Problématique d’une antibiothérapie probabiliste

Problématique d’une antibiothérapie probabiliste

Rappel historique :

Si Louis Pasteur et Robert Koch peuvent être considérés comme les pères de la microbiologie au 19ème siècle, c’est à Alexander Fleming (1881-1955) que l’on attribue l’une des plus importantes découvertes de l’histoire de la Médecine : la pénicilline. A son retour de vacances, pendant lesquelles il avait laissé entasser des boîtes de Pétri contenant des cultures de Staphylocoques, il remarque qu’une boîte a été contaminée accidentellement par des moisissures du laboratoire voisin de mycologie du Docteur La Touche. Fleming constate alors que les colonies de staphylocoques sont inhibées à proximité des colonies du champignon, qu’il identifiera comme pénicillinum notatum, et comprend immédiatement le potentiel de sa découverte [3]. Il publie ses travaux en 1929 [5], mais il faudra attendre 1940 avec Ernst Boris Chain (1906-1979) et Howard Walter Florey (1898-1968) pour que la pénicilline soit purifiée et donc disponible pour le monde médical.

La première injection de pénicilline est effectuée le 12 février 1941 sur un policier Londonien atteint de septicémie, quelques mois après le début des attaques aériennes allemandes. Cependant, devant la pénurie des doses le policier meurt deux mois après. Pour cette fabuleuse découverte A. Fleming, E.B. Chain et H.W. Florey reçoivent le prix Nobel de Médecine en 1945. Peu de découvertes en Médecine ont eu autant de retentissements que celle de la Pénicilline, première substance dont la tolérance se conjugue à une puissante activité. Le travail de Fleming a ouvert la voie aux autres antibiotiques. Alors que l’humanité souffre de graves épidémies telles que la tuberculose, la lèpre, les maladies vénériennes, les pneumopathies ou les méningites, l’avènement de la chimiothérapie anti-infectieuse modifie profondément les données socio-économiques par le traitement de ces maladies. Ainsi, elle permet de réduire la mortalité de 30% en 1947 par rapport à 1938 et d’allonger l’espérance de vie de 42 ans en 1960 à plus de 70 ans en 1967. La mortalité infantile diminue également de façon importante. En effet, d’après une étude du ministère de la Santé britannique, le taux de mortalité infantile due à la syphilis congénitale s’abaisse de 1,5 ‰ en 1910 à 0,01‰ en 1954 après introduction de Pénicilline G en1941 [3]. Cependant, comme l’a identifié très tôt Fleming, les perspectives de développement des résistances bactériennes à la pénicilline sont bien réelles. L’utilisation d’agents antibactériens est responsable d’un déséquilibre de l’écosystème bactérien et par conséquent de l’émergence de résistances parmi des souches considérées comme curables.

La résistance bactérienne : Pendant une trentaine d’années, dans l’euphorie du progrès pharmaceutique, le développement de la résistance bactérienne aux antibiotiques n’a pas vraiment été pris au sérieux. De nos jours, la prévalence de la résistance est élevée aussi bien dans les espèces bactériennes responsables d’infections communautaires banales que dans les espèces impliquées dans les infections acquises à l’hôpital [6]. Ce phénomène mondial, a surtout pris de l’ampleur depuis une dizaine d’années (figure 1) et s’accompagne parallèlement d’une augmentation de l’incidence des infections nosocomiales. De plus, il s’avère que les régions et hôpitaux qui ont le moins de contrôle de leurs prescriptions antibiotiques sont ceux où la fréquence des organismes résistants est la plus importante, ce qui suggère aussi un lien de cause à effet.

Depuis 1998, la Communauté Européenne finance un système de surveillance de la résistance aux antibiotiques appelé EARSS (European Antimicrobial Resistance Surveillance System) dont le but est de rassembler des données chiffrées comparatives sur les résistances aux antibiotiques en santé humaine. Vingt-huit pays participent à ce réseau. Actuellement l’EARSS se focalise sur 5 espèces bactériennes : Staphylococcus Aureus, Streptococcus Pneumoniae, Escherischia Coli, Enterococcus Faecalis et Enterococcus Faecium. L’analyse des données obtenues en 2002 montre que la place de la France en Europe diffère selon l’espèce bactérienne. Le taux de résistance à la Pénicilline G (53%) et aux Macrolides (58%) chez S Pneumoniae est très élevé et la France occupe à cet égard la première (pénicilline) et la deuxième (macrolides) place en Europe [7].De toute évidence, la résistance bactérienne est un problème majeur de santé publique qu’il nous faut maîtriser sans tarder. Elle est étroitement liée à la surconsommation d’antibiotiques et implicitement à leurs mauvaises utilisations.

