Productions artistiques : invisibilisation des artistes 

UN VOYAGE AU PÔLE NORD

En m’appuyant sur ces premières réflexions, j’ai donc cherché à construire un projet qui respecterait ces exigences pédagogiques et intellectuelles. J’ai voulu commencer par une séquence de découverte des régions arctiques. D’abord parce que ce sont des régions qui m’ont personnellement toujours fascinée, ensuite parce que j’avais depuis longtemps été frappée par les clichés sur les Inuits que véhicule notre culture populaire.
J’ai donc voulu faire découvrir les régions polaires à mes élèves. Leur donner à voir l’océan arctique, les iceberg, la banquise… Leur faire découvrir les animaux du Pôle Nordsi emblématiques. Et rencontrer avec eux les peuples inuits : leurs chants, leur musique, leurs arts, leur langue. J’avais dans l’idée de m’appuyer sur des ressources documentaires (livres et cinéma), sur la littérature de jeunesse (lecture de contes), et sur des oeuvres plastiques et sonores. Or les difficultés rencontrées lors de la conception de ce projet n’ont fait que confirmer les premiers constats d’un traitement très stéréotypé des peuples inuits dans la culture enfantine et d’un traitement parfois très approximatif des caractéristiques naturelles de cette région du monde.

Difficultés

Littérature et stéréotypes culturels

J’ai tout d’abord été surprise par la difficulté à trouver un album de jeunesse qui ne serait pas truffé de clichés et de stéréotypes. Et la première problématique que j’ai rencontrée est celle de l’omniprésence du terme « esquimau » dans la littérature de jeunesse. Or ce nom se révèle tout à fait inapproprié pour désigner les communautés inuites.
Par son origine d’abord : on suppose que ce terme était utilisé par les Algonquins pour désigner les peuples du grand nord américain et signifiait « mangeurs de viande crue ». Si cette origine est aujourd’hui contestée par certains ethno-linguistes, il est certain en revanche qu’il s’agit d’un mot exogène pour désigner les peuples inuits et qu’il a été diffusé et popularisé par les explorateurs européens à partir du XIXe siècle, autrement dit par les acteurs de la colonisation des régions arctiques.
Par sa connotation politique ensuite : le terme « esquimau » est aujourd’hui perçu par les inuits comme un terme insultant. Le Conseil Circumpolaire Inuit qui rassemble des représentants des communautés inuites du Canada, du Groenland, d’Alaska et de Russie aux Nations Unies, s’est exprimé sur ce sujet lors de sa première assemblée générale en 1977, déclarant explicitement que le terme « esquimau » était un terme dégradant. Cette déclaration a été renouvelée en 2010 dans une résolution intitulée « On the use of the term Inuit in scientific and other circles », exhortant la communauté internationale a prendre acte que le terme eskimo est un terme inapproprié et qu’il convenait d’utiliser leur véritable ethnonyme, en l’occurence « inuit » dans toutes publications et documents.
Pour être tout à fait claire, le terme « esquimaux » est un terme raciste ! Il est donc surprenant, pour ne pas dire choquant, de constater que ce mot est encore aujourd’hui très utilisé dans la littérature et les supports pédagogiques. Imaginons l’absurdité d’un monde où la majorité des livres jeunesse désignerait les Français par le terme de « froggy » et les Anglais par le terme de « roast-beef » ou « rosbif » sans jamais nommer réellement ces deux peuples ! Tel est le traitement réservé aux Inuits dans une grande part de la littérature de jeunesse.
Le premier objectif de mon projet a donc été de respecter cette exigence : pas d’Esquimaux mais des Inuits. Or cela relève déjà quasiment du tour de force tant la littérature est truffée d’esquimaux ! Il suffit pour s’en convaincre d’explorer la liste des albums proposée par le site de recensement Materalbumsur le thème « Pôle Nord / banquise ». Sur les 110 références proposées environ 40 ouvrages mettent en scène des Inuits plus ou moins explicitement. Et parmi ceux-là nous trouvons une vingtaine de références utilisant le terme « esquimau » dans le descriptif de l’album ou le titre, soit la moitié des ouvrages. On pourrait penser que l’utilisation de l’un ou l’autre des termes dépend de la date d’édition de l’album, les éditeurs étant peut-être plus alertés aujourd’hui sur cette question qu’il ne l’étaient il y a quelques années. Malheureusement, il n’en est rien. On trouve des publications, telle que Les mille blancs des esquimaux en 2011, tout comme un album titré Petit Inuit et les deux 3 questionsen 2012. Si l’on peut se réjouir qu’une bonne moitié des références utilisent le bon ethnonyme, on est toutefois souvent déçu d’y trouver d’autres clichés et stéréotypes.
Car c’est bien là l’autre problématique. Prenons les igloos. Voici bien encore un poncif concernant les peuples du grand Nord. Bien sûr l’igloo est un des éléments caractéristiques de la culture inuite traditionnelle. Bien sûr, il est pertinent de s’intéresser à la diversité des habitations humaines à travers le monde et l’histoire. Bien sûr l’igloo est une forme d’habitation remarquable par sa forme, son organisation et ses matériaux. Mais n’est-il pas réducteur d’en faire, toujours, l’élément distinctif de la culture et de l’identité inuite ? Et cela d’autant plus dans un contexte où aucun Inuit ne vit plus dans un igloo, où les savoirs traditionnels s’érodent et où l’identité inuite cherche à se redéfinir.

