Qu’a-t-on écrit dans le domaine de l’histoire préislamique depuis la fin du protectorat ?

L’indépendance et la transition

Les historiens coloniaux constituent de nos jours encore des références incontournables pour tous leurs successeurs . Lorsqu’il accède à l’indépendance, le Maroc hérite du paysage institutionnel colonial. De même, la plupart du personnel reste en poste au moins quelques années après l’indépendance, qu’il s’agisse de chercheurs ou d’enseignants. Considérant ces réalités, il apparaît naturel que le contenu de la production historiographique ait connu une lente évolution, perceptible sur au moins deux décennies, plutôt qu’un radical bouleversement concomitant à l’indépendance.

Etat des lieux de l’historiographie coloniale : thèses et structure générale du récit historique

L’ébauche d’une trame concernant la Préhistoire marocaine 

L’historiographie coloniale considérait le territoire marocain comme un territoire ayant appartenu dans les temps anciens à l’œcoumène méditerranéen, bien qu’il en ait toujours été une province périphérique. Le schéma de la transition néolithique proposé y est encore très imprécis. Si l’Epipaléolithique est connu à travers une industrie lithique caractérisée depuis 1909, appelée ibéromaurusien, dont le Maroc a livré depuis les années 1930 de nombreux gisements  , le néolithique lui-même peine à être modélisé, écartelé entre des sites mégalithiques d’influence atlantique dans l’extrême nord, des gravures rupestres dans l’Atlas et les franges présahariennes dont l’inventaire n’est, dans les années 1950, que balbutiant. La céramologie préhistorique étant alors une science tout juste émergeante, on soupçonne l’existence d’une influence européenne que l’on pense combinée à une influence saharienne, le Sahara étant alors considéré comme un foyer néolithique fécond bien que l’élevage y ait paradoxalement tenu une place prépondérante en comparaison à celle de l’agriculture. A la fin de la période coloniale, les préhistoriens identifient également une influence orientale pendant le néolithique, en provenance des confins algéro-tunisiens, où la culture capsienne développe des codes stylistiques et esthétiques qui préfigurent directement ceux de l’art berbère. Depuis Stéphane Gsell, la communauté historienne tient pour acquise l’idée qu’il n’y eut point d’art des métaux indigènes en Afrique du Nord et que les techniques de métallurgie du fer furent transmises directement aux proto-Berbères au début du Ier millénaire avant notre ère par les Phéniciens.

Une présence phénicienne et punique qui se limite à des indices ténus 

Concernant l’Antiquité au Maroc, les ouvrages classiques disséqués à l’envi depuis la Renaissance ont permis d’en deviner la trame générale. Hérodote, Hécatée de Milet, PseudoScylax, Pline l’Ancien, Hérodote et le Périple de Hannon présentent la Maurusie, connue des Latins sous le nom de Maurétanie, comme une contrée ayant appartenu à la sphère d’influence des Phéniciens puis des Carthaginois, au même titre d’ailleurs que les deux tiers occidentaux du monde libyque et que le sud de la péninsule Ibérique .

