Polarimètre à modulation temporelle polychromatique 

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Spectropolarimétrie

En s’appuyant sur les bases de polarimétrie et de spectroscopie explicitées dans les sections précé-dentes, la spectropolarimétrie peut désormais être définie et étudiée.

Histoire

Avant de voir appaître les premières mesures de spectropolarimétrie, la spectroscopie puis la polari-métrie se sont développées dans la belle histoire des sciences. Quelques dates et étapes importantes vont être mises en avant.
Spectroscopie
L’histoire de la spectroscopie est évidemment directement liée à celle de l’optique et de l’étude des propriétés de la lumière. La première étude qui est à noter est celle faite par Ptolémée au début du IIème siècle et publiée dans un ouvrage appelé « Optique ». Il y présente notamment pour la première fois la notion de diffraction de la lumière et une étude associée. Il faudra cependant attendre le fameux XVIIème siècle et René Descartes pour obtenir pour la première fois une théorie mathématique complète qui définit et explique les lois de la réflexion et de la réfraction de la lumière en 1637. Quelques années plus tard, Isaac Newton poursuivra le travail de Descartes sur la décomposition de la lumière, et obtiendra même le premier spectre du Soleil en 1664 en utilisant une fente large, des prismes et une lentille.
Les grandes avancées scientifiques vont alors s’arrêter pendant un siècle et demi, avant le grand embal-lement de la première moitié du XIXème siècle. William Hyde Wollaston, qui réussit à atteindre une résolution spectrale suffisamment grande pour découvrir pour la première fois les raies d’absorption du Soleil en 1802, est suivi par le magnifique travail de Joseph von Fraunhofer, qui à l’aide d’une fente fine et de très bons prismes observe plus de 600 raies dans le spectre du Soleil en 1814. Il parvient 9 ans plus tard à mesurer des longueurs d’onde précisément et étiquette les 9 raies principales du spectre solaire. Sa notation est par ailleurs toujours utilisée aujourd’hui, avec par exemple les raies du Sodium D, et Calcium H et K. Finalement, Edmond Becquerel (père d’Henri) rentre dans l’histoire en réalisant la première photographie du spectre du Soleil en 1842 (Fig. 1.6).
L’histoire moderne de la spectroscopie se développe avec l’évolution des technologies actuelles, notamment celle des détecteurs, de la mécanique de précision et de la qualité de fabrication des pièces optiques. La décomposition spectrale de la lumière est utilisée dans de nombreux domaines d’application. Dans le domaine de l’astrophysique, les spectrographes sont devenus les instruments indispensables d’une mission spatiale ou d’un observatoire au sol. Qu’ils soient de masse sur l’aterrisseur Philae de la mission Rosetta (Balsiger et al., 2007), à intégrale de champ avec MUSE au foyer du VLT (Henault et al., 2004) ou haute-résolution avec le GHRS sur HST (Troeltzsch et al., 1991), les spectrographes permettent aujourd’hui de mieux comprendre l’Univers dans lequel on vit.
Polarimétrie
Le notion de polarimétrie étant plus subtile que celle de spectroscopie et de décomposition de la lumière, son étude va commencer bien plus tard dans l’Histoire. Le faible nombre de phénomènes naturels dus à la polarisation de la lumière visible, observables sans instrument dédié, dans la nature a ainsi participé à l’émergence tardive de ce domaine d’étude. Il faut attendre 1669 pour voir publié le premier article (Bartholin, 1669) évoquant la biréfringence dans un cristal de spath d’Islande (comme sur la Fig. 1.2). Alors qu’à la même époque Descartes avait déjà établi les lois régissant la réfraction et Newton observé le spectre du Soleil, c’est Rasmus Bartholin qui met en évidence pour la première fois la notion de polarisation de la lumière.
Cependant, l’histoire retiendra principalement les travaux de l’astronome néerlandais Christian Huy-gens. Grâce à ses études sur l’aspect ondulatoire de la lumière il parvient à expliquer la double réfraction du spath d’Islande, ce qui n’était pas le cas avec la théorie corpusculaire. Son Traité de la Lumière publié en 1690 développe la théorie ondulatoire de la lumière (qui s’oppose à la théorie corpusculaire alors dé-fendue par Newton) et donc (sans forcément le savoir) la polarisation. C’est Augustin Fresnel et Thomas Young qui, plus d’un siècle plus tard, vont réellement présenter une théorie complète et cohérente décri-vant l’aspect ondulatoire de la lumière. C’est à cette époque que tous les grands noms de la polarimétrie vont faire éclore cette science. En 1809, Etienne-Louis Malus découvre que la lumière est polarisée après réflexion sur une fenêtre du palais du Luxembourg à Paris (Harvey, 2015). C’est ainsi qu’il va inventer le terme de « polarisation » et découvrir la polarisation de la lumière par réflexion. L’année suivante, il publiera également sa Théorie de la double réfraction de la lumière dans les substances cirstallines. En avançant encore d’une année, on retrouve François Arago, qui inventa en 1811 le polariscope et découvrit le pouvoir rotatoire de la lumière. Le schéma optique de son instrument est présenté Fig. 1.7.
Grâce à cet instrument, on peut désormais déterminer si une lumière est polarisée ou non. C’est ainsi qu’il réalisa cette année-là la première mesure de lumière polarisée extra-terrestre, en l’occurence celle de la Lune (voir l’article Dougherty and Dollfus (1989)). Il orienta également son instrument vers le Soleil mais n’observa aucun signe de polarisation. Dans son laboratoire il avait observé que la lumière émise par des flammes n’était pas polarisée au contraire de celle émise par un liquide ou un solide incandescent. Il en a donc conclu que la surface visible du Soleil était composée d’un gaz incandescent (Arago, 1824, 1830, 1865).
L’histoire de la polarimétrie se poursuit dans la première moitié du XIXème siècle avec les différents travaux et inventions d’Arago, Fresnel, Wollaston, Nicol, Babinet et Brewster notamment. On remarque qu’il y avait à cette époque tout pour réaliser de la spectropolarimétrie. Des spectres fins du Soleil sont réalisés par Fraunhofer et Wollaston, alors qu’en même temps Arago construit le premier polarimètre de l’histoire. Il faudra cependant attendre le début du XXème siècle pour voir apparaître les premières études de la polarisation en fonction de la longueur d’onde.
Durant le XXème siècle, les astronomes français Bernard Lyot puis Audouin Dollfus sont les pionniers de la polarimétrie planétaire (Dollfus, 1957), avec par exemple la découverte de l’oxyde de fer dans l’atmosphère martienne. La polarimétrie stellaire ne commence vraiment que dans la première moitié du XXème siècle avec des mesures de lumière polarisée arrivant de certaines étoiles. La spectropolarimétrie va ensuite permettre de comprendre ces phénomènes.
Spectropolarimétrie
La spectropolarimétrie est donc l’étude de la polarisation de la lumière en fonction de la longueur d’onde. En 1896, Pieter Zeeman démontre que les raies spectrales d’une étoile sont élargies en présence d’un champ magnétique et qu’elles se démultiplient alors avec des signatures polarisées différentes. Le premier champ magnétique stellaire est mis en évidence par Babcock en 1947 seulement (Babcock, 1947).
La spectropolarimétrie solaire ou stellaire s’est beaucoup développée à partir de la fin du XXème siècle avec la création de nombreux instruments au sol ou dans l’espace. En exemples récents, on peut citer Nar-val (Aurière, 2003) et ESPaDOnS (Donati et al., 2006) pour la spectropolarimétrie stellaire et THEMIS (Paletou and Molodij, 2001) et CLASP (Kano et al., 2012) pour la spectropolarimétrie solaire.

