“ Pour une éducation anti-oppressive ”

Genres et sexualités sur les bancs de l’école

   Impossible d’aborder la question des rapports de genre à l’école sans prendre en compte le contexte et l’histoire de la mixité en milieu scolaire. En effet, la mixité à l’école est souvent datée des années 1960, mais se construit en réalité progressivement, à partir du XIXème pour des raisons avant tout économiques visant à remplir les classes dans les petites communes (Loi Guizot 28 juillet 1833)10. Les considérations éducatives liées à l’adaptation des enseignement à cette nouvelle situation de mixité, arrivent quant à elles bien plus tard. Ce sont des réflexions qui viennent nourrir le courant de l’École Nouvelle, notamment. Nombres de ces questionnements s’organisent autour de la question de la co-existence des genres dans le cadre scolaire : faut-il enseigner les mêmes choses aux garçons et aux filles ? Comment apprendre aux enfants de sexes différents à se comporter les uns avec les autres ? Évidemment, chaque question contient son poids de morale et de crainte. La mixité est rendue définitivement obligatoire par la loi Haby du 11 Juillet 197511. Cette décision marque un tournant pour les rapports de genre en milieu éducatif, et coïncide avec un contexte sociétal en pleine évolution. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, un chemin important a été parcouru notamment grâce aux luttes féministes qui ont permis de remettre en questions certaines inégalités liées au genre, tout en théorisant une réflexion scientifique en soutien de ces luttes. À la fin des années 1970, l’entrée des études de genre dans le milieu universitaire par différents champs des sciences sociales a permis d’offrir davantage de visibilité et d’autorité à une pensée déjà développée dans les milieux militants concernés (féministes, gay, lesbien, trans). Depuis, les travaux de théorisation et les combats sociaux pour la reconnaissance des droits des femmes et des minorités de genre se poursuivent à travers les efforts de plusieurs générations de luttes féministes et LGBT+ pour l’accès à l’égalité. Sur ce long chemin, on trouve un certain nombre de victoires (dépénalisation de l’homosexualité, accès aux mariages pour les couples de même sexe, droit à la contraception, etc) aujourd’hui admises. Il ne s’agit pas ici de proposer une rétrospective historique, ni de détailler les avancées et les reculs qui ont jalonné l’évolution de la visibilité de ces sujets. En revanche, il est indispensable d’avoir une conscience globale de l’impact des avancées sociétales sur les questions de genre et de sexualités. Tout d’abord, parce qu’il s’agit justement d’une question de société dont la prise en charge dans le cadre scolaire se fait aussi en réaction aux temps forts de l’actualité. Mais aussi, afin de comprendre que les adolescent e s d’aujourd’hui évoluent dans une réalité où ces ⋅ ⋅ questions sont davantage prises en compte. Certains, notamment parce qu’il elle s ⋅ ⋅ sont directement concerné e s sont même très bien informé e s. Pour autant, et ⋅ ⋅ ⋅ ⋅ comme cela a été évoqué dès l’introduction, ce sont des sujets qui se heurtent à de nombreux tabous lorsqu’on essaie de leur faire passer les portes de l’école. Afin de prendre conscience de la porosité des relations société-école sur ce sujet, il suffit d’observer la prise en charge institutionnelle des discriminations liées aux stéréotypes de genre et à l’orientation sexuelle dans les dernières années. Au début du XXème siècle, le sujet de « l’éducation sexuelle » émerge dans trois domaines : la médecine, l’Église, et le féminisme. Pourtant, l’éducation à la sexualité ne fait pas d’entrée officielle à l’école avant l’année 1973, grâce à la circulaire Fontanet. Cette circulaire préconise des séances facultatives, hors emploi du temps d’« information sur la sexualité » et de moralité. Depuis cette première ouverture qui a permis d’institutionnaliser la nécessité d’aborder les sexualités à l’école, on peut relever différents jalons qui ont marqué des avancées (mais aussi des reculs). Comme on pourra l’observer, ces jalons s’ancrent toujours sur un terrain sociétal et légal plus ou moins propice :
➢ Années 1980 : la dépénalisation de l’homosexualité en 198214, puis la vague d’épidémie de VIH-SIDA offrent une nouvelle visibilité médiatique à la communauté homosexuelle, qui ne va pas sans une vague d’homophobie et de panique sanitaire. Ce contexte de tensions donne lieu, en 1985, à la publication d’une nouvelle Circulaire, la Circulaire Chevènement, qui rend obligatoire l’éducation à la sexualité afin de répondre au besoin grandissant de prévention des risques.
➢ Début des années 2000 : La loi de 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception contient un article visant à imposer trois séances « d’information et d’éducation à la sexualité » par an dans tous les établissements. La Circulaire du 17 Février 2003 officialise la mise en place de ces heures. Mais surtout, elle présente cette éducation comme « une composante essentielle de la construction de la personne et de l’éducation du citoyen. ». De plus, l’aspect transversal y est souligné, en insistant explicitement sur le rôle de « Tous les personnels, membres de la communauté éducative, participent explicitement ou non, à la construction individuelle, sociale et sexuée des enfants et adolescents. ».
➢ À partir de 2010 : Des débats importants sont déclenchés par l’introduction de la notion de genre dans les manuels de SVT, puis renforcés par la tentative de mise en place du dispositif pédagogique inter-ministériel ABCD de l’égalité en 2013. Cette même année, l’adoption du projet loi ouvrant le mariage et l’adoption au couple de même sexe déclenche d’importantes manifestations homophobes. Les débats, trop nombreux et trop violents donnent lieu à des boycotts de la part de certains parents d’élèves qui conduisent à l’abandon du projet ABCD de l’égalité . En 2014, le plan d’action pour l’égalité fille-garçon le remplace qui entend notamment fournir des ressources et outils au personnel enseignant. C’est dans cette vision de l’éducation contre les stéréotypes de genre que s’inscrit la convention inter-ministérielle encore en vigueur aujourd’hui (2019-2024). Le dernier dispositif d’éducation à la sexualité date de 2018, et s’inscrit dans la continuité de la circulaire de 2001. Fait marquant, c’est le premier texte institutionnel qui contient une mention explicite du thème des orientations sexuelles. Sa publication coïncide avec la décision de l’OMS de procéder au retrait de la transidentité de la liste des maladies mentales. D’ailleurs cette nouvelle circulaire donne lieu à une campagne de qui s’engage dans « la lutte contre l’homophobie et la transphobie à l’école » dès la rentrée 2019, accompagnée par un Vademecum sur lequel les équipes éducatives peuvent s’appuyer. Cette chronologie des jalons de la prise en compte des sexualités, mais également des identités de genre par le système éducatif, permet d’observer une évolution notable depuis la fin du siècle dernier. On voit aussi que le cadre institutionnel se construit en s’adaptant aux avancées sociétales, mais rencontre toujours des obstacles à différents niveaux, générés notamment par une vision persistante de « l’école-sanctuaire » s’auto-forment parce que leur propre identité de genre, et/ou leurs attirances sexuelles/amoureuses les y ont amené e s, et leurs regards sont particulièrement ⋅ ⋅ importants, précisément pour ces raisons. Pour autant, ils et elles ne peuvent pas être les seul e s à faire ce travail et à jouer ce rôle auprès des élèves, dans la ⋅ ⋅ mesure ou il se rapporte à des compétences arrêtées comme communes par le référentiel de 2013.