Consommation d’antibiotiques : Afin de pouvoir analyser et comparer les consommations d’antibiotiques, il a été décidé d’utiliser une unité, la DDD (Defined Daily Dose) ou DDJ en français (Dose Définie Journalière). Elle correspond à la posologie journalière pour un adulte de 70 kg, dans l’indication principale du médicament, lors de son utilisation en ville. Il faut noter que la DDD d’un antibiotique peut varier selon le mode d’administration, orale ou parentérale [8]. Les principales limites de cette unité sont l’absence de DDJ spécifiques à l’hôpital, et adaptées à l’enfant. Par ailleurs, les DDJ peuvent s’avérer complètement différentes des posologies recommandées dans la plupart des indications thérapeutiques (par exemple, la DDJ de l’amoxicilline est de 1 pour des posologies usuelles de 2 à 3g). Néanmoins, cette unité permet des comparaisons entre classes d’antibiotiques, années et pays. Le nombre annuel de DDJ, rapporté au nombre de journées d’hospitalisation pour les établissements de santé, et au nombre d’habitants pour les soins de ville, constitue la base de calcul de l’exposition aux antibiotiques. Une autre unité est parfois utilisée, la PDD (ou DPJ), dose prescrite journalière, qui correspond à la dose recommandée localement dans les principales indications. Elle peut donc être utilisée dans des audits de pratique au sein d’un service ou d’un hôpital, mais peut difficilement être généralisée afin de permettre des comparaisons à plus grande échelle.

Données internationales : En France, une enquête de prévalence a été réalisée en 2001, afin de décrire à « un jour donné » l’usage des antibiotiques à l’hôpital. Cette enquête concernait 1553 établissements publics ou privés. La France était, d’après ces données, le premier consommateur d’antibiotiques en Europe, avec 3 DDJ/1000 habitants-jours à l’hôpital (la méthodologie utilisée « un jour donné » ne permettait pas de calculer la DDJ par journée d’hospitalisation) [9]. Le jour de l’enquête, 16% des patients recevaient une antibiothérapie (dont 2% pour antibioprophylaxie). Parmi les patients hospitalisés en court séjour, 24,3% recevaient un traitement antibiotique (jusqu’à 46,4% en réanimation). Les antibiotiques les plus fréquemment prescrits étaient l’amoxicilline-acide clavulanique (prévalence de 70,4 pour 1000 patients hospitalisés en médecine), les fluoroquinolones [10], et les céphalosporines de troisième génération [11]. Le recueil des ventes d’antibiotiques en 2002 montre qu’elles ont été de 3,9 DDD/1000 habitants/jour (ce qui équivaut à 3,9 DID) à l’hôpital, soit une augmentation de 13,9% depuis 1997. Les principaux antibiotiques vendus étaient les pénicillines (2,01 DID) dont 63% associées à des inhibiteurs des pénicillinases, les nitro-imidazolés (0,61 DID soit 53,8% d’augmentation depuis 1997), les quinolones (0,34 DID, en augmentation de 17,8% depuis 1997), et les céphalosporines (0,28 DID) [8].

Données locales : Une étude rétrospective sur 2 ans pour déterminer la consommation des antibiotiques en 2007 et 2008 a été menée au service de réanimation médico-chirurgicale de l’hôpital Ibn Tofail du CHU Mohammed VI, unité qui contient 10 lits d’hospitalisation. Tous les malades hospitalisés pendant cette période ont été inclus. 557 malades étaient hospitalisés pendantl’année 2007, et 435 en 2008. Ce qui représente un total de 992 admissions sur la durée de l’étude avec une moyenne de 1.36 admissions par jour. Ces malades étaient porteurs de pathologies variées, dominées par la pathologie traumatique et les suites opératoires. Le service de réanimation du CHU Mohamed VI, a réalisé 3372 journées d’hospitalisation en 2007, et 2876 journées d’hospitalisation (JH) en 2008, avec une durée moyenne de séjour de 6j. Une panoplie de familles et de molécules d’antibiotiques, était utilisée au service de réanimation.