Par Libye, les Anciens entendent les régions d’Afrique comprises entre l’Egypte à l’est et l’Océan extérieur à l’ouest. Ses habitants sont les Libyens, dont les Maures forment la composante la plus occidentale. Ces derniers voisinent au nord les Gétules, qui eux-mêmes côtoient les Ethiopiens. La limite orientale du pays maure est le fleuve Molochath, l’actuel fleuve Moulouya, à partir duquel débute le pays des Masaesyles. Si les repères chronologiques sont une denrée rare dans les sources classiques, l’indication de Pline  selon laquelle la fondation du temple d’Hercule à Lixus par les Phéniciens aurait été, racontait-on à l’époque, antérieure à celle de la vénérable Gadès, a longtemps excité la curiosité des historiens. Jérôme Carcopino, considérant qu’il n’est « nullement fondé à suspecter la véracité de cette tradition » fait remonter au XIe siècle av. J.-C. le début de l’épopée phénicienne au-delà des Colonnes d’Hercule. Le Périple de Hannon, inscription autrefois gravée dans les marbres du temple de Baal à Carthage et que l’on connaît grâce à deux manuscrits qui en livrent une traduction en grec, esquisse lui aussi une image fabuleuse de l’expansion punique en Maurétanie. Maintes fois au cours du XIXe siècle, ce texte fut l’objet d’un âpre débat interprétatif entre ceux qui n’y voyaient qu’un tissu de balivernes , ceux qui estimaient que le navigateur n’avait pas dépassé les côtes du sud-marocain et ceux qui estimaient qu’il devait s’être aventuré jusque dans le Golfe du Gabon. Le récit semble en tous cas étayer l’idée d’une étroite collaboration entre Carthage et Lixus aboutissant à la fondation de comptoirs tout le long de la côte atlantique marocaine. Si les sources écrites à propos du Maroc punique sont peu nombreuses, elles renvoient l’image d’une contrée riche et attractive où Tyr puis Carthage avaient développé des rapports commerciaux fructueux avec les Libyens.

Jusque dans les années 1950, peu d’éléments archéologiques sont venus étayer les dires des auteurs anciens si ce n’est une poignée d’inscriptions puniques découvertes à Lixus, Volubilis et dans la province de Tanger . Et pour cause, la plupart des efforts de recherche archéologique s’étaient concentrés pendant les premières décennies du protectorat sur les niveaux romains. En zone espagnole, l’archéologue Cesar Luis de Montalbán mène en 1923 des repérages archéologiques peu approfondis sur le site de Lixus, opérations qui révélèrent quelques belles œuvres d’art mais ne permirent aucun progrès concernant le passé punique de la cité. A Volubilis, loin à l’intérieur des terres, une importante inscription découverte en mai 1915 par Louis Chatelain, chef du Service des antiquités du Maroc, indique que lors de son annexion en l’an , la cité était administrée par un suffète, fonction politique éminemment punique, preuve que l’influence de Carthage s’est perpétuée deux siècles et demi après son reflux consécutif à la deuxième guerre punique. Cette influence est plus manifeste encore si l’on considère que les légendes des monnaies d’époque maurétanienne de cités comme Tingis, Lixus ou Zilil sont écrites en langue punique. Jusqu’à l’aube des années 1950, l’archéologie punique se résume à ce type d’indices.

Le « royaume indigène » de Maurétanie 

La séquence suivante de l’histoire antique du Maroc est la période dite maurétanienne, au cours de laquelle un royaume se constitua dans le nord du pays , en pays maure, entre le fleuve Moulouya et l’océan Atlantique. Imprécise à ses débuts, l’histoire du royaume de Maurétanie devient mieux connue à partir de la deuxième guerre punique. Les noms des souverains sont mentionnés par les grands historiens et chroniqueurs de la République romaine. Tite-Live évoque Baga parmi les soutiens de Massinissa dans ses campagnes contre Syphax en Numidie . Salluste quant à lui livre quelques détails sur les règnes de Bocchus (118 – 80 av. J.-C.), qui trahit Jugurtha et le livra à Sylla, étendant son royaume de l’autre côté de la Moulouya, en terre masaesyle.