Productions artistiques : invisibilisation des artistes

Au delà de la littérature, j’ai cherché d’autres médiums pour faire entrer la culture inuite dans la classe. J’ai été frappée par la difficulté, non pas à trouver des chants, musiques ou productions plastiques estampillées comme inuits mais à trouver les artistes eux-mêmes. Il est effarant de voir que les musiciens, chanteurs, sculpteurs ou plasticiens ne sont quasiment jamais cités, leurs œuvres étant simplement référencées comme « art inuit ».
Le cas de l’artiste Kenojuak Ashevak est à ce titre emblématique. En tapant dans le moteur de recherche « art inuit » la première image référencée nous renvoie vers le blog d’une enseignante qui présente son projet pédagogique sur les pays du froid : « Pour notre escale dans les pays froids, nous allons nous inspirer des nombreuses lithographies de l’art inuit. En effet, beaucoup d’artistes se servent de la nature comme point de départ, avec les animaux présents dans le grand froid. Il y a aussi un lien avec les légendes et les chamans, très présents dans la culture inuite. ».
Les documents présentés par cette enseignante comme lithographies inuites sont en fait des oeuvres de l’artiste Kenojuak Ashevak. Un lecteur de la page le fait d’ailleurs remarquer en citant le nom de l’artiste et en interpellant l’enseignante sur la question du droit à l’image.
Celle-ci répond à cette interpellation : « Juste pour info, c’est un travail avec des élèves de CE1 en arts plastiques, je montre les images pour une éducation à l’image et une ouverture sur la culture inuit. Rien de plus… ». Viendrait-il à l’idée d’une enseignante de montrer un tableau de Léonard de Vinci en le présentant seulement comme art italien et en affirmant qu’il s’agit d’une ouverture sur la culture italienne, rien de plus ? Je ne peux que remercier ce commentateur qui m’a donc permis de connaitre le nom de cette artiste canadienne, décédée en 2013, qui fut membre de l’Académie Royale des Arts Canadiens, et l’une des grandes figures de l’art inuit au Canada et à l’international.
En faisant ces recherches préparatoires, j’ai donc peu à peu construit la conviction qu’il fallait présenter aux élèves des artistes, et non pas seulement des oeuvres déclarées comme « inuites ». Mais ce fut au prix de beaucoup de temps passé sur le web pour trouver les noms, les visages et les biographies de ces hommes et ces femmes invisibilisés par le magma du net et par une dose inconsciente de mépris culturel et d’essentialisation ethnique.

Approximations scientifiques

Autre point qui, sans poser de réelles difficultés, m’a toutefois interpellée, c’est le manque de rigueur scientifique dans certains ouvrages ou supports pédagogiques et littéraires.
Voici par exemple des extraits de deux imagiers proposés par des enseignants sur leurs blogs:

Propositions pédagogiques

Il a donc fallu sur la base de toutes ces réflexions, recherches et constats, faire des choix et des compromis pour se donner la possibilité de mettre en oeuvre quelque chose de pertinent pédagogiquement et mobilisant pour les élèves. C’est en tâtonnant que j’ai expérimenté des supports et des démarches. Le résultat est donc aussi bien réjouissant lorsqu’il a permis de confirmer certaines hypothèses, et décevant lorsqu’au contraire des difficultés de mise en oeuvre se sont révélées. Je vais donc maintenant présenter dans les grandes lignes les démarches et supports utilisés pour ce « voyage au Pôle Nord» en distinguant les deux axes de travail, diversité culturelle et diversité biologique, bien que ces deux approches aient été traitées ensemble durant la mise en oeuvre en classe.