La consommation globale du service était de 866 DDJ/1000JH et les Bêtalactamines étaient les molécules les plus utilisées. Les résultats obtenus par cette étude, montrent que la consommation d’antibiotique a baissé en 2008 pour la majorité des antibiotiques de réserve (Imipenème, Amikacine, Piperacilline-tazobactam, Teicoplanine, Vancomycine) mais aussi pour l’Ampicilline-Sulbactam, par contre une augmentation de la consommation était observée pour le Métronidazole, Ceftriaxone, Ciprofloxacine et Levofloxacine. Cette baisse de la consommation peut être expliquée par l’application au service en 2008 de protocoles d’antibiothérapies notamment concernant les pneumopathies acquises sous ventilation mécanique [13].

Plusieurs exemples d’études publiées : Plusieurs études ont analysé, au sein d’un ou plusieurs hôpitaux, les pratiques de prescription et leurs conformités par rapport aux recommandations. Nous allons en passer quelques-unes en revue, afin d’étudier la méthodologie utilisée, les sites infectieux et les molécules utilisées. Une étude déjà ancienne (1984), réalisée sur 1000 patients au CHU de Grenoble [14], montre que 43% des patients hospitalisés recevaient une antibiothérapie, dont plus de la moitié (23%) dès l’arrivée aux urgences (avec alors une nette prédominance des macrolides). Cette étude, réalisée sous forme de questionnaires remplis par l’enquêteur avec les médecins des services hospitaliers, mettait également en valeur la répartition des sites infectieux chez les patients traités dès l’entrée : respiratoire (37%), cutané (17%), urinaire (14%), abdominal (13%) … Une étude, de 1988, réalisée au CHU de Rouen [15] analysait l’antibiothérapie à partir du dossier médical de 480 patients, répartis dans 4 services hospitaliers. 26% d’entre eux avaient reçu une antibiothérapie à visée curative (au total 37% avaient reçu une antibiothérapie), dont 60% en monothérapie. La durée de séjour des patients traités par antibiotiques était augmentée (10,9 jours pour 5,4 jours chez les patients non traités). L’analyse des prescriptions montrait que le traitement était indiqué dans 93% des cas, mais inapproprié dans 53% des cas (pour un coût excessif, une association inutile, ou une efficacité insuffisante). On peut noter que l’analyse par sous-groupes montrait que les personnes âgées semblaient plus exposées à un risque de prescription inappropriée.

Un audit des pratiques réalisé au CH de Valence [16], de décembre 1999 à janvier 2000, a analysé 168 prescriptions reçues par la pharmacie : 75% en monothérapie, 23,2% en bithérapie et 1,8% en trithérapie (sous réserve de « stocks » dans les services). Les principaux antibiotiques prescrits étaient amoxicilline-acide clavulanique (21,1%), ceftriaxone (20,7%) et Ofloxacine (10,8%). En cas d’antibiothérapie curative, le site présumé de l’infection était respiratoire dans 56% des cas, urinaire (13,3%), abdominal (6,7%)…. Il n’était pas précisé dans 13,3% des cas. Enfin, la conformité aux protocoles (ou bonnes pratiques) était difficilement analysable, plus de la moitié des ordonnances n’étant pas suffisamment renseignées. Une étude réalisée dans un service de réanimation polyvalente en 1995, a analysé les prescriptions d’antibiotiques chez 100 patients [17]. Les prescriptions étaient évaluées par deux experts, infectiologues, n’exerçant pas dans le service concerné. L’évaluation était basée sur deux critères : l’adaptation à l’antibiogramme et la posologie. On a notamment pu observer que l’antibiothérapie probabiliste était adaptée dans 79% des cas. Les erreurs de posologies (doses insuffisantes) concernaient 10% des patients.

