Plans du morcellement

Zooms : guides scopiques

L’objectif zoom a commencé à se développer dans le cinéma de fiction des années 1950 et 1960 suite aux dépôts de nouveaux brevets. L’exemple le plus connu de cette époque est Vertigo d’Alfred Hitchcock en 1958, intégrant pleinement le zoom à la fiction en le combinant avec un travelling allant dans le sens opposé pour donner une impression de vertige. D’autres réalisateurs ont utilisé ensuite le zoom dans leurs films tels que Roberto Rossellini, Luchino Visconti ou Claude Lelouch.
Les améliorations techniques du zoom dans les années 1970 et 1980 ont incité certains cinéastes à intégrer le zoom à leurs films. Les films du corpus datant de cette époque, on peut supposer que Nicolas Roeg a été influencé par cette période d’exploration technique du zoom. Cependant, son emploi n’est pas un simple effet de mode, il s’agit d’un enjeu esthétique raisonné. L’effet que produit le zoom s’applique bien à l’atmosphère des films et fait sentir la présence du cinéaste comme s’il explorait son propre film en guidant le spectateur. Il s’agit d’une intervention ponctuelle indépendamment de la structure du récit. Les environnements que déploie Roeg dans ses films sont souvent ambigus, les personnages doivent toujours rester sur leurs gardes. Les zooms récurrents agissent comme un oeil qui scrute l’écran, à la recherche d’un indice ou d’un éventuel danger et par la même occasion guident l’oeil du spectateur et l’empêche d’explorer l’espace par lui-même comme si le réalisateur nous donnait à voir l’intérieur du film.
Par exemple, à la fin de Don’t Look Now, quand John aperçoit à la fin du film, le tueur au loin dans l’obscurité des rues de Venise, la caméra effectue un zoom rapide vers l’endroit où le personnage a été vue. Le zoom s’accompagne d’un panoramique fugitif comme pour imiter un mouvement de tête. L’objectif n’est pas la contemplation par le spectateur mais la direction du regard par le réalisateur. Si Robert Altman disait utiliser le zoom pour ne pas que le spectateur oublie sa présence, Nicolas Roeg semble utiliser le zoom plutôt comme une main mise sur le décor.
En guidant le regard du spectateur, il peut aussi le manipuler en lui faisant voir ce que le cinéaste veut que nous voyons comme s’il s’invitait à l’intérieur des films.
Le zoom, pour Roeg, apporte une tension qui montre où l’oeil ne peut pas aller mais où seule la caméra en a la possibilité. Il guide l’oeil du spectateur. Le fait de zoomer de manière aussi récurrente montre ce qu’est une image pour le cinéaste. Une image n’est pas fixe, elle peut être explorée, modifiée, rognée, fragmentée. Souvent, un plan peut être un plan d’ensemble et devenir progressivement un gros plan en se concentrant sur le personnage. Le cadre prend en compte l’environnement dans lequel se trouve le personnage pour restreindre finalement le cadre sur ce personnage comme pour nous permettre d’évaluer la situation avant de rentrer dans le vif du sujet. Nicolas Roeg nous donne une vision d’ensemble avant de resserrer sur ce qui l’intéresse vraiment : garder un point de vue serré sur les personnages. Beaucoup de scènes commencent par un plan d’ensemble où le décor est visible et se terminent par un plan rapproché sur les personnages où le décor est écarté du cadre. Par exemple, dans Walkabout, les trois personnages sont assis par  terre,tentant de trouver de l’eau sous le sol. Au fur et à mesure que la scène se déroule, la caméra zoome de plus en plus sur le personnage de la jeune fille en train de boire comme pour attirer notre attention et insister sur la nécessité et l’importance de cette action à ce moment-là. La caméra nous oblige à regarder ce que le réalisateur veut que nous voyons. Dans ce cas précis, Roeg semble vouloir insister sur la jeune fille pour accentuer le bouleversement des codes sociaux que la société lui a appris. C’est une sorte d’étape dans la remise en cause de ce qui est approprié ou non.
