Pourquoi et comment étudier l’album photographique ?

Photographier pour interpréter et illustrer

Michel Defourny évoque ensuite une démarche plus classique, celle où les photographes illustrent un récit littéraire. On peut ici citer Le Petit Chaperon Rouge selon Sarah Moon ou bien Le Coeur de Pic, où Claude Cahun interprète et met en scène des poèmes de Lise Deharme.
De même, certaines maisons d’édition publient des récits mis en images par des photographes : il en va ainsi de la collection « Photoroman » des éditions Thierry Magnier, tandis que Gallimard propose ainsi à ses lecteurs confirmés L’enfant et la sorcière29, de Michel Déon, paru dans la collection Folio junior.

Photographies antérieures au projet d’écriture

Mais dans de nombreux albums photographiques, Michel Defourny remarque que les photographies « préexistent, indépendamment d’un projet narratif et un auteur opère un montage, de manière à créer une histoire qu’il transcrit. Une même série de photos pourra donner naissance des albums très différents. ». L’un des exemples les plus frappants est sans doute la série de photographies faites par Ylla de deux lionceaux qu’elle avait hébergés une quinzaine de jours dans son studio. Là où Margaret Wise.
Brown élabore un récit naïf, au même moment, de l’autre côté de l’océan Atlantique, Jacques Prévert imagine un récit corrosif, dénonçant la condition animale et l’éducation des jeunes enfants, à tel point que son éditeur choisit même de censurer certains passages. Ci-dessous, les couvertures de ces deux adaptations :
Dans ce genre de conception, on peut se questionner sur le lien associant projet photographique et projet d’écriture : sont-ils absolument déconnectés, ou s’agit-il d’un recyclage ? Les photographies appartiennent-elles à une série spécifique, et si c’est le cas, le projet littéraire en rend-il compte ?
Ces trois processus de création pouvant être à l’origine d’un album photographique proposent une variété dans la conception que n’offrent pas des ouvrages de littérature jeunesse de facture classique. Par ailleurs, si un même texte peut faire l’objet de différentes versions, ou adaptations (La Belle au Bois dormant par exemple), il est rare que des illustrations classiques servent de support à plusieurs interprétations. Ainsi, les ouvrages de jeunesse conçoivent ainsi le texte et les images d’un même jet, ou, suivant une seconde possibilité, l’éditeur ou l’auteur contacte un illustrateur qui lui offre sa propre vision du récit. La photographie a cela de fascinant qu’elle multiplie les possibilités d’interprétation, notamment parce qu’il s’agit d’un Cette couverture est celle des aventures du petit lion relatées par Jacques Prévert. Le choix de la photographie en couverture témoigne du choix de l’auteur : peindre un lionceau qui goûte à l’humanité et qui s’interroge sur les bienfaits de ses us et coutumes. À l’inverse, la photographie de l’adaptation de Margaret Wise Brown est fidèle au titre choisi : on y voit un lionceau ensommeillé, doté de l’attribut des petits garçons : un ballon, procédé peut-être censé favoriser l’identification des jeunes lecteurs. À noter également la colorisation des photographies : a-t-elle pour but de rendre plus attractif l’album ? ensemble d’instantanés facilement malléables. Paradoxalement, malgré sa fidélité à la réalité, c’est bien la photographie qui semble être le type d’illustration se prêtant le mieux au jeu des interprétations multiples, et un bouleversement permanent de sa chronologie originelle.

La photographie, quelle illustration pour la jeunesse ?

Comme tout album, celui illustré par la photographie offre à lire une double-narration, mise en place par les relations étroites qu’entretiennent le texte et la photographie. Mais bien avant que ces relations ne puissent être analysées grâce, notamment, à des outils conçus par Sophie Van der Linden, la photographie a longtemps fait l’objet de critiques acerbes, lui reprochant de ne pas être un medium adapté aux enfants, notamment en brouillant la frontière entre le réel et sa représentation. Dresser ici un bref historique de la réception de l’album photographique nous permettra de prendre pleinement la mesure de la reconnaissance difficile du statut d’album illustré par des photographies, et ses liens avec la réalité, des liens souvent mécompris.

