Quelle légitimité pour une réalité pleine de promesses ?

Végétal en ville, un état des lieux

LE CAS PARISIEN …

Sur la mandature parisienne 2014-2020, Anne Hidalgo ambitionne un programme de végétalisation conséquent avec 30 hectares supplémentaires d’espaces verts ouverts au public, une rénovation des parcs et jardins existants, et la plantation de 20 000 nouveaux arbres.
Autre initiative de la ville de Paris, le « permis de végétaliser » donne au riverain un pouvoir de végétalisation de l’espace public qui l’entoure.
Pénélope Komitès, adjointe chargée des espaces verts, de la nature et de la biodiversité, entend inciter les parisiens à prendre possession de la ville et à produire leur propre vision de la ville végétale, toute proportion gardée puisque la mairie détient un droit de regard sur ces permis. L’opération « un arbre dans mon jardin », sur un model BIMBY1 (Build In My BackYard), permet également au parisien d’implanter un ou plusieurs arbres dans son jardin ou celui de la copropriété, tout cela aux frais de la mairie qui s’occupe de fournir et implanter les arbustes.
Par ailleurs, avec la création de « rues végétales », aux multiples utilités, elle entend apaiser voire supprimer la circulation automobile afin de prioriser les piétons et circulations douces. Cela se fera à travers la mise en place de pavés à joints engazonnés, de bandes de terre sur les trottoirs en longueur de façade, l’instauration de murs végétalisés de plantes grimpantes, et de bacs de plantation en bois ; tout cela au sein de la bande riveraine. Projetées au nombre de 20 à l’horizon 2020 (pour l’instant dans les 12e, 15e, et 20e arrondissements, plus 4 autres sites potentiels identifiés), les rues végétales entendent s’imposer comme les lieux de cristallisation des projets de la végétalisation, tout en s’adaptant à un besoin criant de la capitale : se végétaliser. Selon une étude du «Senseable City Lab», laboratoire du MIT, Paris serait la ville où le piéton aurait le moins de verdure à portée d’oeil, à raison de 8,8% contre 29,3% pour Singapour, leader du classement qui détient donc près d’un tiers de végétal dans son paysage. Formellement assez classique, efficace en matière d’ambiance et d’esthétique visuelle, la végétalisation de Paris ne se résume pourtant pas qu’a cela.
L’agenda de la ville comporte tout un volet d’agriculture urbaine, nouvelle donnée de l’équation verte, inter-combinable à volonté. A titre d’exemple, les bacs de plantation des « rues végétales » peuvent tout à fait accueillir des légumes et plantes comestibles, comme l’aurait fait le collectif des « Incredible Edible »3 Outre-Manche. Dans le désordre, on peut compter 100 hectares de végétalisation sur les murs et toits dont un tiers est dédié à l’agriculture urbaine dans le cadre des «
Parisculteurs », la création de vergers et de potagers dans les écoles, ainsi que l’aménagement de fermes pédagogiques pour sensibiliser les plus jeunes à l’agriculture. A cela s’ajoute le développement des jardins partagés afin de créer du lien social entre voisins, et l’implantation de ruches pour faciliter la pérennité biologique de toutes ces interventions.
D’une ampleur importante, le projet des « Pariculteurs » ambitionne la création de potagers participatifs et de petites productions exploitantes sur les toits. Peu de pleine terre, mais plutôt une réquisition de ce qui n’est pas utilisé en terrasse accessible, et une multitude de partenariats avec de grandes enseignes parisiennes. Le Centre Georges Pompidou, l’Accor Hotel Arena, ou encore LVMH, mettent les toitures de leurs locaux à disposition de ces projet participatifs. Du houblon dans Paris sur 1km linéaire, voilà un des projets des Pariculteurs, drôle s’il en est, dont la finalité réside dans la culture des susnommées plantes grimpantes sur les murs et pignons vacants. Avec l’émergence de nombreuses brasseries locales, la capitale française se met à rêver de devenir également la capitale de la bière urbaine « AOC ».
Toutes ces informations, sont développées de manière exhaustive, et claire sur le site de la ville de Paris, dans l’onglet « végétalisons la ville ». Très bien communiquées, toutes ces mesures sont révélatrices d’un appareil politique du végétal, conquérant et très bien organisé. Cette végétalisation généralisée est finalement multiple et comprend en son sein l’idée d’une agriculture urbaine. Elle se pose sur nos « skylines » du fait des directives municipales qui appuient les démarches associatives ou entrepreneuriales, sans que le citoyen ne s’en rende vraiment compte.
Ce « mariage forcé » du béton et du végétal semble se dérouler sans accrocs, puisqu’il n’existe pas de contestations visibles au sein de son territoire.