On remarque aussi des zooms sur des éléments n’ayant pas d’aspects narratifs mais relatifs à l’atmosphère des films. Dans Walkabout, des zooms sont faits sur certains animaux vivant dans le désert comme des insectes ou des reptiles apportant ainsi une atmosphère menaçante. La même idée se retrouve dans The Man Who Fell to Earth avec au début du film un zoom sur le revolver que cache la vendeuse de la boutique de prêts sur gages. Ce plan amène une tension qui serait moindre s’il n’existait pas. L’atmosphère qui se dégage de l’objet mis en évidence par le zoom amène presque une âme à l’objet et c’est pour cela que quelque chose émane de cet objet. Par l’isolement que provoque le zoom sur un espace, un objet ou un corps, en allant jusqu’au gros plan, « les objets se découvrent une psyché ». Le zoom n’étant pas un mouvement de caméra mais une modification de la focale donne l’impression d’une intervention du réalisateur, qui nous fait sortir du  film pendant une fraction de seconde pour mieux y revenir. Roeg donne un indice sur la narration comme s’il s’immisçait discrètement dans le film.
Un deuxième effet se dégage du zoom en général : l’abstraction. Un zoom convoque toujours plus ou moins l’idée d’abstraction de l’espace. Par ailleurs, l’illustration de cette idée est repérable dans Don’t Look Now. Au début du film, la caméra zoome sur un plan de l’étang en continuant à zoomer jusqu’au flou. Par le rétrécissement du champ de vision, le zoom transforme l’espace en le fragmentant en choisissant d’isoler une partie. Seule cette partie est visible et l’environnement qui entoure ce fragment devient abstrait car absent, étant devenu hors champs. Paul Joannides, dans un article consacré au zoom, parle lui aussi d’abstraction : « Le zoom et la longue focale contiennent une forte tendance à l’abstraction. Les deux renient la réalité de l’espace. » En effet, l’interaction des personnages avec l’espace est souvent compliquée car dangereuse. Soit ils avancent aveuglément dans un espace comme John à Venise dans Don’t Look Now, soit ils sont étouffés par un espace comme Milena dans l’appartement qu’elle a décoré pour Alex dans Bad Timing, soit ils fuient un espace pour un autre comme dans les trois autres films du corpus. Donc, l’abstraction de certains zooms sont aussi des indices sur le vertige des protagonistes par rapport à leurs espaces. Une autre phrase de Paul Joannides résume bien cette idée. Bien qu’il parle de la longue focale, son application au zoom n’est pas absurde, le passage en longue focale étant une conséquence du zoom : « La longue focale contribue seulement à l’intrigue quand l’intrigue dépend de l’espace ; sinon c’est généralement utilisé pour l’effet attractif qu’elle peut avoir. »
Dans le cas de Nicolas Roeg, l’espace entretient un lien étroit avec l’intrigue. L’utilisation du zoom n’est donc pas seulement une question d’esthétique bien que ce procédé soit récurent dans sa filmographie. De plus, le zoom était déjà présent dans son travail lorsqu’il était chef opérateur avant de devenir réalisateur. C’est le cas notamment dans Fahrenheit 451 de François Truffaut en 1966 et de Petulia de Richard Lester en 1968. Dans le film de Truffaut, Roeg fait une succession rapide de zooms sur des antennes de télévision pendant la première minute du film pour anticiper le récit. Le film se déroule dans une société qui vénère la télévision et interdit la lecture. Le zoom dans le reste du film est utilisé dans un moment d’attente d’une réponse. Dans Petulia, Roeg effectue des zooms sur le personnage éponyme (Julie Christie) dans des moments d’introspection où suit un flash-back ou quand elle est dans ses pensées.
Ainsi, le zoom agit comme le regard du réalisateur sur ses films, guide l’oeil du spectateur et focalise notre attention sur des réactions des personnages. Le zoom peut donc avoir une fonction esthétique par son abstraction mais aussi une fonction scénaristique et narrative. La fonction scénaristique implique une manipulation scopique part le réalisateur afin d’orienter notre regard et la fonction narrative implique les personnages et leur émotions. En fonction de la situation narrative, les effets du zoom peuvent être liés à la psychologie des personnages et à leur relation à l’espace qui se traduit souvent par un étouffement, une relation oppressante avec le décor.