Quelques décennies plus tard, celui qui selon toute vraisemblance fut son petit-fils, Bogud, hérita de la part l’ancienne Maurétanie, à l’ouest de la Moulouya, mais, occupé à guerroyer en Espagne et déstabilisé par des Tingitains habitués à l’autonomie, sinon à l’indépendance, il vit son territoire annexé en 38 av. J.-C. par son frère Bocchus le Jeune, qui régnait sur la Maurétanie orientale, par-delà la Moulouya. D’abord indirecte, la mainmise de Rome sur la Maurétanie se précise pendant l’interrègne (33-25 av. J.C.). En 25 av. J.-C., Rome place Juba II sur le trône de Maurétanie. Fils de Juba Ier du nom, roi de Numidie, élevé par Octavie, helléniste, féru de botanique, Juba II fut un souverain mémorable dont deux bustes en bronze, exhumés à Volubilis et à Sala, comptent parmi les antiquités les plus remarquables du patrimoine archéologique marocain. Son fils Ptolémée lui succéda au pouvoir et périt assassiné par Caligula à Lyon, ce dernier ne supportant pas l’affront qu’un prince de second rang, de surcroît client de Rome, arbore une tenue pourpre. Ce décès précipita l’annexion des deux Maurétanie après une période d’intenses troubles causés par la révolte d’un affranchi de Ptolémée nommé Aedemon. La période maurétanienne a ceci d’intéressant, du point de vue historiographique, qu’elle bénéficie de l’éclairage d’un type de source original : les monnaies. Au moins depuis les années 1820, les diplomates européens avaient au Maroc œuvré à se procurer ces médailles antiques à propos desquelles un véritable trafic s’était mis en place. Le punique étant un abjad , les légendes puniques des monnaies antérieures à l’interrègne occasionnèrent des difficultés de lecture à tel point que les numismates eurent parfois du mal à reconnaître les noms des souverains tels qu’ils apparaissaient dans les sources. Néanmoins, dans les années 1860, deux catalogues faisaient déjà le point sur l’état des collections . Durant le protectorat, Jean Mazard eut la lourde tâche d’actualiser ces corpus en y adjoignant les nouveaux types exhumés à l’occasion des fouilles coloniales . Les archéologues eurent pour leur part plus de difficulté à délivrer aux historiens de quoi renseigner la période maurétanienne. Les monuments funéraires marocains étant, à l’exception du cromlech de M’zora, moins impressionnants que ceux de Numidie, les tumuli du Gharb, dont ceux de Lalla Mimouna et de Sidi Slimane contenaient de la céramique datant des IVe et IIIe s. av. J.-C. ne furent fouillés par le préhistorien André Ruhlmann qu’au milieu des années 1950. La bazina du Gour, située près de Meknès et d’époque tardo-antique, fut fouillée par Gabriel Camps en 1959 . Le tertre de M’zora, en zone espagnole, fut éventré par Don César Luis de Montalban en 1935 et 1936, qui ne publia jamais de rapport de fouilles.

Quant aux sites urbains, l’archéologie coloniale française manifesta somme toute peu de curiosité pour les niveaux préromains, du moins jusque dans les années 1950. En zone nord, Tamuda est le premier site urbain maurétanien à bénéficier de l’attention des archéologues. A partir de 1921, César Luis de Montalbán et le grenadin Manuel Gómez Moreno révélèrent sous le castellum romain une cité au plan hippodamien d’influence hellénistique , de chronologie exclusivement préromaine. Dans les années 1940, Miquel Tarradell amplifia ses recherches dans la vallée et à l’embouchure de l’oued Martil, mettant au jour plusieurs autres petites agglomérations d’époque punique et maurétanienne. Du côté des historiens, l’algérien Stéphane Gsell consacra les cinquième, sixième, septième et huitième tomes de son Histoire ancienne de l’Afrique du Nord aux royaumes indigènes et aux interactions avec la république romaine .

