Quand le déguisement nuit aux individus: les dangers du déguisement

Une Nouvelle Vision de l’étrange

Ce qui touche de prime abord dans le Liaozhai zhiyi c’est la diversité des situations et le grand réalisme graphique qui y est attaché. Pu Songling a en effet pour habitude de donner beaucoup de détails pour rendre la narration le plus vivante possible. Cet aspect de son écriture va nous permettre de pouvoir analyser un nombre varié de situations et des formes de travestissement variées. Il est important de rappeler avant de commencer cette analyse, que les traditions littéraires chinoises et occidentales sont très différentes. Par exemple, en Chine, l’image de la femme-renarde est très présente dans la littérature de l’étrange. Ce genre de créatures est totalement absent dans la littérature occidentale. Comme il l’a été rappelé dans l’introduction, la vision de l’étrange est en effet très différente, et les distinctions mises en oeuvre dans la tradition occidentale n’ont pas lieu d’être en Chine. L’étrangeté d’une chose ne dépend ainsi pas de la chose en elle même, mais aussi de la perception qu’en a son interprète. Ainsi, comme le rappelle Judith Zeitlin, l’étrange est une construction culturelle créée et constamment renouvelée par la lecture et l’écriture. La distinction entre réalité et surnaturel pose souvent problème, car le regard porté sur ces évènements n’est pas le même qu’en Occident. Les esprits, fantômes, renardes.. sont très présents dans la littérature chinoise, et la mort n’est pas personnifiée dans la rhétorique ou la pensée chinoise. L’apparition de revenants ou d’esprits est très fréquente dans la littérature du XVIIème siècle. Un goût pour les héroïnes fantômes se développe donc. Ainsi, le motif du rêve mettant en scène une relation avec un spectre est très fréquent. Les fantômes sont aussi assimilés à des symptômes médicaux et plus généralement à la maladie: par exemple, des écrits médicaux parlent de revenants, et décrivent les symptômes engendrés par leur apparition. Le terme « maladie-fantôme » (gui bing ṭየ) fait même son apparition. Il désigne des désordres bizarres ou mystérieux, et est souvent assimilé aux symptômes amoureux. L’image de la revenante va peu à peu changer dans la littérature. De cause de maladie ou de démon, elle va revêtir une apparence fragile et timide. Elle va représenter un idéal féminin: une jeune femme fragile d’une grande beauté. C’est cette apparence qui révèle l’origine surnaturelle de la jeune femme. Les faiblesses physique de la revenante vont s’intensifier. La revenante va passer du statut d’effrayant à celui d’effrayée .
Les esprits ou divinités sont aussi très présents dans la tradition littéraire chinoise. De nombreux contes du Liaozhai zhiyi relatent l’apparition de ces créatures. Les femmes-renardes ne sont pas les seules créatures à prendre forme humaine pour se mêler aux mortels. Des esprits, divinités ou démons peuvent aussi avoir recours à cette ruse. Pu Songling met en scène ces rencontres de façon réaliste, afin de toucher la sensibilité du lecteur, et faciliter son immersion dans l’histoire. Le Liaozhai zhiyi regorge d’histoires relatant ce type de rencontres. La première partie du recueil est celle qui contient le plus d’histoires de fantômes.
De nombreuses histoires du Liaozhai zhiyi relatent les aventures d’une immortelle éprise d’un jeune mortel. Ces esprits, le plus souvent des esprits de fleurs ou d’animaux, n’ont d’autre choix que de prendre forme humaine pour approcher l’objet de leur désir. Les esprits peuvent prendre contact avec les humains pour des raisons extrêmement variées. Nous avons déjà vu qu’ils le faisaient par amour, amitié, pour guider, ou sauver leur vie ou celle de leurs semblables. Ils peuvent aussi le faire pour de mauvaises intentions. Il reste une dernière raison parmi tant d’autres qui les poussent à agir ainsi: dénoncer une injustice et remettre les humains à leur place.