Éviter la mise en genre : penser et adapter le langage dans le cadre de l’accueil au CDI

   La posture d’accueil du ou de la professeur e-documentaliste au CDI, hors ⋅ temps de séances pédagogiques est différente de celle des autres enseignant e s. ⋅ ⋅ En effet, les élèves viennent sur un rythme plus ou moins régulier, ce qui ne nous permet pas de les connaître tous comme peut le faire un e enseignant e dans ses ⋅ ⋅ classes. Lors de la première venue d’un élève, nous n’avons donc que la feuille de présence et l’échange verbal d’accueil pour obtenir des informations sur lui ou elle. Or, pour un adolescent ou une adolescente en questionnement sur son identité de genre, les mots employés contiennent souvent un poids émotionnel important. D’autant plus que la langue française est très genrée, très binaire. C’est pourquoi, dans son premier livre Une Histoire de genres : guide pour comprendre et défendre les transidentités, l’activiste Lexie rappelle que « Dans le cadre du rapport au genre, le vocabulaire est central. », avant de détailler les raisons de cette centralité : De fait, découvrir pour soi-même des mots qui définissent pleinement notre identité est souvent une grande libération, qui apporte enfin une validation par le verbe de notre différence parfois seulement devinée avant cela. À l’inverse, entendre au quotidien un vocabulaire mal employé, volontairement ou non, est une source de détresse, de malheur profond. Nous insistons sur le fait que ces erreurs peuvent être de véritable maladresses, corrigées par l’apprentissage précis du vocabulaire. (2021, p. 45) Sur mon lieu de stage, les élèves femmes cisgenres étant en majorité, je suis souvent amenée à « genrer » au féminin lorsque je m’adresse à un groupe. C’est un réflexe que je m’efforce néanmoins de questionner. Ainsi, dans une situation d’accueil nouvelle avec des élèves ne s’étant pas encore « genrer » en ma présence (pronom, accord, etc) qui me le permettent, ou je propose parfois une discussion ouverte sur la question. Éviter la mise en genre automatique d’une personne en fonction de son expression de genre (apparence extérieure, c.f. Définitions des termes) est une pratique établie dans les milieux LGBT+. Dans le cadre scolaire, Lee Airton, un spécialiste en études de genre et de sexualité canadien reprend cette approche et en fait un des quatre types de pratique pour rendre son enseignement plus inclusif : « Teach like it’s a given that all of your students’ relationships with gender are ambivalent and will change over time. » (Je traduis : « Enseigner comme s’il était acquis que la relation de tous vos élèves à leur genre est ambivalente et amenée à évoluer dans le temps. » (Airton, 2019). Cette recommandation, portée par la réflexion sur le poids émotionnel du vocabulaire, j’ai pu la mettre en application dans différentes situations d’accueil au cours de l’année. Il en est une pour laquelle elle a été particulièrement utile et porteuse de sens, et c’est pourquoi c’est celle-ci que j’ai choisi comme exemple

Accueillir les réactions oppressives : combiner l’outil de l’inconfort et le cadre de l’activité de recherche informationnelle au cours d’une séance d’EMC