Couleurs signifiantes

La couleur n’échappe pas non plus à la manipulation de Roeg. Ayant débuté sa carrière en tant que chef opérateur. Nicolas Roeg accorde une place non négligeable à la couleur. Elle en dit parfois autant que les mots voire plus dans certains cas. C’est un véritable texte chromatique. L’enjeu n’est pas de dire que la couleur est fragmentée, ce serait faux et hâtif. Il s’agit plutôt de distinguer les conséquences de la manière d’utiliser une couleur qui amène un sens fragmenté, c’est-à-dire dont la symbolique est double, ou qui brise une continuité dans la nature de l’image ou dans le temps du récit.
La première chose qui attire notre attention est ce que nous appelons des couleurs ambivalentes par leurs significations imprécises dont l’imprécision relève d’une double signification que l’on peut qualifier de sens fragmenté. Ce que nous allons tenter de démontrer est que certaines couleurs, soigneusement choisies par le cinéaste et le chef opérateur, sont dans un premier temps ambivalentes, mais plus nous avançons, plus nous comprenons que ce sens fragmenté, venant de l’ambivalence, présente une complémentarité. L’ambiguïté que contient une couleur dans sa symbolique existe car les deux sens qui en émanent sont opposés. Cependant, cette opposition apporte une complémentarité dans le sens où le premier sens est un fait constaté au début du film et le deuxième sens est une conséquence tragique de ce premier constat.

Couleurs ambivalentes

Le rouge est la couleur la plus récurrente dans le travail de Nicolas Roeg car, déjà en tant que chef opérateur, il a dû travailler à plusieurs reprises cette couleur. En effet, il en a eu recours pour The Mask of the Red Death de Roger Corman (1964), Doctor Zhivago de David Lean (1965), Fahrenheit 451 de François Truffaut (1966) et Far From the Madding Crowd de John Schlesinger (1967), soit quatre films sur six où il a été directeur de photographie.
L’importance de la couleur lui donne une place aussi puissante que les autres éléments techniques et esthétiques en tant que révélateur psychologique et narratif. La couleur possède déjà en elle-même des symboliques. Pour faire apparaître un trait de caractère d’un personnage, faire éclater sa personnalité sans y mettre des mots, la couleur est un bon moyen implicite. La couleur est un révélateur narratif et psychologique car d’un point de vue narratif, elle peut s’apparenter à un personnage, un événement ou encore une temporalité. D’un point de vue psychologique, elle peut influencer notre regard sur un personnage. La récurrence ou la mise en évidence forte d’une couleur en la présence d’un personnage en particulier, influence notre vision et interprétation de la psychologique de ces personnages.
De plus, la couleur est révélatrice car, comme elle contient déjà une signification première en elle-même, nous avons déjà en tête ces significations et donc nous interprétons certaines choses à l’aune de ces connotations sociales. Voilà pourquoi la couleur est un révélateur narratif et psychologique puisque la connotation de la couleur elle-même influence notre vision et l’interprétation du récit ou des personnages. Comme le dit Sarah Street à propos d’Eisenstein, la couleur « est capable de créer des déplacements, des enjeux contextuels au sein d’un film narratif, la couleur devrait être comprise “organiquement” en relation avec la totalité du travail. » Pourtant, la couleur peut aussi être trompeuse et révéler une chose et son contraire.