La réception de l’album photographique : une illustration longtemps dépréciée

Davantage qu’un historique de la réception, il s’agit ici de donner un aperçu des différentes thèses qui ont analysé cette réception. Nombreux sont les théoriciens de littérature de jeunesse qui ont distingué l’album photographique des albums de facture classique, en fondant cette distinction sur une lecture de l’image malaisée pour les enfants, ou bien en raison du caractère traumatisant car trop réaliste de la photographie.

La lecture de la photographie : une tâche complexe ?

Selon le point de vue de Marion Durand, relayé par Michel Defourny et datant de 1975, la « photographie serait peu lisible ». L’enfant se trouverait dans une situation de désarroi devant une « masse confuse », une profusion de détails qui éclipserait la composition de l’ensemble. Persuadée en outre de la supériorité de l’image plastique, Marion Durand ne perçoit dans la photographie que le résultat d’un processus mécanique reproduisant le réel en l’appauvrissant et considère que la photographie est un phénomène éloignant le lecteur des domaines de l’art et de la création. Elle juge également l’album photographique pour enfants médiocre, en raison de la délégation de cette tâche à des petites mains chargées d’assembler des documents hétérogènes. Bien évidemment, cette thèse est tout à fait contestable, ne serait-ce que parce que les albums photographiques d’Ylla ont fait l’objet d’une attention toute particulière de la part, notamment, du graphiste Pierre Faucheux. D’après Michel Defourny, elle aurait même déclaré que jamais un album photographique n’avait été confié à un photographe de talent, en raison du coût élevé de réalisation. La thèse de Marion Durand ne semble donc pas s’être constituée à partir d’un corpus d’albums photographiques ; dès le début du siècle et en raison du coût et de l’équipement que nécessitait la prise de vues, les albums photographiques n’étaient que rarement le fruit du travail de petites mains, mais bien de photographes reconnus : Robert Doisneau, Ergy Landau, Laure Albin-Guillot, Claude Cahun.
Dans les années 1970, il était encore coûteux de monopoliser les services d’un photographe : cela demandait des efforts matériels (studio, matériel professionnel, modèles, tirages etc.) dont se passaient très bien à la fois les auteurs et les illustrateurs, à la grande satisfaction de leurs éditeurs.
Dans les années 1950, Natha Caputo considérait d’ailleurs que les enfants étaient incapables de cerner un objet dont le contour n’aurait pas été souligné par un trait épais et ne concevait pas que les enfants puissent être séduits par une image qui n’utilisait pas la couleur. Dès lors, pourquoi solliciter les services coûteux d’un photographe, face à de tels arguments universitaires ?

La photographie : reflet impitoyable de la réalité ou stimulant imaginaire ?

Cet état d’esprit persiste chez la plupart des éditeurs jeunesse. Philippe Schuwer le remarque en 1981 : peu d’entre eux sont prêts à investir dans la photographie, trop onéreuse. Mais il en conclut qu’il ne s’agit ni d’un problème de budget, ni de perception de la part des enfants car déjà à cette époque, ils fréquentent quotidiennement l’image photographique par le biais de la télévision ou des magazines.
Schuwer a ainsi confiance en leur capacité à décrypter ces images. Il situe davantage le problème au niveau de la représentation que l’on se ferait de l’album pour enfants, trop maternant à son goût. Pour lui, l’image classique est un moyen d’éluder la confrontation avec la réalité et la photographie risquerait de plonger les enfants dans un monde difficile, une thèse qui expliquerait le manque de photographies dans la littérature de jeunesse, dans le but de protéger l’innocence et masquer une réalité sociale pénible.
Selon Defourny, les conclusions de Schuwer sont simplificatrices ; on ne peut réduire, quels qu’en soient l’intérêt et l’urgence, l’album photographique au documentaire social ou au reportage journalistique. Il estime regrettable en revanche cette ignorance mutuelle entretenue entre grands photographes et éditeurs de jeunesse, qui a pour conséquence d’entretenir dans l’esprit du public des parents et des médiateurs ce cliché selon lequel les enfants n’apprécieraient guère les photos.