… SYMBOLE D’UN GÉNÉRALITÉ ?

En effet, la présence du végétal en zone urbaine est aujourd’hui l’une des conditions sine qua none de la qualité d’un néo-quartier. Les villes à très fortes densités comme Paris en manquent terriblement. L’obsessive végétalisation de la capitale n’est pas une exception, et on constate que peu de métropole aujourd’hui n’aimeraient pas se parer davantage de verdure. Nombreuses sont les agglomérations qui se lancent dans la compétition d’une ville la plus végétale possible. Nantes, n’est pas en reste dans ce domaine puisqu’on recense 37 m2 d’espace vert par habitant, que 17 millions d’euros ont été investis dans les espaces verts en 2016, et que 5 élus sont en charge uniquement des problématiques d’environnement et d’espaces verts5. En 2017, elle a été élue ville la plus verte de France par l’Observatoire de l’Unep (Union Nationale des Entreprises du Paysage), en compagnie d’Angers et Strasbourg. Pour ce qui est de Nantes, on pourrait également mentionner la toute nouvelle pépinière du Quai de la Fosse, à l’esthétique faussement bricolée, mais vraiment très inspirée du langage architectural de la ZAD de Notre Dame des Landes. Un beau pied de nez lorsque l’on connait l’avis de la mairie Nantaise sur le sujet.
En 2018, le confort de vie urbain repose sur une présence croissante du végétal qui prend différent aspects. Le parc présente une forme de végétalisation urbaine de grande ampleur, ayant vocation à être un espace récréatif, de détente, et de ressourcement au sein de l’agitation urbaine. Il prend temps et lieu sur une sieste dominicale, un piquenique entre amis, ou un footing matinal. Les interventions du type « rue végétales » reposent sur des vécus plus épisodiques qui sont de l’ordre d’une perception rapide, au détour d’un croisement, ils ne sont praticables que par ceux qui en ont la maintenance. Enfin l’agriculture urbaine arrive peu à peu comme le nouveau visage de la végétalisation de la ville, une formalisation différente qui ajouterait une notion d’utilité dans sa dimension purement productive – à celle unanimement partagée de l’agréable.
Généralisons toutes ces branches de la végétalisation en ville et mettons donc l’agriculture urbaine sous cette même coupe. Quelle devient alors son utilité ? S’agit-il de satisfaire l’oeil et les poumons du passant, ou bien comme le déclare le postulat de base de l’agriculture urbaine, de changer les systèmes d’alimentation classiques et de pouvoir nourrir la ville de demain par la ville de demain ? La deuxième option ne semble pas envisageable puisque les quelque 33,333 nouveaux hectares – selon ce que planifie la mairie de Paris – pèsent peu face aux 11 000 hectares représentant la quasi-totalité de la superficie de Paris intramuros nécessaires à l’autosuffisance alimentaire de la capitale. Le choix de la mairie d’implanter 100 nouveaux hectares n’est pas vraiment expliqué, pourquoi ce chiffre ? Est-ce pour le symbole ou la rondeur du chiffre ? Le tiers distribué à l’agriculture urbaine, n’est pas vraiment explicité non plus. S’agit-il d’une part du gâteau attribué par la mairie à une nouvelle tendance sur laquelle il faut statuer ? Les quantifications étonnamment arbitraires des études peuvent également laisser perplexe, et il ne semble pas qu’un quelconque objectif de production ait été réellement pensé. Face à cette apparente insignifiance de cette agriculture urbaine au regard des besoins qu’elle est censé fournir, on est en droit de se poser la question de l’utilité d’une telle pratique. Bien que la nécessité de productivité ne soit pas la seule dimension que peut prendre l’agriculture urbaine, ce constat froid se pose là comme la possibilité d’aboutir sur une coquille verte , c’est à dire une volonté formelle verte, sans le fond qu’elle est censée contenir. Cette coquille ne serait cependant pas vide, mais plutôt à moitié pleine tant la substance d’autonomie alimentaire ne fait plus sens. Ne subsistent que d’autres utilités, comme la fortification du lien social, ou bien l’apport de davantage de verdure en ville, qui sont des objectifs certes très intéressants, mais secondaires au regard de la définition première de l’agriculture urbaine.