La littérature fantastique occidentale à cette époque, c’est-à-dire au XVIIème siècle, ne semble pas
aussi développée qu’en Chine. Ce genre de littérature reste encore assez marginal . Le fantastique en France représente un sentiment de malaise, de questionnement vis-à-vis de la réalité, au contraire de la littérature chinoise qui place le surnaturel au même niveau que d’autres genres littéraires. De plus, le surnaturel est accepté en Chine comme un fait indubitable par le lecteur et l’auteur. Les récits mettant en scène le surnaturel sont d’ailleurs souvent datés et précis. Les créatures surnaturelles sont une réalité pour les personnages de ces récits. Ces créatures revêtent des formes très variées au sein de la littérature chinoise, il peut s’agir de dragons, de revenants, de renards, de démons, d’esprits, etc. Le monde surnaturel semble être accepté par le lecteur et son organisation est calquée sur le modèle de la civilisation chinoise . Les récits surnaturels chinois seraient donc plutôt rattachés aux genres du merveilleux tel que le décrit Todorov: « Dans le cas du merveilleux, les éléments surnaturels ne provoquent aucune réaction particulière, ni chez les personnages, ni chez le lecteur implicite . »
Le genre fantastique en France s’oppose à la logique. Il se concentre sur le fait de décrire l’étrange.
Les esprits et autres créatures surnaturelles semblent absents des récits de cette époque. Ils sont loin d’occuper la place qu’ils ont en Chine. Ils sont très rarement mentionnés, et ne semblent pas être un ressort essentiel à la fiction. Dès ses débuts, ce genre de littérature est d’emblée très éloigné de son cousin chinois. Les créatures sont distantes vis-à-vis des humains et semblent être rejetées systématiquement par ces derniers. Nous pouvons observer cela dans le Horla de Maupassant: le narrateur de ce récit à l’impression qu’un autre être vit avec lui. ce dernier lui inspire un sentiment d’angoisse, voire même de terreur. Il représente un double invisible qui hante le personnage. L’être surnaturel est ici invisible, et n’a pas de contact direct avec le personnage. Il ne fait qu’inspirer le doute et l’angoisse, et n’est jamais décrit ou nommé. D’ailleurs, le lecteur doute, s’agit-il d’une être surnaturel, ou le narrateur est-il tout simplement en train de sombrer dans la folie? La présence d’un élément surnaturel est toujours présentée comme anormale et suscitant la curiosité et la peur. Les personnages sont incapables de comprendre ce monde si différent du leur, ils ne sont pas habitués à l’apparition de tels phénomènes. Ainsi, la statue de la Vénus, dans la Vénus d’Illede Mérimée , en prenant vie et étranglant un personnage suscite un sentiment de frayeur chez le lecteur.
Malgré ces grandes différences qui existent entre ces deux traditions littéraires, elles partagent toutes les deux un intérêt certain pour le motif du travestissement, de l’artifice et de la mise en scène. Ce motif est très présent dans la littérature occidentale. Il est surtout utilisé dans l’écriture théâtrale, pour aider la mise en scène et rendre la performance plus vivante. Les costumes de théâtre sont en effet très travaillés et codifiés, tout comme le sont les costumes chinois. Un grand soin est apporté aux détails, signe que le déguisement jouait un rôle réellement important. Le déguisement est un motif universel que l’on peut retrouver dans toutes les cultures. Il est donc intéressant de regarder les variantes et les similitudes qu’il a pu adopter dans certaines cultures.