Le début de la reconnaissance

Si aujourd’hui, le coût n’est plus un problème, avec les possibilités qu’offre le numérique, certains éditeurs n’ont pas attendu cela pour parier, même ponctuellement, sur une illustration de jeunesse faite de photographies : Robert Delpire et José Corti ont en effet encouragé la production d’albums photographiques de jeunesse et ce, malgré la tendance générale de leur époque.
Toujours selon Michel Defourny, deux phénomènes signalent un renversement de la perception de l’album photographique de jeunesse en 1996, le premier étant le succès récent des livres de Tana Hoban tant auprès des enfants que de la critique, célébrant une réussite aussi bien artistique que pédagogique et le second, les nombreuses éloges saluant la sortie d’Album36, fruit de la collaboration entre Solotareff et le photographe Bauret.
Aujourd’hui, la photographie fait l’objet de véritables lignes éditoriales, ou de collections : les éditions Thierry Magnier, la collection « Côté pile côté face » aux éditions PEMF, les éditions spécialisées « Où sont les enfants ? », les imagiers pour non-lecteurs… Désormais, la photographie fait partie intégrante de l’horizon de la littérature de jeunesse. Ainsi, lorsque Thomas Fersen se voit proposer un projet d’album jeunesse par les éditions du Rouergue en 1997, il se tourne directement vers le travail de Robert Doisneau, ses images de prédilection. Certains illustrateurs ont également fait de la photographie leur marque de fabrique : Christian Voltz met en scène des personnages faits de bric et de broc et s’inscrit dans la lignée des mises en scène de Claude Cahun pour Le Coeur de Pic. Quant à Sarah Moon, photographe reconnue, elle excelle dans la réinterprétation des contes classiques avec toujours une technique photographique
maniant savamment les jeux d’ombre et de lumière et stimulant l’imaginaire.
Enfin, aujourd’hui les historiens de la littérature de jeunesse n’hésitent plus à ne faire aucune différenciation : Sophie Van der Linden précise ainsi dans Lire l’album : « Les images photographiques, peu présentes dans l’album jusqu’aux années quatrevingt, se sont généralisées dans les livres pour la petite enfance, en particulier dans les albums non narratifs. Sur l’impulsion de l’américaine Tana Hoban mais également par la publication d’ouvrages tels qu’Album, la photographie contemporaine trouve aujourd’hui sa place dans le livre pour enfants. ». Remarquons comme la reconnaissance de l’album photographique fut longue et complexe. Ce phénomène n’est pas sans évoquer la reconnaissance d’une littérature de jeunesse : Christian Poslaniec rappelle bien la difficulté et le temps qu’il a fallu pour reconnaître à ces types de texte leur caractère littéraire et de tout temps, il semblerait que les formes littéraires, quelles qu’elles soient, peinent à s’imposer à leurs débuts.

La double-narration dans l’album photographique

Dans Lire l’album, Sophie Van der Linden propose une définition de l’album, qu’elle précisera tout au long de son étude : « Ouvrages dans lesquels l’image se trouve spatialement prépondérante par rapport au texte, qui peut d’ailleurs en être absent. La narration se réalise de manière articulée entre texte et images. ». Elle affine cette première définition à l’occasion de sa conclusion intermédiaire : « L’album serait ainsi une forme d’expression présentant une interaction de textes (qui peuvent être sous-jacents) et d’images (spatialement prépondérantes) au sein d’un support, caractérisée par une organisation libre de la double page, une diversité des réalisations matérielles et un enchaînement fluide et cohérent de page en page ». De même, Christian Poslaniec insiste sur la complémentarité entre narrateurs textuel et imagier, sur laquelle il fonde sa définition de l’album comme forme littéraire.
Ces définitions mettent bien en exergue la relation entre images et texte, même s’il arrive que l’auteur se passe de ce dernier. En évoquant la « diversité » aussi bien dans la réalisation des illustrations qu’à propos du support matériel, Sophie Van der Linden accepte ainsi sans discrimination tout projet esthétique accompagnant un texte. La photographie y trouve donc parfaitement sa place, et est tout à fait concernée par la déclinaison des différentes relations texte/image effectuée par Sophie Van der Linden.