   L’inconfort est défini comme « ce qui gène le bien-être, la tranquillité d’esprit » (CNRTL, s.d.). Il s’agit d’un état de malaise, qui est donc souvent perçu de manière péjorative. En tant qu’enseignant e, être dans l’inconfort cela peut aussi vouloir dire ⋅ sortir des sujets que l’on maîtrise. Or lorsqu’il s’agit d’enseigner afin de lutter contre les stéréotypes et les discriminations, l’inconfort peut très vite s’inviter dans la salle de classe, et ce du côté de l’enseignant e comme de celui des élèves. C’est d’ailleurs ⋅ particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’aborder les questions liées aux genres ou aux relations amoureuses/sexuelles. Parce que ce sont des sujets rattachés à la sphère intime, mais aussi et surtout, parce qu’en fonction de son vécu, ce sont des sujets qu’on se sent plus ou moins prêt e à aborder. Pourtant, dans le cadre d’une ⋅ démarche anti-oppressive, l’inconfort est « plutôt considéré comme un outil à mobiliser, comme une porte d’entrée privilégiée permettant l’accès à des apprentissages considérés comme difficiles ou sensibles. »(Richard, 2019, p. 40). En effet, puisqu’il ne peut pas être évité, autant s’en servir comme d’un outil pédagogique. Cet outil qu’est l’inconfort peut être utilisé dans diverses situations, mais je le trouve particulièrement intéressant lorsqu’il est déployé dans le cadre de séances pédagogiques. En effet, on peut alors s’engager dans cette démarche tout en conservant le cadre de l’activité pédagogique qui, grâce à la consigne, permet de ne pas sortir de sa posture enseignante, même lorsqu’on aborde des sujets qui peuvent être personnels. De plus, il s’agit d’un cadre auquel l’élève est habitué, qui est donc sécurisant et guidant pour lui, ce qui facilite la confrontation avec des réflexions qui suscitent de l’inconfort. Au cours de l’année, j’ai pu le vérifier, notamment lors d’une séance d’EMC, un cadre particulièrement adapté à la mise en place d’une posture anti-oppressive, et que je vais donc prendre en exemple. Dans le cadre d’une séquence d’EMC pour une classe de 1ère Bac Pro, menée en co-enseignement avec une professeure de Lettres-Histoire, la seconde séance consiste en une recherche d’information afin que les élèves collectent arguments et exemples pour préparer le débat réglé qui fera l’objet de la prochaine séance. La question du débat leur est donnée : « Une société sans inégalités est-elle possible ? », et les termes sont définis ensemble. La problématique des inégalités liées au genre a déjà été abordée lors de la séance précédente, et certains élèves viennent de mentionner les inégalités salariales entre les hommes et les femmes en demandant si cela pouvait être un exemple dans le cadre du débat. En réaction à cette prise de parole, un groupe de trois élèves de genre masculin, que ma collègue m’avait déjà signalé pour des propos sexistes et homophobes quelques semaines auparavant s’écrie : « C’est toujours les mêmes arguments qui reviennent ! C’est bon ! ». Ils ont récemment lu une actualité sportive sur une athlète transgenre ayant blessé son adversaire lors d’un combat de MMA (Mixed Martial Arts), ils en discutent entre eux, et trouvent un article sur le sujet. Le groupe définit cette actualité comme une inégalité et souhaite l’utiliser en tant qu’exemple dans le débat à venir. Il m’interpelle afin d’obtenir mon avis, mais la formulation de leur question me laisse croire qu’il savent d’ores et déjà que cet exemple va poser problème. Je demande d’abord à ce qu’ils formulent la raison pour laquelle ils perçoivent cette situation comme un exemple d’inégalité, faisant mine de ne pas comprendre ce qui pourrait être anormal dans cette situation. Cette démarche s’inspire du premier des quatre principes préconisés par Lee Airton mentionnés plus tôt (Airton, 2019). Ce principe consiste à créer des moments de dissonance cognitive chez les élèves, en remettant toujours en question les énoncés perçus comme allant de soi. L’objectif est d’amener les élèves qui tiennent des raisonnements stéréotypés et discriminants à les expliciter, afin de potentiellement prendre conscience de la fragilité des arguments qui soutiennent ces idées reçues. Une fois qu’un des élèves a verbalisé le raisonnement : « C’est pas