Déguisement et dissimulation

L’un des sens du mot « déguisement » est celui d’artifice pour cacher la vérité, de cacher des choses sous des apparences trompeuses. C’est aussi un synonyme du mot « dissimuler ». Il devient ainsi un moyen, un artifice mis à la disposition du personnage pour parvenir à ses fins. L’identité personnelle ne semble plus avoir lieu d’être, car elle peut être dissimulée, manipulée, changée à volonté. Le travestissement est l’un des meilleurs artifices pour provoquer une illusion. Lorsque l’on pense au travestissement, la première image qui nous vient à l’esprit est celle d’un individu enfilant un costume, ou se grimant pour ressembler à une autre personne. On en oublie que le travestissement ne s’arrête pas à cela. Il peut être complet, comme lorsque l’on revêt un costume, mais aussi partiel.
Une personne peut ainsi masquer ses gestes, prendre une fausse identité, ou encore masquer sa voix.
Une description de ce genre de travestissement partiel nous est donnée dans le conte « Imitations Vocales » Kouji ⼜技.
Une jeune fille arriva au village, elle devait avoir 24/25 ans. Elle portait un sac plein de médecines, et les vendait. Elle interrogeait les patients, mais ne pouvait pas donner de prescriptions elle-même. Elle demanderait aux divinités le soir venu. Dans la soirée, on lui nettoya une pièce, elle la ferma et s’y installa. La foule se rassembla devant les portes et la fenêtre, écoutant avec attention le silence; mais elle parlait en chuchotant. Personne n’osait tousser.
A l’intérieur, on n’entendit plus aucun mouvement dans le noir. La nuit tomba, on entendit soudain du bruit. La jeune fille à l’intérieur dit: « 9e Tante, êtes-vous là ? » Une autre femme lui répondit: « Je suis là. » Elle dit à nouveau: « Lamei est-elle venue avec vous? » Une jeune servante sembla répondre: « Je suis là. » Les trois femmes se lancèrent dans une conversation animée et ininterrompue. Soudain on entendit le rideau bouger, la fille dit: « 6e Tante est arrivée. » Une confusion de voix se fit entendre: « Chunmei a aussi emmené le petit maître? » Une femme dit: « Le vilain ! Il pleure et ne dort pas. Il voulait suivre sa mère. Il est très lourd ! »
La foule entendit les femmes s’enquérir avec politesse, 9e Tante prenait des nouvelles, 6e Tante parlait de la pluie et du beau temps, les deux servantes se plaignaient, l’enfant riait, et tout cela en même temps. On entendit en même temps la jeune fille dire: « Le petit est drôle, il a parcouru tout le chemin avec un chaton. »
Peu après, les sons devinrent plus distants. Le rideau se fit à nouveau entendre,et la pièce s’emplit de clameurs: « Se pourrait-il que 4e Tante soit arrivée en retard ?» Une petite fille répondit: « La route était longue et fatigante, et Tante marche très lentement. »
Ensuite chacun parla de la pluie et du bon temps. On demanda de rajouter un siège, la chaleur emplit la pièce. Après un court moment elles commencèrent à s’installer. On entendit la jeune fille poser des questions à propos des maladies. 9e Tante conseilla le ginseng, 6ê Tante pensait à l’astragale, 4e Tante pensait au chardon. Elles réfléchirent un long moment, on entendit alors 9e Tante demander un pinceau et une pierre à encre. Puis, on l’entendit plier du papier, jeter le pinceau, le bruit du frottement du bâtonnet d’encre; peu après elle jeta quelques coups de pinceau, il y eut un bruit de secousse. On l’entendit alors prendre des médecines et les emballer. Peu après, la jeune fille poussa le rideau, et appela les patients pour leur donner leurs remèdes. Elle s’en retourna dans la pièce, et on entendit les adieux des trois tantes, et des trois domestiques, les cris de l’enfant, les miaulements du chaton, s’élevèrent. La voix de 9e Tante était claire et surpassait les autres, celle de 6e Tante était rauque et lente, celle de 4e Tante était délicate et douce, et chacune des trois servantes avait une voix bien à elle. En les écoutant, on parvenait à les distinguer sans mal. La foule abasourdie pensait qu’il s’agissait de divinités. Ils essayèrent leurs remèdes, ils ne furent pas très efficaces.
Cela s’appelle technique de l’imitation vocale, c’est une méthode spéciale qu’utilisait la fille pour vendre ses produits. C’est aussi une performance extraordinaire!
Dans le passé, Wang Xinyi disait: « En passant par hasard dans un marché de rue, j’entendis plusieurs instruments et des chants. Je regardais ce qui ressemblait à un mur. Je m’en suis approché, j’ai vu alors un jeune garçon composer tous ces sons. Il n’y avait aucun instrument. Il se servait seulement de ses doigts pour tapoter sur ses joues, et les presser. Cela ne ressemblait à rien d’autre qu’à des instruments à corde. C’était aussi un prodige d’imitation vocale.
Cette histoire, et l’anecdote qui lui fait suite, montrent que l’on peut très bien mentir sur son identité personnelle, et en adopter plusieurs autres sans avoir à se déguiser. Le titre, d’ailleurs, transmet l’idée de travestissement et de tromperie. La jeune fille s’est contentée de masquer sa voix, de la changer pour se faire passer pour d’autres personnes. L’ambiance du récit renforce d’ailleurs cet effet de mystère: la jeune fille est tout d’abord étrangère, aucun villageois ne la connaît. Sa description est vague, l’auteur ne s’attarde pas sur son aspect physique, cet élément ne sera pas important pour la suite du récit. Son comportement peut même paraître suspect dès le début du conte. En effet, une aura de mystère enveloppe la moindre de ses actions: elle se cache la nuit dans une pièce vide. Elle a tout simplement résolu le problème du physique en se portant hors de vue des malades. Les villageois la traitent comme une personne à part, presque comme une divinité, et ne remettent jamais en question les méthodes employées par la jeune fille. Le déguisement est, dans ce conte, concentré sur la voix de la jeune fille. Il est d’ailleurs remarquable, puisqu’elle est capable d’imiter plusieurs voix et bruits simultanément. Cette dissimulation repose aussi en grande partie sur l’imagination des villageois. Ceux-ci ne voyant rien, ils imaginent donc que ce qui se passe dans la pièce est réel. L’illusion, grâce à cela, devient réalité. L’imagination fait presque tout, il suffit seulement à la jeune fille de suggérer pour que sa ruse fonctionne. Elle ne laissera d’ailleurs personne regarder la pièce où elle se trouve, et se présentera comme la seule intermédiaire. Elle parvient à incarner à elle seule sept personnes et un animal. Grâce à ce don, elle peut mettre en place sa propre réalité vis-à-vis de la population. Cette performance tient ainsi de l’extraordinaire.
Le travestissement de la voix représente ici un moyen: il permet à la jeune fille de se créer une clientèle et de vendre ses médecines.