Technique

Un spectropolarimètre est constitué d’un module d’analyse de la polarisation de la lumière (le pola-rimètre) et d’un module d’analyse spectrale (le spectrographe). Ainsi, en plus de l’information spectrale classique, l’état de polarisation de la lumière peut être extrait à chaque longueur d’onde. Le défi principal dans le développement d’un tel instrument est d’arriver à allier un système par définition polychromatique (un spectrographe) avec un système qui est quasi-exclusivement monochromatique (un polarimètre). Il faut donc parvenir à créer un polarimètre qui fonctionne de la même façon à toutes les longueurs d’ondes de travail du spectrographe. Les deux solutions sont soit de créer un polarimètre achromatique, qui aura la même influence sur toutes les longueurs ; soit d’utiliser un polarimètre classique chromatique mais de prendre en compte cette chromaticité dans la manière d’extraire le signal voulu.
La chromaticité des polarimètres a pour cause la dépendance en λ du retard imposé par une lame biréfringente (voir Eq. 1.6). Pour achromatiser un polarimètre il faut donc supprimer cette dépendance et construire une lame biréfringente qui impose un retard constant sur un spectre donné. La combinaison de différents cristaux biréfringents rend ceci possible et permet même de créer des lames superachromatiques (voir Pancharatnam (1955) et Herrera-Fernandez et al. (2015)). Une autre possibilité pour créer des lames à retard achromatique est d’utiliser des rhomboèdres de Fresnel, comme sur ESPaDOnS par exemple (voir Donati et al. (2006) et le schéma de gauche de la Fig. 1.8). Au lieu d’utiliser un matériau biréfringent pour créer le retard de phase, on considère le déphasage introduit par une réflexion totale sur une ou des interface(s) verre/air. Ainsi, aux propriétés du verre utilisé données, cette technique impose un retard indépendant de la longueur d’onde.
La seconde étape dans le développement du polarimètre est l’analyseur de polarisation. Après avoir créé un modulateur achromatique avec les techniques présentées ci-dessus, il faut parvenir à analyser les états de polarisation. Pour cela on peut soit utiliser un polariseur linéaire simple ou sinon un séparateur en polarisation. L’avantage de cette dernière solution est de ne pas perdre 50% du flux lumineux, mais également d’améliorer la précision de mesure finale en permettant d’éliminer certaines erreurs systéma-tiques. Par contre, cela va imposer le dédoublement du faisceau optique et donc compliquer la conception du spectrographe en aval. Les polariseurs linéaires sont par définition plus simples, plusieurs solutions sont alors possibles comme les polariseurs à grille, les polariseurs à couches minces, par réflexion ou à réflexion totale (citons en exemple le Glan Thompson). Pour créer un séparateur biréfringent, la solution la plus habituelle et efficace est d’utiliser des prismes biréfringents comme les prismes de Wollaston ou de Rochon. L’écart imposé par de tels composants va dépendre fortement de la biréfringence du matériau utilisé. Le choix de ce matériau sera donc primordial dans le dévelopement d’un spectropolarimètre et donc d’un polarimètre polychromatique.
Figure 1.8 – Design optique du spectropolarimètre ESPaDOnS. Sur la gauche de l’image le module polarimétrique, avec une succesion de rhomboèdres de Fresnel entre une paire de lentilles, suivie d’un prisme de Wollaston. Les deux faisceaux de polarisations orthogonales sont focalisés dans 2 fibres qui alimentent ensuite le spectrographe haute-résolution dont le design optique est présenté sur la droite.
Si on considère un spectropolarimètre haute-résolution, l’utilisation d’un spectrographe échelle après le polarimètre s’avère nécessaire. La seule contrainte qui s’ajoute à celles explicitées dans la Section 1.2 est le fait que le faisceau est dédoublé. Il faudra donc prendre en compte la séparation entre ces deux faisceaux dans le calcul de la dispersion croisée. En effet, si la dispersion croisée n’est pas suffisante, il est possible que l’état de polarisation B d’un ordre m se mélange avec l’état de polarisation A de l’ordre suivant m + 1. Un exemple de design optique de spectropolarimètre est présenté Fig. 1.8
L’image sur le détecteur en sortie d’un spectropolarimètre est donc généralement composée d’un certain nombre d’ordres spectraux, tous dédoublés comme on peut le voir sur une image de calibration avec une lampe Th/Ar de l’instrument ESPaDOnS au CFHT présentée Fig. 1.9.

