Poétique des impressifs graphiques dans les mangas 1986-1996

Les relations entre l’écrit et l’image dans la culture japonaise ont donné lieu à de nombreuses études au cours des dernières décennies. Les particularités du système d’écriture japonais ainsi que l’existence au cours de l’histoire du Japon de nombreux genres artistiques et littéraires combinant la représentation figurative et les caractères d’écriture en font un sujet riche et passionnant. Bien sûr, l’art de l’écriture japonaise témoigne de la valeur esthétique accordée aux caractéristiques visuelles de l’écrit, d’une façon qui a été souvent soulignée en Occident. Par ailleurs, l’intrication de l’image et de l’écrit peuvent aller jusqu’à des formes d’hybridation étonnantes, comme dans le cas des ashide, images cryptiques des époques classique et médiévale qui contiennent des caractères d’écriture cachés dans les motifs végétaux et aquatiques , ou dans celui des moji-e, images-jeux de l’époque d’Edo formées à partir de caractères d’écriture.

Aujourd’hui, le manga, dont l’importance culturelle n’est plus à démontrer, constitue un exemple de forme narrative mêlant dessins et texte qu’il est intéressant d’explorer dans cette optique. En effet, le statut de l’écrit dans les mangas est un sujet riche et complexe qui a donné lieu à de très nombreuses analyses. En particulier, il a souvent été noté que les onomatopées qui sont inscrites dans les dessins et généralement tracées à la main sont à la fois des mots et des images, ou pour le dire autrement associent des procédés expressifs verbaux et des procédés expressifs graphiques. Or les onomatopées sont extrêmement fréquentes dans les mangas, au point qu’il n’existe dans toute la production des trente ou quarante dernières années quasiment aucun manga dont elles soient absentes. Par ailleurs, bien que des onomatopées apparaissent dans des bandes dessinées du monde entier, le cas japonais se distingue par la fréquence de leur usage, leur variété formelle et leur étendue lexicale. Yomota Inuhiko 四方田犬彦 remarque d’ailleurs dans son ouvrage Manga genron (Les principes du manga) que l’importance des onomatopées pour les mangas est manifeste dans l’emploi récurrent dans les années d’après-guerre d’onomatopées comme noms de personnages, qui donnent à leur tour leur nom aux mangas dont ils sont les protagonistes : Kakkun oyaji (カックン 親父, Le père Splaf, 1958) de Takita Yū 滝田ゆう (1932-1990), Pikadon kun (ピカ ドンくん, Le petit Boum, 1961) de Murotani Tsunezō ムロタニツネ象 (né en 1934), Zubaban (ズバ蛮, Zuba le barbare, 1971-72) de Nagai Gō 永井豪 (né en 1945), ainsi que Agyagyāman (アギャキャーマン, 1973-88) et Berobēman (ベロベーマン, 1973- 86) de Tanioka Yasuji 谷岡ヤスジ (1942-1999) en sont des exemples. L’emploi massif des onomatopées par les mangas peut notamment s’expliquer par l’existence dans la langue japonaise de la catégorie lexicale des « gitaigo », c’est-à-dire de mots mimétiques exprimant non des sons, comme la majorité des onomatopées, mais des sensations ou des sentiments.

Notre recherche a pour objet l’usage des impressifs graphiques dans les mangas entre 1986 et 1996. Ce que nous appelons « impressifs graphiques » correspond à l’ensemble des onomatopées présentes dans les mangas (y compris les gitaigo), à l’exception de celles qui font partie des dialogues ou d’un texte de narration. Ils sont la plupart du temps tracés à la main et s’insèrent dans les dessins. Cet usage pose un certain nombre de questions d’ordre sémiotique. Quels sont les ressorts visuels et linguistiques de leur expressivité́ ? Comment s’articulent les diverses contraintes auxquelles ils doivent répondre ? Que peut-on dire des rapports qu’ils impliquent entre écrit et image, qu’il s’agisse des images figuratives auxquelles ils sont généralement associés ou de l’image qu’ils constituent en euxmêmes ? Plus largement, quel rôle jouent-ils dans la poétique des mangas, c’est-àdire dans leur esthétique comme dans leur narration ?

Le cas de ces impressifs graphiques est d’autant plus intéressant que si leur usage semble aujourd’hui tout à fait évident, il est relativement récent et se déploie quasiment exclusivement dans le cadre du manga et, pour ce qui est des onomatopées, dans celui des autres bandes dessinées mondiales. De fait, on ne constate nulle part l’existence d’impressifs graphiques dans la longue histoire des formes narratives visuelles japonaises, en particulier dans les rouleaux peints médiévaux et pré-modernes (emakimono et otogizōshi) et dans les petits livres d’histoires populaires de l’époque d’Edo que sont les kusazōshi. Bien que le texte inscrit dans les estampes érotiques de l’époque Edo présente parfois des impressifs, le dispositif formel est très différent de celui que l’on trouve dans les mangas . Par ailleurs, dans les années 1980 et 1990, les procédés narratifs et esthétiques liés aux impressifs graphiques varient considérablement en fonction des mangas, suivant en partie une séparation par genres. Comment peut-on expliquer le développement de l’emploi des impressifs graphiques dans les mangas ? Dans quelle mesure le développement des différents genres de mangas a-t-il joué dans la diversification de leur usage ? Par quels facteurs culturels et historiques ces évolutions ont-elles été influencées ?