Démarche pour une approche de la diversité culturelle

Pour faire découvrir la culture inuite, j’ai choisi d’adopter une démarche centrée sur trois axes : la découverte d’artistes et de leurs œuvres, la découverte de la langue et la découverte de récits et de contes. Nous avons finalement assez peu abordé la question du mode de vie inuite. Par ailleurs les arts et la langue sont deux éléments sur lesquels les Inuits eux-mêmes se mobilisent pour revitaliser leur culture. Ce sont donc à mon sens deux points d’entrée intéressants pour un travail en classe. La littérature en est un troisième qui peut être très riche malgré les problématiques déjà soulevées. Elle peut notamment permettre d’ouvrir sur les modes de vie, sur l’environnement naturel, à condition de bien choisir les ouvrages et contes présentés. Je regrette seulement que mes propositions dans ce domaine n’aient finalement pas été à la hauteur de mes propres exigences.
Pour faire découvrir des artistes et leurs oeuvres, il me paraît important de les nommer, de les faire exister dans la classe en présentant des photos, portraits et éléments biographiques. La démarche consiste à s’approprier leurs oeuvres par des activités de réception et de production : des séances d’écoute et de chant, des séances de description d’image et de productions plastiques. En art visuel, nous avons découvert les lithographies de Kenojuak Ashévak dont j’ai déjà parlé. Nous nous sommes inspirés de ses oeuvres pour fabriquer des coiffes au moment du défilé des couronnes de l’école, un projet peu ambitieux et peu convainquant à mon avis mais qui a eu le mérite de plaire aux élèves.

Démarche pour une approche environnementale

Pour faire découvrir aux élèvesles caractéristiques environnementales de l’Arctique, je me suis appuyée sur une démarche, déjà expérimentée dans une séquence sur les animaux de la forêt en début d’année, et qui s’était révélée intéressante et mobilisante pour les élèves.
Le premier élément sur lequel s’appuie cette démarche est l’utilisation des outils vidéos.
Ils permettent une forme d’immersion dans les paysages et une découverte des animaux au plus proche de la réalité. Nous avons la chance d’être équipés dans l’école d’un vidéoprojecteur et d’un grand écran escamotable, dont la facilité d’installation permet de proposer régulièrement des séances de projection dans la classe. Je l’ai déjà dit, ces séances de projection était « maquillée » en expédition aérienne. Nous « prenions l’avion » pour aller explorer le Pôle Nord. Les vidéos documentaires glanées sur le net, ont permis aux élèves d’observer les animaux polaires dans leur environnement naturel, de questionner et commenter leurs comportements, leur locomotion ou leur morphologie.
Pour compléter cette approche par la vidéo, des figurines d’animaux du type Papo© ou Scheilch© ont été apportées en classe. Elles ont l’avantage d’être très réalistes (mais pas celui d’être bon marché !) et permettent aux élèves de s’approprier les connaissances sur les espèces. Pour les introduire, une boite mystère est présentée chaque matin avec un nouvel animal. Pour jouer avec, les élèves doivent se souvenir des animaux déjà présents dans la boite et deviner grâce à des indices donnés par l’enseignante, le nouvel animal ajouté chaque jour. Cela permet de mémoriser et réinvestir le vocabulaire et les caractéristiques de chaque espèce. Exemple pour le morse : « C’est un animal qui vit au Pôle Nord. Il a des nageoires, et de grandes défenses ». Les figurines sont en libre accès durant la journée et on observe que les élèves réinvestissent leurs connaissances dans leurs jeux.
Parmi les outils de mémorisation du vocabulaire, des cartes-mots présentant les animaux polaires sont venues alimenter la boîte à mots de la classe. Durant la séquence, toutes les occasions ont été saisies pour écrire ces mots (copie au clavier ou à la main), en situation d’entrainement ou dans l’optique de la création d’une trace écrite. Enfin une sélection de livres documentaires sur les animaux polaires a également été proposée aux élèves en libre accès au coin sciences, et sont autant d’occasions d’observations, d’échanges et d’apprentissages.

