Pratiques spatiales, identités sociales et processus d’individualisation

 L’individu comme échelle d’analyse 

A la crise de la représentation de la société en terme de classes sociales qui marque le contexte scientifique actuel répond un engouement particulièrement sensible pour la problématique individuelle. Comme nous l’avons suggéré, et comme le souligne l’exergue, chez bien des auteurs, ce retour traduit la vivacité d’un paradigme individualiste qui, schématiquemenl, voit dans l’individu un sujet de plus en plus détaché de toutes forces sociales, autonome et souverain. C’est d’abord pour ne pas laisser l’individu aux individualistes que nous devons nous saisir d’un si bel objet. Toutefois, cette première raison serait insuffisante si, au-delà de l’effet de mode, la notion d’individu ne constituait pas, à plusieurs titres, une catégorie de plus en plus opérante, nous obligeant par-là môme à nous interroger sur ses métamorphoses et son sens contemporain.

Tout d’abord, l’individu s’impose parce qu’il est le «théâtre» de trois processus divergents que seule l’analyse à cette échelle peut révéler. Le premier se caractérise par le maintien d’éléments de structuration collective en rapport avec l’origine, la trajectoire et/ou la position sociale et, plus profondément, aux rôles formant des deux grandes sphères de socialisation que constituent la famille et l’école. En la matière, au-delà des corrélations statistiques, l’analyse individuelle permet d’explorer la manière dont circulent et s’incorporent ces grands systèmes de dispositions hérités. Simultanément, en raison d’une mobilité sociale croissante (verticale ou horizontale), d’une diversification des sphères de socialisation et des expériences biographiques, mais également d’un élargissement et d’un désenclavement partiel du marché des goûts, des normes et des valeurs, les compositions individuelles tendent à se singulariser, dans le sens d’une individualisation « objective » des systèmes de dispositions et de références. Bien entendu, pour saisir la pluralité des cadres socialisants et la singularité croissante de ces « nuanciers », l’échelle de l’individu est la mieux appropriée. Enfin, le contexte précédemment décrit explique un processus de diversification et d’hélérogénéisation des modèles de conduites et des expériences sociales à l’échelle intra-individuelle qui se manifeste de manière synchrone (répertoire d’action, dissonance de schème) ou de manière diachronique (activation, mise en veille, dynamique des schèmes). Ce dernier invite à interroger la pluralité des régimes d’action. Parce que nous souhaitons explorer, en matière de pratiques spatiales, la combinaison de ces trois processus, nous avons privilégié l’échelle de l’individu.

Une seconde raison légitime ce « tournant individuel » : à mesure que s’affirme la doxa individualiste dans la vie ordinaire, l’individu s’institue comme être original, singulier et maître de son propre destin. De la sorte, loin devant les collectifs (le couple, la famille, le groupe social ou ethnique), il constitue une catégorie de représentation et d’action particulièrement prégnante. Ce fait social majeur pose le double problème de sa genèse et de son incidence performative. D’une part, la diversification des référentiels d’action et des modèles de conduites, et leur visibilité croissante, est à l’origine d’un sentiment, socialement bien fondé, de liberté individuelle, qui explique en partie la vigueur de celte «croyance individualiste». D’autre part, cette hétérogénéité croissante à laquelle l’individu est confrontée génère une réflexivité croissante, c’est-à-dire un récit de soi visant à donner du sens et de la cohérence à son système de valeurs et de conduites. Ce récit, par lequel l’individu se distingue, se singularise et apporte la preuve de son originalité, est digne d’intérêt car performatif Cependant, s’il doit être étudié en tant que tel, le statut que l’on doit lui conférer dans le cadre d’une théorie de l’action doit être discuté car il est loin d’épuiser les ressorts des pratiques individuelles.

