Préliminaire : de la reconnaissance des élèves d’être un sujet d’étude

PROBLEMATIQUE

La possibilité de mieux faire comprendre ce que représentent l’écriture et le fait littéraire, la possibilité que ces notions puissent être plus tangibles et moins à distance, grâce à une réflexion sur le discours tenu sur les pratiques d’écriture extrascolaires mais aussi sur des pratiques d’écrits hybrides, nous paraît ainsi une visée tout-à-fait intéressante à explorer en classe de seconde. Par écrits hybrides, nous entendrons les écrits réalisés en marge des productions scolaires institutionnelles, réalisés dans des moments différenciés des séances classiques ; produits sur la base de consignes a priori faiblement contraignantes ou en tout cas hors cadre scolaire institutionnel ; non notés ou notés avec la garantie d’avoir au minimum la moyenne.

Contexte : le lycée Delacroix de Drancy – les classes de 2 nde étudiées

Le lycée polyvalent Eugène Delacroix où nous avons enseigné cette année, forme le cadre qui a suscité notre interrogation sur la relation des élèves à l’écriture, tant leur rechignement à écrire contrastait avec leur spontanéité à s’exprimer. Situé au cœur de Drancy dans le 93, ce lycée accueille et forme environ 1850 élèves et étudiants chaque année. Son équipe pédagogique compte 190 professeurs. Si son taux de réussite au baccalauréat avoisine les 80% et est en constante progression depuis ces dernières années, il reste cependant en queue de peloton dans le classement départemental. Ce taux de réussite somme toute moyen cache en fait une réelle disparité entre garçons et filles, l’écart entre ceux -ci étant de près de 20% en moyenne, au détriment des garçons. Sur ce point le lycée Delacroix ne fait qu’accentuer une tendance lourde constatée partout.
Construit dans les années 50, le lycée a fait l’objet d’une rénovation importante dans les années 90. Si toutes les classes sont équipées d’un ordinateur, d’un accès à Internet, et d’un vidéoprojecteur, on soulignera que certains locaux restent vétustes voire sont assez dégradés, en particulier le gymnase et le bâtiment des préfabriqués (qui pour une raison mystérieuse est principalement réservé aux cours de lettres !) et peuvent contribuer à donner à certains élèves le sentiment d’être discriminés.
Classé établissement PLV, le lycée Delacroix n’est le lieu ni de violences particulières ni même d’incivilités répétées, hormis quelques cas isolés. L’absentéisme reste le problème majeur auquel les enseignants et l’encadrement sont confrontés. Il semble aller de pair avec la difficulté d’impliquer une partie des familles dans la scolarité de leur enfant (les bulletins trimestriels sont remis aux parents et non envoyés par courrier : tous ne viennent pas le chercher). Même si c’est un problème qui ne touche qu’une partie des élèves, il altère le fonctionnement d’ensemble du lycée tant la réussite au baccalauréat et l’absentéisme semblent corrélés.
Le nombre de classes de 2 nde au lycée Delacroix est de 10. Les classes 209 (où enseigne Sandra Miranda notre tutrice, et où elle anime un atelier d’écriture) et 210 (où nous enseignons) ont formé le terrain du protocole mis en place, chacune comportant 21 filles et 9 garçons.
L’étude des CSP des parents, via les professions déclarées, confirme que Delacroix est un lycée populaire : très forte majorité de parents ouvriers et/ou employés, minorité de cadres, de commerçants ou de petits chefs d’entreprise / artisans. Les deux secondes reflètent également la très grande diversité des origines géographiques des habitants de cette partie de la banlieue parisienne : non seulement nord-africaine, mais aussi portugaise, polonaise, serbe, turque, égyptienne, indienne, tamoule, philippine, chinoise… ; une majorité d’élèves semble pratiquer une autre langue que le français à la maison ; seuls deux ou trois élèves se revendiquent comme allophones. Ces caractéristiques socio-économiques se retrouvent dans le capital culturel : ces élèves ne lisent pas et ne voient pas de valeur dans le fait de lire et de posséder des livres, sans doute parce qu’on ne lit pas ou peu autour d’eux (on verra via certains entretiens qu’il n’en est pas de même avec l’écriture). Le livre représente une culture obligée et surtout non héritée, marquée du sceau de l’école et du Savoir. Un élève a tenu un jour à nous faire dire si nous lisions plus d’un livre par semaine, et si nous en possédions plus de cent ou de mille, sans doute pour lui confirmer notre statut professoral. Si pour certains, très minoritaires, lire est un plaisir, pour la grande majorité, lire un livre est une corvée inutile, au mieux un mal nécessaire, au pire une sorte de punition qu’on essaie de contourner. Or, comme nous allons le voir, écrire pour soi, avoir des pratiques d’écriture extrascolaires, n’est pas du tout vécu sur ce registre déplaisant.

