Pharmacocinétique et pharmacogénétique du tamoxifène et du létrozole

Cancer du sein

   Le cancer du sein est la première cause de mortalité liée au cancer chez la femme. En 2017 en France, environ 59 000 nouveaux cas de cancer du sein ont été détectés et 12 000 décès ont été attribués à ce cancer . Les méthodes de dépistage telles que la mammographie et l’examen clinique du sein ont significativement augmenté le nombre de patientes diagnostiquées au stade précoce de la maladie. En effet, approximativement 60% des cancers du sein sont diagnostiqués au stade local tandis qu’environ 30% présentent en plus une atteinte ganglionnaire. Seulement 6% des cancers du sein sont métastatiques au moment du diagnostic . D’un point de vue histologique, les cancers du sein peuvent être divisés en carcinomes invasifs canalaires (concernent 50 à 75% des patientes) et lobulaires (5 à 15%). Les carcinomes impliquant à la fois les canaux et le lobule ainsi que d’autres types histologiques représentent les types plus rares. Les cancers du sein sont caractérisés par une grande hétérogénéité moléculaire. Deux cibles moléculaires dans la pathologie du cancer du sein ont été identifiées:
• Récepteur aux estrogènes et/ou à la progestérone,
• Protéine ERBB2 (epidermal growth factor 2, ancien HER2 ou HER2/neu).
On peut distinguer deux isoformes majeures de récepteur aux estrogènes – ERα et ERβ. Ces derniers sont à la fois des récepteurs des hormones stéroïdiens et des facteurs de transcription qui, stimulés par les estrogènes, activent les voies de signalisation intracellulaires. Les ERα et ERβ sont responsables de plusieurs processus physiologiques dans le corps, notamment du développement du système reproducteur féminin, du maintien de la masse osseuse, de la protection du système cardiovasculaire et du système nerveux central 3,4. Le dysfonctionnement de la signalisation ERα-dépendante dans le tissu mammaire, utérin et dans les ovaires est à l’origine de développement des cancers de ces tissus. Le rôle des ERβ dans le développement du cancer du sein est moins bien connu, de ce fait, l’isoforme ERα est la cible des thérapies antiestrogéniques et dans cette revue elle sera par la suite appelée ER. Le récepteur à la progestérone (PR) est également un marqueur de la signalisation hormonodépendante. L’ERBB2 est un récepteur transmembranaire à activité tyrosine kinase qui active des voies de signalisation intracellulaires en réponse à des signaux extracellulaires. La surexpression de la protéine ERBB2 due aux mutations ou l’amplification du gène ERBB2 entraîne une augmentation de l’activité de la protéine et en conséquence la suractivation des voies de signalisation oncogéniques. Ceci mène à une prolifération cellulaire non contrôlée et à une croissance tumorale. Les cancers du sein sont classés en trois catégories en fonction de la présence des récepteurs aux estrogènes (ER+) ou à la progestérone (PR+) et de l’expression de la protéine ERBB2 et/ou de plusieurs copies du gène ERBB2 (ERBB2+). Ces trois types comprennent les cancers du sein:
• hormonodépendants (ER+ et/ou PR+),
• ERBB2+,
• triples négatifs (absence de ces trois types de récepteurs).
La catégorie à laquelle appartient un cancer détermine les facteurs de risque, la réponse thérapeutique, la progression de maladie et les sites préférentiels des métastases. Différentes stratégies thérapeutiques sont proposées en fonction du stade (précoce ou avancé) et du type du cancer du sein. La stratégie thérapeutique chez les femmes diagnostiquées d’un cancer du sein au stade précoce consiste à éradiquer la tumeur et éventuellement les ganglions lymphatiques. Une radiothérapie post-opératoire peut être envisagée. Ensuite, un traitement adjuvant dépendant du type moléculaire du cancer est instauré. Dans certaines situations, un traitement néoadjuvant (chimiothérapie, radiothérapie ou hormonothérapie) est initié afin de diminuer la taille de la tumeur avant la chirurgie de l’éradication. Le traitement des cancers du sein au stade métastatique consiste à utiliser des traitements de chimiothérapie pour prolonger la survie avec un but palliatif.

Modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes

   Les modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes peuvent exercer une activité antagoniste ou agoniste en fonction de tissu ciblé. L’inhibition des récepteurs aux estrogènes dans les cellules cancéreuses du sein est à l’origine de leur activité antitumorale. Les effets agonistes dans les os, le profil lipidique sérique et le système cardiovasculaire sont à l’origine de leurs effets bénéfiques 14. Le tamoxifène est un modulateur sélectif des récepteurs aux estrogènes de la première génération. Il a été initialement synthétisé en 1962 comme un médicament contraceptif et s’est avéré efficace dans le traitement du cancer du sein 13. En revanche, son activité agoniste dans le tissu d’endomètre augmente le risque de développement du cancer. Ceci a contribué à la recherche d’autres dérivés de tamoxifène avec moins d’effets indésirables. Ainsi, plusieurs nouveaux SERMs ont été développés dont le toremifène qui s’est montré efficace dans le traitement en première ligne de cancer du sein ER+ et/ou PR+ au stade métastatique et le raloxifène qui a été approuvé dans la prévention de l’ostéoporose chez la femme ménopausée. Le tamoxifène reste le SERM le plus utilisé dans le traitement du cancer du sein ER+ et/ou PR+.

Adhérence au traitement

   La thérapie par tamoxifène est une thérapie longue associée à de multiples effetsindésirables. De ce fait, de nombreuses patientes arrêtent volontairement le traitement ou ne respectent pas le schéma d’administration définit comme l’adhérence (la prise d’au moins 80% de traitement prescrit) 71,72. Hershman et al. ont rapporté que seulement 50% des patientes qui ont reçu la prescription de 5 ans de tamoxifène ont été adhérentes au schéma d’administration et la durée de thérapie 73. Chez 20 à 50% des patientes la non-persistance (arrêt volontaire de traitement) se manifeste déjà après un an de traitement 73–76. McCowan et al. ont souligné que l’adhérence moyenne au bout d’un an de thérapie de tamoxifène était de 93% 77. Ce pourcentage augmente avec la durée de la thérapie. Une méta-analyse de 29 études évaluant l’hormonothérapie adjuvante (tamoxifène et inhibiteurs de l’aromatase), a montré qu’après 5 ans de thérapie, 41 à 72% des patientes étaient non-adhérentes et 31 à 73% des patientes avaient volontairement arrêté le traitement 78. Enfin, une étude française récente a mis en évidence que seulement la moitié des patientes avec les concentrations plasmatiques de tamoxifène faibles ou nondétectables avait rapporté la non-adhérence 79. La non-adhérence et la non-persistance constituent donc un problème sous-estimé et sous-rapporté alors que leurs conséquences sur l’efficacité du traitement ne sont pas négligeables. En effet, deux études ont montré que les patientes non-adhérentes présentaient une moins bonne réponse thérapeutique 77,80. De ce fait, l’évaluation des facteurs de risque et l’éducation thérapeutique des patientes susceptibles d’être non-adhérentes est nécessaire pour assurer la meilleure prise en charge. Généralement, les facteurs de risque de non-adhérence sont l’âge très jeune ou très âgé, une mastectomie, un stade précoce de la maladie et le suivi par un médecin non-oncologue 73,78,81.

