Propriétés physico-chimiques et de coordination des lanthanides

En France, l’énergie nucléaire représente 77% de l’énergie électrique produite [1]. Les combustibles nucléaires sont composés initialement d’oxyde d’uranium ou d’un mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium. Leur irradiation en réacteur provoque la transformation de l’uranium et du plutonium en de nombreux radioéléments par différentes réactions de fission et de capture neutronique. En fin de vie, le combustible nucléaire contient encore 95 % d’uranium et 1 % de plutonium, considérés comme actinides majeurs. La France a opté pour le traitement du combustible usé selon un cycle fermé afin de recycler la matière valorisable. Ainsi, le combustible nucléaire est traité industriellement par le procédé PUREX (Plutonium and Uranium Refining by EXtraction) pour extraire l’uranium et le plutonium afin qu’ils puissent être de nouveau utilisés dans les centrales nucléaires. Le raffinat du procédé PUREX contient encore de nombreux radioéléments de nature et de propriétés différentes, comme les produits de fission (PF) (Cs, Sr, Zr, lanthanides…) et les actinides dits « mineurs » (américium, curium, neptunium), ces derniers représentant 0,1 % de la masse du combustible usé. Une fois le plutonium récupéré, les actinides mineurs représentent la contribution la plus significative à l’inventaire radiotoxique. L’extraction de ces actinides mineurs des solutions résiduelles de combustibles usés représente donc un enjeu majeur pour réduire la radiotoxicité et le volume des déchets ultimes.

Dans le cadre de la loi de 2006 portant sur la gestion durable des matières et déchets radioactifs [2], des recherches sont dédiées à la séparation sélective des actinides mineurs, afin de les transformer en éléments à durée de vie plus courte par transmutation. Dans cette optique, différents procédés de séparation, basés sur le principe de l’extraction liquide-liquide, ont été développés, optimisés et consolidés pour répondre à différentes stratégies de recyclage .

Dans l’ensemble des cas, une succession d’opérations d’extraction-lavage et de désextraction est mise en œuvre, impliquant l’emploi de molécules extractantes/désextractantes spécifiques des radioéléments à extraire/désextraire. Si l’objectif final est d’extraire sélectivement l’américium et le curium, voire l’américium seul, des étapes de (dés)extraction des lanthanides ont également lieu au cours de ces différents procédés pour les séparer des actinides mineurs. De nombreux efforts ont d’ailleurs porté ces vingt dernières années, sur la conception de molécules complexantes dédiées à la séparation des actinides et des lanthanides par extraction liquide liquide.

Définitions et rappels

Propriétés physico-chimiques et de coordination des lanthanides

Le série des lanthanides est constituée de 15 éléments chimiques dont le numéro atomique est compris entre 57 (le lanthane, La) et 71 (le lutécium, Lu) .

Découverts au cours du XVIIIème siècle, leur séparation est très délicate en raison de leur propriétés physico-chimiques très proches [4]. La connaissance des propriétés physico-chimiques des lanthanides est fondamentale pour développer des méthodes permettant leur séparation, que ce soit lors de la conception de molécules extractantes/désextractantes spécifiques pour le traitement du combustible nucléaire usé, pour le développement de méthodes d’analyses de leur spéciation dans différentes phases issues des procédés de traitement du combustible ou encore dans divers domaines comme la géochimie etc.

Hydratation et hydrolyse des lanthanides

En solution aqueuse, les lanthanides sont solvatés et peuvent également réagir avec l’eau selon une réaction d’hydrolyse.

Hydratation
La solvatation des ions lanthanides par l’eau peut être décrite par un modèle sphérique délimité en quatre zones (Figure 5) [11]. La zone A est appelée première sphère de coordination ou sphère interne de solvatation. Elle correspond à la zone où les molécules d’eau sont directement liées au cation par liaison ionique. La zone B est la sphère externe de solvatation où les molécules d’eau ne sont pas directement liées aux lanthanides mais sont fortement influencées par le champ électrostatique généré par le cation. Le nombre de molécules d’eau dans cette zone dépend donc de la densité de charge du cation. La zone C est une zone moins ordonnée que la zone B où les molécules d’eau subissent une influence faible du cation. La dernière zone correspond à la zone D, où le cation n’a aucune influence sur les molécules d’eau.

La sphère d’hydratation des ions Ln3+ n’est pas constante le long de la série. Les lanthanides les plus légers et de rayons ioniques les plus élevés (La-Eu) ont un nombre de molécules d’eau dans la sphère interne de solvatation de l’ordre de 9. Les plus lourds et de rayons ioniques les moins élevés, quant à eux, ont un nombre de molécules d’eau de l’ordre de 8 (Dy-Lu). Les lanthanides intermédiaires, Gd et Tb, ont un nombre de molécules d’eau entre 8 et 9 .