Rouge mortel et sensuel

« Organique » est un mot qui convient parfaitement à l’utilisation du rouge dans Performance.
Le premier emploi du rouge dans le film annonce une bagarre et donc, du sang. Le rouge a pour première symbolique la violence et la conséquence du geste qui fait couler le sang. En intégrant des plans où l’on voit un liquide rouge qui gicle sur les murs pour anticiper la scène de conflit (Fig.14), la couleur agit comme un indice narratif et endosse une identité propre qui est celle de l’avertissement de la violence.
En revanche, cette fonction se modifie lorsque Chas vit avec les hippies. Le sens premier du rouge dévie et symbolise plutôt la sensualité. Dans la deuxième partie du film, le rouge imprègne le décor dans son entier en étant présent sur les murs, sur les vêtements, les draps (Fig.15)… La couleur incruste l’écran comme pour orienter implicitement le regard du spectateur et faire déborder la violence qui se dégage des personnages dans le décor par l’intermédiaire de la couleur. La grande quantité de rouge dans l’immeuble hippie est associée à l’idée de sensualité, de débauche sexuelle et de drogue, principaux éléments qui se dégagent de l’ambiance générale.
Cependant, on peut noter que cette sensualité aboutie finalement à la violence. La première fois que nous voyons du rouge nous l’associons directement à la violence par la brutalité de la scène dans laquelle il apparaît. Pourtant, par la suite, la violence que l’on discerne dans le rouge s’atténue avec les hippies mais une méfiance sous-jacente persiste. Dans cette débauche qui, au premier abord, relève de l’insouciance, l’ambition des personnages habitant les lieux n’est pas innocente. Comme dit précédemment, une rivalité se joue entre Turner et Chas. Afin de connaître mieux son rival et découvrir la véritable raison de la présence de Chas, Turner use de drogue jusqu’à entraîner Chas dans une dépossession de lui-même. L’objet qui provoque cette sensation de bien être et de dépossession de son corps chez Chas n’est pas non plus anodin. Turner le drogue avec un champignon rouge. Le fait de droguer quelqu’un à son insu est un acte de violence mais Chas ne le sait pas et à ce moment-là il vit un instant de plaisir. En outre, nous l’avons dit, cette rivalité aboutie à la violence par le meurtre de Turner par Chas à la fin du film. Sous le rouge du plaisir de la dogue et de la débauche sexuelle se cache donc encore une fois la violence. La violence physique que l’on voyait dans le liquide rouge projeté sur les murs s’est transformée en une violence mentale accompagnée de plaisir pour revenir ensuite à la violence initiale lorsque Chas tue Turner d’une balle dans la tête. Ainsi, le deuxième sens du rouge n’est pas véritablement une opposition : l’un complète l’autre. L’ambiguïté vient de la complémentarité des opposés, ce qui est d’ailleurs un principe scientifique de la couleur. Ici, la complémentarité est interprétative. Le rouge possède donc une double face complémentaire qui est la violence physique et une violence masquée qui, lorsqu’elle est découverte fait resurgir la première. C’est également le cas dans Don’t Look Now. Dans la scène d’ouverture, au premier abord, le rouge est une couleur attirante, pétillante, « flashy » puisque portée par la petite fille Christine, innocente, en train de jouer dans le jardin (Fig.16). La première conclusion est que c’est une couleur pleine de vie. Pourtant, le revers de cette couleur est la mort et le sang révélé par le plan du liquide rouge sur la diapositive symbolisant l’accident (Fig.17). Le rouge est appréhendé au départ comme une couleur de la vie, de l’enfance mais très vite, son sens se décline en son opposé : la mort.

