Les monuments et leurs valeurs
Quelques premières définitions
Avant de commencer cette étude, nous tenons à redéfinir la notion de patrimoine. D’autant plus que celle-ci n’est pas la même suivant les cultures. Dans les sociétés occidentales, le pouvoir et les symboles s’incarnent dans la pierre depuis les civilisations grecques et romaines, notamment dans le centre de la ville. Alors que dans les sociétés asiatiques ou africaines, le rapport à la mémoire ou à la transmission est beaucoup plus immatériel. Le patrimoine peut être considéré comme étant « tout ce qui participe à la mémoire collective d’un groupe . « C’est l’ensemble des biens qu’une génération veut transmettre aux suivantes parce qu’elle estime que cet ensemble constitue le talisman qui permet à l’homme et au groupe social, qu’il soit famille, nation ou tout autre groupe, de comprendre le temps dans les quatre dimensions. » Les éléments du patrimoine sont les vestiges de la vie d’hier, des indices pour comprendre notre passé, ancrer notre vie dans l’histoire. «C’est ce qui est encore visible d’un monde qui nous est devenu invisible » On peut définir le patrimoine également comme étant la forme matérielle des mémoires et des constructions du passé basées sur les valeurs présentes. Il renvoie à «l’appropriation de manière sélective, sur un mode symbolique, de la matérialité naturelle ou construite héritée ». Le patrimoine a également une importance au niveau de l’identité : « Notre patrimoine, c’est la mémoire de notre histoire et le symbole de notre identité nationale.» .
Le patrimoine est donc quelque chose de très vaste. Concrètement, il peut se présenter sous des formes très diverses, de n’importe quelle taille ou matière, il peut même être immatériel, comme par exemple une chanson. Le danger aujourd’hui est d’octroyer le titre de patrimoine à tout et donc de dévaloriser ce titre. En effet, les vertus du patrimoine sont indéniables et sa conservation est primordiale au bien-être des sociétés. « Le patrimoine architectural est un capital spirituel, culturel, économique et social aux valeurs irremplaçables. » Dans cette étude nous ne traiterons que du patrimoine matériel des centres-villes historiques et notamment des monuments.
La patrimonialisation d’un centre-ville est le fait de lui donner un caractère patrimonial, d’en faire un “patrimoine”. Cela peut se faire notamment par un processus de revalorisation économique, symbolique et sociale, ainsi que par l’appropriation et le marquage d’un espace. La patrimonialisation peut être définie comme un processus de réinvestissement, de revalorisation d’espaces désaffectés .
« La patrimonialisation produit […] une forme de marquage, constituant le support d’une appropriation de l’espace. L’intervention matérielle qui suit la reconnaissance d’un héritage architectural (réhabilitation, restauration des façades notamment) modifie l’édifice et constitue une signature : celle des autorités qui l’ont financée, mais aussi celle des groupes sociaux qui ont promu la reconnaissance de ce patrimoine. »
Le moteur de la patrimonialisation est bien souvent la (re)valorisation d’emprises désaffectées et leur transformation en ressource économique. Si « le patrimoine architectural est […] ce qui donne valeur à un lieu », c’est au sens de valeur à la fois symbolique et économique .
La patrimonialisation peut s’avérer une réussite lorsqu’elle aboutit à une appropriation de l’ensemble de la population.
« La patrimonialisation apparaît bien au bout du compte comme une modalité, de plus en plus légitime, d’appropriation de l’espace. »
Mais elle peut aussi être un échec, en brisant l’équilibre social qui s’était installé, en rendant le centre-ville essentiellement matériel. D’après Maurice Barrès, « la patrimonialisation rompt le lien social, » elle peut également mener à l’exclusion de certaines populations par un phénomène de gentrification par exemple. « La mise en place de secteurs sauvegardés s’est aussi accompagnée dans certains cas d’une mutation sociologique des quartiers concernés ; des solidarités anciennes ont été rompues, artisans et petites gens ont cédés la place aux classes moyennes et aux boutiques. […] [Ce qui a provoqué] le refoulement des classes sociales les plus démunies à la périphérie de la ville. » .
Enfin, d’après M. Gravari-Barbas, le processus de patrimonialisation se fait selon trois fonctions qui correspondent à différentes sphères d’activité :
– la fonction identitaire qui renvoie au lien social, au capital social, l’appropriation collective du patrimoine ;
– la fonction valorisante qui renvoie aux retombées économiques, au renchérissement du foncier et donc aux logiques de gentrification ;
– la fonction légitimante qui renvoie aux capacités d’intervention dans la sphère publique, de l’aménagement de l’espace du patrimoine et le prestige qui y est associé.