Remarques sur la passation du questionnaire semi-ouvert

La passation du questionnaire prenait environ 20 minutes. Comme on pouvait s’y attendre, malgré toute l’implication de notre tutrice à le faire dans sa 2nde, le remplissage a été quelque peu différent par rapport à notre 2 nde, où le questionnaire a été administré en outre en demi-groupe, et où nous avons pu insister notamment pour que l’élève indique non seulement son prénom et ses disponibilités pour un éventuel entretien prolongeant le questionnaire, mais pour qu’il soit rassuré sur le caractère confidentiel de ses réponses, notamment pour les questions ouvertes. Celles-ci ont donc été ‘mieux’ remplies dans notre classe que dans celle de notre tutrice, où fort logiquement certains élèves se sont plus défoulés de manière inappropriée, pour le dire pudiquement. Par ailleurs, la plupart n’ont pas indiqué leur prénom (à l’inverse de notre classe, à notre demande), et le questionnaire ne comportait pas de mention M ou F, ce qui nous a empêché de pouvoir ultérieurement procéder à un tri entre garçons et filles.
Le questionnaire commençait par un gros titre : ÉCRIS-TU QUAND TU N’Y ES PAS OBLIGÉ(E) ? Avec l’explicitation de cette thématique dans un encadré introductif. Malgré ces  précautions, et malgré l’explication orale au moment de la distribution, il a pu arriver que pour certaines questions, la notion d’écriture extrascolaire s’évanouisse de l’esprit des répondants, notamment pour certaines questions ouvertes – nous y reviendrons dans l’analyse des données. Hormis ces réserves, les questionnaires ont été remplis de manière convergente, et quelques-uns ont développé sur plusieurs lignes leurs réponses aux questions ouvertes, témoignant de l’intérêt qu’ils éprouvaient pour les questions posées.

Passation des entretiens et profil des élèves interviewés

Les 8 entretiens ont eu lieu sur la base du volontariat. Pour les 5 élèves de notre seconde, ont été priorisés ceux qui avaient mentionné leur accord de principe dès le questionnaire écrit, indiqué un créneau horaire compatible avec notre emploi du temps et pou r 4 sur 5 d’entre eux, suivaient l’option Littérature & Société et avaient manifesté au cours de celle-ci un certain goût pour des travaux d’écriture différents. Le critère ‘avoir des pratiques d’écriture extrascolaires’ n’a donc pas été prioritaire, même si bien sûr la lecture préalable de leurs questionnaires a aidé à la sélection. Les 3 élèves de la classe de notre tutrice ont été présélectionnées par celle-ci (mais sur la base du volontariat), compte-tenu des attitudes et dispositions que ces élèves avaient manifestées dans le cadre de son atelier d’écriture. Il s’est avéré lors des entretiens que celles-ci avaient également des pratiques d’écriture extrascolaires dignes d’intérêt.
Nous avons veillé à avoir 2 garçons pour 6 filles, ce qui correspond sommairement à la répartition garçons / filles dans les deux classes de 2 nde.
Ces élèves n’ont fait aucune difficulté à être enregistrés, et répondu très spontanément, voire très librement à nos questions, même si quelquefois ils avaient du mal à formuler leur pensée. La transcription intégrale de ces 8 entretiens de 45’ environ chacun se trouvent en annexes, numérotés de 1 à 8.
Agés de 15 à 17 ans, le niveau scolaire de ces différents élèves est variable : certains ont plutôt un bon niveau, d’autres un niveau plus moyen. Aucun cependant n’est en grande difficulté scolaire. Tous ont une origine étrangère, comme la plupart des élèves du lycée Delacroix. Deux nous ont dit écrire parfois ou souvent dans d’autres langues que le français, non pas tant par ‘facilité’ ou par ‘identité’ que pour exprimer des émotions différentes (voire réserver ces émotions à un lecteur-destinataire bien précis, fût-il imaginaire). Ce sont les mêmes qui peuvent parfois employer des tournures peu ‘françaises’ dans les verbatim (E2 : polonaise ; E4 : philippine – ces deux élèves étant par ailleurs arrivées enfant en France vers l’âge de 6 ans).