Application à la physique stellaire

La spectropolarimétrie stellaire permet d’étudier de nombreux phénomènes et de mieux comprendre le fonctionnement d’une étoile. Cependant, la spectropolarimétrie dans le domaine UV du spectre n’a encore jamais été faite. Un grand nombre de cas scientifiques sont présentés dans l’article Neiner et al. (2014).
L’ajout de la mesure de l’état de polarisation à une mesure spectrale ouvre considérablement le champ des possibilités. Principalement, grâce à l’effet Zeeman (explicité dans le paragraphe suivant), l’observation spectropolarimétrique des étoiles va nous offrir un accès direct au champ magnétique. En effet, cela permet de relier l’état de polarisation de la lumière observée dans les raies photosphériques d’une étoile
à son champ magnétique de surface. De plus, la même observation mais dans le domaine UV du spectre apporterait des informations sur l’environnement proche de l’étoile et notamment sur le vent stellaire, la chromosphère, ou les disques circumstellaires. Les objectifs scientifiques d’Arago (Sect. 4.1.1) exposent plus en détails les possibilités de la spectropolarimétrie UV et Visible.
Effet Zeeman
Découvert par Pieter Zeeman en 1896 (Harvey, 2015), cet effet caractérise la division en plusieurs fréquences d’une raie spectrale atomique ou moléculaire lors de la présence d’un champ magnétique. Dans un atome, les électrons ne peuvent avoir qu’un certain nombre discret d’énergies. C’est que l’on appelle la quantification des niveaux d’énergie. A un état atomique donné correspond une valeur de l’énergie et une seule, mais plusieurs états peuvent avoir la même énergie, il y a alors dégénérescence. En présence d’un champ magnétique (voir Fig. 1.10) il y a levée de dégénérescence provoquant la séparation des raies en plusieurs composantes.
Figure 1.10 – Diagramme d’énergie, explicatif de l’effet Zeeman. Sous présence d’un champ magnétique, les raies d’un spectre atomique sont suceptibles de se diviser en plusieurs composantes décalées en énergie, E1 < E0 et E2 > E0, avec E0 l’énergie correspondante à la raie sans champ magnétique.
On observe alors que parmi les 9 transitions possibles, il n’y a que 3 niveaux d’énergies différents : E0, E1 légèrement plus faible et E2 légèrement plus élevé. L’énergie E0 correspond au niveau d’énergie de la transition entre les états dégénérés et donc à la longueur d’onde centrale de la raie observée. En présence d’un champ magnétique, cette raie sera donc divisée en 3 avec 2 raies aux longueurs d’onde très proches correspondantes aux énergies E1 et E2.
En pratique, cette division des raies en plusieurs composantes est souvent trop faible pour être observée. Ce que l’on observe alors est simplement un élargissement des raies. L’observation de l’élargissement des raies est un diagnostic ambigu, qui peut aiguiller vers plusieurs origines physiques. Pour pouvoir exploiter au mieux cet effet, il faut donc aller plus loin et s’intéresser à la polarisation des différentes composantes, qui sera différente pour chacune d’entre elle, et avec une origine physique unique et bien déterminée. En effet, la transition dite π correspondant à la raie centrale est polarisée rectilignement dans la direction perpendiculaire au champ magnétique. Le plan de vibration du vecteur champ électrique définissant l’état de polarisation (voir Sect. 1.1) étant orthogonal à la direction de propagation, cette raie disparaît lorsque l’on observe dans la direction du champ magnétique. Les deux autres transitions, dites σ, sont quant à elles polarisées elliptiquemenent, avec le cas particulier d’être circulaires lorsque l’on observe dans la direction du champ magnétique. Elles ont alors chacune un sens de rotation opposé, ce qui va permettre de détecter et de mesurer des champs magnétiques.
Pour détecter et mesurer le champ magnétique d’une étoile, une solution est donc d’observer cette étoile avec un spectropolarimètre et de mesurer principalement le paramètre de Stokes V correspondant à la polarisation circulaire. En effet, même si les raies ne sont pas clairement divisées mais simplement élargies, l’information sera visible grâce à la polarisation différente des 2 composantes. Si la composante la moins énergétique a une polarisation circulaire gauche (correspond à une valeur du paramètre de Stokes V > 0), et la composante la plus énergétique une polarisation circulaire droite (V < 0), alors la mesure du paramètre V sur le spectre va montrer un signal en forme de sinusoïde au niveau de la raie élargie (signal positif puis négatif). La Fig. 1.11 montre un exemple de deux raies en intensité très proches dont la polarisation circulaire est opposée. Le spectre du paramètre de Stokes V montre ce que l’on appelle une « signature Zeeman », caractéristique d’un champ magnétique parallèle à la ligne de visée pour une étoile chaude (et donc un champ magnétique dipolaire).
Intensité
La mesure du paramètre de Stokes V donne une indication directe de la présence de champ magnétique longitudinal. L’Eq. 1.28 montre la relation entre le paramètre de Stokes V et la valeur de la composante longitudinale du champ magnétique Blong en Gauss, dans l’approximation des champs faibles, c’est-à-dire lorsque l’élargissement Zeeman de la raie est petit devant son élargissement Doppler. V = 4.67 × 10−13 • λ02 • g • Blong • ∂I (1.28)
Le terme g est le facteur de Landé calculé à partir des nombres quantiques définissant les transitions énergétiques possibles et qui permet de relier le moment cinétique au moment magnétique de l’état quan-tique. ∂λ∂I correspond au profil de la raie étudiée et λ0 est la longueur d’onde centrale de la raie.
L’exemple de la Fig. 1.11 présente le cas où l’étoile est vue par le pôle magnétique, c’est-à-dire que la direction du champ magnétique de l’étoile est confondue avec l’axe d’observation de l’étoile. L’Eq. 1.28 montre que le paramètre de Stokes V est uniquement caractérisé par la composante longitudinale du champ magnétique. La signature Zeeman sur le paramètre de Stokes V varie donc avec la phase de rotation de l’étoile. Le reste de l’information est alors déplacée dans les paramètres de Stokes Q et U qui caractérisent la composante radiale du champ magnétique via la raie centrale (positionnée sur le spectre à la longueur d’onde de la raie sans la présence du champ magnétique) qui est polarisée linéairement.
Technique LSD
En pratique, ce que l’on va mesurer sont les paramètres de Stokes normalisés à l’intensité. Même si cela dépend fortement de l’étoile observé et de son champ magnétique, les signaux de polarisation sont généralement très faibles, plus de 3 ordres de grandeur en dessous de l’intensité. Dans la majorité des cas, le signal de polarisation est donc noyé dans le bruit de mesure. Pour répondre à cette problématique, Donati et al. (1997) ont proposé une méthode dite de Least Square Deconvolution (LSD). En utilisant cette méthode, le rapport signal à bruit sur la mesure d’un signal de polarisation peut être démultiplié. Cette méthode peut être appliquée si le champ à mesurer est faible et si les raies sont issues d’un même phénomène physique.
A la place de mesurer le paramètre de Stokes V (par exemple) sur une raie et de déterminer ainsi la valeur du champ magnétique de l’étoile, l’idée du LSD est d’utiliser simultanément toutes les raies du spectre observé, et de réaliser une somme pondérée. La condition d’application de cette méthode est de connaître parfaitement au préalable le spectre en intensité de l’étoile observé et surtout la position et l’amplitude des raies présentes. On peut alors appliquer un profil de raie moyen sur un peigne de Dirac représentant la position et la profondeur de chaque raie. Le résultat est donc une valeur du paramètre de Stokes voulu issu du calcul utilisant toutes les raies du spectre et non plus une seule.