Or passionnel et destructeur

Avec la couleur de l’or, on suit le même principe de complémentarité mais cette fois, la couleur s’incarne dans un objet. Dans Bad Timing, cela a un rapport avec Gustav Klimt dont les tableaux sont montrés dans les toutes premières minutes du film avant d’avoir fait connaissance avec les personnages. Ces tableaux sont ce qu’on pourrait appeler prophétiques, idée que nous exposerons dans la deuxième partie. Ce qui nous intéresse ici est comment Nicolas Roeg utilise ces tableaux et intègre la couleur de l’or, également présente dans les oeuvres d’art, à la relation d’Alex et Milena.
Les tableaux, au tout début du film, ne sont pas montrés dans leur intégralité. La caméra cible des parties bien précises et ne montre jamais un tableau strictement dans son ensemble. Par des gros plans sur les toiles, Roeg insiste sur la couleur or qui submerge les oeuvres de Klimt de la période de son cycle d’or. L’or, au premier abord est attractif, il représente le beau, le brillant. Symboliquement, l’or se rapporte aussi à la séduction qui laisse place à la passion.
Mais sa beauté est trompeuse aussi bien chez Klimt que chez Roeg. Dans Le Baiser (Fig.23), les amants enlacés entourés d’or se trouvent au bord d’un précipice. Leur amour est fort mais fragile et peut s’effondrer à tout moment et les détruire. L’arrière plan du tableau est d’un doré plus foncé comme si les amants s’enlaçaient pour se protéger d’un malheur extérieur qui viendrait les séparer malgré eux.
De plus, il semblerait que dans le film, la couleur or du tableau se soit transférée sur les cheveux de Milena car leur brillance évolue au cours du film. En fonction des situations, les cheveux de Milena sont lumineux ou plus ternes. Lors de la première rencontre du couple, les cheveux de Milena sont blonds mais d’un blond qui se rapproche du châtain très clair, une sorte de blond foncé. Ensuite, au fur et à mesure que l’on avance dans la relation, elle tombe amoureuse d’Alex et ses cheveux virent quasiment au blond platine dans certaines scènes. En outre, Roeg use de la lumière pour accentuer l’intensité du blond. Par exemple, à deux reprises, les cheveux de Milena sont tout proches d’une lampe (Fig.18).
Lorsque Alex tente de faire revenir Milena qui avait disparue pendant plusieurs semaines (Fig.20) sans lui donner de nouvelles, Milena n’est plus heureuse avec lui et la brillance de ses cheveux n’est plus présente. Elle se place dans l’ombre dans le plan. Ensuite, Milena fait une scène à Alex après être revenue pour lui montrer qu’elle n’est pas heureuse (Fig.21), qu’Alex ne s’occupe pas assez d’elle et ses cheveux sont de nouveau plus foncés malgré la lumière de la pièce. Enfin, la troisième illustration se déroule pendant l’overdose de Milena. Elle est proche de la mort, ses cheveux sont ternes même s’il reste quelques reflets blonds dorés car la trop grande passion amoureuse est la cause de cette tragédie C’est comme si les cheveux de la jeune femme sortaient tout droit du Baiser en reflétant tantôt l’or brillant qui entoure les amants, tantôt le fond sombre du précipice. Aussi, une des affiches du film (Fig.24) reprend exactement la même esthétique des peintures de Klimt avec les personnages d’Alex et de Milena. On retrouve évidemment la couleur dorée mais aussi un assemblage de petits rectangles de couleur dans les cheveux d’Alex et des objets circulaires sur Milena qui sont les mêmes motifs que l’on retrouve dans le tableau sur l’homme et la femme du tableau de Klimt. Sur l’affiche, Alex et Milena, comme dans Le Baiser, se perdent dans l’or. Il s’y complaisent et s’y embourbent à la fois comme un piège, une obsession qui devient maladive jusqu’à détruire les sentiments qui ont fait leur relation. On peut noter d’ailleurs le sous-titre de Bad Timing qui est : A Sensual Obsession (Une obsession sensuelle). Alex et Milena se sont rencontrés dans une fascination sensuelle qui a rapidement tourné à une fascination sexuelle jusqu’à, pour Alex, devenir obsessionnelle. Mais, Milena veut plus, elle veut une vraie relation qui n’est pas uniquement basée sur le sexe et Alex ne le comprend pas.
Ajoutons également le fait que le titre français de Bad Timing est Enquête sur une passion.
L’idée est donc de donner à voir la naissance d’une passion, ses limites et ses dangers soulignés par l’emploi de la couleur dorée. En somme, les deux visages de la passion. Le commencement, les premiers pas de la séduction, l’âge d’or de la relation et son effritement progressif jusqu’à la descente aux enfers. Un autre film de Roeg met en scène la passion et la destruction incarnées dans la couleur or. Il s’agit d’Eurêka. John McCann (Gene Hackman) est un chercheur d’or qui a consacré la moitié de sa vie à la recherche de cet or jusqu’à ce que celui-ci le consume et le détruise littéralement en le conduisant à la mort. Son amour obsessionnel et maladif pour l’or a eu raison de lui. Cette passion/destruction s’incarne dans l’or lui-même au début du film lorsqu’il le déterre enfin. L’or, sous forme liquide, jaillit de la roche d’un seul coup avant de tout recouvrir sur son passage y compris John lui-même. Il reste quelque secondes sous le liquide avant d’en ressortir en reprenant un souffle de vie. L’obsession pour l’or est ce qui le maintient en vie mais aussi ce qui le tue.