Les lycéens écrivent-ils moins que les collégiens ?

Que donne l’investigation des pratiques d’écriture extrascolaires auprès des deux classes de seconde ? Même si la taille de l’échantillon diffère notoirement avec celui de M .C Penloup (1999), même si près de vingt ans se sont écoulés depuis l’investigation menée dans les collèges, les élèves de 2nde semblent avoir des pratiques d’écriture extrascolaires plus réduites que les collégiens. Ce constat est confirmé par la majorité des réponses fournies à la question ouverte : « depuis que tu es au lycée, écris-tu pour toi plus souvent ou moins souvent qu’au collège ? », où le ‘moins souvent’ est beaucoup plus fréquent : être au lycée, c’est donc a priori consacrer moins de temps aux pratiques d’écriture extrascolaires. Ce point est validé par ailleurs lors des entretiens individuels, auprès de lycéens revendiquant d’avoir des pratiques d’écriture extrascolaires, et où le temps consacré à l’écriture extrascolaire est décrit comme réduit, soit à cause du travail scolaire, soit parce que d’autres loisirs sont devenus plus accaparants. Derrière cette question du temps moindre se profile une autre dimension : l’écriture extrascolaire tend à évoluer, comme si à l’adolescence et encore plus au lycée, l’élève était de plus en plus tiraillé entre une écriture plus spontanée, plus libre de s’exprimer comme elle l’entend notamment sur les réseaux sociaux, et une écriture plus réfléchie, qui demande plus de concentration, notamment sur du papier : deux conceptions sur lequel nous allons revenir plus loin.
En effet, lorsque les lycéens déclarent moins écrire moins que lorsqu’ils étaient collégiens, ils semblent très largement faire abstraction de l’écriture numérique, et principalement des SMS, qui bien sûr sont une forme d’écriture à part entière avec ses procédés spécifiques et « son alternance codique » (Penloup, 2017 : 60) et qui remplacent l’écriture deslettres autrefois en tête des pratiques des collégiens chez Penloup (1999).
Dans la perspective de notre problématique sur l’effet passerelle à envisager de construire, nous allons nous consacrer dans ce mémoire aux pratiques d’écriture extrascolaires manuscrites (i.e. sur papier), compte tenu de leur lien gestuel étroit avec les écrits proprement scolaires ; mais non sans d’abord étudier au préalable le discours que leslycéens tiennent sur les deux supports comparés : l’écran versus le papier.

Écran ou papier ?

