Navigation et voies de communication dans la Rus’ ancienne

L’investigation des voies fluviales de la Russie qui se basait essentiellement sur l’interprétation des sources écrites débuta au XIXe siècle. En prenant comme base les Chroniques russes ainsi que les investigations archéologiques, le professeur Hodakovsky, dans son article paru en 1837 intitulé « Moyens de communication dans la Russie ancienne », donnait une description détaillée du réseau fluvial du nord-ouest de la Russie . La place de ces différents cours d’eau au sein du système de communication de la Rus’ ancienne fut ensuite développée dans l’ouvrage fondamental de Nicolaï R. Zagoskin « Voies maritimes et construction maritime à l’époque de la Rus’ ancienne » qui fut publié en 1910 . Elena A. Rydzevskaya fut néanmoins la première à croiser sources scandinaves et matériel archéologique pour ainsi faire remonter l’utilisation de ce réseau à l’époque viking . Par la suite, au milieu du XXe siècle, le croisement des sources fut davantage utilisé pour répondre au problème de l’exploitation de ces voies fluviales. Ainsi la cartographie, la datation et la systématisation des sources à travers des études plus locales permirent de réaliser une reconstruction partielle du processus de formation et de fonctionnement de ces voies.

Le réseau hydrographique en question : géographie, distances et contraintes physiques

Le réseau ramifié de lacs et de rivières que constituent les plaines du nord-est de l’Europe fournit à bien des égards les conditions favorables au développement de routes fluviales. De par l’importance des distances à franchir additionné aux conditions géographiques peu favorables où se mêlent zones forestières très denses et marécages, sans oublier le risque que constituaient les tribus nomades stationnées dans les steppes, l’acheminement par voie terrestre ne se présentait pas comme une solution des plus aisées. Au contraire d’un réseau routier qui n’apparut véritablement qu’au XIIe siècle et qui resta longtemps une donnée locale, ce réseau fluvial, sécurisé à partir des IXe-Xe siècles par de nombreux sites fortifiés, était idéal pour le transfert d’hommes et de marchandises à la fois sur de courtes et longues distances. La proximité de chacun des trois grands fleuves, le Dniepr, la Volga et la Dvina rendait possible le transfert d’un bassin à l’autre via de nombreuses zones de portages. Ce réseau représentait ainsi le principal moyen de communication entre les différentes parties de la Rus’ et formait une route commerciale presque continue qui connectait la Baltique, l’Europe centrale, la mer Blanche, la mer Noire, ainsi que la mer Caspienne, et rendait donc possible la traversée de l’Europe de l’Est jusqu’à l’Empire byzantin, au Kaganat khazar et au Califat arabe.

Mouvements scandinaves et premières connexions

Il faudra néanmoins attendre la seconde moitié du IXe siècle pour constater les prémices d’une connexion entre ces différentes voies et leur utilisation en tant que réseaux de transit. Bien que des communications locales le long de ces cours d’eau existent déjà dès l’âge du fer, ce processus de mise en relation s’est mis en place à la faveur de la pénétration progressive des Scandinaves le long des voies fluviales. Rappelons que dès les VIIe-VIIIe siècles, des contacts avaient déjà cours entre Scandinaves et populations du nord de la Rus’. Les découvertes occasionnelles d’objets scandinaves, d’armes et d’ornements dans les environs du lac Ladoga et de la rivière Volkhov attestent de visites irrégulières d’hommes venant de la Baltique dès cette époque. Leurs différents voyages, à la recherche de biens commerciaux dont les fourrures, mais aussi dans le cadre de pillages, les rendaient familiers du système fluvial des régions de Ladoga, du lac Ilmen’ et du Volkhov .

Néanmoins, ce n’est qu’à la faveur de leur installation progressive à partir du IXe siècle, que se mit en place ce réseau de communication reliant d’une part les centres proto-urbains contrôlés par l’aristocratie scandinave entre eux, mais aussi dans une plus large mesure, le monde Scandinave à la Rus’ et à ses voisins. À Ladoga, on retrouve ainsi les premières traces de colons scandinaves dès la moitié du VIIIe siècle . À partir de la Neva ils pénétrèrent le lac Ladoga et le Volkhov qui s’écoule vers le sud et se jette dans le lac Ilmen’ pour ensuite rejoindre la Lovat qui permettait de relier le réseau fluvial connecté au Sud ou encore la Msta-Tvertsa, pour ensuite rejoindre le réseau de la Volga et ainsi entrer en connexion avec le réseau de commerce et d’échange oriental dont les trouvailles de trésors de pièces islamiques le long de ces mêmes rivières montrent qu’il était déjà en fonction pour les VIIIe-IXe siècles. Aux IXe-Xe siècles, un certain nombre de centres proto-urbains que nous aurons le loisir d’évoquer plus en détail dans les chapitres suivants, se développèrent à des endroits stratégiques dans ces régions du Nord-Ouest, formant en quelque sorte ce qui allait devenir l’épine dorsale de ces réseaux de communication, que nous pouvons décomposer en deux grands axes Nord-Sud et Ouest-Est, dont le développement et l’essor prirent place à des périodes différentes.

