Puits quantiques dopés : le gaz d’électrons et ses modes collectifs

L’électronique de spin, ou spintronique, s’intéresse au degré de liberté offert par le spin de l’électron pour créer des dispositifs de stockage, de traitement logique ou de transport d’information [1]. Depuis les années 1990, deux axes se sont développés parallèlement : la spintronique des métaux, et celle des semi-conducteurs. La spintronique des métaux a pris son essor avec la découverte de la magnétorésistance géante en 1988 [2, 3]. Cette découverte, qui a valu à A. Fert et P. Grünberg le prix Nobel en 2007, démontrait que l’on pouvait contrôler le transport électronique par l’aimantation des matériaux ferromagnétiques — elle-même contrôlable par un champ magnétique. Une application directe est la vanne de spin [4] : un dispositif formé d’une couche métallique non-magnétique entre deux ferromagnétiques possède deux états de résistance, faible et forte, selon que l’aimantation des couches ferromagnétiques est parallèle ou antiparallèle. La spintronique des semi-conducteurs [5] s’inscrit quant à elle dans la lignée de l’invention du transistor en 1948. Le transistor exploite la possibilité, propre aux semiconducteurs, de contrôler les propriétés électroniques par le dopage et l’application de champs électriques. Les semi-conducteurs présentent également des avantages certains pour la spintronique : le spin y est facilement accessible optiquement (pour l’injection ou la détection), et possède généralement une cohérence plus grande que dans les métaux. Ainsi, il a rapidement été envisagé de reproduire dans les semi-conducteurs les effets spintronique initialement démontrés dans les métaux. L’intérêt s’est tourné vers les structures hybrides ferromagnétiques/semi-conducteurs [6, 7], et vers les matériaux multifonctionnels, à la fois semi-conducteurs et magnétiques — les semi-conducteurs magnétiques dilués comme GaMnAs [8, 9] ou CdMnTe [10]. Une troisième stratégie a également émergé, consistant à exploiter l’interaction spin-orbite des semi-conducteurs.

Dopage magnétique : CdMnTe

Nous étudierons des puits quantiques de Cd1−xMnxTe, obtenus en diluant dans la matrice de CdTe une faible concentration de manganèse Mn. Nous donnons donc ici une brève introduction, historique et physique, à ce matériau d’usage moins répandu que GaAs. Cd1−xMnxTe fait partie de la famille des semi-conducteurs magnétiques dilués [10]. Ces matériaux ont été introduits dans les années 1970, dans le but de combiner les atouts des propriétés semi-conductrices et magnétiques dans un même matériau. Dans CdMnTe, Mn est seulement un dopant magnétique (il n’est pas un accepteur comme dans GaMnAs), fournissant un spin localisé. Le composé peut alors être dopé n ou p. Le ferromagnétisme (médié par les porteurs) a été observé dans CdMnTe dopé p, avec une température de Curie d’environ 3 K [46, 47], mais jamais dans CdMnTe dopé n (la température de Curie prédite est de l’ordre de 10 mK [48]). CdMnTe présente l’avantage d’une excellente dilution de Mn dans la matrice : ce dernier se place en substitution de Cd, et la propension à former des agrégats et des interstitiels est beaucoup plus faible que dans GaMnAs. Ainsi, si les applications magnétiques y sont moins directes que dans ce dernier composé, CdMnTe est un matériau bien maîtrisé qui permet d’étudier finement les interactions entre impuretés magnétiques et porteurs. Outre l’étude de la phase ferromagnétique de p-CdMnTe, il a ainsi été montré dans les puits quantiques de n-CdMnTe l’existence d’un régime de couplage fort entre les électrons itinérants et les ions Mn [50, 27, 28, 51, 52], lorsque leurs énergies Zeeman sont résonantes.