UVMag/Arago

Le consortium UVMag, créé en 2010, a pour but de promouvoir la spectropolarimétrie stellaire dans l’UV et le visible. Dans ce cadre-là, une mission spatiale nommée en l’honneur de François Arago (voir Sect. 1.3.1) a été proposée à l’ESA pour les appels à projet Cosmic Vision M4 en 2014 et M5 en 2016. L’objectif de cette mission est d’obtenir pour la première fois dans l’histoire des spectres haute-résolution de tous les types d’étoiles avec une mesure précise de l’état de polarisation sur tout le spectre de l’ultra-violet lointain au proche infra-rouge.

Spécifications

A partir de tous les différents cas scientifiques identifiés, la première spécification concernant le domaine spectral d’Arago nécessaire a été définie. Arago doit observer des spectres d’étoiles entre 119 nm et 888 nm, avec un trou entre 320 et 355 nm car ce domaine ne contient pas beaucoup de raies utiles. Pour résoudre correctement la forme de la signature Zeeman et donc pouvoir déterminer la valeur du champ magnétique présentée ci-dessus, la résolution spectrale doit être suffisamment grande. La résolution spectrale minimale choisie pour Arago est donc de 35000 dans le visible et 25000 dans l’UV.
Pour pouvoir observer les signaux très faibles de polarisation, il faut un rapport signal à bruit suffisant, disons 100, dans un temps de pose raisonnable, par exemple d’une heure. De plus, il faut que l’instrument ait une sensibilité en polarisation meilleure que l’amplitude du signal que l’on veut observer donc 3•10−5. Le détail de ces spécifications est exposé dans le chapitre 4.
Les challenges pour le développement d’un tel instrument sont le domaine spectral très large imposant une forte contrainte sur les matériaux utilisés, ainsi que la création d’un polarimètre polychromatique fonctionnant sur tout ce spectre.

Matériau

Les spécifications imposées pour une mission comme Arago conditionnent fortement le choix des matériaux possibles, particulièrement à cause du domaine spectral très étendu. De plus, pour le dévelop-pement d’un polarimètre les matériaux utilisés doivent être biréfringents. Après une étude du champ des possibilités, il s’avère qu’un seul et unique matériau est transparent et biréfringent sur tout le domaine spectral souhaité. Il s’agit du Fluorure de Magnésium, MgF2.
Transparence
De nombreux verres sont transparents jusque dans l’ultra-violet (e.g. le Quartz ou le Fluorure de Calcium), mais leur longueur d’onde de coupure se situe, malheureusement, souvent autour de 150 nm. Pour descendre jusqu’à 119 nm, il n’y a que le MgF2 ou le Fluorure de Lithium (LiF) de disponible. Comparé au MgF2, le LiF est malheureusement très fragile, avec un coefficient de rupture 6 fois plus faible, et hygroscopique. Le MgF2 est donc la seule solution viable. La Fig. 1.14 présente une courbe de transmission du MgF2 dans le FUV.
On observe bien que la courbe de transmission reste au-dessus de 50% dans le FUV, ce qui rend son utilisation possible. Cette valeur étant tout de même assez faible, il faudra limiter au maximum le nombre d’élément optiques réfractifs. Plus de détails sur les caractéristiques du MgF2 sont décrits dans l’Annexe A.
Biréfringence
Dans le but de développer un polarimètre, il faut également s’intéresser à la biréfringence des maté-riaux. Le LiF n’étant pas biréfringent, cela confirme l’exclusivité dans le choix du MgF2.
La notion de biréfringence a été introduite à la Sect. 1.1.2, elle caractérise la différence d’indice de réfraction vu par les rayons ordinaires et extraordinaires. A partir de différentes mesures de biréfringence du MgF2 faites au cours des derniers 50 ans, la Fig. 1.15 montre la courbe de biréfringence du MgF2 pour tout son domaine de transparence, soit de 115 nm à 7 µm.
On observe que la valeur de la biréfringence est relativement constante (autour de 0.012) sur le domaine spectral généralement utilisé, de 200 nm à 2 µm. En-dessous de 145 nm, sa valeur décroit très rapidement jusqu’à 119.5 nm où elle s’annule même. Cela signifie que le matériau n’est plus du tout biréfringent à cette longueur d’onde là, et qu’il sera donc impossible de faire de la polarimétrie avec à 119.5 nm. La biréfringence du MgF2 inverse ensuite son signe pour le domaine spectral restant, entre 119.5 et 115 nm.