CYP3A4/5

   Le CYP3A4/5 est impliqué dans le métabolisme du tamoxifène à plusieurs niveaux, principalement dans la conversion du tamoxifène en N-desmethyltamoxifène et du 4-hydroxytamoxifène en endoxifène 22. Le CYP3A4/5 est le cytochrome de la famille P450 le plus abondant dans le foie humain et est responsable de la métabolisation d’environ 50 à 60% des médicaments disponibles sur le marché. Environ 50 variants génétiques du CYP3A4/5 ont été décrits dans la littérature dont certains peuvent avoir une conséquence sur l’activité de la protéine 134,135. Parmi les polymorphismes du CYP3A4, l’allèle *22, présent dans la population caucasienne à la fréquence de 5 à 7% 136,137, est un single nucleotide polymorphisme (SNP) de promoteur associé à une réduction de l’expression de mRNA entraînant une diminution de l’activité enzymatique du CYP3A4 136. Il a été démontré que le ratio métabolique 1’- hydroxymidazolam/midazolam, un probe phénotypique pour l’activité de CYP3A4, a été diminué en moyenne de 21% chez les porteurs d’allèle *22 par rapport aux porteurs d’un génotype sauvage 138. L’importance clinique de ce variant génétique a été démontrée dans le traitement par immunosuppresseurs, notamment le tacrolimus et la cyclosporine A 139. En effet, la CL/F de tacrolimus a été diminuée d’environ 37% chez les patients hétérozygotes mutés par rapport aux patients avec un génotype sauvage, nécessitant une adaptation de dose 137. Un impact significatif du génotype CYP3A4*22 sur les concentrations de tamoxifène, endoxifène, Ndesmethyltamoxifène et 4 hydroxytamoxifène a été observé dans plusieurs études 132,133,140,141. En particulier, les concentrations de tamoxifène, endoxifène et 4-hydroxytamoxifène plus élevées ont été observées chez les porteuses d’allèle *22 par rapport aux patientes avec un génotype sauvage, quel que soit le phénotype CYP2D6 133. De plus, les patientes avec une activité altérée du CYP2D6 et porteuses de l’allèle *22 avaient des concentrations d’endoxifène comparables à celles des patientes avec une activité normale du CYP2D6 (phénotype NM) 133,140,142. Il semble donc que l’altération de la formation d’endoxifène chez les patientes présentant une diminution d’activité du CYP2D6 pourrait être en partie compensée par la présence de l’allèle CYP3A4*22. Toutefois, le mécanisme de cette interaction n’est pas clair. Il a été proposé que le premier passage intestinal du tamoxifène est diminué chez les patientes CYP3A4*22-mutées ce qui augmente la biodisponibilité du tamoxifène. Néanmoins, bien que le génotype CYP3A4*22 soit significativement associé aux concentrations d’endoxifène, son inclusion dans le modèle de régression linéaire avec le génotype CYP2D6 améliore très légèrement le pourcentage de variabilité interindividuelle expliquée (de 42.3% avec le génotype CYP2D6 à 42.8% avec le génotype CYP2D6 et CYP3A4*22) 132. La fréquence allélique du variant CYP3A4*1B est de 2.4 – 3.7% dans la population caucasienne 143. Son résultat sur l’expression de la protéine n’a pas encore été clairement établi mais il a été suggéré qu’il soit associé à une augmentation de l’activité de CYP3A4. Cependant, la présence de l’allèle *1B n’a pas eu d’impact sur les concentrations de tamoxifène ou ses principaux métabolites dans l’étude de Fernandez-Santander et al. 144. Concernant les polymorphismes génétiques du CYP3A5, les allèles *3, *6 et *7 sont responsables de la protéine non-fonctionnelle 145. La fréquence de l’allèle *3 dans la population caucasienne est de 88% à 97% tandis que les allèles *6 et *7 sont présents dans la population africaine et asiatique, avec des fréquences de 15 à 25% et 10%, respectivement 146. Concernant le polymorphisme *3, la présence d’au moins un allèle fonctionnel (génotypes *1/*1 et *1/*3) entraîne un phénotype expresseur tandis que la présence de deux allèles mutés (génotype *3/*3) induit un phénotype non-expresseur de CYP3A5 134. L’impact clinique de ce polymorphisme génétique a été démontré pour le tacrolimus. La présence d’un allèle fonctionnel *1 a été associée à une diminution des concentrations résiduelles de tacrolimus de 36% tandis que la présence de deux allèles fonctionnelles a été associée à une diminution de 59% 147. Concernant le tamoxifène, dans l’étude de Jin et al. les concentrations d’endoxifène étaient plus fortes chez les patientes expresseurs de CYP3A5 par rapport aux patientes non-expresseurs mais cette différence n’était pas statistiquement significative 89. Dans une autre étude, les concentrations de Noxyde tamoxifène étaient plus fortes chez les patientes expressers (*1/*3) par rapport aux patientes nonexpressers de CYP3A5 et la même tendance a été observée pour le 4-hydroxytamoxifène, Ndesmethyltamoxifène et N,N-didesmethyltamoxifène 148. Schroth et al. ont rapporté une réduction moyenne de 12% de ratio métabolique N-desmethyltamoxifène/tamoxifène chez les patientes nonexpresseurs de CYP3A5 par rapport aux patientes avec le génotype *1/*1 118. Enfin, une autre étude a rapporté une prédiction légèrement meilleure du ratio métabolique endoxifène/4-hydroxytamoxifène quand le génotype CYP3A5*3 était pris en compte dans le modèle de régression linéaire avec le génotype CYP2D6 132. En revanche, aucune association significative entre les génotypes CYP3A5*3, *6 et *7 et les concentrations de tamoxifène ou ses métabolites n’a été observée dans d’autres études.