Les déguisements dans le Liaozhai Zhiyi

Une quête d’identification

De nombreuses histoires du Liaozhai zhiyi jouent avec les identités de différents protagonistes.
L’étrange permet en effet de jouer avec les frontières, et de remettre tout ce que croit savoir le lecteur en question. Pu Songling construit une représentation fantastique du corps dans ses contes, par le biais d’identités personnelles alternatives. Le déguisement est l’un des meilleurs moyens pour mettre cela en oeuvre, car il permet de remettre en question le discours de l’époque, notamment en ce qui concerne la famille, la place de la femme au sein de la société (surtout du culte de la chasteté), ou encore du ritualisme confucéen qui transforme le corps en un marqueur de l’identité culturelle. Le corps prend de multiples formes dans le Liaozhai zhiyi, il se transforme, est fragmenté, décentré comme siège de soi.
Le travestissement permet d’acquérir l’identité que l’on souhaite, sans fournir presqu’aucun effort.
Cette possibilité de devenir qui l’on souhaite peut entraîner des remises en question par rapport à son identité propre. Le travestissement semble ainsi être le meilleur moyen d’acquérir une nouvelle identité, et de changer de caractère à volonté. L’identité personnelle ne semble plus avoir lieu d’être, car elle peut être dissimulée, manipulée, changée à volonté. Un individu peut donc ainsi réunir en un seul personne une, deux, voire trois identités distinctes. Ces changements d’identité sont d’une grande utilité pour installer un atmosphère de l’étrange, et instiller le doute chez le lecteur. En effet, le fait qu’une personne puisse être multiple est déjà étrange en soi. Ce doute concernant les identités et les situations étranges qui peuvent en résulter sont présents dans le conte « Axiu 阿绣» .
Cette histoire montre que le déguisement est un moyen très efficace pour devenir qui l’on veut. Liu est ainsi incapable de faire la différence entre les deux femmes, il s’est fait piégé par le déguisement de la renarde. Cette dernière garde d’ailleurs pendant toute l’histoire l’apparence d’Axiu. Le lecteur garde donc un doute, il ne s’est pas à l’avance si la jeune femme est Axiu ou si il s’agit de la renarde. Liu est souvent pris au dépourvu et confus par ces changements d’identité. Il ne sait pas forcément comment réagir aux situations auxquelles il est confronté. Le lecteur est confronté à un nouveau doute quand Axiu révèle qu’elle était la petite soeur décédée de la renarde. Il se demande en effet si leur parfaite ressemblance est due au fait qu’elles sont soeurs, ou si la renarde a choisi de prendre l’apparence de sa soeur. Pu Songling ne lève pas cette ambiguïté dans l’histoire.
Un personnage peut, grâce au déguisement, développer une nouvelle identité. Il peut aussi faire cela pour illustrer différentes facettes de sa personnalité. Par exemple, dans le conte « Shang Sanguan » 商三官, la jeune femme se travestit en homme pour venger le meurtre de son père. Toutes les qualités masculines qu’elle réunit en elle, héroïsme, courage, sens de l’honneur, etc… peuvent alors être exposées au grand jour. Il faut qu’elle passe par le travestissement pour pouvoir adopter une nouvelle personnalité en phase avec ces vertus masculines. Si elle était restée une femme, celles ci n’auraient pu s’exprimer, et le meurtre de son père n’aurait pas été vengé.
Le déguisement permet ainsi de faire ressortir ce que l’on est au plus profond de nous, d’incarner une personnalité ou des valeurs que l’on n’adopte pas d’ordinaire. Il permet aussi de « sortir de soi », d’aller au-delà de son propre soi pour incarner un individu différent. Le déguisement peut ainsi représenter une rupture avec le « soi ». Le conte, le « Fils du Marchand » Gu Er 贾⼉, représente parfaitement cela.