Propriétés de coordination des lanthanides 

La réactivité des lanthanides suit la théorie HSAB (Hard/Soft Acids and Bases) développée par Pearson en 1963 [13]. Cette théorie permet de classer les acides et les bases au sens de Lewis en deux catégories :
– les acides durs, de faible rayon ionique avec un état d’oxydation élevé et les bases dures, avec un excès d’électrons. Les acides et les bases durs sont faiblement polarisables ;
– les acides mous, de rayon ionique plus élevé avec un état d’oxydation faible, et les bases molles, avec un déficit d’électrons. Les acides et les bases mous sont fortement polarisables ; Pearson énonce alors que « les acides durs réagissent préférentiellement avec les bases dures et les acides mous avec les bases molles » [13]. Les liaisons entre les espèces ayant une grande dureté sont de nature ionique, tandis que les espèces dites molles forment des liaisons covalentes.

Les électrons de valence des cations Ln3+ se trouvant dans les orbitales de cœur 4f, sont très peu sensibles à l’environnement chimique et ne sont donc généralement pas impliqués dans la formation de liaisons covalentes. Les lanthanides sont des acides durs et vont former préférentiellement des liaisons ioniques avec des bases dures. Les bases dures sont des espèces avec des atomes donneurs et sont composées généralement de fonctions oxygénées et azotées. Comme indiqué précédemment, les lanthanides présentent un rayon ionique décroissant avec leur numéro atomique et la dureté des lanthanides augmentent avec le long de la série des lanthanides en raison de l’augmentation de la densité de charge. Les interactions électrostatiques entre ligands et les cations Ln3+ sont donc plus élevées pour les lanthanides lourds que pour les lanthanides légers. Ainsi La réactivité vis-à vis des bases dures diffère selon les lanthanides. Cette légère différence de réactivité est exploitée pour séparer les lanthanides dans les procédés de traitement du combustible usé .

Coordination des lanthanides avec les ligands polyaminocarboxyliques
Les ligands polyaminocarboxyliques sont utilisés dans de nombreux domaines comme en médecine, en tant qu’agent de décorporation ou dans les procédés de traitement du combustible usé comme complexants spécifiques. Dans ce travail, deux ligands polyaminocarboxyliques utilisés comme des agents désextractants des procédés sont considérés : l’acide diéthylènetriaminepentaacétique (DTPA) et l’acide éthylènediaminetétraacétique (EDTA) .

Les lanthanides sont majoritairement présents au degré d’oxydation +3 en solution aqueuse. Les phases aqueuses des procédés de traitement du combustible sont en milieu acide avec un pH entre 3 et 4. Ces phases sont composées de cations Ln3+ coordonnés à des agents (dés)extractants spécifiques. Cette homogénéité d’état d’oxydation contribue à rendre leur séparation délicate. Cependant une contraction du rayon ionique est observée le long de la série des lanthanides. Les légères différences des rayons ioniques peuvent induire des réactivités différentes des cations Ln3+ vis-à-vis des ligands. Ces différences de réactivité sont à la base de l’élaboration de molécules extractantes ou désextractantes spécifiques des lanthanides pour les procédés de retraitement du combustible nucléaire usé ou sont exploitées pour les séparations chromatographiques. Les lanthanides sont des acides durs et réagissent préférentiellement avec les bases dures. Deux ligands polyaminocarboxyliques composés de fonctions avec un excès d’électrons, l’EDTA et le DTPA, utilisés comme agents désextractantes sont considérés dans notre travail. Ces ligands présentent des constantes de complexation différentes en raison de la différence de dureté des lanthanides. Ceci laisse présager des possibilités de séparation des complexes de lanthanides. 

