Production forcée in futurum

Objectif de la production forcée in futurum : conserver ou établir une preuve avant tout procès

Selon l’article 145 du Code de procédure civile : «s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressée, sur requête ou en référé».
La mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, ne doit pas excéder ce que commande l’utilité, au regard de l’objet spécifique de ce texte, c’est à-dire la conservation ou l’établissement de la preuve en vue d’un éventuel procès.
L’expertise constitue de loin la mesure la plus souvent demandée sur le fondement de l’article 145. Cependant, ce texte a vocation à régir l’ensemble des situations ou il est nécessaire de se ménager une preuve.
Il n’est pas illusoire de croire qu’un plaideur trouvera parfois intérêt à demander une production par la voie du référé ou sur simple requête, en dehors de tout litige déclaré. En effet, les raisons qui avaient présidé à l’admission des mesures d’instruction in futurum étaient de deux ordres complémentaires : établir une preuve ou en assurer la conservation, en un mot éviter le dépérissement des preuves.
Les pièces, les documents ont la même fragilité que peuvent avoir les témoignages ou les situations contingentes. Ils peuvent risquer, comme toutes les choses, soit la destruction, soit la perte, soit le vol. Ils peuvent disparaître, volontairement ou non des mains de leur détenteur. A ce moment-là, pourquoi refuser à celui qui n’en n’a pas la possession et qui pourrait en avoir besoin plus tard, le droit d’en dresser une copie pour en conserver une trace ?
Ce sont les raisons qui autrefois avaient incité les juges à admettre de manière prétorienne, les mesures d’instruction in futurum, qui viennent aujourd’hui militer en faveur de la production forcée in futurum.

La requête : une voie efficace

L’article 145 du Code de procédure civile dispose que «les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé». C’est cependant la voie de la requête qui offre la possibilité à la production forcée in futurum de s’épanouir. Cette voie fait partie de l’efficacité et du succès de cet instrument. En effet cette procédure permet à toute personne envisageant d’engager une procédure au fond à l’encontre d’une autre et justifiant d’un «intérêt légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige», de requérir du président du tribunal compétent, sans que l’adversaire ne soit assigné, la désignation d’un huissier de justice ayant pour mission de se rendre chez l’adversaire afin de saisir tout document permettant d’établir les faits allégués, en ayant recours, si nécessaire, à la force publique et à tous techniciens de son choix.
L’intérêt de cette procédure réside notamment dans son effet de surprise. Celui-ci est le bienvenu lorsque l’on peut légitimement craindre que l’avertissement du futur adversaire, lui offre la possibilité de détruire les preuves en sa défaveur. De plus, la voie de la requête est devenue encore plus intéressante depuis que la condition de l’urgence, n’est plus une condition de recevabilité de la mesure. En effet cette condition posée par trois arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 7 mai 2008, avait des conséquences néfastes sur l’utilité de ces mesures et sur la protection des intérêts du requérant . En subordonnant la mesure d’instruction in futurum ordonnée sur requête à l’urgence, la Cour en limitait son utilisation à la conservation des preuves, qui menacées de dépérissement, risquaient d’être détruites ou dissimulées. C’était, dans cette situation, ce risque là, qui établissait l’urgence. L’urgence était donc caractérisée par le fait que les intérêts du demandeur seraient affectés si la mesure n’était pas prise immédiatement, et par le risque de destruction ou de dissimulation de ces preuves qui commande de ne pas appeler la partie adverse.