Tenir ensemble le collectif et le singulier à l’échelle individuelle 

De la même manière qu’il ne faut pas mettre dos-à-dos la conception référentielle et praxéologique du langage, il nous paraît tout aussi contre productif de choisir entre deux démarches que l’on lient fréquemment pour opposées. La première, de nature « représentativiste », se fonde généralement sur l’exploitation de données quantitatives obtenues à partir d’un questionnaire fermé réalisé auprès d’un grand nombre de personnes. En utilisant et en mettant à l’épreuve des catégories pré construites (de sexe, d’âge, de profession, de lieu de résidence, etc.), elle permet de mettre en évidence des régularités, d’identifier des grandes structures, et par là même d’insister sur les contextes collectifs dans lesquels s’inscrivent les individus. Malheureusement, les explications qu’elle fournit, trop souvent réduites à la mise en correspondance d’une classe d’individus et d’une classe de phénomènes, ne fournit qu’une semi-compréhension des pratiques sociales. En outre, de par sa perspective macroscopique, elle est incapable de rendre compte de la structure fine du social, de l’existence de contretypes et de la singularités des cas. La seconde, de nature «exemplariste », privilégie le travail monographique ou l’analyse approfondie d’un petit nombre d’individus. A l’opposé de la précédente, cette démarche est capable de rendre compte du « grain fin du social », du jeu quasi infini des variations inter et intraindividuelles. Dans une optique compréhensive, elle permet également de recomposer les logiques internes qui président au monde vécu. Malheureusement, de par les œillères inhérentes à l’analyse microscopique, elle est dans la totale incapacité d’objectiver autrement que par présomption la part respective du singulier et du collectif observable à l’échelle individuelle : elle tend à dissocier l’individu des contextes sociaux dans lesquels il s’inscrit, et donc à faire, parfois aveuglément, de l’ensemble de ses pensées et de ses actes des preuves tangibles de son caractère original.

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Table des matières

Introduction générale
I- Capital spatial et identité sociale
Introduction
Chapitre 1 : Grandeurs, misères et renouveau du capital résidentiel
Introduction
1- Le capital résidentiel à l’épreuve
– Valeurs résidentielles el modèles d’urbanité
– Les valeurs distinctives de l’accessibilité et de l’écart
– Au-delà des régularités, la valeur des contre-exemples
2- Changement de posture et fragilisation de la théorie des capitaux
– Le foisonnement des valeurs résidentielles ,
– Les écueils de l’approche hiérarchique
– Complexité et diversité des équations individuelles
– Précarité et labilité des valeurs résidentielles
3- La capital résidentiel : nouveaux horizons
– Usage du capital ressource et individualisation
– Les champs de contraintes
– Vers une approche généalogique
Conclusion
Chapitre 2 : Les arcanes du capital de mobilité
Introduction
1- La mobilité globale a-t-elle un sens ?
2- Les structures spatio-temporelles de la mobilité
– Les échelles du quotidien
– La mobilité quotidienne effective : un effet de lieu ?
– Echelles d’identification et profils socio-spatiaux
– La relation aux différentes échelles I
– Profils collectifs et différenciation interindividuelle
3- Les sens pratiques de la mobilité
– La part des différentes catégories d’activités dans la mobilité quotidienne
– Activités sociales et échelles du quotidien
4- Les formes de la mobilité
– Les modes de déplacement
– La configuration des déplacements
Conclusion
Conclusion : L’identité spatiale individuelle : un système complexe
II- Identité narrative, habitus et spatialité
Introduction
Chapitre 3 : Formes, fonctions et statut de l’identité narrative
Introduction
1- Les stratégies de mise en cohérence narrative
– L’inégale compétence narrative
– Les différentes modalités d’expression de la mise en cohérence narrative
2- Les « stratégies » descriptives : une contribution singulière à l’élaboration
d’une problématique de soi
– La singularité des registres descriptifs
– Les registres descriptifs en questio n
3- Fonctions et statut de l’identité narrative
– Significations et fonctions de l’identité narrative
– Le statut de l’identité narrative
Conclusion : Que doit-on faire de l’identité narrative ?
Chapitre 4 : Stratégies interprétatives, unité et pluralité des logiques d’action
Introduction
1- Les stratégies d’unification interprétatives
– La transposabilité des schemes
– La cristallisation
– La « carte » des dispositions et l’individualisation des identités sociales
– La construction de l’habitus
2- L’interprétation de la pluralité des logiques d’action
– Agent, acteur : une première figure de la pluralité ?
– Pluralité contextuelle et pragmatique des registres
de description et de légitimation de la pratique spatiale
– Les formes pluralistes dénonciation des territorialités individuelles
– La pluralité des registres de description et de légitimation de l’action
– La pluralité des formes d’évaluation et de qualification d’un espace en fonction du contexte
– Un figure singulière de la pluralité : la dissonance de schemes
Conclusion
Chapitre 5 : Genèses et dynamiques des schemes spatiaux
Introduction
1- La genèse des schemes spatiaux
– La pluralité des origines
– Rôles et statut des registres de justification des schemes
2- Stabilité et instabilité des spatiaux
– Les schemes stables et durables
– Activation temporaire, mise en veille et réactivation des schemes spatiaux
– La dynamique des schemes spatiaux
Conclusion : Pour une psycho-géographie des schemes spatiaux
Conclusion : Individu, langage et spatialité
III- Distinction sociale et territorialisation des lieux
Introduction
Chapitre 6 : Compétence culturelle et territorialisation des lieux
Introduction
1- Disposition cultivée et territorialisation distinctive des lieux culturels
– La forte territorialisation des lieux associés à la culture « légitime »
– Systèmes de qualification et distinction sociale : Les Studio vs le Méga-CGR
– Goûts cultivés et esthétique urbaine
2- Disposition citadine et territorialisation distinctive des lieux de pratiques commerciales
– Les plaisirs du marché
– L’attachement aux commerces spécialisés de centre-ville
– L’évitement symbolique des grandes surfaces
3- La territorialisation des lieux de pratiques sportives
– Hygiène du corps et souci de soi
– Quête hédoniste et réalisation de soi
– Sociabilité conviviale et participative
– Valeur écologique et esthétique paysagère
Conclusion
Chapitre 7 : Habitus « populaire » et territorialisation des lieux
Introduction
1- Figures et genèse de l’inégale citadinité en milieu populaire
– Formes et genèse des idéologies anti-urbaines
– Formes et genèse de la citadinité ordinaire des habitants des quartiers péricentraux
2- Appétence commerciale et territorialisation des lieux
– La territorialisation intensive des espaces commerciaux de l’agglomération
– Brocantes et vides-greniers
– Dépôts vente, magasins d’usines et de déstockage
3- Intensité et formes de territorialisation de la maison
– Disposition ménagère et territorialisation du logement
– Loisir domestique et disposition casanière
4- Formes et intensité de la territorialisation péridomestique
– Disposition ménagère et territorialisation péridomestique
– La disposition villageoise « héritée »
– La disposition villageoise « recomposée »
5- Le transfert des dispositions casanières et villageoises dans la territorialisation
des lieux de loisirs et de vacances
– La territorialisation singulière des espaces de pleine nature
– La territorialisation spécifique des lieux de vacances
Conclusion
Chapitre 8 : Variété. Principes et formes d’individualisation des identités urbaines
Introduction
1- La diversité des origines et des trajectoires sociales
– Anne ou la figure du déclassement
– Trajectoire ascendante et inertie des schemes populaires : l’exemple d’Eliane
– Les figures conquérantes et l’acquisition de nouveaux schemes
2- La pluralité des matrices de socialisation
– Simples variantes
– Transfiguration
3- La circulation des dispositions
– La diffusion des valeurs dominantes
– La « percolation » des valeurs dominées
Conclusion
Conclusion : Pour une approche comparative, comprehensive
et génétique des identités socio-spatiales
Conclusion générale
Bibliographie

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