Blanc innocent et condamné

Le blanc, chez Roeg, se pense souvent en lien avec le rouge. Le rouge serait comme une fatalité du blanc. Il n’est pas rare que le blanc s’incarne dans une figure imaginaire qui est celle du cheval blanc. Dans beaucoup de film de Roeg, apparaît furtivement un cheval blanc. La symbolique de cette couleur, dans l’imaginaire collectif est la pureté et l’innocence mais associée à la figure du cheval c’est l’innocente liberté ou au contraire, la débauche si l’on pense à la couleur de la drogue qui se traduit en argotique par « horse » en anglais. Mais par rapport au contexte des films, l’innocence est plus pertinente. Dans cette sous-partie, nous convoquerons d’autres films du réalisateur qui ne font pas partie du corpus car l’idée que nous tentons de développer est une idée récurrente et ne s’observe pas uniquement dans les films du corpus. Nous parlerons de The Man Who Fell to Earth, Bad Timing, Don’t Look Now, Track 29 (1988), Two Deaths (1995), et Puffball (2007).
Tout d’abord, commençons par Don’t Look Now, Two Deaths et Puffball où le blanc tire sa contradiction de son lien avec le rouge. Dans Don’t Look Now, le cheval apparaît dans la scène d’ouverture. Il galope devant Christine juste avant qu’on ne la voit jouer seule près de l’étang. La blancheur du cheval montrée à ce moment précis symbolise l’innocence de Christine qui ne se préoccupe que de son jeu à ce moment-là. Pourtant, l’innocence interprétée précédemment se retrouve contredite par l’action suivante : la noyade de la petite fille. La noyade, nous l’avons dit plus haut, s’incarne dans le plan traversé par un liquide de couleur rouge (Fig.17). Ainsi, le rouge symbolisant la mort vient nourrir l’interprétation du blanc qui n’est plus seulement l’innocence mais l’innocence condamnée.
On observe la même idée dans Two Deaths qui raconte l’histoire d’un docteur (Michael Gambon) qui a brisé la vie d’une femme (Sônia Braga) en la retenant captive chez lui en tant que bonne, seulement parce qu’elle lui plaît sexuellement. Dans un plan situé au début du film, on voit une colombe morte devant la porte qu’ouvre la bonne et plus tard un cheval blanc est abattu pendant les agitations de la Révolution Roumaine. Le sang coule sur le cou blanc du cheval.
Puffball aussi utilise le blanc et le rouge ensemble mais cette-fois, sans la figure du cheval. Le film est le récit d’un combat entre deux femmes pour donner la vie. L’une, Mabs (Miranda Richardson), est jugée trop vieille pour pouvoir procréer et l’autre Liffey (Kelly Reilly), est jeune mais n’a pas l’intention d’avoir un enfant pour l’instant. La première femme, jalouse de l’autre, va user de magie noire par l’intermédiaire de sa mère (Rita Tushingham), qui est une sorcière, pour mettre enceinte Liffey afin qu’elle porte son enfant. Ce n’est pas ce qui va se passer. L’enfant que porte la jeune femme est bien le sien mais aveuglée par l’envie et la jalousie, Mabs persiste dans sa folie en voulant blesser, voire tuer Liffey.
La symbolisation de l’innocence souillée par la violence par la couleur se remarque, premièrement, dans les plans eux-mêmes dont la dominante chromatique est blanche. La jeune femme est architecte. Au début du film, elle vient d’arriver en Irlande avec son compagnon pour construire une maison voisine à celle de de Mabs qui veut désespérément un enfant. On remarque la blancheur des plans lorsque l’on se trouve sur la propriété des deux amants, dehors comme à l’intérieur. Les murs de la maison en construction et la lumière du dehors ont une dominante blanche. De plus, dans une scène où le jeune couple fait l’amour, l’image du sperme entrant dans le corps de la femme est mis en avant avec la couleur blanche qui ressort.
Le blanc dans Puffball représente l’innocence des amants face à la situation, il ne se rendent pas compte de l’enfer qui les attend mais aussi représente l’innocence d’un enfant à venir. Cette insouciance est brisée par la haine et la violence qui déborde de leur voisine qui les envie désespérément. Et, cette violence s’incarne dans le rouge du sang dans trois situations. Dans la première, la jeune femme fait une fausse couche et perd beaucoup de sang qui vient souiller la blancheur de son pantalon (Fig.25).