Une brève Histoire de l’Urbain Végétalisé

Les Jardins de Babylone font figure de forme pionnière de végétalisation mixée à une architecture dans un contexte urbain. Aujourd’hui introuvables, les seules descriptions antiques évoquent un bâtiment d’emprise carrée massive de 120 m de côté, en gradins sur la hauteur, permettant aux longues terrasses d’accueillir les arbres plantés, dont les racines apparentes se mêlent à la toiture. A l’époque déjà, la technologie au service des cultures prévaut puisqu’il est dit que la vis d’Archimède aurait été éprouvée pour la première fois sur les jardins de Babylone, afin de déplacer la source dans des hauteurs artificielles.
Si la possibilité d’un tel édifice a longtemps fait partie de l’imaginaire collectif, les avancées scientifiques et les fouilles archéologiques non-abouties du début du 20e siècle tendent finalement à dire qu’il s’agirait probablement d’une légende. Toujours est-il que les Jardins de Babylone sont profondément ancrés dans l’(in)conscient des rêveurs, et que la présence du végétal en ville est née bien avant que le sujet ne devienne aujourd’hui omniprésent.

RENAISSANCE ET OUVERTURE SUR LE VERT

On pourrait situer le vrai point de départ de la ville végétale à la toute fin du XVIIe siècle, ou s’entame une mue de la ville moyenâgeuse vers celle de la Renaissance. Les remparts et fortifications qui cloîtraient alors la ville commencent à tomber, déclenchant une perméabilité de la nature rurale sur le minéral de la cité. C’est une bascule puisqu’à l’exception des faubourgs de l’époque, qui pouvaient alors entourer la ville fortifiée et avoir un contact plus direct avec la nature, vie urbaine et vie rurale étaient cloisonnées par les systèmes défensifs militaires féodaux.
Au même moment, le perfectionnement des techniques de dessin en perspective devient un facilitateur d’aménagement des cités à la période de la Renaissance. on ne parle pas encore d’urbanisme mais plutôt d’embellissement de la ville. Il s’agit d’une stratégie d’aménagement qui revêt un enjeu économique, moral et civique, puisqu’on est persuadé qu’un espace urbain commode, sain et policé contribuera à la prospérité et au bien commun.Le paradigme proposé est assez rigide : des rues subordonnées à un centre, des lignes géométriques rectilignes qui doivent fluidifier les trafics tout en facilitant le contrôle de l’espace. Unité, ordre, et harmonie sont donc les maîtres mots d’une esthétique urbaine qui n’exclut pas les considérations pratiques. C’est pourtant dans ce cadre relativement strict que vont naître les premières expériences d’un urbanisme végétal.
Bien que le lent processus d’embellissement des villes ne soit pas axé sur des problématiques de nature en ville, il implique un rapport nouveau au végétal. Les traces de verdure n’étaient cependant pas inexistantes auparavant, dans une société médiévale, puisqu’elles remplissaient un rôle fonctionnel au sein de celle ci. A Limoges, l’Arbre de Beauvais occupe une place centrale où l’on à coutume de tenir les marchés, les étals éparpillés autour du tronc dans lequel est fichée une barre de fer prolongée d’une lanterne qui tient le rôle d’éclairage public. A partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, on passe d’une logique utilitaire du végétal au quotidien à une perspective d’embellissement des villes, suivant une dimension esthétique toute nouvelle. C’est aussi l’apparition des jardins à la française, expression d’une maitrise absolue de la nature, qui ne ressemble en rien à celle que l’on peut retrouver en milieu rural.
Cette appropriation nouvelle n’est pas anodine puisque le jardin à la française n’est pas le jardin de tous les français, c’est surtout celui de la Royauté et d’une élite de privilégiés. Si les ruraux et les citadins ont désormais le dénominateur commun de la nature dans leurs environnements propres, ils ne sont pas de la même caste. La forme et la manière de faire paysage végétal laissent là aussi voir qu’il y a une classe d’écart : la campagne bucolique d’un côté, les buissons taillés de l’autre. Car malgré ce rapprochement des deux milieux par la nature, la fracture sociale entre province et ville devient de plus en plus prégnante. Les élites bâtisseuses se concentrent en villes, noblesse de robe, gens d’affaires, élites municipales venant renforcer leur position auprès du pouvoir central ; même la noblesse rurale quitte son château de campagne pour une adresse dans la cité, et les décalages culturels se creusent. Cela devient même un ressort comique dans le théâtre : chez Molière, un M. Pourceaugnac de Limoges, arrogant petit noble rustique devenu le dindon d’une farce orchestrée par de rusés Parisiens, démontre de manière implacable la fonction civilisatrice de la ville sur ce brave rural.
C’est dans un Paris qui acquiert peu à peu son titre de cité centrale de la France que se font les avancées les plus significatives en matière de végétalisation publique. Ces changements viennent s’ajouter à l’héritage médiéval qui est plus d’ordre privé. Au XVIe siècle, diverses formes d’aménagement apparaissent : jardins de ville, jardins des plantes, promenades plantées sous la forme de cours. Le boulevard prend le relais au XVIIIe siècle, et devient alors le lieu de prédilection de la haute société pour sa bonne distraction, en retrait de l’agitation, des miasmes et autres désagréments de la rue. Lors de son séjour à Paris au printemps 1784, l’Anglaise Madame Cradock apprécie la caractère à la fois bucolique et urbain de cet espace mixte, intégré aux quartiers résidentiels, et en même temps ouvert sur les cultures maraîchères périurbaines : « Nous avons admiré sur les boulevards un jardin ravissant, auquel conduisait une longue allée bordée d’abricotiers et de vignes formant festons, le tout en fleur. Entrés dans un café pour nous y rafraîchir nous y entendîmes un excellent orchestre […].