Cette question ouverte du questionnaire demandait si l’élève préférait écrire sur papier ou sur écran, et précisait qu’il s’agissait d’écrire sur un écran d’ordinateur, par opposition à écrire sur un écran de téléphone, le premier étant a priori plus à même de pouvoir entrer sinon en concurrence du moins en comparaison avec le papier. Cette indication n’a pas empêché certains élèves de comparer (et donc d’inclure) leurs pratiques d’écriture sur l’écran de leur téléphone à celles manuscrites sur papier, preuve que leur téléphone mobile leur sert de ‘bureau’.
Environ la moitié des répondants (dont la plupart des garçons) déclare préférer écrire sur écran : par rapidité, par souci de clarté et par modernité : « c’est plus rapide – j’écris plus vite avec – c’est plus lisible – ça corrige les fautes en plus – on peut le conserver – on peut stocker sur clef USB ». Une infime minorité avoue préférer écrire sur écran compte-tenu du manque de personnalité ou d’esthétisme supposé de leur écriture manuelle : « mon écriture ne semble pas sérieuse sur papier – mon écriture est moche ». Mais l’argument de la rapidité est également mis en avant pour le papier par l’autre moitié des répondants : arguant de la disponibilité du cahier ou du carnet qu’on a toujours sur soi, lorsqu’on a quelque chose à écrire : « on peut écrire partout – y a plus de liberté ». Mieux, nombreux et surtout nombreuses sont celles à préférer le papier pour sa pérennité, on aurait presque envie d’écrire : son immortalité – tant est forte la crainte, réelle ou fantasmée, de perdre ce qu’on a écrit, on pourrait presque dire : de perdre ses données (nous reprenons tels quels les verbatim des questionnaires, tant sur le plan syntaxique qu’orthographique).

Confrontation des résultats de l’étude quantitative (tableau n°1) avec l’étude de M.C. Penloup (tableau n°2)

Compte-tenu des limites méthodologiques que nous avons rappelées en 4.1.1 sur la possibilité de comparer nos résultats avec ceux recueillis il y a près de vingt ans par M.C. Penloup (1999), nous proposons cependant de les confronter, pour en tirer un certain nombre de constats.
Premier constat : confirmant le déclaratif des lycéens à la question ouverte sur ‘écristu pour toi plus souvent ou moins souvent qu’au collège’, les pourcentages calculés pour les différentes pratiques sont quasi toujours plus faibles au lycée qu’au collège. L’écriture de lettres passe de 89 à 28%, la tenue d’un journal intime passe de 41.5 à 23%, la copie de paroles de chansons passe de 58 à 40%, l’écriture de secrets passe de 38 à 18%, la mise au clair d’idées personnelles passe de 33 à 28%…
Deuxième constat : si les lycéens semblent moins écrire, cela ne signifie pas seulement ‘moins souvent’ mais peut-être également plus opportunément, en tout cas avec autant voire plus d’implication chez certains. Car on retrouve en confrontant nos deux tableaux grosso modo le même ordre, la même hiérarchie des pratiques, et notamment dans les pratiques les plus fréquentes, le remplissage de listes (aussi diverses que variées), le légendage des photos, le recopiage de chansons…

Qu’est-ce que les lycéens aiment recopier ?

Comme l’avait montré Penloup (1999) pour les collégiens, écrire, pour les lycéens, ce n’est pas forcément ou uniquement ‘inventer’, mais également copier et recopier, soit sur du papier, soit sur son téléphone, soit sur son ordinateur ; en effet, cette autre question ouverte a donné des réponses également assez fournies, ou plus exactement précises, qui tiennent en quelques mots, voire en un seul mot. On n’entrera pas ici dans la question du support, mais dans ce que les lycéens déclarent recopier, et un mot revient sans cesse : des citations. Il ne s’agit pas, on s’en doute un peu, de phrases ciselées pour on ne sait quelle postérité, énoncées par un écrivain fameux, et qu’on collectionnerait pour pouvoir les recaser dans de futures dissertations.
L’auteur, sauf exception, semble ne pas avoir d’importance, non plus que le contexte.
Quelquefois, mais rarement, le lycéen précise qu’il s’agit des paroles d’une chanson ou ‘de musique’, voire d’un groupe précis : « je recopie du PNL ». Tout aussi rarement, il peut préciser ou sous-entendre à quelle fin la citation est recopiée : « ce que je trouve de pertinent et qui donne un sens à la vie – des citations de sportifs ou de grands philosophes ou d’écrivains – des citations de savants type A. Einstein ». On devine qu’il s’agit presque toujours de phrases qui résonnent immédiatement, qui contiennent une forme immédiate de vérité, qui s’imposent voire sidèrent, et qu’il ne s’agit de ne pas perdre (beaucoup plus rarement on parle de textes).
Cette résonance est d’autant plus forte que leur première source se trouve sur les réseaux sociaux, ce qui accroît leur valeur d’image, et de message (rappelons le, 48% déclarent poster des citations sur internet).
On notera également que certains élèves, qu’on sait par ailleurs particulièrement attirés par des cultures lointaines pour des raisons tant identitaires que culturelles, vont préciser dans le questionnaire qu’ils recopient « des citations en anglais », « des citations coréennes », sous entendant : à l’exclusion d’aucune autre (?). Cette forme de prélèvement textuel nous a particulièrement intéressé, et nous avons tenté de l’approfondir durant les entretiens dans une perspective de didactique dans l’écriture.