Inopportunité de la distinction législative entre production forcée et mesure d’instruction

Pour comprendre cette inopportunité il faut partir d’un constat. Le Code de procédure civile traite au sein du titre VII, intitulé «L’administration judiciaire de la preuve», dans deux sous titres différents, d’une part des pièces et d’autre part des mesures d’instruction . Nous voyons donc bien que le législateur n’a pas envisagé la communication des pièces au sein des mesures d’instruction. Il est dès lors possible de faire valoir que la communication des pièces ne peut être ordonnée en référé ou sur requête, en dehors de tout procès. En effet la communication n’est prévue par les textes que dans le cadre d’une instance principale en cours. De plus elles n’ont pas la même finalité ; la communication des pièces a pour finalité le respect des droits de la défense, et les mesures d’instruction in futurum sont destinées à sauvegarder ou à établir la preuve des faits.
Cependant, comme l’a démontré un auteur13, une telle exclusion est discutable car d’une part la communication des pièces constitue en réalité une mesure d’instruction, et d’autre part parce que les pièces peuvent servir de preuve à l’appui d’une prétention donc que l’on peut avoir intérêt à en obtenir la conservation avant tout procès.
De plus, il faut souligner que le Conseil d’Etat a analysé la production forcée comme étant une mesure d’instruction, dans son arrêt Barre et Honnet du 10 mai 1974. Ce qui a en fait brouillé le débat, selon le Professeur Daigre, c’est l’habitude que l’on a de traiter les mesures d’instruction comme un ensemble homogène. Les différentes mesures d’instruction ont en effet le même but, la recherche de la réalité, cependant cela ne signifie pas qu’elles sont semblables les unes aux autres.

Extension de l’éventail des mesures probatoires préventives : la production forcée in futurum approuvée

Au travers de différents exemples d’arrêts nous allons voir que la Cour de cassation s’est montrée favorable à l’extension de l’éventail des mesures probatoires préventives en approuvant l’instrument probatoire qu’est la production forcée in futurum.
Au commencement, les juridictions du fond ne se sont pas posées de questions. Elles ont admis la production forcée avant tout procès sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. Cette production forcée in futurum ne posait donc pas, a priori, de difficultés. Un doute a cependant été introduit par un arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 24 juillet 1986. Pour refuser à un salarié la condamnation de l’employeur à produire les disques chronotachygraphes qu’il détenait, la Cour d’appel de Poitiers, s’était livrée à une interprétation étroitement exégétique de l’article 145 du Nouveau Code de procédure civile.
Le texte, relevait-elle, était inséré dans un sous-titre intitulé «Les mesures d’instruction» ; il ne visait expressis verbis que ces seules mesures. La production forcée des pièces figurait elle au sous-titre précédent. Le code n’y voyait donc pas une mesure d’instruction et l’article 145 lui était donc en conséquence inapplicable.
Cette analyse de la Cour d’appel de Poitier, qui n’est pas tout a fait sans précédent16 tranche sur celle retenue habituellement par les juridictions du provisoire de la région parisienne. En effet et cela à plusieurs reprises, les juges des référés du TGI de Paris ont enjoint à l’adversaire de produire les pièces qu’il détenait. Ils n’ont pas exprimé de doutes sur ’applicabilité de ce texte à la mesure qu’ils prescrivaient. Par exemple, un assureur a été contraint de communiquer à l’assuré le rapport du médecin expert de la compagnie, une personne qu’une œuvre cinématographique mettait en cause a pu obtenir la communication du script et l’autorisation de visionner le film avant sa diffusion publique, une autre l’obtention de la consultation d’une comptabilité syndicale, ou encore des pièces et documents détenus par un tiers en vue de réunir les éléments de preuve pouvant justifier un recours en révision.

Obligation de caractériser les circonstances de nature à justifier la suppression du contradictoire