Ces différentes études sont basées sur des critères d’évaluation et des méthodologies complètement différents, ce qui dénote un manque de critères standardisés. Une méthodologie originale a été employée, dans un domaine un peu différent, concernant l’antibioprophylaxie chirurgicale [11]. Elle consistait, lors d’une étude de type « un jour donné », en l’analyse des prescriptions par rapport aux recommandations en vigueur à l’aide d’une combinaison de sept critères (indication justifiée, molécule choisie, posologie, horaire d’administration et de ré-administration, rythme d’administration, durée du traitement) permettant d’établir un score de conformité. Une méthodologie similaire a été utilisée pour une étude inter-hospitalière de 2000, portant sur l’évaluation des pratiques de prescription en matière d’antibiothérapie [18]. Elle consistait en l’analyse « un jour donné » des dossiers médicaux de 1034 patients, dont 17% avaient reçu des antibiotiques dans les sept jours précédents. Les principales indications étaient respiratoires (35%) et urinaires (22%). Les molécules privilégiées étaient les fluoroquinolones (23%) et les pénicillines+inhibiteurs (21%).

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Table des matières

GENERALITES
I Définitions
1- Antibiotiques
2- Resistances
II Rappel historique
III Contexte actuel
1- La résistance bactérienne
2- Consommation d’antibiotiques
2-1 Données internationales
2-2 Données nationales
2-3 Données locales
IV Evaluation des prescriptions d’antibiotiques
1- Plusieurs exemples d’études publiées
2-Quelques exemples d’études aux urgences
3- Synthèse
ETUDE CLINIQUE
I But du protocole
II Matériel et méthodes
III Résultats
1- Nombre des admissions
2- Motif d’admission
3- Pronostic
4- Conformité au protocole
5- Résultats du questionnaire des médecins
5-1 Degré d’utilité d’un protocole d’antibiothérapie dans le service des urgences
5-2 L’utilisation d’un protocole d’antibiothérapie au service des urgences
5-3 Les avantages d’un protocole simple
5-4 Les impératifs pour la mise en place d’un protocole d’antibiothérapie
DISCUSSION
I Analyse des principaux résultats
1- Description des sites infectieux
2- Évaluation des prescriptions
3- Prescripteur et protocole
II Particularités du service des urgences
1- Service des urgences
2- Qualité du praticien
III Problématique d’une antibiothérapie probabiliste
1- Définition
2- Principes généraux du raisonnement probabiliste
2-1 Quel est le site infecté ?
2-2 Sur quel terrain survient l’infection ?
2-3 Faut-il pratiquer des examens biologiques non microbiologiques ?
2-4 Faut-il faire un prélèvement bactériologique avant l’antibiothérapie ?
2-5 Une antibiothérapie est-elle justifiée et à quel moment ?
3- Rôle du laboratoire de microbiologie dans l’antibiothérapie probabiliste
3-1 Déterminer la sensibilité de la bactérie aux antibiotiques
3-2 Outils bactériologiques d’une antibiothérapie probabiliste ciblée
3-3 Tenir compte des mécanismes de résistance
3-4 Les « contradictions » du laboratoire
4- choix de l’antibiothérapie
4-1 Quel antibiotiques utiliser ?
4-2 Faut-il utiliser une association d’antibiotiques ?
4-3 Comment prescrire l’antibiothérapie ?
4-4 Principes de l’antibiothérapie probabiliste aux urgences selon les situations cliniques
a. Choc septique
b. Méningites bactériennes communautaires
c. Pneumopathies aiguës communautaires
d. Infections urinaires communautaires de la femme
e. Infections cutanées et des tissus mous
f. infection intra-abdominales
IV Protocole : intérêt et limites
1- Les différents types de protocoles
1-1 Le cycling
1-2 L’exclusion de certaines classes d’anti-infectieux
1-3 L’hétérogénéité antibiotique « encadrée »
1-4 Algorithmes décisionnels
1-5 Protocoles stéréotypés avec réévaluation
2- Avantages des protocoles de service
3- Inconvénients des protocoles de service
4- Conditions à respecter pour l’efficacité des protocoles de service
4-1Qualité de la rédaction
4-2 Encadrer la prescription empirique
4-3 S’adapter à l’évolution de l’écologie bactérienne locale
4-4 Vérifier l’observance
V Recommandations
1- Formation
2- Protocoles de prescription et guides pratiques
3- Politiques de restrictions des antibiotiques
4- Marqueurs biologiques et tests spécifiques
CONCLUSION
ANNEXE
RESUMES
BIBLIOGRAPHIE

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