La patrimonialisation a une fonction identitaire (qui renvoie au lien social et à l’appropriation) d’après M. Gravari-Barbas or d’après Maurice Barrès la patrimonialisation rompt le lien social. Ainsi, les échecs de la patrimonialisation doivent être dus à la non prise en compte de cette fonction identitaire. Cette étude traitera donc de cette fonction identitaire afin de réfléchir à l’amélioration possible des patrimonialisations.
Les principaux éléments du patrimoine constitutif des centres-villes historiques sont les monuments. Le terme « monument » vient du latin « monumentum » lui-même dérivé de « monere » (avertir, rappeler) c’est-à-dire ce qui interpelle la mémoire. Un monument est donc tout artéfact édifié par une communauté d’individus pour se remémorer ou faire remémorer à d’autres générations : des personnes, des événements, des sacrifices, des rites ou des croyances . Les monuments sont des messages du passé permettant de maintenir une mémoire collective.
« Par monument, au sens le plus ancien et véritablement originel du terme, on entend une œuvre créée de la main de l’homme et édifiée dans le but précis de conserver toujours présent et vivant dans la conscience des générations futures le souvenir de telle action ou telle destinée (ou des combinaisons de l’une et de l’autre).»
Alois Riegl, dans son ouvrage le culte des monuments, son essence et sa genèse, présente les différentes valeurs des monuments historiques qu’il a identifiées :
➤ La valeur d’ancienneté
La valeur d’ancienneté d’un monument se manifeste au premier regard par son aspect non moderne. Elle prétend agir sur les masses car elle ne demande aucune connaissance pour être comprise. De son point de vue, l’esthétique du monument réside dans les traces de la décomposition de l’œuvre achevée par les forces mécaniques et chimiques de la nature. A l’inverse, dans une création récente, les symptômes de dégradation ne produisent pas cet effet positif, au contraire, ils nous indisposent.
➤ La valeur historique
La valeur historique d’un monument réside dans le fait qu’il représente pour nous un stade particulier dans le développement d’un domaine de la création humaine. De son point de vue, la valeur réside dans l’état initial du monument, toute trace de dégradation doit donc être supprimée. Or, « une conservation éternelle est tout simplement impossible : car les forces de la nature finissent par avoir raison de toutes les ruses de l’homme, et de l’homme lui-même dans son combat contre elles.»
➤ La valeur de remémoration intentionnelle
Elle s’applique aux monuments intentionnels qui sont d’ailleurs peu nombreux. Elle revendique pour le monument l’immortalité, l’éternel présent, la pérennité de l’état initial.
➤ La valeur d’usage
La valeur d’usage se mesure à la capacité d’un monument à exercer une fonction. De plus l’utilisation continuelle d’un monument revêt aussi pour la valeur d’ancienneté une importance considérable.
➤ La valeur d’art
Selon les conceptions modernes, un monument ne présente à nos yeux de valeur d’art que dans la mesure où il satisfait l’attente du “vouloir artistique moderne”. De plus, toute œuvre d’art moderne doit de part sa modernité même, se présenter sous un aspect achevé sans aucune trace de dégradation.
➤ La valeur de nouveauté
La valeur de nouveauté se mesure à l’originalité du monument, à son caractère unique. Elle est la valeur artistique du public peu cultivé.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Quelles réutilisations du patrimoine bâti menant à quelles particularités du centreville?
1. Les monuments et leurs valeurs
2. Le patrimoine et sa réutilisation
3. Quelles activités et pratiques peuvent être mises en place dans un centre-ville ?
4. Les particularités d’un centre-ville historique au patrimoine bâti fonctionnel
Partie 2 : Appropriation du patrimoine du centre-ville et pratiques des habitants
1. Les processus d’appropriation
2. Appropriation, pratiques et mémoire collective
3. La mixité, l’animation, la lisibilité et l’échelle humaine favorisent-elles l’appropriation ?
Partie 3 : Centres-villes historiques, réutilisation du patrimoine et appropriation, application au cas de Cáceres ?
1. Présentation de Cáceres dans le contexte de cette étude
2. Présentation des résultats de l’enquête
Conclusion
Bibliographie
Table des figures
Table des matières
Glossaire
ANNEXES
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