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Table des matières

Introduction
Partie bibliographique
1 Cancer du sein
1.1 Cancers du sein ER+ et/ou PR+
1.2 Cancers du sein ERBB2+
1.3 Cancers du sein triple négatifs
2 Hormonothérapie du cancer du sein
2.1 Modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes
2.2 Inhibiteurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes
2.3 Inhibiteurs de l’aromatase
2.4 Stratégies thérapeutiques
3 Généralités sur le tamoxifène
3.1 Propriétés physico-chimiques
3.2 Propriétés pharmacodynamiques
3.3 Efficacité clinique
3.3.1 Cancer du sein métastatique
3.3.2 Cancer du sein au stade précoce
3.3.2.1 Durée de thérapie
3.3.3 Prévention du cancer du sein chez les femmes à haut risque
3.4 Effets bénéfiques
3.5 Effets indésirables
3.5.1 Profil de toxicité
3.5.2 Cancer de l’endomètre
3.5.3 Événements thromboemboliques veineux
3.6 Adhérence au traitement
3.7 Propriétés pharmacocinétiques
3.7.1 Absorption
3.7.2 Distribution
3.7.3 Métabolisation
3.7.4 Elimination
3.8 Facteurs influençant la pharmacocinétique du tamoxifène
3.8.1 Alimentation
3.8.2 Ethnie
3.8.3 Facteurs démographiques
3.8.4 Insuffisance hépatique
3.8.5 Insuffisance rénale
3.8.6 Polymorphismes génétiques
3.8.6.1 CYP2D6
3.8.6.2 CYP3A4/5
3.8.6.3 CYP2C9
3.8.6.4 CYP2C19
3.8.6.5 CYP2B6
3.8.6.6 SULT
3.8.6.7 UGT
3.8.6.8 Transporteurs d’efflux de la famille ABC
3.8.6.9 Régulateurs de transcription
3.8.7 Interactions médicamenteuses
3.8.7.1 Inhibiteurs du CYP2D6
3.8.7.2 Inhibiteurs du CYP3A4
3.8.7.3 Inducteurs enzymatiques
3.8.7.4 Inhibiteurs de l’aromatase
3.8.7.5 Phytothérapie
3.8.8 Saison
3.9 Méthodes de dosage
3.10 Relation pharmacogénétique-pharmacodynamie
3.10.1 CYP2D6
3.10.1.1 Efficacité
3.10.1.2 Toxicité
3.10.2 CYP3A4/5
3.10.3 CYP2C19
3.10.4 CYP2C9
3.10.5 CYP2B6
3.10.6 SULT
3.10.7 UGT
3.10.8 Transporteurs d’efflux de la famille ABC
3.11 Relation pharmacocinétique-pharmacodynamie
3.11.1 Efficacité
3.11.2 Toxicité
3.12 Individualisation de traitement par tamoxifène
3.12.1 Faisabilité de l’adaptation de dose
4 Généralités sur le létrozole
4.1 Propriétés physico-chimiques
4.2 Propriétés pharmacodynamiques
4.3 Efficacité clinique
4.3.1 Cancer du sein au stade avancé
4.3.2 Cancer du sein en situation adjuvante
4.3.3 Cancer du sein en situation néoadjuvante
4.4 Effets indésirables
4.4.1 Profil de toxicité
4.4.2 Accidents cardiovasculaires
4.4.3 Ostéoporose et fractures
4.5 Propriétés pharmacocinétiques
4.5.1 Absorption
4.5.2 Distribution
4.5.3 Métabolisme
4.5.4 Elimination
4.6 Facteurs influençant la pharmacocinétique du létrozole
4.6.1 Alimentation
4.6.2 Ethnie
4.6.3 Facteurs démographiques
4.6.4 Insuffisance hépatique
4.6.5 Insuffisance rénale
4.6.6 Polymorphismes génétiques
4.6.6.1 CYP2A6
4.6.6.2 CYP3A4/5
4.6.7 Interactions médicamenteuses
4.7 Méthodes de dosage
4.8 Biomarqueurs prédictifs de la réponse thérapeutique
4.9 Relation pharmacocinétique-pharmacodynamie
5 Pharmacocinétique de population
5.1 Approche en deux étapes
5.2 Modèles non-linéaires à effets mixtes
5.3 Modèle de structure
5.4 Modèle statistique
5.4.1 Variabilité interindividuelle
5.4.2 Variabilité inter-occasion
5.4.3 Variabilité résiduelle
5.5 Modèle de covariables
5.6 Modèles de mixture
5.7 Expression générale du modèle
5.8 Méthodes d’estimation
5.9 Estimation bayésienne des paramètres individuels
5.10 Evaluation d’un modèle
5.10.1 Graphiques diagnostiques
5.10.2 Précision de l’estimation
5.10.3 Visual Predictive Check
5.11 Application à l’analyse pharmacocinétique d’une molécule parent et de ses métabolites

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