Solutions identifiées pour le polarimètre

Comme présenté Sect. 1.3.2, un des challenges pour cette mission est le développement d’un po-larimètre polychromatique. Il est impossible de créer des lames super-achromatiques (Pancharatnam, 1955) car nous ne pouvons utiliser qu’un unique matériau. Le problème du matériau s’oppose égale-ment à l’utilisation de rhomboèdres de Fresnel, comme sur les spectropolarimètres stellaires au sol. Une solution élégante serait d’utiliser des retardateurs à cristaux liquides, qui permettent une modulation temporelle du retard imposé en fonction de la tension appliquée à ses bornes (Alvarez-Herrero et al., 2015). Malheureusement, ni les cathodes, ni les cristaux en eux-même ne sont transparents en dessous de 250 nm.
J’ai identifié deux solutions principales pour répondre à la contrainte d’un unique polarimètre fonction-nant du FUV au NIR. Une solution en modulation spatiale et une plus conservative avec un bloc de lames tournantes et donc une modulation temporelle. Chacune de ces méthodes est présentée en détails dans les deux chapitres suivants.
Modulation spatiale
La solution à modulation spatiale utilise des prismes biréfringents en tant que modulateur de pola-risation. Le retard imposé par une lame étant proportionnel à son épaisseur, si l’épaisseur varie conti-nument, alors le retard imposé varie également le long de la hauteur du prisme. Ainsi, l’utilisation de simples prismes de MgF2 va permettre de créer un polarimètre efficace sur un grand domaine de longueur d’onde. Cette solution est très innovante et nécessite encore de nombreux tests pour prouver sa faisa-bilité. Le prochain chapitre va présenter en détails la méthode et les résultats obtenus avec un premier prototype.
Modulation temporelle
Pour cette seconde option, l’idée est de créer un bloc d’un certain nombre de lames de MgF2 avec des épaisseurs et des angles donnés, et de faire tourner ce bloc pour séquencer la mesure. En utilisant les épaisseurs et les angles des lames en variables, il est possible d’optimiser l’achromatisation des efficacités d’extraction des paramètres de Stokes (del Toro Iniesta and Collados, 2000). Le modulateur ainsi créé va permettre de mesurer les paramètres de Stokes avec la même efficacité sur tout le spectre voulu. Le chapitre 3 de cette thèse explique en détails la théorie et les premiers résultats obtenus avec cette méthode.
Autres
Les lames achromatiques et les cristaux liquides étant exclus, les solutions restantes sont les diffé-rentes méthodes de division de pupille (par exemple voir Mu et al. (2012)), mais qui seront difficilement applicables à un spectrographe échelle et peu efficaces radiométriquement.
Enfin, une piste reste encore ouverte, celle des polarimètres à miroirs. L’article Westerveld et al. (1985) montre qu’il est possible de réaliser un polarimètre mesurant les paramètres de Stokes avec deux miroirs et différentes combinaisons d’angles relatifs. L’inconvénient d’une telle méthode est le grand nombre de mécanismes nécessaires, problème rédhibitoire pour l’instrument clé d’une mission spatiale. L’article Hass and Hunter (1978) montre également la possibilité de créer des polariseurs à partir de trois miroirs.

Calibration et résultats

Pour aller plus loin et obtenir des précisions de mesure dignes d’un instrument scientifique, il faut calibrer le banc optique en polarisation. Pour cela, je propose de déterminer la fonction de transfert réelle de l’instrument et de l’utiliser pour inverser les images obtenues à la place de l’équation théorique utilisée jusqu’alors dans le processus de démodulation par moindres carrés (voir Sect. 2.1.3).
Quatre images de calibration sont donc réalisées : une correspondant à chaque paramètre de Stokes. La première image, dite image de flat, correspond à une image avec une lumière non polarisée en entrée et ne présentant donc aucune modulation en intensité. Ensuite, une image est faite avec une polarisation 100% Q, une avec une polarisation 100% U et enfin une avec une polarisation circulaire 100% V.
Ces images sont ensuite utilisées comme coefficient devant leur paramètre de Stokes respectif dans l’équation d’intensité 2.12 présentée dans la Sect. 2.1.3. C’est avec cette équation, et non plus l’équation théorique, que l’on va maintenant démoduler les images et mesurer les paramètres de Stokes.
Polarisation linéaire
Pour vérifier la validité de cette calibration, prenons un état de polarisation linéaire quelconque en entrée du système, ici un angle de polarisation de 9.7◦ ± 0.2◦ correspondant à un vecteur de Stokes théorique : [I Q U V] = [1 0.9432 ±0.002 0.3322 ±0.006 0.0000].
Les images de calibration sont utilisées pour démoduler le signal de cette image. La valeur de l’angle de polarisation mesuré varie le long du spectre autour de sa valeur théorique avec une variation d’amplitude
La valeur des paramètres de Stokes mesurés est la suivante : Q = 0.9362 U = 0.3297 V = 0.0045
L’erreur entre la valeur moyenne mesurée et la valeur théorique des paramètres de Stokes est faible : 7.10−3 pour Q, 4.5.10−3 pour V. Concernant U, la valeur mesurée reste dans la barre d’incertitude due à la maîtrise de la polarisation d’entrée. On peut alors simplement conclure que la précision de mesure de U est meilleure que cette incertitude, soit 6.10−3.
La variation de la valeur mesurée en fonction de la longueur d’onde est de 3.10−3 pour Q et U, et 6.10−3 RMS pour V.
Dans le cas d’une mesure scientifique de l’effet Zeeman sur une étoile, la sensibilité de l’instrument en polarisation peut être définie comme le bruit de mesure sur le spectre V. On pourrait donc conclure ici que la sensibilité en polarisation de mon banc de test est de 6.10−3.
Variation de l’efficacité
La Sect. 2.1.2 de cette thèse décrit théoriquement la définition des efficacités d’extraction des para-mètres de Stokes. Particulièrement, l’évolution de ces efficacités avec l’angle de l’analyseur de polarisation a été étudiée.
Pour vérifier cette variation expérimentalement, j’ai donc mesuré un état de polarisation quelconque (elliptique) avec 2 angles d’analyseur différents. Par exemple, la mesure n◦1 a été faite avec un angle θ = 16◦ et la mesure n◦2 avec un angle de 60◦. Ces angles correspondent respectivement au maximum et au minimum d’efficacité sur la mesure de V (voir Fig. 2.6). La mesure de l’état de polarisation quelconque avec ces deux mesures est la suivante : V=0.8552 avec 8.7.10−3 d’écart-type pour un angle de 60◦ et V=0.8595 avec un écart-type de 4.10−3 pour un angle de 16◦.
On vérifie bien ici que la sensibilité de mesure du paramètre V est plus de 2 fois meilleure avec un angle de l’analyseur de 16◦ par rapport à 60◦.
Discussion
Les tests en laboratoire sur ce concept de spectropolarimétrie sont donc un succès. Une installation simple avec des composants pour la plupart « sur étagère » a permis d’obtenir des résultats satisfaisants. Dans un premier temps, les mesures brutes (sans calibration en polarisation) où l’équation théorique est utilisée pour démoduler, ont montré la validité du concept et la faisabilité d’un spectropolarimètre utilisant un tel polarimètre. D’un autre côté, les mesures très imprécises (quelques dizaines de pourcents d’erreur sur les mesures des paramètres de Stokes) et les conclusions de l’étude de tolérancement ont montré que le système est très sensible à différentes incertitudes, notamment au positionnement relatif des prismes et aux valeurs des angles au sommet de ces prismes.
Pour résoudre ce problème, la calibration en polarimétrie du banc a été vraiment nécessaire et effi-cace. Les résultats obtenus après calibration sont excellents, comparés à ceux issus de la démodulation basée sur l’équation théorique.
De manière générale, l’angle de polarisation est mesuré avec une précision inférieure à ±0.3◦ et la valeur des paramètres de Stokes Q, U et V est retrouvée avec une précision meilleure que 10−2 en valeur absolue et meilleure que 3.10−2 en variation autour de la valeur moyenne le long du spectre (avec une variation RMS de 8.10−3 dans le pire cas).
Ces résultats sont très encourageants et confirment le fort potentiel de ce concept de spectropolarimétrie haute-résolution avec une excellente précision et sensibilité en polarisation. En effet, de nombreuses améliorations de ce concept sont encore possibles, que ce soit sur les éléments optiques utilisés, la méthode de démodulation, ou la maîtrise de la polarisation d’entrée par exemple.
Il faut cependant noter que le bruit de mesure observé sur les paramètres de Stokes a tendance à augmenter quand la longueur d’onde diminue. Ceci s’observe facilement sur la Fig. 2.26, notamment sur la valeur du paramètre Q (en bleu). Il faut donc s’attendre à une sensibilité de mesure plus faible dans l’UV. Ceci est certainement dû à la qualité des éléments optique utilisés, dont la dégradation est inversement proportionelle à la longueur d’onde.

