ou une somme d’argent à des marchands qui les transportaient dans d’autres régions et pays pour les vendre et acheter d’autres produits destinés à être écoulés, au retour, dans la ville d’origine. Le commerce, comme le suggérait déjà Ibn Khaldūn, transforme les marchandises dans le temps et l’espace (Al-Muqaddima) » .

La spéculation marchande n’apparaît donc pas comme une invention européenne. Dans l’Europe chrétienne, elle a entraîné de nombreux débats théologiques « sur la distinction entre pecunia (stérile et donc condamnable) et capitale (productif et donc acceptable), sur le lucrum cessans (le manque de gain), sur le « juste prix », sur le bien commun et, plus en général, sur les transactions économiques et leurs implications morales » . Entre le XIIe et le XVe siècle, tout cela a contribué « à construire un cadre éthique et normatif précis »  dans lequel ont été redéfinis des concepts tels que ceux de propriété, de richesse, de pauvreté, de capital, et la pratique marchande tolérée par les autorités chrétiennes.

Les transformations du cadre éthique et normatif dont parle Delille comporte également la justification progressive de l’usure, particulièrement entre le XIIIe et le XVe siècle semble-t-il. La figure de l’usurier, ce « voleur de temps », d’abord particulièrement controversée, ou plutôt officiellement controversée, dans la culture chrétienne, va progressivement être acceptée. L’usure, comme le fait remarquer Jacques Le Goff, par ailleurs bien plus « polanyien » que Delille semble-til, peut être justifiée par les théologiens si l’usurier fait aussi œuvre de charité, mais également pour le risque qu’il prend, un risque qui légitimerait le profit. Le terme risque, resicum, apparaît chez les notaires et les marchands méditerranéens entre fin XIIe et début XIIIe . Il entre dans la réflexion des théologiens scolastiques par l’intermédiaire du dominicain catalan Raymond de Penafort qui l’utilise à propos du foenus nauticum, le « prêt maritime » :

« Les hommes du Moyen Age eurent pendant longtemps une peur particulière de la mer, et si l’itinérance sur les routes était menacée par les seigneurs affamés de droits sur la circulation, ou plus encore par les bandits, notamment dans la traversée des forêts, le grand lieu du péril que peintures et ex-voto illustrent, c’est la mer. Quand elle ne menaçait pas la vie du marchand, elle menaçait la livraison à bon port de ses marchandises, et la fréquence des naufrages plus encore que des pirates justifiait la levée en compensation du risque d’un intérêt, d’une usure » .

Le Grand-Duché de Toscane et le port-entrepôt de Livourne

Livourne, petit bourg dénommé Porto Pisano jusqu’à la fin du XIVe siècle, est d’abord le débouché maritime de Pise. Pas de glorieux passé citadin, d’histoire autonome à mettre en avant, ce qui va permettre aux Médicis de la refonder en cité nouvelle. Voilà ce qu’en dit l’historien Samuel Fettah :

« Les premiers jalons sont posés après 1421, date à laquelle Livourne devient propriété de la république florentine. Dès lors, sa transformation et sa croissance sont étroitement liées à l’ascension politique de la famille des Médicis et à la construction de l’État régional toscan. Il n’est donc pas étonnant de constater que la fondation de Livourne et la transformation de la Toscane en grand-duché interviennent dans la même période : en 1569, les Médicis obtiennent du pape Pie V le titre grandducal et quelques années plus tard, en 1575, le grand-duc François Ier confie à l’architecte Bernardo Buontalenti la mise au point d’un projet de ville nouvelle sur l’emplacement de l’ancien bourg fortifié » .

Livourne devient dès le milieu du XVIIe siècle la seconde ville de l’État régional de Toscane, et son principal port est vite disposé à une dimension internationale. Il devient en quelques décennies un des principaux ports de la Méditerranée, notamment en tant que port-entrepôt servant à la réexpédition des marchandises, fonction principale qui est la sienne au moins jusqu’à la fin des années 1830. De 20000 habitants, à la fin du XVIIe , la ville en compte quelques 50 000 un siècle plus tard. Les Médicis encouragent son essor commercial, notamment en déclarant Livourne portfranc en 1675. Le port de Livourne est alors un enjeu tout particulier. Il est cette interface mer/terre qui facilite l’accumulation d’argent, par le biais, entre autres, du petit et grand cabotage, tout en devant servir à l’affirmation autoritaire du prince. Il est cet endroit où l’on va laisser s’enrichir, se développer, un monde du négoce qui peut échapper à l’État, car ouvert sur le monde, grâce aux aménagements impulsés par l’État, tout en lui demandant, comme s’il s’agissait d’une condition de respect réciproque, d’un échange de bons procédés, de participer à l’accroissement de la puissance du prince : « Aux yeux des princes, croissance des trafics portuaires et progrès de l’État princier sont liés » .

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Table des matières

Introduction générale
Le capital et l’intérêt public
Essai sur la longue durée
INTRODUCTION
La guerre et l’État
0.1. Guerre et politique
0.2. L’impôt et l’emprunt
0.3. Les investisseurs du pouvoir
CHAPITRE 1
Ascension du négoce
1.1. Quelques expressions sémantiques d’une ascension
1.2. Le Grand-Duché de Toscane et le port-entrepôt de Livourne
1.3. L’ambition de ports secondaires sur les côtes de Provence
CHAPITRE 2
Guerre et mer
2.1. Fortifications littorales
2.2. Des ports pour le service du roi
2.3. Le négoce aime-t-il la guerre ?
CHAPITRE 3
Frontières et négoce
3.1. Privilèges du négoce
3.2. Liberté de commerce, fraudes et contrebande
3.3. De la réglementation et du contrôle
CHAPITRE 4
Finances et travaux portuaires
4.1. Les ports secondaires de Provence : royauté et finances
4.2. Taxes, négoce et inégalités : toute solution a sa conséquence sociale
4.3. Le port de Marseille : la décision et la charge
CHAPITRE 5
Économie politique
5.1. Le capital et ses définitions
Capital financier, capital commercial, capital industriel
5.2. La monétarisation
L’argent comme équivalent général
5.3. La marchandisation
Transformations sociales et logistique commerciale
5.4. La propriété « moderne » et l’agency capitaliste
In Sardegna, non c’è il mare
5.5. Le travail abstrait
La dernière propriété des forçats de Livourne
CHAPITRE 6
Au nom de l’intérêt public
6.1. Le « public »
6.2. Conjuguer « public » et « privé » : passé composé, passé composite
6.3. « Liberté » et propriété
6.4. Le mythe moderne du progrès
CHAPITRE 7
Des usages de l’État
7.1. La centralisation et l’ingénieur « moderne »
7.2. Courtes mentions sur le négoce en politique
7.3. Port de Marseille : un conflit à l’aube de la Restauration
Conclusion générale

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