une femme, c’est un homme donc il a la force d’un homme. Donc ça veut dire que c’est injuste, que c’est inégal qu’il se batte contre une femme, et que c’est pour ça qu’il l’a blessée. C’est contre-nature ! Il devrait pas être autorisé à combattre dans cette catégorie ! ». Dans un premier temps, j’explique que cet argument ne me semble pas recevable, dans la mesure ou l’athlète, même si elle est née avec un sexe masculin est une femme, et reconnue comme femme par le gouvernement des États-Unis et a donc parfaitement le droit de concourir dans la catégorie féminine du sport qu’elle pratique. Un des élèves me reproche alors de ne pas accepter son opinion, et d’envisager de ne pas compter ses points s’il utilise cet argument, de lui mettre une mauvaise note. Je lui signifie que cet argument est transphobe (en prenant soin de définir le terme), et que, dès lors, il ne s’agit plus seulement d’une opinion mais bien d’un propos injurieux qui tombe sous le coup de la loi. Une fois le rappel au droit et à la règle effectué, je propose au groupe d’adapter la consigne de l’activité, afin que je puisse les noter de manière impartiale :
➢ Premièrement, s’ils notent cet exemple, ils doivent signaler qu’il s’agit d’un propos discriminant et qu’ils prennent conscience de ce à quoi ils s’exposent en le tenant.
➢ Deuxièmement, je les renvoie à la partie de l’activité qui consiste à évaluer la source et leur fait remarquer que le site sur lequel l’article qu’ils comptent utiliser n’est pas celui d’un média officiel, et que le ton de l’article ne semble pas neutre. Compte tenu de cette analyse, j’ajoute une nouvelle tâche à l’activité et leur demande de rechercher et de lire un second article sur cette actualité, qui soit publié par un autre média, afin de croiser les deux sources. En effet, le premier article est assez ouvertement transphobe et ne donne absolument pas la parole à la sportive, Fallon Fox. Il est publié sur le site des Observateurs, un média suisse qui se déclare indépendant. Le second article est un article plus ancien qui revient sur le parcours de la combattante de MMA, dans lequel on peut lire plusieurs arguments biologiques contre la transphobie . Le groupe accepte cette nouvelle consigne, et, bien que la séance ne se soit pas terminé sur une prise de conscience complète, j’ai pu observer que l’utilisation de l’inconfort comme outil pédagogique pour dépasser le rappel au droit et à la règle était pertinent. En effet, cela a permis de faire travailler les trois élèves sur un sujet qu’ils rejettent et refusent de comprendre, en prenant connaissance d’un point de vue dans lequel les idées discriminantes qu’ils énoncent ne sont pas recevables. Le choix de travailler avec l’inconfort en conservant le format de l’activité pédagogique permet d’établir un cadre d’apprentissage sécurisant. Ainsi, on ne perde pas de vue l’objectif initial de la séance, puisque cette nouvelle consigne a également permis de mettre en œuvre les compétences EMC pour le programme de 1ère de la voie professionnelle :
➢ Réviser son jugement par la prise en compte d’autres points de vue.
➢ Distinguer émotions, opinions, et jugements critiques.
➢ Identifier et mettre à distance les clichés et stéréotypes.
➢ Rechercher et sélectionner en autonomie une documentation pertinente sur un sujet en confrontant des points de vue contradictoires.
Bien sûr, il n’y a pas forcément de prise de conscience immédiate, mais le fait d’adopter une posture de pédagogie critique permet de s’appuyer sur l’inconfort qui peut s’installer lorsqu’on aborde les questions de rapports de genres et de sexualités, afin de questionner les stéréotypes issus d’une norme oppressive. L’idée est que cette démarche, si elle est systématique, permettra de ne plus accepter la norme établie sans en questionner les aspects oppressifs. Il s’agit finalement de faire vivre l’esprit critique qui est au fondement même de l’enseignement moral et civique et de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) sur lesquels s’articule le premier axe de mission des professeurs-documentalistes. Pour autant, c’est une posture qui s’avère également très pertinente dans d’autres cadres d’enseignement, par exemple en situation d’éducation artistique et culturelle.