Une fois reposés, nous avons flâné dans quelques rues nouvelles avoisinantes.»
A la fin du XVIIIe siècle apparaissent les prémices de la première ère industrielle. L’architecture des villes évolue, la métallurgie et la verrerie connaissent un grand bond en avant dans la technologie et la production. La ville voit ses traits changer, l’architecture devient structurellement plus efficace, c’est l’adolescence de la modernité.
L’alliage acier/verre permet d’alléger la masse constructive, et dote le bâti de plus d’ouvertures. Moins de murs et plus de verre permet évidement un meilleur ensoleillement des constructions nouvelles.
L’apparition des serres représente sûrement le paroxysme de cette symbiose matérielle, elles sont nombreuses à émerger dans les villes, et ces écosystèmes sous cloche permettent aux milieux urbains d’entrer dans un nouveau monde de végétation. Au même moment, la foi religieuse est mise à mal par les Lumières, les révolutions, et les allerretours de régime politique. En France se dessine alors une bascule de paradigme où la science gagne un crédit que la religion perd dans l’ensemble de la société. Les jardins botaniques cristallisent cette mouvance naissante, les mondanités urbaines se mêlent au désir de connaissance émanant de la haute société urbaine. La découverte relativement récente de l’Amérique par le monde occidental amène son lot de curiosités végétales, les tulipes, les jacinthes, auxquelles on peut par exemple ajouter les agrumes méditerranéens, et autres plantes médicinales venant des Indes qui sont autant de nouveautés dans la végétalité de la ville. Début XVIIIe, ces environnements contrôlés n’en sont qu’à leurs balbutiements et la prise de risque est parfois élevée quant il s’agit d’acclimater des plantes exotiques qui ont l’habitude de climats bien différents de ceux qu’on peut trouver en France. Ainsi M. de la Quintinie, directeur des jardins fruitiers et potagers de Louis XIV, conseille de chauffer les serres à la mauvaise saison, en y tenant des lampes, ou des flambeaux allumés pour prévenir du gel. La maîtrise est toute autre cent ans plus tard, dans une époque nouvelle qui voit également fleurir de nombreuses explorations naturalistes à travers le monde, révélant les richesses florales extraordinaires de la planète, qui fascinent sociétés occidentales. La fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, en effet, va s’emparer de ces techniques, de ces constructions et de cette manne florale, pour la démocratiser : il est le temps de tous les dépassements, celui où la foi dans la science permet tous les excès, toutes les espérances. Le monde végétal doit suivre ce mouvement et ne plus être soumis à aucune limite d’espace, ni de temps. Balzac ne rêvait-il pas de faire pousser, sur la petite propriété des Jardies qu’il avait achetée à Sèvres en 1837, rien moins que 100 000 ananas qui devaient lui rapporter une fortune ?
Dans le Sud, où le temps est plus clément, il n’est pas besoin de contrecarrer la nature. Ainsi arrivent les premiers palmiers et autres arbres exotiques, qui malgré des origines étrangères, se plaisent sous un climat méditerranéen, de quoi poser les premiers jalons des promenades de bord de mer que nous connaissons aujourd’hui. Les eucalyptus seront plantés pour la première fois à Toulon en 1802, les mimosas introduits dans le Sud durant les Second Empire. Cette prolifération de nature exotique ira parfois jusqu’à l’excès. Sur la Côte d’Azur, les palmiers, caractéristiques du paysage, prendront une importance industrielle à partir de 1860, allant jusqu’à provoquer l’agacement, et mettre en le péril tout un écosystème. Récemment, la proportion de palmiers, 17 000 à Nice par exemple, inquiète quant à la prolifération probable du charançon rouge. Certes le palmier est un marqueur identitaire de cette région, synonyme de vacances et de douceur de vivre, mais cela n’a pas empêché Antibes den détruire plusieurs dizaines. Un acte qui laisse planer une ombre sur la pérennité du palmier, le Figaro titrant en 2015 : « Imaginez la promenade des Anglais sans ses légendaires palmiers ! Et, au delà, l’ensemble de l’arc méditerranéen, de Nice à Perpignan, privé de ces arbres majestueux… »
Le XVIIIe siècle est une période charnière dans les modes de conception de la ville puisqu’elle voit émerger le discours hygiéniste qui construit ses arguments et commence à influer sur les prises de décisions publique. L’explosion des jardins et promenades publiques s’explique donc autant par les plaisirs qu’ils procurent à la population urbaine que par les bienfaits régénérateurs qui leurs sont prêtés. L’oeil hygiéniste perçoit la ville de tissu moyenâgeux comme le cancer de la vie urbaine, et on voit apparaître avec l’ordonnance urbaine des tracés régulateurs de la ville nouvelle, l’essor d’une nature aux vertus énoncées plus tôt. C’est à grand renfort de mémoires théoriques et d’enquêtes pré-statistiques que le discours dominant dénonce en effet la surmortalité urbaine, comparée à la vitalité des campagnes. A une époque où les connaissances médicales sont encore obscures, il y a cette idée repandue selon laquelle l’air vicié rejeté par d’innombrables organismes, humains, animaux, ainsi que la pollution occasionnée par les activités économiques implantées au coeur de la ville (tanneries, boucheries, équarrissages), seraient responsables de la ville mouroir et
de ce déséquilibre de salubrité entre urbain et rural. De l’hygiénisme ambiant découlera par la suite des utopies de vie en communauté, sur fond de réflexion sociale, mais aussi de qualité sanitaire en lien avec sa végétalité.