Le déguisement sert au jeune garçon à faire preuve de piété filial. Il le fait pour délivrer sa mère de l’emprise du renard qui la hante. Toutes ses actions sont mues par son amour pour cette dernière.
Malheureusement, son héroïsme et son courage ne la sauveront pas. Cela pourrait être vu comme un acte métaphorique de matricide, car c’est à la suite de la mort des renards que la mère décède . Il restaure l’ordre paternel en éliminant sa mère et son amant qui perturbaient la paix du foyer.
L’enfant pendant toute l’histoire fait preuve d’une grande maturité et d’un grand courage. Il part à la recherche de sa mère dans la maison, et s’occupe de la ramener saine et sauve. Par le déguisement, l’enfant devient un homme faisant l’admiration et le respect de son père à la fin de l’histoire. Il fait preuve de toutes les vertus masculines (courage, ruse, héroïsme…), et semble bien plus homme que son propre père. Grâce à ses exploits, il peut surpasser la figure paternelle. La queue de renardqu’utilise le jeune garçon pour se déguiser dans cette optique peut être vue comme un symbole phallique. L’enfant devient homme quand il adopte ce déguisement. L’acte de se travestir devient ainsi un rite d’initiation pour devenir un homme. Le personnage connaît grâce à cela une ascension:
de fils de marchand, il devient un général reconnu. Ce travestissement semble moquer tous les symboles de la masculinité, inversant les rôles, transformant l’enfant en homme. Il remet tout en question, questionnant les liens entre le corps et soi, et semble avoir un impact sur de nombreuses catégories: les autres et soi, l’orthodoxe et l’hétérodoxe, humain et créature surnaturelle…
Le jeune garçon prouve qu’il peut devenir un homme grâce à son esprit supérieur. Cet esprit est d’ailleurs sa seule arme dans le récit. Ce personnage peut se réinventer lui-même selon ses propres choix. Le déguisement peut représenter un moyen de vivre ou survivre. Une personne peut en effet choisir de travestir afin de vivre une nouvelle vie. Il peut également lui servir à affirmer une nouvelle identité propre. Le travestissement permet en effet de devenir une personne totalement étrangère de celle que l’on peut être d’ordinaire. Grâce à cela, une personne peut enfin devenir ce qu’elle voudrait être. Le déguisement permet un véritable jeu des identités, on peut être soi tout en incarnant une autre personne. Cette capacité de changer d’identité, de fonction, de caractère, etc… peut être un véritable ressort narratif. Cela peut ainsi avoir un impact sur le reste du récit, et entraîner toute une suite de conséquences.
Les créatures surnaturelles n’ont pas forcément recours au déguisement pour accomplir de sombres desseins. Elles peuvent aussi utiliser ce moyen pour mettre en garde les humains, voire les aider. Ils peuvent les sauver de catastrophes imminentes, et leur servie de guide. Le conte « La Prophétie du Renard Crotté » ling guan 灵官 en est un parfait exemple. Un prêtre taoïste du temple de Chaotian devient ami avec un vieil homme résidant au temple. Le prêtre finit par remarquer que ce dernier disparaît tous les ans pendant les fêtes d’offrande au Ciel. Il se pose beaucoup de questions, et le vieil homme finit par lui révéler qu’il est un renard. L’année suivante, il disparaît à nouveau, mais met plus de temps à revenir. Il revient épuisé, il s’était caché dans des canalisations toutes proches.
Un officier de surveillance divin l’avait en effet retrouvé, et cherchait à le battre. Il s’était rendu au Fleuve Jaune, et jeté dans les latrines car les dieux ont la fange en horreur. Le renard fut ensuite obligé de se jeter dans l’eau pour se nettoyer, attendre une dizaine de jours tapi dans sa tanière pour éliminer les odeurs. Il revient pour faire ses adieux au prêtre, et lui conseiller de partir, car des catastrophes ne vont pas tarder à arriver. Le prêtre décide de suivre ses conseils, et échappe ainsi au fléau causé par la chute de la dynastie Ming.