Se plaçant en substitution des Cd, les Mn ne modifient pas la structure blende de zinc de CdTe pour x < 77% [10]. Nous étudierons ici des échantillons avec x ∼ 0.1 − 0.2%, possédant donc des propriétés électroniques très proches de celles de CdTe. La bande interdite augmente avec la concentration x de Mn : elle vaut 1.606 + 1.592 x (eV) à basse température (T = 4 K) [53, 10]. La structure électronique de Mn est 4s 23d 5 ; les 5 électrons de la couche externe forment, dans le matrice de CdTe, une mini-bande à une énergie d’environ 3.5 eV sous le maximum de la bande de valence [54]. Ces 5 électrons sont, d’après la règle de Hund, dans le même état de spin, et le spin électronique total est donc 5 2 . Nous allons considérer des puits quantiques n-CdMnTe (paramagnétiques) : sous l’effet d’un champ magnétique Bext, les spins localisés des Mn se polarisent, et polarisent à leur tour les électrons de conduction du puits quantique via l’interaction d’échange : on parle d’effet Zeeman géant. Dans une approximation de champ moyen, l’énergie Zeeman correspondante s’écrit :

Z(Bext) = −xeff γQWN0 αs−d  Sz(Bext) th + gµBBext .

Z contient deux contributions : la première correspond au champ d’échange créé par les ions Mn. Elle est proportionnelle à la moyenne thermodynamique Sz(Bext) th du spin d’un ion Mn, donnée par une fonction de Brillouin modifiée (tous les détails nécessaires seront donnés dans la section 5.1.1). N0 αs−d = 0.22 eV est l’intégrale d’échange entre les électrons localisés d des Mn et les électrons itinérants s dans CdMnTe [55] (N0 est la densité volumique de sites de cations), et γQW est la probabilité de présence des électrons de conduction dans le puits. La seconde contribution dans l’Eq. (1.7) correspond à l’action Zeeman directe du champ extérieur Bext, avec g ‘ −1.64 [56]. Pour donner un ordre de grandeur, on obtient Z ‘ 3 meV à Bext = 4.5 T et T = 2 K, pour un dopage magnétique x = 0.3%. Comme nous le verrons, ce fort couplage Zeeman permet de réaliser physiquement un système modèle, le gaz d’électrons polarisé en spin.

Aspects de technologie 

Cette section présente les procédés de fabrication et la structure de nos échantillons.

Epitaxie par jet moléculaire
La méthode la plus contrôlée pour croître des hétérostructures est l’épitaxie par jet moléculaire [57] : c’est cette technique qui a été utilisée pour les échantillons de ce travail. Dans une enceinte sous ultravide (10⁻¹¹ mbar), des flux contrôlables d’atomes (Ga, As, Cd, etc.), obtenus par vaporisation de sources solides, sont projetés sur un substrat massif (GaAs, etc.) porté à haute température (500−700◦ ). La croissance se fait couche atomique par couche atomique à vitesse modérée (environ une couche atomique par seconde), et peut être suivie en temps réel par diffusion d’un jet d’électrons (effet RHEED ). Des interfaces extrêmement abruptes peuvent être obtenues par cette technique (en particulier dans le système GaAs/AlGaAs où le désaccord de maille ∆a/a < 10⁻³ est négligeable).

Modulation de dopage
La technique de modulation de dopage repose sur la séparation spatiale des électrons de leurs donneurs : elle vise à limiter la perte de mobilité inévitablement induite par l’insertion d’impuretés. Elle a été proposée en 1969 par Esaki et Tsu [58], puis mise en oeuvre par Dingle [59] en 1978 (hétérojonctions) en tirant parti de l’épitaxie par jet moléculaire. Pour un puits quantique , on insère lors de la croissance un ou plusieurs plans atomiques d’impuretés donneuses (silicium pour les puits de GaAs, iodine pour les puits de CdMnTe) dans le matériau barrière. Les électrons initialement liés aux impuretés minimisent leur énergie en migrant dans le matériau puits. Ce transfert de charge laisse dans la barrière un plan d’ions chargés positivement : un champ électrique se forme donc entre ce plan et le gaz d’électrons (cf. figure 1.3(b)). Ce champ donne lieu à une inclinaison de bande10 (band bending) selon l’axe de croissance, qui freine progressivement le transfert tunnel des électrons vers le puits.

Structure typique des échantillons étudiés
Nos échantillons ont été réalisés, pour les puits de GaAs/AlGaAs, par F. Laruelle en 2001 (alors au Laboratoire de Microstructures et Microélectronique de Bagneux), et pour les puits de CdMnTe/CdMgTe, par G. Karczewski et T. Wojtowicz (Institut de Physique de Varsovie) en 2009-10. Pour ces derniers échantillons, notons que seul le puits est dopé magnétiquement.