Conclusions et perspectives

Ce concept de spectropolarimétrie offre la possibilité de mesurer les 4 paramètres de Stokes en une seule acquisition et en n’utilisant que des composants statiques.
L’étude théorique présentée ici montre qu’il est possible d’utiliser cette technique pour la mission spatiale Arago ou des missions futures. Elle impose cependant quelques conditions sur l’instrument glo-bal, avec notamment une hauteur des ordres de diffraction assez importante. Ceci impacte la dispersion croisée nécessaire et donc la taille des détecteurs. De plus, l’étude de tolérancement a montré la grande sensibilité de la mesure. Le positionnement relatif des prismes a par exemple une grande influence sur l’erreur de mesure sur les paramètres de Stokes, tout comme l’angle au sommet des prismes. Ces incerti-tudes apportent des erreurs de cross-talk, de polarisation instrumentale ou de dépolarisation et faussent la mesure.
C’est pourquoi les mesures initiales réalisées en laboratoire sur le banc optique ne sont pas excellentes. Je parviens certes à retrouver l’état de polarisation incident, mais la précision des mesures des para-mètres de Stokes n’est pas bonne. En effet, même si l’angle de polarisation linéaire est retrouvé avec une précision de ±1◦, la mesure des paramètres de Stokes souffre d’erreurs pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines de pourcents.
Pour obtenir des résultats plus précis, j’utilise donc la fonction de transfert réelle du banc de mesure à la place de l’équation théorique pour démoduler le signal. Comme montré dans la dernière section de ce chapitre, ceci me permet d’atteindre une précision de mesure meilleure que 10−2 sur tous les paramètres de Stokes et de ±0.3◦ (valeur crête-à-crête) sur la mesure de l’angle de polarisation.
Les résultats obtenus pour l’étude sur ce concept innovant de polarimétrie sont donc très encourageants. Théoriquement, les solutions sont là pour répondre à toutes les attentes d’une mission spatiale de type Arago. En pratique, les mesures montrent que la précision pouvant être obtenue avec ce concept sont compatibles avec les exigences scientifiques (spécification de 3% d’erreur sur la mesure des paramètres de Stokes pour la proposition
Arago). Il reste malgré tout à trouver des solutions pour des mesures en laboratoire, pour effectuer une calibration plus précise en contrôlant mieux la stabilité de la source, du dé-tecteur et l’état de polarisation incident notamment.
Une étude du système dans l’UV et avec un spectrographe haute-résolution est également nécessaire pour appréhender les problèmes associés : par exemple faible transmission, pos-sible sous-échantillonnage de la modulation, et franges d’interférences polarisées.

Polarimètre à modulation temporelle polychromatique

Ce chapitre présente l’étude théorique ainsi que les résultats obtenus avec un premier prototype pour le polarimètre d’Arago. Il s’agit d’un polarimètre polychromatique à modulation temporelle.