Transformations physiques et morales, création d’un nouvel être

Le déguisement peut représenter un moyen de vivre ou survivre. Une personne peut en effet choisir de se travestir afin de vivre une nouvelle vie. Il peut également lui servir à affirmer une nouvelle identité propre. Le travestissement permet en effet de devenir une personne totalement étrangère de celle que l’on peut être d’ordinaire. Grâce à cela, une personne peut enfin devenir ce qu’elle voudrait être. Le déguisement permet un véritable jeu des identités, on peut être soi tout en incarnant une autre personne. Cette capacité de changer d’identité, de fonction, de caractère, etc… peut être un véritable ressort narratif. Cela peut ainsi avoir un impact sur le reste du récit, et entraîner toute une suite de conséquences. Ainsi, dans le conte « Le Renard qui obéit au fonctionnaire » Zunhua Shu Hu 遵化署狐, le jeu des identités est très important.
Ce conte illustre l’importance du jeu de changement d’identité. En effet, grâce au déguisement, le renard peut dénoncer le meurtrier de son clan, et réclamer justice. Le renard change d’ailleurs plusieurs fois d’identité au fil du récit. Il adopte en premier la forme d’une vieille femme pour demander qu’on laisse la vie sauve à son clan, le temps qu’ils puissent déménager. Lui qui joue d’ordinaire de mauvais tours aux gens et s’était accaparé un pavillon, adopte une attitude radicalement différente lorsqu’il change de forme. Sous sa forme de vieille femme il adopte en effet une attitude humble et soumise, demandant une permission de trois jours pour pouvoir s’en aller. Le déguisement marque un réel changement dans son attitude, et donc de son identité. D’une figure presque divine et menaçante, il choisit consciemment une forme humaine innocente et pleine de faiblesses. Ce personnage s’adapte à la situation, et c’est grâce à son don de métamorphose qu’il peut et ose approcher des humains. Une fois son clan exterminé, il est le seul survivant, et revient sous le forme d’un vieil homme. Cette fois-ci, il réclame justice, et dénonce les actions de Monsieur Qiu. Le vieil homme peut être assimilé à une sorte de spectre vengeur malgré son apparence fragile.
Le déguisement permet à Ma Ji d’être accepté parmi les râshkas. Sans cela, la population a peur de lui, et le rejette. Ce n’est qu’un fois grimé qu’il parvient à trouver sa place au sein de leur communauté, et accède même à la fonction de grand dignitaire. D’ailleurs, l’apparence physique du jeune homme est, dès le début du conte, ambiguë. Il est décrit comme délicat, ayant une apparence androgyne. Il est même surnommé « l’Elégante », ce qui montre d’emblée que ce personnage bouscule les conventions et les frontières de genre.Le déguisement est un motif important dans ce conte, il permet à Ma Ji de rester auprès des râshkas. Ce acte est symbolique: en décidant de laisser de côté sa nature humaine, Ma Ji semble adopter une nouvelle nature. En se grimant, il devient un membre de la communauté râshka à part entière. Grâce à son travestissement, il peut exister, et trouver sa place au sein de leur société. Tout son bonheur futur dépendra d’ailleurs indirectement de son choix de se déguiser.
Le travestissement peut aussi amener à un changement de situation. La place de l’individu au sein de la société, son statut, peuvent ainsi changer par le déguisement. En se faisant passer pour une autre personne, un individu peut réussir à améliorer ses conditions de vie, et mener une vie plus heureuse. C’est ce qui arrive aux protagonistes du conte « Chen Yunqi » 司札吏. L’histoire commence avec le héros Zhen Yu captivé par la vue de Yunqi, une nonne. Malheureusement, une série de mésaventures sépare les deux amants. De plus, la mère du jeune homme, qui a rencontré la jeune fille lors d’un pèlerinage, lui interdit de se marier avec elle. Elle la rencontre une deuxième fois dans d’autres circonstances et la reconnaît pas. Elle pense même qu’elle ferait une consolation idéale pour son fils. Yunqin accepte. Le jeune homme ne la reconnaît tout d’abord pas, mais accepte quand même le mariage. Ce n’est que plus tard que les deux époux découvrent qui ils sont en réalité.
Un jour, le couple croise Sheng Yunmian, l’amie la plus proche de Yunqi lorsqu’elles étaient encore nonnes. Yunmian est désormais seule, n’a aucun moyen de subsister. Yunqi l’encourage alors à quitter l’habit et décide de se faire passer pour sa grande soeur. Son amie rentre avec eux. Yunmian devient indispensable au foyer. Yunqi est en effet incapable de s’en occuper. La belle-mère est d’ailleurs très déçue par cette dernière, mais Yunmian, de son côté, parvient à se faire aimer d’elle. Elle trouve même un accomplissement personnel en servant la vieille femme, et finit par accepter de devenir la deuxième femme de Zhen Yu. Durant la nuit de noces, la jeune mariée avoue qu’elle
cherche seulement la sécurité et ne veut pas de relation charnelle avec lui. Trois jours plus tard, elle emmène ses affaires dans la chambre de la belle-mère et refuse de changer de chambre. Mais Yunqi insiste pour partager son mari avec elle, elle la force à passer la nuit avec lui. Petit à petit une routine harmonieuse parvient à se mettre en place. Les deux femmes échangent leurs chambres tous les deux jours, et peuvent ainsi se compléter.