La complémentarité des narrateurs textuels et imagiers

Tout comme Poslaniec, Sophie Van der Linden estime que texte et image n’entrent en relation que de trois manières : en entretenant ce qu’elle appelle soit un rapport de redondance, soit de collaboration ou bien encore, de disjonction.
Le rapport de redondance ne produit pas de sens supplémentaire, texte et image renvoient tous deux au même récit, aux mêmes personnages et actions. L’image a toutefois une marge de manoeuvre : elle peut fournir des informations sur l’environnement par exemple.
Ci-dessus, on peut lire « De l’autre côté de la fenêtre, du côté où il fait froid, les petits bonshommes sur le carreau ouvrent la bouche quand il faut parler, mais il en sort de la fumée. Il fait si froid de ce côté-là, CÔTÉ VERSO », tandis que la photographie donne à voir deux personnages emmitouflés, tentant de s’abriter à l’aide d’un carton. La photographie n’apporte pas de sens supplémentaire, elle se contente d’illustrer le texte. Il s’agit donc bien d’un rapport de redondance.
Le rapport de collaboration introduit une certaine articulation entre les enjeux du texte et ceux de l’image. Ensemble, ils ont pour objectif un sens commun, qui émerge de leur relation. Ce sens peut demander une lecture active afin d’être percé.

Les enjeux propres à l’illustration photographique

Mais alors, si Sophie Van der Linden n’effectue aucune distinction entre l’illustration que l’on pourrait caractériser de « classique », qui recourt aux procédés suivants : peinture, collage, dessin, gravure et l’illustration photographique, comment distinguer l’album photographique des autres albums de jeunesse ? C’est en Dans la photographie ci-contre, dernière image de l’album Litli, le texte conclut le rêve de Litli, qui s’éveille par cette phrase « Regarde, tu fais naître le monde », une invitation que l’on peut considérer de différentes façons : s’agit-il pour Litli de modifier le regard qu’elle porte sur son univers quotidien ? Ou que chaque réveil est une renaissance, le personnage étant revigoré par sa nuit d’exploration rêvée ? grande partie parce qu’il propose une illustration qui interroge le rapport au réel, puisqu’elle est souvent perçue, à tort, comme en étant une représentation fidèle. En effet, si l’analyse de l’image photographique s’effectue de la même façon que n’importe quelle autre technique d’illustration, il n’en reste pas moins qu’il s’agit une technique qui interpelle en offrant à voir une image bien plus proche de la réalité, puisqu’elle la reconstruit, que toutes les autres techniques « classiques » d’illustration, et qui nécessite le recours à des outils d’analyse qui lui sont propres. Dès lors, caractériser le genre de l’album photographique ne consisterait-il pas à s’interroger sur ce lien entre réalité et fiction que la photographie bouleverse ? Et comment ce lien ferait-il basculer la réception de l’album photographique ?

Le lien entre réalité et fiction : quel impact de la photographie ?

En étant assujettie aux choix du photographe, tant en termes matériels (choix de la pellicule, de l’objectif) qu’en termes de composants de l’image, de cadrage, développement et même de tirage, la photographie n’est en aucun cas une reproduction de la réalité mais en est une reconstruction subjective.
En excluant toute reproduction du réel, on constate plusieurs types de rapport qu’entretient la photographie avec le réel et la fiction : s’en dégagent les différents procédés de déformation, d’accentuation du réel ou bien les « effets de fiction » que la photographie propose.

Quelle grammaire de l’image photographique ?