Etude théorique

Concept

Le principe de cette méthode est très proche d’un polarimètre classique. En effet, il s’agit d’une modulation temporelle où l’on fait tourner le modulateur, des lames retardatrices biréfringentes, à des angles donnés pour retrouver les paramètres de Stokes. Cependant, ces lames imposent un retard à la lumière pour une valeur de longueur d’onde donnée. Pour créer des lames dites achromatiques (i.e. imposer à la lumière une valeur de retard quasi-constant sur un domaine de longueur d’onde donné), il est d’usage de combiner différents matériaux (voir Sect. 1.3.2). En raison du spectre très large dans notre projet, nous n’avons qu’un seul matériau à disposition : le MgF2, qui est en effet le seul transparent et biréfringent sur tout notre spectre. Il est donc impossible de créer une lame à retard constant sur tout le spectre.
La solution proposée ici est d’accepter le fait que les lames imposent un retard variable en fonction de la longueur d’onde et de l’utiliser à notre avantage. Il va donc falloir définir des efficacités d’extrac-tion des paramètres de Stokes (la précision avec laquelle on va pouvoir extraire l’information) et tenter d’achromatiser ces efficacités sur le spectre voulu. Ce concept a déjà été utilisé pour dimensionner un module polarimétrique pour l’instrument VLT/X-shooter (Snik et al., 2012).
L’idée est de fixer un certain nombre de lames biréfringentes (3 par exemple) ayant chacune une épaisseur donnée et une valeur d’angle de son axe rapide donnée. Ces lames, fixées ensemble, forment un bloc appelé modulateur. Les caractéristiques du modulateur sont ensuite utilisées en variables pour optimiser l’efficacité d’extraction des paramètres de Stokes sur tout le spectre. Ce modulateur est suivi d’un analyseur de polarisation, fixe, qui est soit un simple polariseur linéaire, soit un séparateur de polarisation (par exemple un prisme de Wollaston ou de Rochon). Un schéma de principe d’un tel polarimètre est présenté Fig. 3.1, avec un modulateur composé de 3 lames. Pour effectuer une mesure du vecteur de Stokes complet (IQUV), des mesures d’intensité de sortie sont effectuées pour n angles du modulateur différents.
Matrices et efficacités d’extraction
La première étape pour définir mathématiquement les efficacités d’extraction des paramètres de Stokes est de déterminer la matrice de Mueller globale du polarimètre en fonction de la position angulaire du modulateur. Pour cela, on utilise les matrices de Mueller des différents composants, définies à la Sect. 1.1.2. La matrice de Mueller du polarimètre est donc le produit de la matrice de l’analyseur de polarisation par celles des lames biréfringentes. Comme seule l’intensité de sortie (après l’analyseur de polarisation) peut être mesurée par un détecteur, seule la première ligne de cette matrice de Mueller nous intéresse.
On peut alors construire la matrice de modulation O(λ) (matrice n × 4) avec les premières lignes des n matrices de Mueller du polarimètre (correspondant aux n positions angulaires du modulateur). En considérant le vecteur colonne I0 composé des n intensités mesurées sur le détecteur pour les différentes positions angulaires du modulateur et Sin le vecteur de Stokes de la lumière incidente que l’on souhaite déterminé (celui d’une étoile par exemple), on a alors : I0 = O • Sin (3.1)
La matrice de démodulation optimale (pseudo inverse au sens de Moore-Penrose, voir del Toro Iniesta and Collados (2000)) est alors construite comme suit : D(λ) = (O(λ)T • O(λ))−1 • O(λ)T (3.2)
Multipliée par le vecteur I0 des intensités mesurées, cette matrice nous donne directement la valeur des 4 paramètres de Stokes que l’on souhaite déterminer : Sin = D • I0 (3.3)
La première ligne de cette matrice (D, de taille 4 × n) correspond à l’intensité I, la deuxième ligne à Stokes Q, la troisième à Stokes U et la dernière ligne à Stokes V. De plus, chaque colonne correspond à l’impact du polarimètre sur le vecteur de Stokes incident pour chaque position angulaire du modulateur.
A partir des valeurs composant la matrice de démodulation de notre instrument D, on peut définir l’efficacité d’extraction de chaque paramètre de Stokes le long du spectre. La notion d’efficacité ici est définie comme la manière dont le bruit se propage au travers de la mesure. Plus l’efficacité est élevée, plus la mesure sera précise et sensible.
A partir des coefficients Dij, on définit finalement les efficacités d’extraction des paramètres de Stokes i, avec i = [I, Q, U, V ] et j = 1 à n, et ce pour une longueur d’onde donnée : −1/2 n i = n • X (3.4)
Deux conditions mathématiques s’appliquent à ces efficacités : 2i ≤ 1 et 2Q + 2U + 2V ≤ 1. Ces conditions montrent implicitement que l’efficacité optimale pour l’extraction de I est 1, et 1 ≈ 57.7% pour l’extraction simultanée des paramètres Q, U, et V.
Variables et optimisation
Pour pouvoir dimensionner le polarimètre, il faut optimiser le modulateur pour achromatiser au maxi-mum ces efficacités d’extraction et si possible au plus près des efficacités optimales définies ci-dessus.
L’objectif est d’optimiser ces efficacités le long du domaine spectral, pour s’assurer de pouvoir extraire les paramètres de Stokes pour chaque longueur d’onde. Pour cela nous avons à disposition un certain nombre de variables, avec les épaisseurs et les angles d’axe rapide respectifs des différentes lames retardatrices composant le modulateur. Un exemple est montré sur la Fig. 3.1 avec le cas particulier d’un modulateur à 3 lames. Les efficacités d’extraction peuvent donc être optimisées en cherchant la combinaison optimale des 6 variables (les 3 épaisseurs et les 3 angles).
Un code d’optimisation écrit sous Matlab m’a permis de trouver différentes solutions montrant une efficacité d’extraction des paramètres de Stokes quasi-constante et oscillant autour de la valeur optimale sur un spectre très large. Plus le nombre de lames utilisées est grand, plus l’optimisation est bonne. Malheureusement, pour des questions de flux transmis (notamment dans l’UV), un compromis entre une bonne efficacité d’extraction et le nombre minimal de surfaces optiques doit être trouvé.
Pour trouver ces solutions, le code réalise une recherche de minimum dans une fonction à plusieurs dimensions (le nombre de dimensions est égal au nombre de variables). La fonction de mérite à minimiser, Δ , est définie comme la moyenne spectrale de la somme quadratique des différences entre la valeur des efficacités d’extraction et la valeur optimale : √3 − Q + √3 − U + √3 − V Δ = h s iλ (3.5)
En m’inspirant du design proposé par Frans Snik pour le module de polarisation d’X-shooter, j’ai fixé le nombre de sous-poses (n, le nombre de positions angulaires du modulateur) à 6. Les positions du modulateurs sont donc [0◦, 30◦, 60◦, 90◦, 120◦, 150 ◦]. Ainsi, il faut remplacer n par 6 dans les équations précédentes. La valeur des angles des axes rapides est une notion relative. C’est pourquoi l’angle de la première lame est défini comme étant à 0◦. Il n’y a donc en fait que 5 variables.