Le travestissement: l’autre déguisement du Liaozhai zhiyi

Le déguisement est le moyen idéal de dissimuler son identité. De nombreux protagonistes du Liaozhai zhyi y ont recours afin de cacher leur genre. Ce motif du travestissement, qu’il s’agisse d’hommes se déguisant en femmes, ou de femmes en hommes, est largement répandu dans la tradition littéraire chinoise, comme en atteste par exemple la légende de Hua Mulan 花⽊兰. Le travestissement de femmes en hommes nu ban nan zhuang ⼥扮男妝 était toléré et accepté uniquement dans le cadre de circonstances historiques ou personnelles exceptionnelles. Les raisons de ce travestissement sont variées et similaires à celles que l’on peut retrouver en Occident: les femmes souhaitent accéder au monde privilégié des hommes, s’émanciper, obtenir un statut social plus élevé… Cette transgression volontaire souligne la supériorité de la position masculine. Ce travestissement n’est pas perçu comme dangereux, car il est toujours temporaire. La véritable identité de l’héroine finit toujours par être révélée dans le récit. D’ailleurs, une tradition littéraire fait son apparition dans le milieu de la dynastie des Qing (1650-1750): le standard « lettrébeauté » (caizi-jiaren ಍ৼ֯Ո), mettant souvent en scène une femme se travestissant dans le but de recevoir une bonne éducation et de passer les examens mandarinaux . Cependant, Judith Zeitlin nous rappelle qu’il a aussi existé deux branches historiques hostiles au travestissement de femmes en hommes. Cette vision du travestissement était perçue comme une anomalie dangereuse depuis les Six Dynasties dans le discours sur l’étrange .
Il existe dans le Liaozhai zhiyiseulement deux contes parlant de femmes se travestissant en homme: « Mademoiselle Yan » Yanshi 氅࿄, qui relate l’histoire d’une femmes qui se travestit en homme pour passer les examens mandarinaux à la place de son mari, et « Shang Sanguan” 商三官, qui se travestit en homme pour tuer le meurtrier de son père et rétablir l’honneur de sa famille. Les femmes présentées dans ces deux contes sont intelligentes, fortes, indépendantes,et prennent en charge leur destin. La piété filiale et la chasteté restent tout de même des valeurs cardinales dans le Liaozhai Zhiyi. Nous pouvons ainsi remarquer que les femmes qui ont décidé de se travestir en homme ont un comportement exemplaire, et ont recours à cette ruse dans des buts honorables. Elles semblent d’ailleurs posséder toutes les vertus masculines (courage, honneur…) par le choix de se travestir.