Bilan intermédiaire

Ainsi, cette phase de recensement offre un premier bilan riche et contrasté :
 Des pratiques d’écriture extrascolaires moins fréquentes (en tout cas sur le support papier) mais qui ne semblent pas pour autant moins investies ;
 Une sensation ambivalente procurée par l’écriture : une promesse de libération, d’affirmation de soi – une conscience naissante d’un acte qui implique recul, concentration et réflexion, en parallèle au caractère sérieux, ‘grave’, des thèmes que l’on veut aborder ;
 Des pratiques d’écriture-recopiage qui perdurent depuis le collège, et qui s’appuient sur des ‘citations’ au clair pouvoir stimulant ;
 Des pratiques d’écriture-invention en possible déclin mais toujours présentes ;
 Et au croisement de ces deux formes d’écriture, chez certains, le tâtonnement d’une pensée, d’une conscience de soi, qui cherche à s’écrire et s’affirmer ;
Comme expliqué supra sur le protocole, la rédaction du guide et la passation des entretiens ont été nourries de ces premiers constats. C’est maintenant l’analyse de ces 8 entretiens que nous allons développer.

PERSPECTIVES DIDACTIQUES : COMMENT ENVISAGER UN EFFET PASSERELLE ?

Nous allons donc voir dans cette dernière partie, à partir des discours tenus par nos lycéens sur quelques pratiques d’écriture extrascolaires ou hybrides, à quelles conditions créer un effet passerelle, et ce en nous référant à ce que Yves Reuter appelle « construire la motivation » notamment dans « la prise en compte de l’existant, (notamment) des représentations, et la construction de l’utilité de l’écriture et des écrits » (1996 : 91 sqq.). Nous nous appuierons également sur les travaux de M.C. Penloup dans sa réflexion sur l’écriture extrascolaire comme aide à l’apprentissage tant de la compréhension de l’écriture littéraire (« penser l’écrire ») que de l’appropriation de l’écriture scolaire (« doter l’écriture scolaire de sens », 1999 : 69 sqq.). Il s’agira bien, en réfléchissant sur la possibilité de jeter un pont entre l’extrascolaire et le littéraire, de provoquer en retour, une réflexion sur les techniques d’écriture, sur la construction du sens. Ou pour reprendre les notions de Bucheton (2014), de voir commentfaire émerger une posture réflexive dans un cadre favorisant avant tout une posture de premier jet. C’est pourquoi nous essaierons également dans cette dernière partie, de jeter des passerelles vers le littéraire, pour reprendre l’expression de M.C. Penloup (2003).

Écrire en dehors du lycée, en quoi est-ce littéraire ?