UTOPIES COMMUNAUTAIRES ET LIEN VÉGÉTAL

Au XIXe siècle arrivent les avancées de la première ère moderne, qui ne sont pas uniquement d’ordre technique. L’industrialisation entraîne un bouleversement dans la composition des hiérarchies, des strates sociales, et des modes de pensée. Une partie du monde paysan devient ouvrier et rejoint les grandes villes pour y travailler. C’est aussi l’apparition de nouveaux courants de pensées, dits « de gauche », dérivés de la libération intellectuelle du siècle des Lumières. L’arrivée d’une nouvelle caste en transition, les travailleurs, rassemblée sous le toit de la fabrique, combinée à une période intellectuelle faste, aboutit à de nouveaux paradigmes, marginaux, mais pionniers. Certains industriels, disposant d’une manne d’employés importante, se mettent à penser la vie en communauté, sous couvert d’un élan de philanthropie, et d’une volonté de penser le monde du travail comme un mode de vie à part entière.
Le Phalanstère, pensé par Charles Fourier et directement inspiré des réalisations de Robert Owen, entrepreneur Anglais et théoricien « socialiste utopique », est une figure pionnière de la vie en communauté hiérarchisée. Le projet de vie partagée sous un même toit, tend à remplir les besoins vitaux et sociaux de nombreux individus, de 1800 à 2000 selon ses planifications. Projet de papier, le Phalanstère entend le travail comme la nécessité d’une époque qui le voit évoluer de manière vertigineuse. Cela impose d’être contrebalancé par des activités de vertu, afin de prévenir une société aliénée par le travail, et donc une société malade. Pour faire simple, le projet du Phalanstère tend à optimiser le travail en regroupant tous ses acteurs sous un même toit, tout en y organisant des lieux de vie et d’activités pour tout le monde, afin de dépénibiliser le travail et le rendre meilleur. De fait, chaque personne au sein du Phalanstère oeuvre selon ses affinités, tout en accordant une place particulière à l’agriculture, ainsi qu’aux arts et aux sciences.