Le rouge fonctionne ici comme l’envers du blanc, en étant une représentation imagée de laviolence souillant l’innocence.
En revanche, le blanc peut aussi avoir un sens ambigu qui lui est propre, de la même manière que l’or et le rouge, en évoquant la figure allégorique du cheval blanc. Le cheval blanc est une allégorie, car il incarne une idée abstraite qui est, nous l’avons dit, l’innocente liberté. Mais, son interprétation est changeante en rapport avec le reste du film qui bouleverse la première interprétation en impliquant la fatalité. C’est pourquoi nous proposons l’expression d’innocence condamnée.
Dans trois autres films nous pouvons également remarquer la présence d’un cheval blanc : The Man Who Fell to Earth, Bad Timing et Track 29. Dans The Man Who Fell to Earth, nous voyons un cheval blanc qui galope pendant quelques secondes. Newton le remarque alors qu’il est en voiture avec Mary Lou. Ce court passage quitte le temps du récit, appuyé par la musique mélancolique des Kingston Trio : Try to remember. Le titre de la chanson qui veut dire « essaye de te rappeler » enclenche ensuite le souvenir rêvé de la famille de Thomas Newton. Dans Bad Timing, il s’agit d’une licorne qui apparaît cette fois-ci sur une tapisserie : La licorne captive. Elle est issue de la série de sept tapisseries intitulée La chasse à la licorne, datant de la fin du XVe siècle. Cette tapisserie orne un mur de l’appartement d’Alex.
Enfin, la dernière occurrence de la figure du cheval blanc se trouve dans Track 29. Linda (Theresa Russell) est enfermée dans une vie conjugale ennuyeuse et rêve d’avoir un enfant. Son mari, Henry (Christopher Lloyd), médecin passionné par les trains, n’est pas de cet avis. Le cheval blanc apparaît pendant que les personnages font un tour de carrousel.
Quel est le point commun de tous ces moments ? Le cheval blanc, par sa couleur est symbole de pureté, d’innocence mais sa présence indique pourtant toujours un présage de danger futur, proche ou plus lointain. Pour reprendre les mots de Joseph Lanza, c’est un présage d’innocence avant la catastrophe55. Dans The Man Who Fell to Earth, au bout de quarante cinq minutes de film, les plans de Newton commencent à s’effondrer, il va être démasqué malgré sa naïveté de pouvoir sauver sa famille en s’immisçant dans le monde des humains. Dans Bad Timing, nous pourrions dire que métaphoriquement, La licorne captive est une image de Milena. Une jeune femme en quête d’amour qui pense le trouver enfin avant de s’en retrouver prisonnière. Enfin, dans Track 29, dans un flashback de Linda, à l’époque où elle était lycéenne, elle est sur le cheval blanc d’un carrousel juste avant de se faire violer dans le plan qui suit. Elle perd son innocence et sa virginité.
La blancheur de l’innocence n’est toujours qu’éphémère et ne peut être que fatalement profanée par un malheur, une tragédie souvent liée à la mort. Entendons-là pas forcément une mort physique mais la mort d’un sentiment de bonheur, de confiance ou d’insouciance.
La couleur agit ainsi quasiment comme un personnage extérieur qui nous invite à entrer dans la psychologie des personnages ou du film en lui même, c’est-à-dire le propos du film, son atmosphère, ce qui doit être compris. La couleur, par sa simple présence, fait passer un message sur le récit où sur la pensée intérieure d’un ou plusieurs personnages. C’est pour cela que sa symbolisation est double, opposée et complémentaire à la fois. L’ambivalence de la symbolique des couleur viendrait peut-être de notre relation naturellement ambivalente avec la couleur selon David Batchelor. « Par ambivalence je veux dire une attraction / répulsion puissante et simultanée émanant d’un même objet, une coexistence d’émotions contraires. » Dans les films du corpus, la couleur est une indication narrative visible mais muette qui oriente l’interprétation. Les couleurs chez Roeg sont herméneutiquement ambivalentes et bien sûr, les interprétations qui ont été faites ci-dessus ne sont pas les seules possibles. Il existe évidemment d’autres interprétations, d’autres significations de ces couleurs mais l’idée était de servir l’argument qui démontre que la couleur, dans les films de Roeg, est changeante parce que dans beaucoup de cas, les significations s’opposent et se complètent en ne se contenant qu’à l’intérieur d’une seule couleur.