Pour mieux appréhender les enjeux de la photographie, La Petite fabrique de l’image offre au lecteur des outils d’analyse de l’image, qu’elle soit cinématographique, photographique ou picturale. Ce sont ces critères d’analyse qui permettent d’approcher la spécificité d’un album photographique, qui réside notamment dans les choix que le photographe se fixe, et qui interrogent ensuite le lien entre réalité et fiction. Ces choix sont de différentes natures : ils peuvent s’appliquer au cadrage, aux champs, points de vue etc. Examinons ces différentes notions, développées par La Petite Fabrique de l’image, pour ensuite tenter d’établir une grille d’analyse de l’album photographiques : le but de cette analyse guidée est de savoir si l’album photographique s’analyse de la même façon qu’un album classique ou bien si des critères d’analyse spécifiques sont nécessaires pour appréhender ces albums, ce qui justifierait l’existence d’un genre spécifique.
Presque toujours de forme rectangulaire, le cadre ne correspond pas à la vision naturelle de l’homme et présente un point de vue figé qu’il est impossible d’obtenir même en immobilisant notre regard. Il est indissociable d’une notion qu’il délimite : le champ.
Le champ est la surface de représentation circonscrite par le cadre et correspond à l’espace montré par le photographe. Là encore, il ne s’agit que d’une illusion puisqu’une image cadrée, bidimensionnelle, ne peut correspondre à notre perception du réel.
Le hors-champ en revanche concerne l’espace suggéré. Il existe potentiellement et se révèle à travers des lignes de fuite interrompues, des objets fractionnés, ou encore des mouvements amorcés. Les effets produits sont de l’ordre du dramatique : on se souvient de l’ombre menaçante du loup de Sarah Moon, projetée dans le champ alors que le loup demeure hors-champ. Mais la présence du hors-champ peut également introduire une dimension temporelle, en laissant sous-entendre une action imminente par exemple.
Les plans aident à délimiter les surfaces planes perpendiculaires à l’axe du regard. Ils servent de repère spatial pour situer les différents composants d’une image. Il existe plusieurs types de plans : le plan de grand ensemble, qui informe, décrit, plante le décor ; le plan moyen (en pied) ou américain (aux cuisses) offre plutôt à voir une vision naturelle, et favorisent une situation d’implication. Enfin, le gros plan se distingue des précédents puisqu’il introduit une dimension tout à fait différente en fragmentant l’espace à un point qu’il n’est pas permis d’atteindre naturellement.
L’échelle des plans traite la taille des êtres ou des objets représentés dans l’image par rapport à la taille de l’image. Un membre humain emplissant le champ se fait ainsi géant, un homme perdu dans un plan de grand ensemble apparaîtra lilliputien.
Tout comme l’angle de vue, le point de vue recoupe la place occupée par le photographe, à partir de laquelle a lieu la vision. Il est davantage varié que l’angle de vue puisqu’il peut être plongeant, en contre-plongée, de face, de dos, de trois quarts, mobile ou immobile etc. Mais la différence majeure avec l’angle de vue est que le point de vue a à voir avec l’énonciation : il permet de définir celui qui parle, voit ou décrit, de la même manière qu’interviennent les narrateurs omniscient, externe, interne en littérature. Les différents points de vue ont également une incidence sur le potentiel d’identification du lecteur aux personnages ou à la situation.
Il existe plusieurs identifications : celle dite « primaire » est l’opération au cours de laquelle le spectateur feint d’oublier qu’il contemple une photographie ou regarde un film, pour s’immerger totalement dans l’action. L’identification secondaire est plus modérée : elle est plutôt de l’ordre d’une participation active, d’une forte attraction du lecteur/spectateur envers le spectacle qu’il contemple. Enfin, la projection est un mécanisme plus discret, qui englobe le fait qu’un individu modélise sa vision du monde selon sa personnalité, ses us et coutumes.
L’environnement immédiat de la photographie offre bien souvent à lire, qu’il s’agisse d’une légende, d’un titre, d’un slogan. Qu’en est-il de ces interactions texte/photographie ? L’apport du texte est malheureusement parfois synonyme de statut illustratif pour l’image, à qui on prête fréquemment une fonction pédagogique. Mais elle peut prendre son autonomie, et naissent alors des relations plus complexes avec le texte qui l’accompagne.
La Petite fabrique de l’image évoque « l’ancrage », lorsque le texte, sous forme de légende, titre ou slogan, vise à réduire la polysémie de la photographie en prenant en charge différentes questions : qu’est-ce que c’est ? Où ? Quand ? En revanche, le texte peut se faire le « relais » de l’image, lorsqu’il prend en charge des éléments de la narration absents de l’image, ce qui rejoint la complémentarité décrite par Sophie Van der Linden entre texte et images dans l’album de jeunesse.
Enfin, en photographie comme en peinture, le code de lecture usuel du temps représenté est le suivant : il s’agit de lire l’image de la gauche vers la droite, le passé étant laissé à gauche, au profit du présent et du futur, qui se dévoile au fur et à mesure que le regard du lecteur se déplace. Par exemple, la distribution des personnages, qu’elle soit latérale ou de haut en bas, insuffle une succession temporelle qui perturbe notre regard, ou s’offre à lui sans difficultés si elle est conforme au sens de lecture classique.