SERVICES CULTURELS, L’EXEMPLE DU BERGER URBAIN

Sans être une solution de panacée, la présence de nature et le rapprochement formel de la ruralité peut jouer ce rôle d’apaisement, d’une manière subtile, la non-action non-humaine, ou plus simplement la présence animale peut être à même de rendre un de ces nombreux services, en se posant comme source disruptive d’étonnement, d’amusement, d’étrangeté ou de fascination, dans un contexte tendu.
C’est aussi à Bagnolet qu’existe un berger urbain, basé au sein de la cité des Malassis : c’est là qu’il fait ses pâturages, avec 25 bêtes, moutons et chèvres confondus. Les animaux se nourrissent dans les allées et les friches attenantes aux barres HLM, proposant ainsi un beau contraste d’utilité publique. Dans la lignée de ce qu’on appelle « l’écopâturage », les bêtes du berger urbain des Malassis, voraces, taillent bénévolement les arbustes et gazons de la ville. A la différence des action classique d’éco-pâturage, ces animaux évoluent et broutent dans leur propre environnement. Cet éco pâturage là est localisé, et ne nécessite donc pas de ramener des ruminants des campagnes plus éloignés, comme cela se fait habituellement dans d’autres cadres urbains. Pratiques donc, ces bêtes en ville. Ce qui est plus étonnant en revanche, c’est de constater à quel point le monde animal peut arrêter le temps et les habitants. Autour de la Bergerie de Bagnolet, ou bien du troupeau de chèvres et de son berger en pâturage, une bulle neutralise le contexte présent. Il se créé des lieux et moments autres, autour des cette anomalie urbaine. Les gens s’arrêtent, discutent, les langues se délient, certains se confient, on apprend des choses que l’on n’aurait jamais sues, qu’il y a des gens dans ces cités, qui en France ou ailleurs, Serbie, Maghreb, Espagne, Mali, entre autres, ont étés bergers, eux aussi, à un moment de leur vie. Les figures de l’urbanisme social n’ont pas des histoires figées. Des vécus, parfois ruraux, caractérisent des individus. Les personnes âgées, que l’on considère parfois, uniquement par l’environnement dans lequel ils évoluent à l’instant « t » ont pris leurs habitudes dans la petite ferme locale, chacun y trouve sa place, prend sa part :