Couleurs de la rupture

La couleur se rapporte à la notion de fragment non seulement dans le sens fragmenté qu’elle propose mais elle s’y rapporte également par la rupture. En définissant le fragment en introduction, nous avons indiqué qu’il impliquait aussi l’idée de rupture57. Le fragment, en naissant d’un acte de fragmentation, crée une frontière et donc une rupture entre deux parties d’un objet. L’apparition de la couleur dans certains plans provoque également une rupture. Celle-ci se divise en deux. On observe d’une part une rupture plastique et d’autre part une rupture temporelle. La première est une pause dans le récit par la contemplation. La seconde agit sur la structure temporelle des films en s’étendant parfois à la réalité en faisant référence à une réalité extérieure dans le cas de The Man Who Fell to Earth.

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Table des matières

Remerciements
Introduction
Enjeux et état des lieux
Une analyse fragmentée
Première partie : Des constructions fragmentaires
Chapitre I. Montages alternants
I.1. Formes herméneutiques
I.1.2. Montage ouvert
I.1.3. Montage de circulation
I.1.4. Montage omnivoyant
I.1.5. Montage de reconstitution
I.2. Raccords cicatriciels
Chapitre II. Plans du morcellement
II.1. Miroirs de la division
II.2. Zooms : guides scopiques
Chapitre III. Couleurs signifiantes
III.1. Couleurs ambivalentes
III.1.1. Rouge mortel et sensuel
III.1.2. Or passionnel et destructeur
III.1.3. Blanc innocent et condamné
III.2. Couleurs de la rupture
III.2.1 Rupture plastique
III.2.2. Rupture temporelle
Deuxième partie : Des temporalités éclatées
Chapitre IV. Mosaïques temporelles
IV.1. Perceptions temporelles
IV.1.1. Flash-back équivoques
IV.1.1.1. Le souvenir présumé
IV.1.1.2. Instabilités temporelles
IV.1.2. Flash-forward intrusifs
IV.1.2.1. Voyance et prophéties
IV.1.2.2. Flashs anticipés
IV.2. Circuits temporels
IV.2.1. Échos temporels
IV.2.2. Boucles temporelles
Chapitre V. Mosaïque référentielle
V.1. Tableaux prophétiques
V.2. Adaptations fragmentaires
Troisième partie : Des relations chaotiques
Chapitre VI. Des êtres déstructurés
VI.1. Personnalités en éclats
VI.1.1. Inconstances sentimentales
VI.1.2. Chaos intérieurs
VI.2. Le corps fragmenté
VI.2.1. Fragments érotiques
VI.2.2. Fragments traumatiques
Chapitre VII. L’ambivalence spatio-temporelle
VII.1. Des repères perturbés
VII.1.1. Espaces chromatiques signifiants
VII.1.2. Espaces trompeurs
VII.1.3. Espaces et temps dissociés
VII.2. Le temps antagoniste
Conclusion
Filmographie
Bibliographie

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