À la construction du temps s’ajoute la représentation du mouvement. En photographie, les flous sont souvent considérés comme une erreur, alors qu’il s’agit parfois d’une stratégie délibérée pour traduire le mouvement. La mise en séquence de photographies permet, elle, de créer du mouvement entre plusieurs images fixes, simplement avec la circulation du regard, selon un sens de lecture là encore qui peut être conventionnel ou non, mais en tout cas orienté par l’organisation spatiale de la séquence.Comment analyser les albums photographiques ?
Les différents critères d’analyse de la photographie précédemment cités peuvent constituer une grille d’observables de l’illustration photographique dans les albums de jeunesse, des observables ayant des incidences aussi bien au niveau de la réception littéraire que de l’organisation de la lecture (déplacement du regard d’une vignette à une autre par exemple). Nous ne retiendrons ici que les principaux critères de La Petite Fabrique de l’image, c’est-à-dire, les points ou angles de vue, les plans et les interactions texte/image, les autres critères – le cadrage ou bien le champ/hors champ – découlent des précédents et seront ainsi mentionnés si nécessaire. Ainsi, un cadrage serré sera précisé lors des gros plans.
Pour chaque oeuvre, seules les illustrations les plus significatives d’un point de vue organisationnel du récit seront analysées avec la grille : présentation des personnages, scènes-types, élément de résolution ou bien scène finale. Après chaque grille, un récapitulatif des récurrences des différents plans, angles de vue ou autre permettra d’en extraire les conséquences potentielles sur la réception du texte. Le repérage de ces différents critères d’analyse permettra de décider si l’oeuvre étudiée est bien un album photographique, en raison d’une lecture modifiée, dirigée ou influencée par l’utilisation de la photographie.
Cet album est typique de ce que Christian Poslaniec nomme la « postulation » fermée », qui n’appelle aucun effort d’interprétation durant la lecture.
Plusieurs indices relevant du traitement photographique de l’illustration nous conduisent à cette conclusion : tout d’abord, on note une majorité de plans moyens et américains lorsqu’il s’agit de représenter les personnages. L’image, en s’articulant autour d’eux, sans proposer de décor ni de gros plans (qui sont d’ailleurs ici plutôt des portraits), se borne à les mettre en scène, avec un statut illustratif du texte. Ensuite, le choix des angles de vue, s’il peut paraître diversifié, est probablement dû au fait qu’il s’agit de photographies de tournage : les caméras, tout comme les techniciens sont en hauteur pour effectuer les prises de vue et bénéficient de nombreuses stratégies pour circuler autour des acteurs. On note cependant une majorité de points de vue « normaux », qui, associés à l’image photographique, ont pour effet de rassurer le lecteur : il a une posture réaliste, le cheval semble accessible, l’entrée dans la fiction n’est pas malaisée, puisqu’elle exploite des caractéristiques familières au lecteur.
Enfin, si l’on se penche sur les rapports qu’entretiennent texte et image, on remarque qu’excepté le doute planant sur la fin de l’ouvrage, le seul rapport de divergence constaté concerne un détail pratique (lorsque Crin-Blanc rejoint un troupeau sauvage et affronte son rival, la scène se déroule dans un enclos, avec des gardiens autour… Quant au rapport de complémentarité, il concerne essentiellement de menus détails cités dans le texte (à l’origine en voix off dans la version cinématographique) et absents de l’image.
Cet album de jeunesse datant du milieu du XXème siècle ne se distingue donc pas grâce à son potentiel interprétatif. En revanche, la grille d’analyse montre bien, même si ça n’est pas de façon exhaustive, le poids sur l’énonciation ou la réception. Les angles, points de vue choisis, l’organisation des composants, le sens de lecture apportent des modifications à la réception de l’album : ton dramatique ou optimiste, incitation à l’identification etc. L’outil photographique influence bel et bien la réception des aventures de Crin-Blanc et Folco et en cela, on peut considérer cet album de jeunesse comme un album photographique à part entière.
Probablement en raison de cette première fragmentation de l’album – et donc, de sa lecture – les différentes représentations (dessinées ou photographiées) sont présentées de manière assez figée. Les angles sont peu variés (les plongées sont à peine perceptibles) et les personnages toujours présentés en pied. Enfin, les interactions mises en oeuvre entre les deux instances – textuelle et iconique – relèvent essentiellement de la complémentarité en raison du détournement des matériaux proposés.
La photographie n’a donc apparemment pas de grandes incidences sur la réception, si ce n’est qu’elle est associée à la fiction, ce qui va à l’encontre de sa perception habituelle. Et pourtant, une double-page présente un intérêt particulier : il s’agit de la mise en scène inachevée des différents composants de l’image, au cours de laquelle on aperçoit le fragment d’une main. Tout à coup, le rapport bascule, l’angle de vue, de normal se fait en plongée, et l’on perçoit immédiatement la photographie comme une incursion dans la narration, un témoignage presque historique des astuces de fabrication de l’album. Puisque la photographie a des incidences sur la réception de l’histoire (le bonhomme qui commentait peut-il rester crédible ?), cet ouvrage de Christian Voltz est donc un album photographique.