Interlude Critique de Film

Interstellar de Christopher Nolan imagine un monde désertique, aride, où faire pousser des céréales en pleine terre est un impératif de survie, un défi technique, et une cause d’intérêt général pour le monde. Une scène du film en particulier illustre au mieux cette problématique :
Une réunion parent-professeur au sujet de l’avenir professionnel d’un adolescent, dans le bureau du conseiller, aboutit sur l’inéluctabilité pour le lycéen de devenir agriculteur, comme son père, malgré des résultats scolaires qui lui permettraient de faire des études supérieures.
Cooper, le père et personnage principal, aujourd’hui agriculteur, mais hier ingénieur, pilote, et héros de la NASA d’une époque où le monde courait après le progrès scientifique, ne veut pas de ce futur pour son fils.
Le conseiller pédagogique ne veut rien entendre puisque les instructions gouvernementales sont claires et irrévocables : le monde ne peut plus se permettre les futilités de la recherche technologique et de la course au progrès, responsables du déclin climatique actuel, les « élites intellectuelles » doivent disparaître au profit de ceux qui prodiguent à la survie de l’humanité, les agriculteurs. Le propos du film de Nolan est multiple, mais un des axes, plus implicite que les autres, est d’opposer deux visions d’un futur incertain du globe. D’un côté fuir d’urgence une Terre qui ne veut plus de l’humanité, coloniser des exoplanètes, et donc continuer à y vivre, plus ou moins comme on peut le faire actuellement dans nos sociétés occidentales, ou bien opter pour la résilience à outrance.
Abandonner toute aspiration, ambition personnelle, besoin superficiel, au profit du bien commun, d’une vie de labeur, et de plaisir « quasimonacal », afin de pouvoir rester sur notre chère planète. De manière sous-jacente, c’est plus ou moins la vision des « republicans » américains, fervents croyants de la « géo-ingénierie » qui ressort, c’est-à-dire la certitude que ce sont les technologies et sciences pointues, et elles seules, qui nous sortiront du mauvais pas climatique. C’est finalement ce dernier penchant idéologique qui prime puisque par le biais d’une prise de libertés sur la maléabilité des propriétés de la gravité, Nolan désigne Cooper comme héros divin, terraformeur d’exoplanètes, dans une logique amplifiée de l’écogénèse ou biosphérisation.
L’homme maîtrise tellement la science qu’il est capable de créer une planète de toute pièce, et d’en contrôler l’atmosphère, la température, ou l’environnement. Un message d’espoir délivré par le réalisateur britannique, à l’apparente innocence, mais qui porte finalement une pensée politisée assumée, mais peu claire tant le décryptage expliqué précédemment n’est pas évident au premier visionnage.
Il est évidemment important de poursuivre la recherche scientifique, peu d’experts de la question climatique diront le contraire, et il n’est pas déraisonné de penser que les avancées futures, notamment en terme d’autonomie énergétique, puissent être prometteuses. Là où le propos du film pose question, c’est en partie dans les libertés prises au niveau scientifique, amenant aux facilités scénaristiques cités précédemment.
Mais ce n’est pas cela qui interroge le plus. L’ambiguité d’Interstellar se situe plutôt dans cette vision quelque peu dangereuse, mais pas isolée puisqu’on la retrouve dans de nombreux films analogues – on pense ici à Seul sur Mars de Ridley Scott, ou bien Gravity d’Alfonso Cuaron, entre autres – qui voudrait faire d’un personnage le sauveur du monde en perdition. L’homme providentiel, Cooper, incarné par Matthew McConaughey, prend la responsabilité de l’humanité entière sur son dos, comme si la tâche environnementale, à l’échelle du globe, ne tenait qu’à l’action d’un seul homme. Cette réponse individualiste à la cause écologiste est très répandue dans le style hollywoodien dit des « block busters ». Cette vision est dommageable car l’identité environnementale que nous voulons donner, et la teinte qu’elle prend dans les consciences de générations est cruciale, il s’agit d’une impasse d’ampleur globale qui concerne la population à l’échelle mondiale. Le positionnement en tant que victime du pilote Cooper et l’impression de fatalité qui en ressort à travers ses répliques en dit long sur le postulat du film : « La nature ne veut plus de l’Homme sur la Terre ». Comme si l’on se déresponsabilisait des conséquences de l’anthropocène, jusqu’à inverser la réalité même des choses. C’est plutôt l’Homme qui ne veut plus de la Terre, en tout cas de la Terre dans l’état où il l’a amené.
La fiction reste indéniablement un médium essentiel de réflexion, de projection, et de sensibilisation environnementale, la question agricole faisant souvent partie intégrante du débat, comme cela peut être le cas d’Interstellar.

Utopies et Dystopies d’une Ville dans l’Urgence

Dans la spéculation des futurs habités, il est de plus en plus question des villes nourricières, avec comme base d’autonomie alimentaire l’agriculture urbaine. La proposition urbaine et architecturale en incombe à ses acteurs, « architectes de papiers » entre autres, en voici quelques exemples.