Etats propres d’un puits quantique dopé

Nous montrons à présent comment déterminer les états propres, ainsi que le profil de bande d’un tel puits quantique à modulation de dopage. Ces développements sont importants pour notre étude : comme nous le verrons au chapitre suivant, une modélisation précise de la fonction d’onde et de l’inclinaison de bande est centrale pour la description des effets spin-orbite Dresselhaus et Rashba.

Equation de Schrödinger sur la fonction enveloppe
Dans une hétérostructure, les porteurs sont soumis à un potentiel variant sur deux échelles de longueur distinctes : l’échelle atomique (potentiel créé par les ions) et l’échelle de l’hétérostructure. L’approximation de la fonction enveloppe [42] consiste à découpler ces deux contributions au potentiel. Les états propres sont alors écrits comme le produit d’une fonction atomique de Bloch, prise comme identique dans les différents matériaux, et d’une fonction enveloppe, qui varie lentement à l’échelle de la maille cristalline, et sent seule les différences de structure de bande entre les matériaux.

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Table des matières

Introduction
1 Puits quantiques dopés : le gaz d’électrons et ses modes collectifs
1.1 Semi-conducteurs de structure blende de zinc
1.1.1 Structure de bande du massif
1.1.2 Approximation de la masse effective
1.1.3 Dopage magnétique : CdMnTe
1.2 Puits quantiques dopés
1.2.1 Généralités
1.2.2 Aspects de technologie
1.2.3 Etats propres d’un puits quantique dopé
1.3 Le gaz d’électrons 2D en interaction
1.3.1 Hamiltonien modèle du gaz d’électrons
1.3.2 Etat fondamental du gaz sans interactions
1.3.3 Justification du traitement de champ moyen des interactions
1.3.4 Calcul perturbatif de l’énergie du fondamental
1.3.5 Calcul numérique Monte-Carlo
1.4 Modes collectifs du gaz d’électrons 2D
1.4.1 Continuum des excitations individuelles
1.4.2 Théorie de la réponse linéaire
1.4.3 Fonctions de réponse du gaz d’électrons
1.4.4 Théorie de la fonctionnelle de densité dépendant du temps (TDDFT)
1.4.5 Fonctions de réponse ALDA
2 Effets spin-orbite dans les nanostructures semi-conductrices : état de l’art
2.1 Origine de l’interaction spin-orbite
2.2 Effets Dresselhaus et Rashba
2.2.1 Effet Dresselhaus
2.2.2 Effet Rashba
2.2.3 Champs spin-orbite dans un puits quantique asymétrique [001]
2.3 Conséquences du couplage spin-orbite : effets à 1 particule
2.3.1 Applications spintronique
2.3.2 Relaxation de spin : modèle de D’yakonov-Perel’
2.3.3 Immunisation contre le mécanisme D’yakonov-Perel’
2.4 Vers l’étude des effets spin-orbite à N corps
3 Spectroscopie Raman électronique
3.1 Principe et historique
3.2 Théorie
3.2.1 Traitement en perturbation
3.2.2 Tenseur Raman et règles de sélection
3.2.3 Relation avec les fonctions de réponse
3.2.4 Spectroscopie Raman résonante
3.2.5 Atouts et limites de la spectroscopie Raman
3.3 Dispositif expérimental
3.3.1 Schéma optique
3.3.2 Description des éléments
4 Effets spin-orbite collectifs sur le plasmon de spin inter-sous-bande
4.1 Modèle de structure fine des plasmons de spin
4.1.1 Champs spin-orbite
4.1.2 Le plasmon de spin inter-sous-bande
4.1.3 Prédictions des effets spin-orbite sur le plasmon de spin
4.1.4 Vérification expérimentale : premiers résultats
4.2 Détermination du champ spin-orbite collectif et du moment magnétique
4.2.1 Proposition d’un modèle effectif
4.2.2 Détermination du champ spin-orbite collectif
4.2.3 Détermination du moment magnétique
4.2.4 Dépendance en q
4.2.5 Comparaison avec l’effet Zeeman normal en physique atomique
4.3 Détermination du facteur de renforcement collectif
4.3.1 Calcul de l’éclatement spin-orbite collectif
4.3.2 Relation entre les champs spin-orbite individuels et collectif
4.3.3 Discussion
4.4 Conclusions
Conclusion

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