Affichages de classe

L’affichage de classe dans le cadre d’un tel projet, me parait être un élément central.
Central pour la fixation des apprentissages, central pour la visibilité du travail de classe, central pour la relation entre les parents et l’école.
En début de semaine, une affiche présentant un ours polaire et l’inscription « Cette semaine nous partons en voyage au Pôle Nord » avait été affichée au tableau. Une première séance de tri d’images avait permis aux élèves de définir celles représentant le Pôle Nord.
Nous les avons donc collées sur l’affiche en y ajoutant une légende. Tout au long de la séquence, les images des hommes et femmes rencontrés, leurs oeuvres et les animaux découverts sont venus compléter l’affiche.

Bilan

Malgré certaines faiblesses dans sa conception, le projet a eu un certain nombre d’effets positifs sur les élèves, sur les familles et sur la classe en général. Le premier bénéfice le plus marquant, le plus important, est celui du langage. Toutes les séances liées au projet « Pôle Nord» ont été extrêmement riches en terme de langage. Nous avions un vrai sujet d’échanges, qu’il s’agisse des animaux, des paysages, des personnes, et les élèves étaient quasiment intarissables sur le sujet. Dès la première séance, pourtant assez mal préparée à mon sens (top longue, trop répétitive, voir tapuscrit en annexe), des élèves petits parleurs ont pris la parole, avec pour certains des énoncés construits, longs et dans le thème. C’est le cas notamment de Jeanne, de Adam et de Baran. Ce phénomène s’est poursuivi tout au long du projet, ouvrant un espace de dialogue pour des élèves souvent en retrait ou en difficulté de langage.
Il faut dire que l’exploration aériennea été un moment très marquant pour les élèves qui se sont complètement immergés dans le scénario. Cette séance a été riche en découvertes, en émotions et en échanges langagiers. Le lendemain matin, beaucoup de parents m’ont posé des questions, les enfants ayant raconté qu’ils étaient partis en voyage, qu’ils avaient pris l’avion et avaient vu la banquise, des morses, des pingouins, des phoques, etc. : « On avait l’impression qu’il y était vraiment allé, il nous a raconté tous les détails ! » m’ont affirmé certains parents. Que des élèves de quatre ans puissent raconter à leurs parents le soir ce qu’ils ont découvert à l’école est déjà en soi une petite victoire pédagogique. Mais que des parents nous disent, grand sourire aux lèvres, que pour la première fois, leur fille, d’ordinaire peu bavarde, a monopolisé la parole au cours du repas familial, devenant intarissable sur son voyage au Pôle Nord, devient alors une réelle justification du travail mené en classe. Cette petite fille c’est Jeanne. Une enfant qui parle peu aux adultes, souvent ailleurs, peu concernée par les échanges en classe et apparemment très discrète en famille. Or, avec ce voyage au Pôle Nord, Jeanne a été intarissable en classe, et intarissable à la maison, surprenant sa maitresse et ses parents ! Et ce bond langagier s’est pérennisé au delà du projet Pôle Nord. Ne serait-ce que pour cela, de mon point de vue, le projet est une réussite.
Les objectifs de connaissances ont été partiellement atteints. Les espèces animales et le vocabulaire géographique (iceberg, banquise) ont été bien assimilés. En revanche pour ce qui est de « caractériser quelques éléments culturels distinctifs », je ne pense pas que les élèves puissent affirmer qu’au Pôle Nord on vit comme ci ou comme ça, que les Inuits vivent comme ci ou comme ça, car ce n’est finalement pas du tout l’approche que j’ai eue. Mais ils parlent des chants de gorges inuits, ils peuvent parler des chouettes de Kenojuak Ashevak (même si son nom est très difficile à retenir et à prononcer), et expliquer que les villages du Pôle Nord sont faits de maisons en bois coloré (au Groenland) ou que certaines personnes utilisent des traineaux tirés par des chiens pour se promener. Le mot « esquimau » n’a pas été prononcé une seule fois durant le projet, et j’ai pu expliquer aux parents que ce terme était insultant. De fait, à la question « Qui vit au Pôle Nord? », je ne suis pas certaine que les élèves répondent : « les esquimaux », test à faire dès mon retour en classe.
Pour ce qui est des compétences, je peux affirmer qu’un tel projet engage les élèves dans des démarches intéressantes d’apprentissages. J’ai déjà parlé du langage, mais l’apport des livres documentaires est aussi un élément important. Empruntés à la bibliothèque ou achetés en brocante, les livres apportés en classe ont beaucoup intéressé les élèves. La bibliothèque scientifique de la classe est un espace très investi par les élèves, toujours occupé durant les temps libres et convoité aussi par les élèves de la classe d’à côté lors des moments « classes ouvertes ». Les élèves sont devenus très curieux sur les espèces animales. Un bon exemple est le visionnage d’extraits du film Bambi, déjà vus en début d’année. Nous avons revu quelques passages au mois de février, quelques heures avant le départ en vacances. La première scène du film montre tous les animaux de la forêt se précipitant pour voir le faon qui vient de naître. Les élèves avaient déjà vu cette scène, mais cette fois-ci, toutes les espèces déjà connues étaient nommées avec enthousiasme et à chaque nouvel animal apparaissant sur l’écran, ils demandaient « C’est quel animal ça ? ». Cette curiosité nouvelle est une vraie marque d’apprentissage selon moi. Or le fait d’avoir mené un second projet du même type a permis de renforcer ces apprentissages langagiers, réflexifs et en quelque sorte méthodologiques (littérature documentaire par exemple).
Enfin, l’un des bénéfices indéniables du projet est celui de la cohésion de classe.
Cohésion entre les élèves qui, par l’expérience d’un projet commun et motivant, se sont réellement soudés en un groupe classe solidaire et amical. Du moins est-ce mon ressenti.
Cohésion aussi avec les familles, par l’intérêt qu’elles ont porté au projet et l’implication qu’elles ont eu en apportant des albums et des livres documentaires. Or ce dernier point a été encore plus important dans le cadre du projet sur l’Afrique.