Lorsque l’intervention du juge des requêtes est formellement prévue par un texte spécial, il est admis, en principe, que les conditions prévues par ce texte se suffisent à elles mêmes.
D’autres conditions supplémentaires sont donc à exclure. Ce n’est que pour les ordonnances innommées, celles qui ne sont pas spécialement prévues par un texte, que les deux conditions mentionnées à l’article 875 du Code de procédure civile s’appliquent. Ces deux conditions sont l’urgence et la nécessité de justifier d’une dérogation au principe du contradictoire.
L’ordonnance sur requête probatoire étant formellement visée par un texte spécial, l’article 145 du Code de procédure civile, il peut sembler évident, comme le souligne le professeur Mouy, que la réunion des trois conditions posées par ce texte, c’est à dire l’existence d’un motif légitime, l’absence de tout procès engagé au fond et le caractère légalement admissible de la mesure probatoire sollicitée, semblent suffire pour autoriser un plaideur à obtenir cette mesure par voie de requête.
Cependant, le juge n’en a pas décidé ainsi. Il a estimé que l’article 145 ne pouvait pas être appliqué tel quel. En effet, à la lecture du texte, on pourrait supposer que le demandeur peut opter à son gré pour la procédure sur requête ou pour la procédure de référé, puisque «les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé». Cette rédaction est maladroite puisqu’elle occulte la différence fondamentale qui sépare ces deux procédures et qui justifie qu’elles ne sauraient occuper la même place au sein de l’article : la question de la contradiction. Alors que les ordonnances de référé sont rendues à la suite d’une procédure contradictoire, les ordonnances sur requête interviennent sans débat contradictoire préalable. Vu l’importance de la contradiction, le rôle assigné à la requête, par rapport au référé, ne peut être que subsidiaire.

Requête et impartialité du juge : le référé-rétractation

L’impartialité du juge est une garantie tirée du droit au procès équitable posé par l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette garantie essentielle, doit être assurée dans le cadre de toutes les procédures, et en particulier, pour ce qui nous concerne, dans le cadre de la procédure de l’article 145 du Code de procédure civile. Les particularités inhérentes à cette procédure conduisent à plusieurs adaptations compte tenu de la garantie du droit à un tribunal impartial.
La question ne pose pas de difficultés particulières s’agissant de la saisine du juge par la voie du référé, donc une saisine contradictoire. En effet, il suffit de s’assurer que le juge saisi en référé pour autoriser la mesure d’instruction ne figurera pas parmi les juges composant la juridiction qui sera éventuellement saisie du procès au fond. Cette logique est conforme à la solution de l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans sa décision Bord Na Mona rendue sur le fondement de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, la question pose plus de difficultés s’agissant d’une saisine par la voie de la requête. En effet, lorsque le juge fait droit à la requête, la voie de recours est, de façon classique, celle du référé-rétractation. Cette voie de recours est prévue par l’article 496 du Code de procédure civile. Elle est ouverte à «tout intéressé», sans limite de temps et devant
le «juge qui a rendu l’ordonnance». Cette procédure consiste à saisir le juge qui a autorisé la mesure, en vue d’empêcher que celle-ci ne se réalise ou pour en annuler les effets. Cette action aboutit à restituer l’intégralité des pièces qui ne pourront être utilisées en justice.

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Table des matières

I. L’utilité de l’instrument
A. Un intérêt probatoire indiscutable
1. Objectif de la production forcée in futurum : conserver ou établir une preuve avant tout procès
2. La requête : une voie efficace
B. Une consécration jurisprudentielle : conséquence de l’utilité du procédé
1. Inopportunité de la distinction législative entre production forcée et mesure d’instruction
2. Extension de l’éventail des mesures probatoires préventives : la production forcée in futurum
approuvée
II. Les dangers de l’instrument
A. Le danger d’une instrumentalisation du procédé
1. Requête et respect du contradictoire
a. Obligation de caractériser les circonstances de nature à justifier la suppression du contradictoire
b. L’audience « d’ouverture de séquestre »
2. Requête et impartialité du juge : le référé-rétractation
B. Le danger d’une intrusion dans la vie d’autrui
1. L’immixtion dans la vie privée et la vie des affaires
a. Production forcée in futurum confrontée à la vie privée
b. Production forcée in futurum confrontée au secret des affaires
c. Production forcée in futurum confrontée au secret professionnel
2. La dérive vers une perquisition civile
a. Les données du danger
b. Un danger contrecarré par la jurisprudence : prohibition des mesures générales d’investigation

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