Avant d’investiguer dans les pratiques d’écriture extrascolaires ou dans les écrits hybrides de nos lycéens, des éléments montrant leur sensibilité potentielle au fait littéraire, interrogeons-nous sur l’existence de cette possibilité. On voit le type de blocage potentiel résultant de l’étanchéité en classe de 2 nde , décrite précédemment dans la persistance de la dualité de l’écriture, et l’enjeu pour le professeur : comment enseigner à la fois l’analyse d’un procédé (son repérage, sa signification) dans un texte ‘canonique’, officiel, et l’encouragement à le reproduire, à l’utiliser, à le faire sien, dans un texte hybride, à dimension plus créative ? en d’autres termes : comment à la fois enseigner le fait littéraire et faire comprendre aux élèves ayant des pratiques d’écriture extrascolaires, qu’ils font à leur corps défendant et de manière embryonnaire, de la littérature sans le savoir ? parallèlement, comment enseigner que cette fameuse sensation de l’inspiration, et d’une créativité d’autant plus inspirée qu’elle serait libre de toute entrave, sont des questions proprement littéraires ? – et faire comprendre que cela permet de faire des allers-retours fructueux entre l’analyse des textes officiellement littéraires (donc la rédaction plus aisée de ces analyses) et ses propres pratiques d’écriture extrascolaires.
Entendons-nous bien : nous n’avons pas découvert subitement que la littérature (« la Culture ») était un univers très éloigné, voire interdit pour nos élèves. En revanche, ce travail nous a fait prendre conscience de la très grande difficulté pour les élèves à projeter leurs interrogations en tant que sujet écrivant, sur des textes autres que les leurs . Ainsi que le résume très bien cette élève, qui en tant que sujet scripteur, s’identifie en tant qu’écrivain aux auteurs qu’elle lit, et dépasse ainsi le simple statut de lecteur…

Recopier des citations : fragments d’un discours innocent

Le recopiage de phrases et de citations est le 2e item de notre classement (il est également supérieur aux résultats de collégiens de Penloup, puisqu’il ‘passe’ de 34,5% à 58%). Pour certains élèves, cette pratique de recopiage de citations (des maximes, des proverbes, des aphorismes, glanés ici et là) devient comme le recueil de pensées on ne peut plus personnelles, comme une sorte de journal en pointillé, qui raconterait la construction d’un parcours, d’une identité, dans la matérialité du geste scripturaire. On pense bien sûr, analogiquement, à la technique du Roland Barthes par Roland Barthes (1975), et que ce dernier a par ailleurs largement théorisée comme pratique d’écriture de la modernité : écrire par fragments, développer une idée à partir d’un mot clef ou d’une citation, construire un parcours discontinu mais qui témoigne d’une identité en construction et en éveil. « Au collège c’était plus souvent (…) Je trouve que maintenant, c’est pas quand je suis en colère, c’est plus que quand je trouve quelque chose de beau en fait. Quand j’entends quelque chose de beau. Avant, j’étais souvent en colère ou aussi quand je faisais quelque chose de beau. Mais là c’est plus quand j’entends quelque chose de joli. (…): J’aime bien recopier aussi parce que j’aime bien l’écrire de ma manière. Par exemple, d’une façon plus jolie ou d’une façon qui… par exemple je vais dire je suis belle et je vais écrire en rose avec des paillettes comme ça en fait pour faire ressentir en fait que, ce que j’écris en fait…. (si je perdais mon carnet, je perdrais) toutes mes idées. Toutes mes pensées j’ai l’impression aussi. Parce que j’ai accumulé ce, toutes ces citations on va dire pendant le temps. En fait, c’est comme si je voyais mon évolution dans ce cahier. Je suis passée de cette étape à cette étape à cette étape – Q. : Tu as l’impression que tu construis quoi en faisant ça ? E4 : Hum. Je sais pas. Peut-être mes pensées, ma façon d’être ».
Chez certains élèves, non seulement les pensées personnelles se mêlent à d’autres citations recopiées, mais ce recopiage est vécu comme un travail intense d’assimilation, pour faire en sorte que le texte recopié devienne sien, et qu’on s’en sente devenir l’auteur. « J’ai un assez grand carnet et puis dedans il y a des sortes d’intercalaires en fait et donc j’essaie de classer un petit peu tout ce que j’écris, tout ce que je pense. Et puis, souvent j’aime bien écrire bah les paroles des musiques en fait. Et bah les citations aussi pour me motiver. Et en fait, ça c’est tout dans un grand carnet. Et puis après, souvent, j’ai des petits carnets où je n’écris pas grand-chose mais je les garde en fait. (…) J’ai toujours fait ça, depuis toute petite en fait. (…) c’est des chansons qui me touchent en fait. Bah je voulais les écrire pour bien, comment dire ? Pour montrer que je me sens un peu pareille (…) (que c’est comme) mes pensées en fait, peut-être (que) moi j’arrive pas à les dire donc peut être dans les chansons ils le disent beaucoup mieux que moi donc bah pour moi les écrire c’était comme si j’ai dit… ».
Il y a comme un tressage balbutiant d’émotions qu’on tente de faire siennes, a work in progress qui essaie de faire émerger dans les pensées d’auteurs / chanteurs, le début de sa pensée propre : la citation recopiée est un moyen de lever l’angoisse de la page blanche, et de tenter de produire son propre texte : comment ne pas penser par analogie à l’esthétique des Essais de Montaigne, où seul l’universitaire spécialiste peut faire la part dans le texte original, entre les phrases des auteurs grecs ou latins citées de mémoire, et les sauts et les gambades propres à l’essayiste ?