UN VOYAGE EN AFRIQUE

Forte de cette première expérience, j’ai voulu construire un nouveau projet et faire découvrir aux élèves une autre région du monde. S’intéresser à l’Afrique faisait apparaître d’autres difficultés, d’autres problématiques, et m’a paru intéressant pour enrichir ma réflexion.

Conception

J’ai d’abord pensé qu’il valait mieux explorer un pays, plutôt que le continent dans son ensemble. Il est en effet déraisonnable d’imaginer que l’on peut présenter l’Afrique en étant précis et concis, sans la réduire à quelques clichés et stéréotypes… J’ai donc commencé à construire une séquence sur la Tanzanie en partant d’un mouvement pictural tanzanien : le mouvement Tingatinga, du nom de son fondateur Eduardo Saidi Tingatinga (1937-1972).
Mais j’ai été très vite limitée dans le choix de mes supports, notamment musicaux, et me suis retrouvée dans des recherches très artificielles du type « musique traditionnelle de Tanzanie ».
La frustration de devoir abandonner certains artistes et musiciens africains majeurs tel que Ali Farka Touré, griot et bluesman malien, a fini par me faire changer d’approche. Pourquoi finalement ne pas proposer un voyage au travers de la variété et la richesse culturelle et artistique de l’Afrique, plutôt que de chercher à faire découvrir un seul pays, sélectionné de manière arbitraire et artificielle ? Sans parler de la « culture africaine » mais en présentant aux élèves des artistes maliens, angolais, burkinabais, congolais, etc., ne pourrait-on pas développer une approche de l’Afrique sans tomber dans les pièges ethnocentriques ? En somme, pourquoi ne pas proposer une sorte de géographie artistique, sommaire certes, mais mettant en avant la diversité et la créativité d’une région du monde ? Ce n’est pas idéal, je le reconnais, et cela mériterait d’être approfondi, mais l’expérience s’est révélée plutôt satisfaisante.
J’ai donc repris en partie la démarche pédagogique mise en place pour le « voyage au Pôle Nord » : découverte d’artistes et de leurs oeuvres, découverte de récits et contes, découverte de paysages et milieu (la savane), découverte d’espèces animales. Ce second « voyage » a permis de renforcer les constats faits lors du premier projet : problématique de la littérature jeunesse, richesse de la démarche culturelle, bénéfices pour la cohésion de classe et la relation aux familles.
L’affichage de classe et le tableau a encore une fois été un outil précieux pour structurer le projet, faire exister les artistes et fédérer élèves et parents. Les artistes, qu’il s’agisse des peintres ou des musiciens, ont pris une place particulière dans la classe durant ce projet. Ils étaient très présents, leurs photos étant constamment sous nos yeux. Au bout d’un moment nous avions découvert tellement de musiciens que le tableau ne nous suffisait plus et nous avons alors investi la porte de la classe (photo 1 page précédente). Il faut dire qu’un parent d’élève voyant notre première affiche sur les musiciens écoutés durant le temps calme (photo 5) a proposé de nous apporter d’autres disques. Ainsi avons-nous eu la chance de découvrir Amadou et Mariam, Le grand orchestre Poly-Rythmo et Calypso Rose (qui n’est pas africaine, mais se revendique comme telle…). Le fait d’avoir des disques a également changé l’approche de la musique. Elle a pris une dimension plus concrète et nous nous sommes alors offerts des temps d’écoute chaque jour, choisissant parmi nos disques, l’artiste que nous avions envie d’écouter (« Bofou Safou » d’Amadou et Mariam a remporté un franc succès !).
L’engagement des parents dans le projet s’est aussi manifesté par le biais d’une maman, originaire du Congo, qui a été très touchée par l’intérêt que l’enseignante pouvait porter à l’Afrique et aux Africains (ce sont ses mots : « vous aimez les Africains alors ? »). Elle a offert à la classe des chutes de tissus africains (et un immense morceau à la maitresse !) pour le projet autour de François Thango, et est venue dans la classe nous apprendre quelques mots de Lingala (langue congolaise). Pour cette mère au parcours de vie difficile, très en retrait depuis le début de l’année dans la classe, vis-à-vis des autres parents ou des enseignantes, cette contribution apportée au projet a semble-t-il été un moment important. Ma binôme ellemême a perçu une nette différence d’attitude et de communication depuis. J’ai eu le sentiment que cette femme trouvait une place dans l’école de sa fille et s’y sentait considérée et respectée. Permettre à ces parents, éloignés de l’école, d’y trouver une place, c’est la surprise de ce projet.