LES FRÈRES BELGES

Luc Schuiten est belge, né en 1944, il est de cette génération soixantehuitarde, celle de Mike Reynolds, héros du documentaire Garbage Warrior qu’il nous rappelle un peu dans ce style si particulier de « vieux sage/vieux fou » de l’écologie. Il pense l’architecture de manière organique, mais pas comme son confrère Frank Lloyd Wright le théorisait, dans le style, son approche est plus littérale, et peut être que le mot anglais « organic » – c’est-à-dire biologique – correspondrait mieux à la pensée du Belge tant les logiques développements urbains proposées s’inscrivent dans une idée de l’écologie. Organique à tel point que son style de dessin s’inspire littéralement de la forme végétale, de la feuille d’arbre, de ses nervures. Il pense une architecture plus ouverte, plus irrégulière, plus florissante, plus transparente, dans une logique de biomimétisme, dans son fonctionnement parfois, dans son esthétique toujours. L’avantage en terme de qualité esthétique pour Schuiten réside dans une technique de dessin aboutie, presque aussi impressionnante que celle de son frère, François Schuiten.
Egalement architecte, mais plus connu du public pour sa carrière de bédéiste avec des ouvrages comme Revoir Paris, la BD, et l’exposition éponyme au Palais Chaillot, il possède tout de même quelques réalisations architecturales remarquables dans son portfolio. La station de métro « Porte de Hal » à Bruxelles et surtout celle des « Arts et Métiers » à Paris, qui se distingue par son singulier revêtement de cuivre, ses hublots factices, et ses géants engrenages semblant pendre du plafond, qui sont autant d’allégories de la machine industrielle souterraine parisienne. Cette patte, dénominateur commun d’un langage d’esquisse, si particulier à la bande dessinée, ainsi que ce style mêlant dessin d’inspiration végétale, organiquement construit, et les références « Steampunk » font toute l’identité d’une fratrie qui collabore sur de nombreux projets. Le travail de François repose plus sur des imaginaires créés, souvent sous des horizons peu enviables. Le synopsis de Revoir Paris fait titre d’exemple : une héroïne qui va sur Terre pour la première fois, plus précisément à Paris en 2100, afin de découvrir cette cité perdue qu’elle a longtemps rêvée, mais a dû abandonner très tôt avec les derniers nés sur Terre, sous la pression d’un globe en déclin.
Quant à Luc, il est plus dans la projectuelle de potentielles villes, d’une végétalisation grandissante, systématisée, et ambiante. Bien que les deux s’influencent l’un et l’autre, les objectifs sont donc différents.

LA VILLE RÉSILIENTE

Le volet d’agriculture urbaine n’est pas négligé dans ces trajectoires de villes futures à la végétalisation omniprésente. Luc Schuiten théorise d’ailleurs ce sujet là :
«Toute nos grandes villes disposent d’une autonomie alimentaire de l’ordre d’une semaine. Quand le blocage est général, que plus aucun transport ne circule, que fait-on les semaines suivantes ? Jamais dans toute l’histoire de l’humanité nous n’avons été si dépendants d’un fragile équilibre planétaire. Trop confiants dans l’actuelle abondance de nourriture sous nos latitudes, nous avons négligé les plus élémentaires principes de précaution ! La ville résiliente s’est construite sur la base d’une ville européenne quelconque, sans destruction des bâtiments existants, ceux-ci ont été adaptés à nos besoins essentiels et primordiaux. Par l’optimisation de tous les espaces de toitures, de balcons, terrasses, espaces publics et privés, de nouveaux usages urbain ont vu le jour par le développement de poulaillers, potagers, vergers, serres et pigeonniers. L’efficacité de méthodes de production alimentaire s’est aussi étendu aux façades des immeubles les mieux orientés.»
Dans l’hypothèse de la Ville Résiliente, il s’agit plutôt d’une version modérée de l’approche agricole en zone urbaine, par interventions localisées sur l’existant, selon les besoins. Il n’est que très peu expliqué comment la production de cette multitude d’initiatives de potagers et autres vergers est gérée, ou si elle doit assurer tout ou partie de l’autonomie alimentaire de des villes. Mais on peut se laisser imaginer une gestion citoyenne des différents jardins, tant l’image suggère un petit déploiement de main d’oeuvre (quelques jardiniers apparaissant de manière éparse sur les toits), une visible diversité des produits agricoles, et une absence apparente de mécanisation. La vision séduit,avant tout par un dessin léché, mais aussi par un argumentaire qui, point par point, semble coller au postulat initial de l’agriculture urbaine … Exception faite de la question de la quantification d’une production agricole en fonction des besoins nourriciers, et du flou d’adaptation à cette catégorie de « ville européenne quelconque » qui laisse imaginer une solution peut être un peu générique.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
AVANT PROPOS
I. RÊVER VERT, UNE UTOPIE NÉCESSAIRE ?
A / VÉGÉTAL EN VILLE, UN ÉTAT DES LIEUX
B/ UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’URBAIN VÉGÉTALISÉ
C / UTOPIE ET DYSTOPIE D’UNE VILLE DANS L’URGENCE
II. QUELLE LÉGITIMITÉ POUR UNE RÉALITÉ PLEINE DE PROMESSES ?
A/ LOW-TECH & HIGH-TECH, DEUX ÉCOLES ET UN VASTE INTERVALLE
B/ OPPOSITION DE STYLE : ASSOCIATION ET ENTREPRISES
C/ DES AGRICULTURES SANS AGRICULTEURS ? QUI SONT LES NOUVEAUX ACTEURS QUI FONT L’AGRICULTURE URBAINE ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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