L’Exercice d’inversion : renverser la norme pour déconstruire les stéréotypes de genre dans un court-métrage

   L’exercice d’inversion détourne des énoncés ou affirmations communes de manière à mettre en évidence l’arbitraire des normes que nous tenons pour acquises. […] Il s’agit d’un exercice pour le moins ludique mais néanmoins efficace pour ce qui est de troubler les participant e s et d’amorcer une ⋅ ⋅ réflexion sur l’hétéronormativité. (Richard, 2019, p. 126-127) L’exercice d’inversion est une forme particulière de l’utilisation de l’inconfort comme outil pédagogique. Il consiste tout simplement, et comme l’explique la citation cidessus, à renverser une norme afin que la majorité devienne minorité et inversement. Dans un cadre scolaire, et en se focalisant sur la problématique des rapports de genres et d’attirances sexuelles/amoureuses, cet exercice peut être mis en place de diverses façons. L’une d’elles consiste à poser un « questionnaire hétérosexuel », c’est-à-dire à reprendre les questions couramment posées aux personnes non-hétérosexuelles et à les inverser dans le but de démontrer leur indiscrétion et leur absurdité dès lors qu’on porte un regard un tant soit peu débarrassé du prisme normé. Par exemple : « Selon vous, qu’est-ce qui a causé votre hétérosexualité ? » ou encore: « À qui avez-vous révélé vos tendances hétérosexuelles ? Comment ces personnes ont réagi ? ». Une autre manière de mettre en place un exercice d’inversion, consiste à inverser le genre des personnages dans un récit. C’est cette seconde possibilité que j’ai choisi de suivre lors de la mise en place d’une expérience pédagogique menée avec deux groupes d’une même classe à l’occasion de la Fête du court-métrage au lycée. La Fête du court-métrage a lieu chaque année partout en France et permet à des salles de cinéma, des lieux de culture, mais aussi des établissements scolaires, de s’inscrire pour recevoir des courts-métrages figurant dans le catalogue de l’année afin d’organiser des séances de projection. Dans le cadre de cette année manquant cruellement d’accès aux salles de cinéma, ma collègue et moi-même avons inscrit le lycée. Afin d’attirer les enseignant e s et de faciliter la mise en place de séances ⋅ ⋅ de projection, j’ai découpé notre programmation en différentes sélections thématiques, dont une intitulée « Contrer l’oppression » qui regroupait des films traitant de la discrimination (racisme, homophobie, sexisme). L’un des courtmétrages, Miss Chazelles, présente deux adolescentes concourant pour le prix de « Miss » d’une petite ville rurale, placées en position de compétition par leurs entourages, mais qui s’avèrent entretenir une relation affective ambiguë, entre amitié et amour. Ce court aborde donc tout à la fois l’homophobie et les stéréotypes de genre, et était par conséquent un support idéal pour mettre en place l’exercice d’inversion. L’expérience a été menée avec une classe de 1ère Bac Pro Métier Relation Client, sur 2 séances de projection-débat de 55 minutes, en demi-groupe, au CDI. Afin d’observer l’efficacité de l’exercice, il n’a été mis en place qu’avec le second groupe, pendant que le premier suivait un schéma d’échanges plus « classique ».Dans les deux cas, je projette le film, puis j’ouvre un temps d’échange guidé (c.f. trame de la séance, consultable dans l’annexe n°4).