Dans les années 1980, les mangas connaissent une immense popularité au Japon, et exercent une grande influence sur la société dans son ensemble. Les générations qui ont grandi en lisant des mangas et n’ont pas arrêté d’en lire après leurs études ont désormais dépassé la quarantaine d’années, et la taille du lectorat connaît une expansion impressionnante. Il est alors habituel de voir une grande partie des passagers dans le train ou le métro plongée dans la lecture de mangas, comme ne manquent pas de le rapporter nombre d’écrits occidentaux consacrés au manga lors de cette période. La lecture de mangas n’est plus seulement une activité d’enfants et d’adolescents, mais devient tout à fait acceptable y compris pour les salariés.

Les mangas sont lus avant tout sous forme de magazines spécialisés, qui publient un ensemble de séries à un rythme hebdomadaire ou mensuel. Imprimés en grand format sur un papier de basse qualité, ces magazines sont destinés à être jetés après lecture et sont vendus notamment dans les supérettes (konbini, de l’anglais convenience store) qui se répandent à la même époque. Les magazines les plus populaires sont les magazines de shōnen manga, c’est-à-dire de mangas destinés aux jeunes garçons, dont le principal, Shūkan Shōnen Janpu (週刊少年ジャ ンプ, que nous appellerons Jump dans ce travail selon l’usage habituel en Occident), créé en 1968, est en position hégémonique dans les années 1980. Celui-ci connaît des tirages supérieurs à quatre millions d’exemplaires en 1985, et continue sa montée en puissance jusqu’à son numéro le plus distribué, celui du Nouvel an 1995, qui est tiré à quelque 6,53 millions d’exemplaires. Par ailleurs, certains mangas apparaissent également dans les quotidiens d’information ou dans des revues généralistes sous forme de trips de quelques cases. Suite à cette première publication par épisodes, les œuvres à succès sont publiées en recueils (tankōbon 単行本), souvent désignés au Japon par le terme de « komikku / comic ». Les années 1980 voient en outre le développement des mangas amateurs auto-publiés (dōjinshi 同人誌) lié à la création en 1975 du Komiketto (parfois aussi orthographié Comiket, de l’anglais Comic Market), qui est rapidement devenu la principale convention de manga amateur .

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Les mangas à la fin du XXème siècle, une popularité record
2. Le système des magazines de manga, une création collective et contrainte
3. Les impressifs graphiques, un usage conventionnel parmi d’autres
4. Les impressifs en japonais, une catégorie linguistique limite
5. État de la recherche
6. Posture méthodologique
7. Hypothèse de travail
8. Définition du corpus et annonce du plan
MORPHOLOGIE
0. Introduction à la première partie
1. JoJo, un shōnen manga célèbre pour ses impressifs graphiques
1.1 « Gogogogo » et « JoJo-dachi »
1.2 La création de JoJo et son contexte
1.3 Un manga conventionnel à l’esthétique originale
1.4 La représentation des pouvoirs surnaturels
2. Des effets graphiques variés
2.1. A l’échelle de l’impressif graphique
2.1.1 La taille des impressifs graphiques
2.1.2 La position et l’orientation des impressifs graphiques
2.1.3 Les impressifs graphiques non linéaires
2.1.4 Une évolution différenciée des usages selon les genres
2.2 A l’échelle des caractères : divers procédés graphiques
2.2.1 Des procédés de stylisation
2.2.2 Des effets iconiques
2.2.3 Des effets métonymiques
2.3 La trace du mouvement dans l’écriture
2.3.1 L’écriture manuscrite dans la culture japonaise
2.3.2 Les effets d’écriture manuscrite dans les impressifs graphiques
2.3.3 Un procédé de l’ordre de la référence
2.4 Le cas de la barre d’allongement vocalique
2.4.1 Un signe fortement plastique
2.4.2 Des modulations aux effets variés
2.5 Une utilisation différenciée des syllabaires
2.5.1 Une distinction conventionnelle
2.5.2 Un choix libre fondé sur les formes
2.5.3 Le cas de l’alphabet latin et des caractères sino-japonais (kanji)
3. Des caractéristiques linguistiques originales
3.1 Une immense flexibilité morphologique
3.1.1 Un groupe d’impressifs non représentatif
3.1.2 Des mesures difficiles
3.1.3 Différents types d’impressifs originaux
3.1.4 Pourquoi ces spécificités linguistiques ?
3.1.5 Impressifs forcés et cas limites
3.2 Des variantes expressives visuellement motivées
3.2.1 Le voisement
3.2.2 L’occlusion glottale
3.2.3 Les signes de ponctuation
3.2.4 Les caractères répétés
3.3 La sonorisation en question
3.3.1 Une frontière poreuse entre impressifs sonores et non-sonores
3.3.2 Un glissement de référents externes à des référents internes
3.4 Des répertoires d’impressifs graphiques
3.4.1 Des répertoires propres à des œuvres, à des auteurs ou à des genres
3.4.2 Un impressif graphique culte : « zukyūn »
3.5 Redondance et complémentarité entre verbal et graphique
3.5.1 Le renforcement de la lisibilité par la redondance
3.5.2 De rares exemples de contraste
4. Une matérialisation des impressifs graphiques dans l’univers diégétique de JoJo
4.1 L’impressif graphique comme super pouvoir
4.1.1 Hirose Kōichi
4.1.2 Echoes ACT 1
4.1.3 Echoes ACT 2
4.2 La représentation de la matérialisation de l’impressif graphique
4.2.1 Des impressifs graphiques en volume
4.2.2 Différents niveaux d’impressifs graphiques utilisés sur la même page
4.2.3 Un discours réflexif sur le manga
CONCLUSION

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