Dans cet album, le processus de création est aisément perceptible : les interactions entre texte et image ne relèvent pas du phénomène de redondance, mais s’organisent à partir de détails repérés dans les photographies, pour en faire des allusions ou bien les développer au cours du texte, un parti pris accentué par le ton humoristique de l’auteur. Les expressions figées « manger son chapeau » naissent d’association d’idées, ou d’illusions créées par les photographies : le texte endosse ici la fonction de sélection décrite par Sophie Van der Linden, et qui consiste à focaliser le texte autour d’un détail de l’image, ou bien l’inverse. Le processus mis en place est donc celui d’un texte élaboré à partir de photographies déjà disponibles, et le choix de la poésie explique les nombreuses complémentarités ainsi que les quelques divergences qui s’opèrent entre le texte et l’image photographique. Le résultat produit est celui d’un album au caractère littéraire plus prononcé que Crin-Blanc.
Toujours est-il que les photographies de Bucéphale permettent d’enrichir le texte proposé, tout d’abord en faisant écho à sa structure répétitive : « Si [Bucéphale], je … » puisque cette structure est quasiment toujours mise en regard avec une photographie présentant un plan moyen et un angle de vue normal, sur laquelle le lecteur distingue un cheval, mais aussi un être humain, jamais le même. La photographie sous-entend alors la diversité de ceux qui aiment les courses et se ruinent à parier, et suggère même, par le biais de l’angle choisi, que le lecteur pourrait en faire partie lui aussi. D’ailleurs, n’a-t-il pas envie à la fin de connaître les résultats de la jument grise ?
Toutes les photographies présentées dans cet album sont annoncées lors de la double-page qui les précède, par un jeu de superposition et de transparence permis grâce à l’alliance avec d’autres procédés d’illustration.
Outre cet effet d’annonce systématique, les photographies possèdent la particularité de présenter essentiellement des angles et des points de vue en plongée, dramatisant l’aspect misérable des S.D.F. représentés. Les gros plans eux aussi accentuent cette confrontation à la misère, sans plus d’échappatoire possible. L’objectif des différents plans utilisés est de renforcer la désolation des personnages, dans le dénuement le plus complet, et de favoriser l’implication du lecteur, en sollicitant sa compassion.
Ces effets photographiques sont, à l’image de l’album de Christian Voltz, associés à d’autres techniques d’illustrations : le côté « recto », l’intérieur, la maison chauffée est pris en charge par des effets de graphisme, laissant transparaître la photographie pour représenter la fenêtre embuée, et des motifs figurant un papier peint.
L’album semble donc rebondir sur l’amalgame souvent effectué entre photographie et réel : ici, la photographie sert la dénonciation d’une réalité, mais sa tâche de reconstruction est rendue évidente par l’utilisation de modèles. Outre les choix photographiques, les figurines permettent au lecteur de saisir immédiatement qu’il s’agit d’une reconstruction du réel que les auteurs cherchent à dénoncer.
La photographie participe donc d’une modification de la réception de l’album, en instaurant une lecture binaire, mais aussi en encourageant une perception compatissante des personnages mis en scène.
Les images et le texte entretiennent parfois un rapport de divergence, dû à leur caractère poétique, axé autour des thématiques de la ruine mais aussi de l’espoir.
Ainsi, en présentant des fantasmes ou des phénomènes inexplicables – l’équilibre de l’échelle par exemple –, qui basculent vers des reconstructions du réel revêtant une grande violence, révélée par le texte (les bottes non chaussées par exemple, associées aux mines anti-personnel), les photographies dramatisent le texte et bousculent le lecteur. Le noir et blanc lui aussi modifie la réception du texte : il semble appuyer le deuil, le désespoir et la nuit qui envahit le temps de guerre.
Par leur point de vue en plongée prédominant, leur choix du noir et blanc, leurs plans moyens figeant des objets représentés dans des univers infinis et dénudés, les photographies de cet album dramatisent le récit qui les accompagne et modifient la réception du texte ainsi que son caractère poétique, sur lequel l’auteur François David a souhaité insister.
La spécificité des albums photographiques réside donc dans le choix d’une illustration présentant une reconstruction du réel qui modifie la réception du texte, en dramatisant l’action ou bien en imprégnant la caractérisation des personnages. C’est en cela que nous pouvons distinguer l’album photographique des autres albums de jeunesse : il s’agit donc d’ouvrages de fiction pour la jeunesse, proposant des illustrations utilisant la technique photographique et offrant à lire et interpréter des interactions entre texte et image, mais surtout, modifiant la réception du texte en utilisant une illustration reconstruisant le réel.
À présent, attardons-nous sur l’intérêt didactique de ces albums photographiques : quelles sont leurs qualités, leurs défauts ? Pourquoi les enseigner ? Quelle richesse offrent-ils au regard des autres albums de jeunesse ?