Dimensionnement

Dans l’objectif de tester un premier prototype de polarimètre pour la mission Arago (voir Chap. 4), le dimensionnement d’un modulateur répondant aux spécifications a été réalisé.
Configuration
Pour des raisons de transmission dans l’UV, la recherche de configuration s’est limitée à un système à trois lames. La configuration optimale obtenue est la suivante :
— Lame 1 : angle d’axe rapide 0◦ avec 13.5 µm d’épaisseur
— Lame 2 : angle d’axe rapide 44◦ avec 8.8 µm d’épaisseur
— Lame 3 : angle d’axe rapide 22◦ avec 13.3 µm d’épaisseur
Cette configuration permet en effet d’avoir des efficacités d’extraction des paramètres de Stokes non nulles à toutes les longueurs d’ondes (ceci permet d’être sûr de pouvoir mathématiquement extraire l’in-formation), mais surtout très proches de la valeur optimale de 57.7%. La Fig. 3.2 présente la valeur des efficacités pour tous les paramètres de Stokes entre 123 et 888 nm. La valeur de la fonction de mérite Δ vaut alors dans cette configuration 0.0976.
Théoriquement, ces lames répondent parfaitement au cahier des charges. Malheureusement les valeurs de leurs épaisseurs rendent leur fabrication impossible, car trop faibles. En effet, l’épaisseur minimale pour des lames de cristal comme celles-ci est de quelques centaines de micromètres. Aucune configuration de lames avec de telles épaisseurs n’a pu être trouvée par le code d’optimisation.
La solution choisie pour pallier ce problème est de créer des lames compensées. Chacune des trois lames va être dédoublée avec une lame quasi identique, dont l’axe rapide sera à 90◦ de la première lame. Ainsi, quelque soit la valeur absolue de l’épaisseur, c’est la différence d’épaisseur qui interviendra dans le calcul du retard de phase imposé. En effet, deux lames biréfringentes d’épaisseurs strictement identiques n’imposeront aucun retard de phase entre les faisceaux ordinaires et extraordinaires si leurs axes rapides sont croisés. Ainsi, le modulateur sera composé de 6 lames, ou plus exactement de 3 paires de lames dont l’épaisseur absolue n’importe pas. La différence d’épaisseur entre les lames de la première paire devra être de 13.5 µm, 8.8 µm pour la deuxième paire et enfin 13.3 µm pour la dernière paire.
Matrices de modulation et de démodulation
A partir de cette configuration on peut donc expliciter les matrices de Mueller du polarimètre pour chaque position angulaire du modulateur et ainsi créer les matrices de modulation et de démodulation. Les Figs. 3.3 et 3.4 montrent les valeurs des coefficients de ces matrices en fonction de la longueur d’onde, entre 120 et 900 nm. Tout étant normalisé à l’intensité, la première ligne et la première colonne pour respectivement la matrice de démodulation et celle de modulation, sont égales à 1 sur tout le spectre et ne sont donc pas montrées.

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Table des matières

Abstract
Table des figures
1 Introduction 
1.1 Polarimétrie
1.1.1 Notion de polarisation
1.1.2 Concept de polarimétrie
1.2 Spectroscopie
1.2.1 Développement d’un spectrographe
1.2.2 Spectrographe échelle
1.2.3 Exemple d’applications pour la physique stellaire
1.3 Spectropolarimétrie
1.3.1 Histoire
1.3.2 Technique
1.3.3 Application à la physique stellaire
1.4 UVMag/Arago
1.4.1 Spécifications
1.4.2 Matériau
1.4.3 Solutions identifiées pour le polarimètre
1.5 Plan de la thèse
2 Polarimètre à modulation spatiale 
2.1 Etude théorique
2.1.1 Concept théorique
2.1.2 Design et simulations
2.1.3 Démodulation
2.1.4 Evolutions possibles
2.2 Mise en place pratique
2.2.1 Phase préliminaire
2.2.2 Premiers résultats
2.2.3 Tolérancement
2.2.4 Calibration et résultats
2.3 Conclusions et perspectives
3 Polarimètre à modulation temporelle polychromatique 
3.1 Etude théorique
3.1.1 Concept
3.1.2 Dimensionnement
3.2 Mise en place pratique
3.2.1 Phase préliminaire
3.2.2 Démodulation
3.2.3 Résultats
3.3 Tests sur le ciel
3.3.1 Phase de design et mise en place
3.3.2 Calibration
3.3.3 Observations et résultats
3.4 Conclusions et perspectives
4 ARAGO 
4.1 Contexte
4.1.1 Objectifs scientifiques
4.1.2 Spécifications générales sur la charge utile
4.2 Polarimètre
4.2.1 Dimensionnement pour M4
4.2.2 Dimensionnement pour M5
4.3 Spectrographe(s)
4.3.1 Dimensionnement pour M4
4.3.2 Dimensionnement pour M5
4.4 Système
4.4.1 Bilan radiométrique
4.4.2 Interfaces
4.4.3 Vision globale
5 Conclusions et perspectives 
5.1 Polarimètre à modulation spatiale
5.1.1 Conclusions
5.1.2 Perspectives
5.2 Polarimètre à modulation temporelle polychromatique
5.2.1 Conclusions
5.2.2 Perspectives
5.3 Comparaison des deux concepts de polarimètre
5.4 Spectropolarimétrie stellaire spatiale
A Données sur le Fluorure de Magnésium – MgF2 
A.1 Transmission
A.2 Biréfringence
A.3 Dépendance thermique
A.3.1 Indices de réfraction
A.3.2 CTE
B Transmission des instruments 
B.1 Miroirs
B.2 Dichroïque
B.3 Spectropolarimètre
B.3.1 Polarimètre
B.3.2 Réseaux échelles
B.3.3 Collimateurs et objectifs
B.4 Détecteurs
B.4.1 Visible
B.4.2 UV
C Articles publiés 
C.1 Publication dans une revue à comité de lecture
C.2 Liste des publications
Bibliographie

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