Toutefois, cela peut aussi produire l’effet inverse. Une autre mère d’élève a semblé plutôt circonspecte pour ne pas dire irritée quant au travail mené en classe. Sans qu’il y ait de remarque frontale, quelques remarques aux enfants sur Kirikou ou les autres albums m’ont fait penser que le projet pouvait créer des crispations chez cette femme originaire de Côte d’Ivoire. Et je le comprend, étant moi-même plutôt mal à l’aise avec certains aspect du projet.

Bilan et perspectives

Ce deuxième « voyage » a donc permis de confirmer quelques certitudes dans la démarche, les objectifs et les enjeux pédagogiques à donner à un projet de découverte du monde. Il a également renforcé le constat de difficultés dans la conception et la mise en œuvre tout en révélant de nouveaux points de vigilance. Voici donc un récapitulatif des éléments essentiels qui émergent des réflexions et expérimentations en classe.
Cette démarche, si elle commence à être construite par mes réflexions et par ma pratique de terrain, doit toutefois être encore améliorée. Des progrès à faire par exemple, dans la définition géographique des régions explorées. En effet parler du « Pôle Nord » est une forme d’inexactitude géographique, puisque ce terme définit en fait un point du globe et non une région. Il serait plus juste de parler de l’Arctique. Or même avec ce terme notre projet reste dans l’inexactitude puisque l’Arctique regroupe le Grand Nord Américain, le Groenland, le Grand Nord européen (Laponie), et le nord de la Sibérie. Or les Inuits et les animaux étudiés ne vivent pas sur l’ensemble de ces territoires, mais principalement dans le Grand Nord américain (Alaska et Canada) et au Groenland. C’est un point difficile, car peut-on se passer d’utiliser le vocabulaire connu des élèves et le complexifier si tôt ? Question en suspens. Evidemment la problématique est la même avec l’Afrique car en définitive, je n’ai abordé dans mon projet que l’Afrique sub-saharienne, en occultant complètement le Maghreb.
D’un point de vue environnement, je n’ai abordé que la savane africaine, en occultant les régions équatoriales, les régions montagneuses ou désertiques. Simplification tout a fait discutable j’en conviens !
J’ai longuement insisté sur la problématique de la littérature et du choix des albums, je réitère ici mon regret d’avoir fait des compromis insatisfaisants et renouvelle la certitude que les contes authentiques et oeuvres littéraires d’origines sont la solution la plus satisfaisante.
Au terme du projet, je regrette également de n’avoir pas davantage investi la question des langues, élément pourtant très intéressant à exploiter en maternelle. L’intervention de la mère d’élève m’en a convaincue et un renforcement de cet aspect me semble nécessaire dans la construction d’un prochain projet.
Enfin, dans la perspective d’un projet annuel, il conviendra d’améliorer la cohérence globale du projet pour donner du sens et impliquer davantage les élèves. C’est là que l’idée de la mascotte, déjà évoquée, prend son intérêt et un dispositif de ce genre mériterait d’être pensé pour enrichir le projet. Dans la même optique, il serait bon de concevoir un façon de garder trace de toutes ces découvertes. J’ai déjà évoqué l’idée d’un planisphère à compléter, peut-être qu’un carnet de voyage, dont la forme reste à définir, peut venir compléter cette démarche et donner un support et une trace individuelle aux élèves. Cela permettrait en outre de tisser des liens entre les apprentissages, entres les régions du monde, les modes de vie, les oeuvres, etc.