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Table des matières

Introduction
Chronologie du Maroc antique
Chronologie du Maroc néolithique
I/ Qu’a-t-on écrit dans le domaine de l’histoire préislamique depuis la fin du protectorat ? Progrès, stagnation et efforts de dépassement
1. L’indépendance et la transition
a. Etat des lieux de l’historiographie coloniale : thèses et structure générale du récit historique
b. État des lieux de l’historiographie coloniale : chantiers archéologiques et grandes entreprises historiographiques en cours durant les années 1950
c. Mogador, Palais Gordien : entre pistes prometteuses et espoirs déçus
d. Percées décisives dans le domaine de la préhistoire
2. Les années 1960 et 1970 : entre continuité forcée et premières tentatives de renouvellement paradigmatique
a. La situation de l’archéologie au tournant des années 1960
b. Les recherches à Thamusida
c. Les recherches de Michel Ponsich dans la région tangéroise et à Lixus
d. Les fouilles de Jean Boube à Chellah
e. Initiatives notables dans le domaine de la préhistoire
3. Les années 1980 et 1990 : la grande rénovation du cadre de la recherche archéologique et ses premiers succès
a. Les fouilles de Dchar El Jdid
b. Le programme de prospection du Sebou
c. Les fouilles de Lixus
d. Premiers programmes de fouille en archéologie préventive
e. Les programmes de recherche préhistoriques
4. Depuis les années 2000 : consolidation de la recherche
a. Les nouvelles recherches dans le domaine de la préhistoire
b. L’intensification des recherches en archéologie antique
II/ Dans quelles circonstances a-t-on écrit l’histoire préislamique du Maroc depuis l’indépendance ? Institutions, enjeux de rayonnement et personnages marquants
1. Les lieux d’écriture de l’histoire préislamique marocaine
a. Le Maroc, une évidence qui n’en est en réalité pas une
b. La France : l’enjeu de la conservation du leadership scientifique
c. L’Espagne : déclin et renouveau d’une tradition historiographique
d. L’Italie : le positionnement d’un acteur en pleine affirmation
2. Les acteurs institutionnels de la recherche
a. Les institutions nationales
b. Institutions étrangères : les structures françaises
c. Séminaires, colloques et manifestations scientifiques
d. Les périodiques
3. Les acteurs individuels de la recherche
a. Les hommes de la transition de l’indépendance
b. La génération des coopérants
c. Les pionniers de la marocanisation : profils, origines sociales, axes de recherche prioritaires
d. La nouvelle génération de chercheurs étrangers : un regard neuf sur l’Antiquité marocaine ?
III/ Dans quel contexte l’histoire préislamique a-t-elle été écrite depuis l’indépendance ? Canevas historiographique, trame idéologique et tensions épistémologiques
1. L’évolution du récit historique depuis l’indépendance à travers l’exemple de trois ouvrages de synthèses
a. Histoire du Maroc par Jean Brignon, Abdelaziz Amine et Brahim Boutaleb
b. L’histoire du Maghreb : un essai de synthèse d’Abdallah Laroui
c. Histoire du Maroc : réactualisation et synthèse de l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc (IRRHM)
2. Le canevas historiographique : les paradigmes endogènes et européens
a. Les paradigmes coloniaux et nationalistes : une dialectique structurante et féconde
b. La “préhistoire” du paradigme nationaliste : modes de pensée du préislamique dans les traditions historiographiques précoloniales
c. L’émergence du paradigme nationaliste au milieu du XXe siècle
d. L’influent topos de la résistance des Berbères face à Rome
e. L’avènement du paradigme « libéral », chimère ou réalité ?
3. Empreintes idéologiques, instrumentalisation politique et identitaire
a. La distanciation mémorielle de l’histoire préislamique
b. La place de l’Antiquité dans le discours dit de « l’exception marocaine »
c. Aperçu de la place occupée par la préhistoire et l’Antiquité dans l’histoire scolaire
d. Les revendications historiographiques des mouvements berbéristes
4. L’histoire, l’archéologie et les « sciences auxiliaires » : un enjeu épistémologique critique pour parvenir à la maturité
a. La complémentarité des sources écrites et des sources matérielles : remise en perspective historiographique et épistémologique d’un problème ancien
b. Sources écrites/Sources matérielles : le serpent de mer de la fin du primat des sources écrites en histoire antique
c. Le tropisme philologique fondateur de la discipline archéologique au Maroc
d. L’empreinte durable des textes sur les orientations de la recherche archéologie et les moyens qui lui permettraient de s’en affranchir
Conclusion

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