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Table des matières
1. CADRE THEORIQUE
2. PROBLEMATIQUE
2.1 – Hypothèses de travail et objectifs du mémoire
2.2 – Contexte : le lycée Delacroix de Drancy – les classes de 2nde étudiées
3. UNE METHODOLOGIE EN TROIS TEMPS
3.1 – Descriptif sommaire du protocole
3.2 – Réalisation du questionnaire semi-ouvert
3.3 – Remarques sur la passation du questionnaire semi-ouvert
3.4 – Les entretiens semi-directifs sur les pratiques d’écriture
3.5 – Passation des entretiens et profil des élèves interviewés
4. ANALYSE DES DONNEES RECUEILLIES 
4.1 ANALYSE DES QUESTIONNAIRES : DES RESULTATS PARADOXAUX ?
4.1.1 – Les lycéens écrivent-ils moins que les collégiens ?
4.1.2 – Écran ou papier ?
4.1.3 – « Aimer lire / aimer écrire » : 70% vraiment ?
4.1.4 – Confrontation des résultats de l’étude quantitative (tableau n°1) avec l’étude de M.C. Penloup (tableau n°2)
4.1.5 – Est-ce plus facile d’écrire quand on est lycéen ?
4.1.6 – Quels sont les thèmes abordés dans les pratiques d’écriture extrascolaires des lycéens ?
4.1.7 – Qu’est-ce que les lycéens aiment recopier ?
4.1.8 – Bilan intermédiaire
4.2 ANALYSE DES ENTRETIENS : DIVERSITE DES PRATIQUES ET DES ATTITUDES
4.2.1 – Préliminaire : de la reconnaissance des élèves d’être un sujet d’étude
4.2.2 – Que cache cette diminution avouée des pratiques d’écriture extrascolaires au lycée ? Trois attitudes
4.2.3 – L’étanchéité est-elle toujours aussi marquée dans le discours des lycéens ?
4.2.4 – Y a-t-il des consignes qui permettent de se rapprocher des pratiques d’écriture extrascolaires ?
5. PERSPECTIVES DIDACTIQUES : COMMENT ENVISAGER UN EFFET PASSERELLE ?
5.1 – Écrire en dehors du lycée, en quoi est-ce littéraire ?
5.2 – « Qu’est-ce qui fait qu’un texte littéraire ? Qu’est-ce que la littérature ? »
5.3 – L’invention de mots : le plaisir de s’inventer des contraintes
5.4 – Recopier des citations : fragments d’un discours innocent
5.5 – Écrire des listes : le sujet scripteur comme maître de sa vie et de son texte
5.6 – De la musique avant toute chose, et pour cela préfère l’impair
5.7 – Si Je est un autre, comment l’écrire ?
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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