Quand le déguisement nuit aux individus: les dangers du déguisement

Mutilations

La quête d’un déguisement parfait peut se révéler être longue et particulièrement ardue. Celui qui a recours à cet artifice doit en effet prendre en compte de nombreux paramètres. Il doit s’assurer que son déguisement ne permettra pas à autrui de percer sa véritable identité, et s’adapter à son environnement. Pour cette recherche, l’individu peut donc être amené à certains « sacrifices ». Il sera sûrement obligé d’abandonner certains traits qui constituaient sa personnalité, ou certains aspects physiques. Nous avons déjà pu voir par exemple que lors de travestissements, qu’ils s’agisse d’un travestissement d’une femme en homme ou de l’inverse, que les personnages étaient obligés de dissimuler certains éléments physiques qui pourraient trahir leur véritable identité. Ainsi, Mademoiselle Yan, en prenant des habits d’homme, se sacrifie, et doit rester cloîtrée chez elle, loin de toute vie sociale. Cependant ce genre de sacrifice peut sembler relativement léger, face à d’autres sacrifices que font d’autres personnages pour obtenir un déguisement parfait. Ces derniers sont obligés de s’adapter à leur propre déguisement. Ici c’est le corps de l’individu qui s’adapte au travestissement, et non l’inverse. Ce processus requiert évidemment un réel sacrifice de soi, pouvant mener à une forme de mutilation.
Le conte Renyao« Travesti » en est un parfait exemple. Le personnage principal, un criminel obligé de se déguiser en femme pour échapper à la justice, connaît un revers de fortune. En effet, sa position sociale chute, et il se voit obligé de se rabaisser et de devenir une courtisane. Ce rabaissement semble être une juste récompense pour toutes ses mauvaises actions passées. D’ailleurs, sa supercherie sera découverte par les membres de la famille qui l’emploie, et adoptera définitivement le sexe qu’il a emprunté, puisqu’il sera castré par le chef de famille. Son déguisement amène donc à la mutilation, et devient parfait, puisque l’homme est assimilé désormais à une femme. La castration semble être l’apogée de son travestissement, car elle lui permet d’incarner de la manière la plus parfaite qui soit le personnage qu’il s’était créé.
Par cet acte, paradoxalement, il arrive à trouver une place stable dans la famille et la société, et sera même enterré dans le tombeau familial. L’identité qu’il revêt est ainsi floue, puisqu’il n’est ni homme ni femme. Il devient un être asexué, et donc inoffensif. Dans ce conte, le travestissement est devenu réalité.L’acte de castration est ainsi le point central de l’histoire, et peut servir de « morale ». Il est aussi intéressant de noter que la castration n’est pas du tout taboue chez Pu Songling. Elle est au contraire décrite avec beaucoup de détails, l’auteur insiste notamment sur la perte impressionnante de sang, et de la perte de connaissance du personnage. Cette scène peut d’ailleurs faire penser à une sorte de renaissance. L’homme renaît en effet en tant que femme, et cette perte de sang au niveau des organes génitaux peut faire penser aux menstruations féminines: «Il l’attacha et le castra. La sang de Wang Erxi coula à flots, il s’évanouit, il reprit connaissance grâce à un bon repas. » Par cet acte de castration, le personnage ne fait plus qu’un avec son travestissement, et semble être devenu une femme à part entière.

Perte de l’identité

Le déguisement peut représenter un moyen de vivre ou survivre. Une personne peut en effet choisir de travestir afin de vivre une nouvelle vie. Il peut également lui servir à affirmer une nouvelle identité propre. Le travestissement permet en effet de devenir une personne totalement étrangère de celle que l’on peut être d’ordinaire. Grâce à cela, une personne peut enfin devenir ce qu’elle voudrait être. Le déguisement permet un véritable jeu des identités, on peut être soi tout en incarnant une autre personne. Cette capacité de changer d’identité, de fonction, de caractère, etc… peut être un véritable ressort narratif. Cela peut ainsi avoir un impact sur le reste du récit, et entraîner toute une suite de conséquences. Ainsi, dans le conte « Le Renard qui obéit au fonctionnaire » Zunhua Shu Hu 遵化署狐, le jeu des identités est très important.

 

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Table des matières
Introduction
I. Les rôles joués par le déguisement dans le Liaozhai zhiyi
I. A. Le motif de la femme-renarde
I. B. Une nouvelle vision de l’étrange
I. C. Déguisement et dissimulation
II. Les déguisements dans le Liaozhai Zhiyi
II. A. Une quête d’identification
II. B. Transformations physiques et morales, création d’un nouvel être
II. C. Le travestissement: l’autre déguisement du Liaozhai zhiyi
III. Quand le déguisement nuit aux individus: les dangers du déguisement
III. A. Mutilations
III. B. Perte de l’identité
III. C. Répercussions négatives du déguisement sur l’individu et son entourage
Conclusion
Traductions
Bibliographie

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