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
I) La place de la photographie dans la production éditoriale de jeunesse
1.1. Le statut illustratif de la photographie : quels procédés ?
1.1.1. La mise en scène d’objets et de figurines
1.1.2. La mise en scène de modèles vivants
1.1.3. L’association à d’autres techniques d’illustration
1.2. La photographie, outil documentaire
1.2.1. Les accumulations dans les albums photographiques
1.2.2. Les reportages fictionnels
1.2.3. Lorsque l’agencement détourne l’enjeu documentaire
1.3. Le processus de création
1.3.1. Projet photographique et d’écriture concomitants
1.3.2. Photographier pour interpréter et illustrer
1.3.3. Photographies antérieures au projet d’écriture
II) La photographie, quelle illustration pour la jeunesse ? 
2.1. La réception de l’album photographique : une illustration longtemps dépréciée
2.1.1. La lecture de la photographie : une tâche complexe ?
2.1.2. La photographie : reflet impitoyable de la réalité ou stimulant imaginaire
2.1.3. Le début de la reconnaissance
2.2. La double-narration dans l’album photographique
2.2.1. La complémentarité des narrateurs textuels et imagiers
2.2.2. Les fonctions spécifiques au texte et à l’image dans l’album
2.3. Les enjeux propres à l’illustration photographique
2.3.1. Le lien entre réalité et fiction : quel impact de la photographie ?
2.3.2. Quelle grammaire de l’image photographique ?
2.3.3. Comment analyser les albums photographiques ?
III) Pourquoi et comment étudier l’album photographique ?
3.1. Comment mesurer la réception d’un album photographique
3.1.1. Quel public ?
3.1.2. Quelle démarche ?
3.1.3. Qu’apprendre grâce à cette enquête ?
3.2. Quelle réception de l’album photographique ?
3.2.1. Identifier la photographie et sa principale caractéristique : la reconstruction du réel
3.2.2. Quel impact sur la réception d’un texte littéraire ?
3.3. Comment aborder l’album photographique en cycle 3 ?
3.3.1. Éduquer le regard porté sur la photographie
3.3.2. Côtoyer l’album photographique en littérature
Conclusion
Bibliographie
Annexes

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *