Pratiques pédagogiques de la paraphrase

LA PARAPHRASE : UNE PRATIQUE PÉDAGOGIQUE CODIFIÉE DANS LES TRAITÉS RHÉTORIQUES DE L’ANTIQUITÉ 

Avec quelle facilité, grâce aux leçons de la rhétorique, une simple idée se tourne de multiples façons. RHÉTORIQUE À HERENNIUS .

La paraphrase est dans l’antiquité un élément fondamental des exercices scolaires destinés à former les élèves à l’art rhétorique. L’étymon grec de paraphrase, παράφρασις (paraphrasis) n’appartient pas d’ailleurs à la langue grecque classique : la première occurrence se trouve dans les traités rhétoriques de l’époque hellénistique, qui ont codifié (et rigidifié) les pratiques pédagogiques en usage dans les écoles de l’antiquité grecque et romaine. Il n’est pas sans intérêt de noter ici que la fixation du mot paraphrase – sinon le mot lui-même – a une origine purement scolaire .

Les exercices préparatoires en usage dans les écoles de l’Antiquité 

Certains de ces traités (tous écrits en grec) ont plus particulièrement marqué de leur empreinte la pédagogie de l’antiquité tardive mais aussi, directement ou à travers leurs commentateurs, celle des siècles suivants – jusqu’à nos jours, comme on le verra : il s’agit des traités concernant les « exercices préparatoires », les προγυμνάσματα (progymnasmata). Le plus ancien est d’Aelius Théon, rhéteur d’Alexandrie, qui a vécu au premier siècle de notre ère : c’est celui qui donne la plus grande place à la théorie – ce qui explique peut-être qu’il ait été le plus vite oublié ; son œuvre est un témoignage des plus anciennes pratiques pédagogiques codifiées au début de notre ère. Hermogène, qui vécut à la fin du deuxième et au début du troisième siècle, s’est vu attribuer un traité sur les Progymnasmata : il est l’un des auteurs les plus importants sur la question de l’apprentissage de l’art rhétorique – et le plus souvent cité, voire pillé . Il reste à citer Aphtonios d’Antioche (quatrième cinquième siècles) – dont l’œuvre, qui a supplanté celle d’Hermogène, fut traduite en latin à la Renaissance et garda une influence jusqu’au dix-neuvième siècle . Ces traités de pédagogie pratique décrivent par le menu les progymnasmata, exercices scolaires d’écriture préparatoires à l’art rhétorique, en usage à l’époque hellénistique dans le « secondaire », c’est-à-dire chez le γραμματικός (grammatikos) en Grèce ou chez le grammaticus à Rome . Mais ils ne font en fait que préciser les modalités pédagogiques d’exercices dont l’existence est antérieure, comme le prouvent les allusions qui y sont faites dans des ouvrages plus généraux concernant l’art de la rhétorique et son enseignement. La plus ancienne référence connue à ces exercices préparatoires (même s’il s’agit d’une simple allusion, sans plus de détails) se trouve dans la Rhétorique à Alexandre, qui date de la deuxième moitié du quatrième siècle avant notre ère , mais plus on avance dans le temps, plus ces références sont précises , comme si leur codification scolaire donnait à ces exercices des contours plus facilement identifiables et les isolaient comme objets d’analyse spécifiques, susceptibles de prendre place même dans des ouvrages qui se donnent comme but de déterminer davantage les finalités de la rhétorique et les fondements de son enseignement que les moyens spécifiques permettant à l’élève de se former à cet art. De là des allusions d’une assez grande précision aux exercices scolaires dans la Rhétorique à Herennius (début du premier siècle avant notre ère ), le De Oratore de Cicéron (55 avant notre ère), ou le De Institutione oratoria de Quintilien (fin du premier siècle de notre ère).

Les progymnasmata, dont « la liste est établie ne varietur », « formaient une pesante série » et constituaient une « gamme, savamment graduée » d’exercices d’entraînement, note Henri-Irénée Marrou dans son Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (1948a, p. 258) : la fable, la narration, la chrie, la maxime, la réfutation, la confirmation, le lieu commun, l’éloge, le blâme, la comparaison, l’éthopée, la description, la thèse, la proposition de loi. Il n’est pas nécessaire ici de donner plus de précision sur chacun de ces exercices , dont seuls quelques-uns nous intéresseront directement.

La place essentielle de la paraphrase dans les exercices préparatoires

Considérons le tout premier exercice de la liste, la « fable », dont Marrou (1948a, p. 258 sq.) donne la description suivante : La « fable », pour commencer, n’est qu’une brève, toute simple rédaction où l’enfant reproduit par écrit un petit apologue qu’il vient d’entendre raconter ou de lire. Bien que le terme de « paraphrase » appartienne à l’usage antique, j’hésite à m’en servir ici, car il ne s’agissait nullement de « développer », mais bien de rapporter le récit le plus fidèlement possible.

Le rôle déterminant de la paraphrase dans l’enseignement de la rhétorique 

En réalité, l’exercice de la paraphrase transcende les exercices préliminaires (progymnasmata), dans la mesure où elle est plus une technique qu’un exercice spécifique, et qu’elle peut être mise en œuvre dans tout exercice rhétorique. C’est l’avis de Michael Roberts (1985, p. 23 – je traduis) :

On pourrait considérer les progymnasmata comme relevant du genre de la paraphrase, puisqu’ils impliquaient tous l’élaboration stylistique d’un sujet prédéterminé.

Mieux : on trouve dans d’autres lieux que les traités sur les progymnasmata des références précises à la paraphrase comme technique générale de reformulation. Hermogène, dans son traité intitulé La Méthode de l’habileté , décrit l’exercice qui consiste à répéter un discours, qu’il met en relation avec l’exercice de paraphrase :

Τοῦ ταὺτα λέγοντα ἢ ἄλλῳ τινἰ μὴ δοκεῖν τὰ αὐτὰ λέγειν διπλῆ μέθοδος· τάξεως μεταβολή, καὶ μήκη καὶ βραχύτητες. Ἡ δὲ αὐτὴ καὶ τοῦ παραφράζειν μέθοδος· ἢ γὰρ τὴν τάξιν μεταβάλλεις, ᾓπερ ἐκεῖνος ἐχρήσατο, ἢ τον μέτρον· εἲπερ γάρ διὰ μακρῶν ἐκεῖνος, ταῦτα ἐν βραχὲσι συνελὼν λέγεις, ἢ το ἐναντίον.

Il y a deux méthodes pour répéter ses propres discours ou ceux d’un autre sans paraître le faire : changer l’ordre et allonger ou raccourcir. Cette méthode est la même que celle de la paraphrase ; on change soit l’ordre adopté par le premier locuteur, soit la longueur : si le premier locuteur s’exprimait longuement, on le répète en condensant brièvement, et inversement.

Ces extraits font ressortir les caractéristiques de la paraphrase telle qu’elle était pratiquée dans l’Antiquité : susceptible de s’appliquer à des vers ou à de la prose , d’être plus brève ou plus longue que l’original (qui peut être produit par un autre ou par soi-même), elle montre une intention stylistique importante : l’auteur de la paraphrase se mesure avec celui de l’original. Ces extraits laissent implicite une autre caractéristique de la paraphrase, dont l’importance, qui n’apparaîtra que plus tard , mérite qu’on la signale tout de suite : le fait que la paraphrase, imitant le texte dans tous ses aspects, use du même système énonciatif que son modèle. Cette méthode d’entraînement est, on l’a vu, constitutive des exercices préliminaires destinés aux élèves du grammairien, mais convient aussi comme exercice d’entraînement destiné aux élèves du rhéteur . Elle a même son utilité après l’école, chez les orateurs débutants ou confirmés . Il est vrai que l’exercice de paraphrase, disait Quintilien (De Institutione oratoria, I,9,3), même quand il s’agit du premier exercice des progymnasmata, « est difficile même pour des maîtres consommés, et l’élève qui l’aura traité convenablement sera capable d’apprendre quoi que ce soit .».

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : ARCHÉOLOGIE D’UNE PRATIQUE
OUVERTURE
CHAPITRE 1 : PRATIQUES PÉDAGOGIQUES DE LA PARAPHRASE
1.1. La paraphrase : une pratique pédagogique codifiée dans les traités rhétoriques de l’Antiquité
1.2. La paraphrase dans l’approche scolaire des textes de la Renaissance au XIXe siècle
1.3. La place de la paraphrase dans l’approche scolaire des textes au XIXe siècle
1.4. Le rôle de la paraphrase dans l’explication française
1.5. Pratiques actuelles de la paraphrase hors de l’explication de texte
CHAPITRE 2 : PRATIQUES CULTURELLES DE LA PARAPHRASE
2.1. La paraphrase biblique : un genre littéraire
2.2. Commentaire et paraphrase
2.3. Variations textuelles : les commentaires de Ronsard par Muret
2.4. Une paraphrase contemporaine
BILAN DE LA PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE : LA DISQUALIFICATION DE LA PARAPHRASE DANS L’EXPLICATION DE TEXTE
OUVERTURE
CHAPITRE 3 : LE DISCOURS DE DISQUALIFICATION DE LA PARAPHRASE
3.1. Les termes de l’interdit scolaire de la paraphrase
3.2. Le jugement trans-historique de paraphrase
3.3. La construction scolaire d’une injonction paradoxale
CHAPITRE 4 : AUX SOURCES DU DISCOURS DE DISQUALIFICATION DE LA PARAPHRASE
4.1. Les théories du texte littéraire
4.2. Les théories de la lecture littéraire
BILAN DE LA DEUXIÈME PARTIE
TROISIÈME PARTIE : LA PARAPHRASE COMME JUGEMENT MÉTATEXTUEL D’IDENTIFICATION
OUVERTURE
CHAPITRE 5 : L’APPROCHE LINGUISTIQUE DE LA PARAPHRASE : UNE AIDE
MÉTHODOLOGIQUE
5.1. L’approche linguistique de la paraphrase en discours et en langue : intérêts et limites
5.2. Une approche énonciative de la paraphrase
CHAPITRE 6 : LE JUGEMENT DE PARAPHRASE DANS LES PRODUCTIONS D’ÉLÈVES
6.1. Première enquête sur le jugement de paraphrase : les données
6.2. Hypothèses sur les conditions du jugement de paraphrase dans le commentaire écrit
6.3. Les conditions du jugement de paraphrase dans le commentaire écrit : vérification
6.4. Le jugement de paraphrase dans le commentaire oral
CHAPITRE 7 : LES CONCEPTIONS DES ACTEURS
7.1. Définitions écrites de la paraphrase
7.2. Entretiens avec des professeurs
7.3. Entretiens avec des élèves
BILAN DE LA TROISIÈME PARTIE
QUATRIÈME PARTIE : PARAPHRASE ET RÉPÉTITION
OUVERTURE
CHAPITRE 8 : UN CONTINUUM ENTRE TEXTE ET MÉTATEXTE
8.1. La dérive métatextuelle
8.2. La détextualité
8.3. Facteurs de détextualité
CHAPITRE 9 : UN CONTINUUM ENTRE PARAPHRASE ET COMMENTAIRE
9.1. Formes et fonctions de la métaprédication d’identité
9.2. Fonctions interprétatives de la paraphrase
9.3. Les fonctions discursives et cognitives de la paraphrase dans l’approche du texte littéraire
BILAN DE LA QUATRIÈME PARTIE
CINQUIÈME PARTIE : POUR UNE APPROCHE DIDACTIQUE DE LA PARAPHRASE
OUVERTURE
CHAPITRE 10 : POUR UN APPRENTISSAGE DE LA PARAPHRASE
10.1. Lecture-écriture palimpseste
10.2. Métatextualités
10.3. Métaparaphrases
CHAPITRE 11 : POUR UNE RÉFLEXION MÉTACOGNITIVE SUR LA PARAPHRASE
11.1. Une séquence didactique sur la paraphrase
11.2. Des savoirs métatextuels en construction
BILAN DE LA CINQUIÈME PARTIE
CONCLUSION

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