CONCLUSION

   Dans ce mémoire, tout comme dans la jeune pratique professionnelle qui l’a nourri cette année et dont j’ai tenté de faire état ici, je me positionne aux côtés de Gabrielle Richard (et de bien d’autres) pour l’adoption d’une posture pédagogique critique et antioppressive dans le cadre de la lutte contre les discriminations. En effet, la pédagogie de la tolérance semble aujourd’hui en voie d’être dépassée, et les discussions s’orientent davantage vers l’inclusion, mot d’ordre des dernières recommandation institutionnelles. La volonté d’inclusion est un pas important et signifiant qui montre la détermination à s’engager contre l’exclusion, et plus largement à offrir une meilleure prise en compte de l’identité de chacun et de chacune. Pourtant, pour accompagner cet avancement, il est indispensable que les dynamiques qui étaient responsables de l’exclusion soient réellement remises en cause. Si cela n’est pas fait, on risque très simplement de faire face à une inclusion de façade. Selon Gabrielle Richard : L’approche inclusive ne constitue qu’une solution temporaire, qui repousse à plus tard le problème de [la] véritable intégration […] Tout l’enjeu est de faire bifurquer l’objet des apprentissages : au lieu de s’intéresser à ce qui est vu comme marginal (les orientations sexuelles et les identités de genre non normatives), la pédagogie antioppressive suggère de se pencher sur les normes, sur leur existence, sur les personnes qui sont servies ou desservies par elles, sur les conditions de leur production et les moyens de leur maintien. C’est en décentralisant ainsi le regard, et en invitant élèves comme enseignant e s à réfléchir à leur propre posture au sein de ces systèmes normatifs, que seront créées ⋅ ⋅ les conditions optimales pour un milieu scolaire bienveillant. (2019, p. 148) Favoriser ces « conditions optimales » relèvent des missions de toute la communauté éducative, chacun e pouvant s’appuyer sur les compétences qui sont ⋅ les siennes. La réflexion de ce mémoire a proposé de considérer les missions des professeur-documentalistes tout à la fois comme des piliers de la posture antioppressive, et des leviers d’action pour la mettre en œuvre au sein d’un établissement. Il me semble aussi qu’une des solutions repose sur la mutualisation de nos pratiques, ainsi que sur les échanges avec les différents collectifs et associations qui accomplissent un travail immense de visibilité, d’information, de plaidoyer. En conclusion, je tenais à convoquer à nouveau la citation de la théoricienne, poétesse et activiste féministe et bisexuelle Adrienne Rich, déjà citée en avantpropos : « Quand quelqu’un avec l’autorité d’un enseignant décrit le monde et que vous ne vous y retrouvez pas, il y a un moment de déséquilibre psychique comme si vous vous regardiez dans un miroir sans vous y voir. ». Une éducation bienveillante et antioppressive veille à ce que le miroir reflète, mais aussi à ce que le reflet soit le moins possible déformé par le filtre de la norme dominante

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Table des matières

DÉFINITIONS DES TERMES / ÉCRITURE INCLUSIVE
INTRODUCTION
CADRE DE L’ÉTUDE
I.Genres et sexualités sur les bancs de l’école
II.L’approche anti-oppression et l’héritage des pédagogies critiques
1. Le CDI, lieu-ressource bienveillant et sécurisant pour tous et toutes au sein de l’établissement
1.1. Éviter la mise en genre : penser et adapter le langage dans le cadre de l’accueil au CDI
1.2. Inscrire la diversification des représentations dans la politique documentaire
2. Enseigner contre la reproduction des schémas oppressifs
2.1. Accueillir les réactions oppressives : combiner l’outil de l’inconfort et le cadre de l’activité de recherche informationnelle au cours d’une séance d’EMC
2.2. L’Exercice d’inversion : renverser la norme pour déconstruire les stéréotypes de genre dans un court-métrage
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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