La spéciation 

Définitions et domaines d’application

D’après la définition de l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée (IUPAC), la spéciation d’un élément désigne sa distribution sous différentes espèces chimiques définies dans un système [17]. Une espèce chimique est définie par la forme spécifique d’un élément, caractérisée par sa composition isotopique, son état d’oxydation ou sa configuration électronique et/ou sa structure complexe ou moléculaire [17]. La spéciation d’un élément gouverne les mécanismes mis en jeu dans sa biodisponibilité, son transport, son accumulation, sa réactivité et sa toxicité. Par conséquent, la connaissance des espèces sous lesquelles se trouve un élément dans un milieu permet une meilleure compréhension des processus dans lesquels cet élément est impliqué. L’analyse de spéciation a été mise en œuvre dans de nombreux domaines pour étudier l’impact de polluants anthropogéniques sur le vivant et l’environnement, pour déterminer les métabolites d’agents thérapeutiques contenant des métaux ou des métalloïdes dans l’industrie pharmaceutique, pour déterminer les formes toxiques d’un élément dans le milieu médical, mais aussi pour appréhender la forme biodisponible d’un élément essentiel dans l’industrie alimentaire [18-22]. Ces études de spéciation apportent un soutien à la conception d’agents de décorporation/remédiation, thérapeutiques ou de diagnostic plus efficaces et sélectifs. Dans le domaine du nucléaire, l’analyse de spéciation des actinides et des lanthanides intervient à différentes étapes du cycle du combustible : – au niveau de la conception de molécules (dés)extractantes efficaces et sélectives, utilisées de l’amont à l’aval du cycle ;
– au niveau de l’amélioration des procédés de traitement du combustible à travers l’évaluation de leurs performances et l’acquisition de données de base permettant d’identifier les principales espèces à considérer lors de la modélisation des procédés;
– pour une meilleure compréhension du comportement et de la migration des radionucléides en conditions de stockage et dans l’environnement. Déterminer la spéciation d’un ou de plusieurs éléments dans un échantillon nécessite l’utilisation et le développement de méthodes analytiques pour détecter, localiser, caractériser et quantifier les différentes espèces chimiques sous lesquelles cet élément se trouve.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre I Généralités
1 Définitions et rappels
1-a) Propriétés physico-chimiques et de coordination des lanthanides
1-a-1) Configuration électronique et états d’oxydation
1-a-1) Rayon ionique
1-a-2) Hydratation et hydrolyse des lanthanides
1-a-3) Propriétés de coordination des lanthanides
1-b) La spéciation
1-b-1) Définitions et domaines d’application
1-b-2) Stratégies mises en œuvre en analyse de spéciation
2 Techniques analytiques considérées pour l’étude de spéciation des lanthanides
2-a) La chromatographie d’interaction hydrophile HILIC
2-a-1) Mécanismes de rétention
2-a-2) Phases stationnaires
2-a-3) Paramètres chromatographiques significatifs
2-a-4) Avantages et applications
2-b) La spectrométrie de masse à source d’ionisation électrospray (ESI-MS)
2-b-1) Principe
2-b-2) Couplages avec des techniques séparatives
2-b-3) Avantages et limites
2-c) La spectrométrie de masse à source plasma à couplage inductif (ICP-MS)
2-c-1) Principe
2-c-2) Couplages de l’ICP-MS avec des méthodes séparatives
2-c-3) Avantages et limites
Chapitre II Étude bibliographique
1 Séparation chromatographique d’espèces de lanthanides selon différents modes de rétention
2 Application du mode HILIC à l’analyse de spéciation des métaux et des lanthanides
2-a) Les métaux lourds et de transition
2-b) Les organo-éléments
2-c) Les lanthanides
3 Analyse de spéciation par différents types de chromatographies couplées simultanément à l’ESI-MS et l’ICP-MS
4 Conclusion
Chapitre III Séparation et caractérisation des complexes de Ln en mode HILIC couplé à la spectrométrie de masse à source d’ionisation électrospray
1 Système d’étude
2 Sélection de phases stationnaires pour la séparation de complexes de lanthanides en mode HILIC
2-a) Évaluation de la sélectivité de différentes phases stationnaires polaires
2-b) Sélection de la phase stationnaire à fonctions amide la plus performante
3 Caractéristiques de rétention des complexes de lanthanides en mode HILIC
3-a) Impact de la variation du pourcentage d’acétonitrile
3-b) Impact de la variation de la concentration d’acétate d’ammonium
3-c) Étude des mécanismes de rétention
4 Vers des conditions d’analyse rapide de type « fast HPLC »
5 Identification structurale des complexes de lanthanides
6 Conclusion
Chapitre IV Quantification de complexes de lanthanides par HILIC ESI-MS
1 Analyse de spéciation quantitative par ESI-MS
2 Système d’étude
3 Développement d’une méthode de quantification des complexes de lanthanides par HILIC ESI-MS
3-a) Type d’étalonnage
3-b) Mode d’acquisition et transitions de fragmentation
3-c) Performances analytiques
4 Potentiel d’utilisation de l’ESI-MS pour des études de caractérisation isotopique
5 Conclusion
Conclusion générale

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