CONCLUSION

Les projets type « tour du monde », visant la sensibilisation à la diversité culturelle et biologique, sont des projets très courants en maternelle. Notons par exemple que dans mon groupe de tutorat, quatre professeurs stagiaires sur neuf se sont engagés cette année dans de tels projets. Les bénéfices éducatifs de ces projets sont indéniables, et j’ai pu le mesurer avec mes élèves. Toutefois, ce mémoire m’a permis d’exposer les écueils que pouvaient receler de tels projets. En explorant la littérature de jeunesse, les divers propositions pédagogiques glanées sur le net, ou présentées par des collègues, on prend conscience qu’un certain nombre de supports, de discours et de démarches, ne font que reproduire et transmettre des stéréotypes ethniques, sociaux voire racistes. Ces stéréotypes sont le terreau d’une méconnaissance de nos contemporains et bien souvent à la source de mépris, de discriminations, et d’inégalités plus graves. On retrouve en définitive un mécanisme déjà bien connu dans le domaine des stéréotypes de genre, qui, en se transmettant dans la culture populaire et scolaire, favorisent les inégalités femmes-hommes. Il est donc nécessaire de formuler des exigences éthiques et humanistes, sur la base de réflexions anthropologiques, sociologiques, géographiques et politiques, pour donner à nos projets pédagogiques une dimension citoyenne. Car il me semble important, dans un monde de plus en plus globalisé et au sein de sociétés de plus en plus multiculturelles, que l’école prenne sa part de responsabilité dans l’éveil à la diversité culturelle, dans la sensibilisation à la différence, et dans l’éducation au respect et à la tolérance pour former des citoyens en mesure de défendre les valeurs de paix, d’égalité et de solidarité.

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Table des matières
INTRODUCTION 
1. DÉFINIR UN PROJET 
1.1 Objectifs et démarches
1.1.1 Que disent les programmes ?
1.1.2. Quels objectifs se fixer ?
1.1.3. Quelle démarche adopter ?
1.2. Enjeux pédagogiques et éthiques
1.2.1 Diversité biologique et safarisation du monde
1.2.2. Diversité culturelle et ethnocentrisme
2. UN VOYAGE AU PÔLE NORD 
2.1. Difficultés
2.1.1. Littérature et stéréotypes culturels
2.1.2. Productions artistiques : invisibilisation des artistes
2.1.3. Approximations scientifiques
2.2. Propositions pédagogiques
2.2.1. Démarche pour une approche de la diversité culturelle
2.2.2. Démarche pour une approche environnementale
2.2.3. Affichages de classe
2.3. Bilan
3. UN VOYAGE EN AFRIQUE 
3.1. Conception
3.2. Mise en Oeuvre
3.3. Bilan et perspectives
CONCLUSION 
RÉFÉRENCES 
1.Articles de revue et ouvrages
2.Documents institutionnels
3.Sites internet
4.Documents audiovisuels
5.Littérature de jeunesse
DIVERS (ANNEXES) 
RÉSUMÉS 
1.Résumé en français
2.Résumé en anglais
TABLE DES MATIÈRES

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