La route Baltique-Volga 

Au IXe siècle la route Baltique-Volga (Ouest-Est) commençait dans le golfe finlandais de la Neva. Plus loin dans les terres, le réseau fluvial permettait d’emprunter une grande variété de routes pour rejoindre la Volga.

La division majeure s’opère à partir des lacs Ladoga et Ilmen’. À partir du sud-est du lac Ladoga, un voyageur pouvait emprunter l’une des quatre routes du réseau fluvial connectée à la Volga, parfois via le portage : la Svir, l’Ojat, la Sjas-Mologa et le Volkhov. À partir du lac Ladoga, la Svir et l’Ojat mènent vers le nord-est au lac Onega. De là il est possible plus au nord de rejoindre grâce à un réseau d’affluents la mer Blanche et la Carélie, et plus au sud la Cheksna, un affluent de la Volga. La région de Novgorod était quant à elle connectée à la Dvina orientale par le réseau composé de la Msta, la Mologa, du lac Kubenskoe et de la Soukhona, à partir desquels on pouvait également rallier le bassin de la Volga . À partir du golfe de Riga, grâce à la Dvina occidentale et ses affluents, il était aussi possible de rejoindre ce réseau, en empruntant les différents portages qui menaient à la Lovat et ensuite au lac Ilmen’. Cependant, à la lumière des données archéologiques et de la numismatique, il semblerait que cette route n’ait été empruntée régulièrement qu’à partir de la seconde moitié du IXe siècle. Un trésor contenant des monnaies islamiques datées de 840 représente la plus ancienne trace d’activité économique pour ce qui est de la Dvina occidentale .

Il serait cependant inexact de présenter ces routes comme fonctionnant en permanence. La faible densité de populations, les vastes espaces de forêts et de steppes ne permettaient sûrement que des relations fractionnées avec de très nombreux intermédiaires et différentes ethnies. Le contexte géopolitique était lui aussi à la source de variations majeures dans les rythmes de fréquentations et dans le tracé de ces routes. Lors du dernier quart du IXe siècle, le commerce et la fréquentation de ces routes semblent d’ailleurs connaître un net recul en concomitance avec l’effondrement du Kaganat russe avant de reprendre avec vigueur à la faveur de la seconde vague de migration des Scandinaves qui aboutit à la création de la Rus’. À partir de 900, l’Asie centrale soumise à la dynastie Sāmānide, remplace alors l’Iran et l’Iraq comme source principale de dirhams tandis que le volume des échanges croît de manière exponentielle durant le Xe siècle, des millions de dirhams affluant ainsi vers la Baltique, pour atteindre la Scandinavie, phénomène à la faveur duquel la Rus’ voit l’émergence et la croissance de nombreux centres proto-urbains. À l’Est ces circulations étaient étroitement contrôlées par le Kaganat khazar dont la domination sur le cours inférieur de la haute Volga jusqu’au confluent de l’Oka le plaçait en situation d’intermédiaire privilégié entre mondes russe et musulman, avant qu’il ne soit défait dans les années 960 par Sviatoslav, provoquant son déclin et son éviction dans la région par la Bulgarie de la Volga, alors que pour la même période le Dniepr et Kiev jouaient un rôle grandissant dans l’acheminement des biens à destination de Constantinople, au détriment notamment du Don. À la faveur de circulations d’hommes et de biens liées notamment au commerce des fourrures, ces routes, bien que concurrencées par la « Voie des Varègues aux Grecs » qui connaîtra un essor notable à partir de la seconde moitié du Xe siècle, continuèrent à être utilisées tout au long du XIe siècle avant de connaître un net déclin qui se traduit par la raréfaction des trésors de monnaies orientales dans le nord de la Rus’, remplacées à partir du XIIe siècle par des monnaies germaniques.

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Table des matières

Introduction
I/ Approche Historiographique
A/ Définitions et problématique d’étude
B/Problèmes historiographiques et querelle sur les origines scandinaves de la Rus’
II/ Contexte politique et culturel
A/ L’arrivée des Scandinaves dans le nord de la Russie et le Kaganat russe
B/ La deuxième vague d’occupation
III/ Méthodologie
A/ Sources et matériaux de recherche
B/ Approches théoriques et structure du manuscrit
Partie I : Navigation et voies de communication dans la Rus’ ancienne
Chapitre I : Voies maritimes et fluviales de la Rus’ ancienne
I/ Le réseau hydrographique en question : géographie, distances et contraintes physiques
A/ Mouvements scandinaves et premières connexions
B/ La route Baltique-Volga
C/ La voie Baltique-Byzance ou la « Voie des Varègues aux Grecs »
II/ Rapides, portages et nœuds de communications
A/ Le témoignage du DAI sur les voies fluviales de la Rus’
B/ Les portages et le développement de nœuds de communication : le cas du Nord-Est
Chapitre II : Navigation fluviale et modalités de transport d’après l’historiographie russe.
I/ La navigation russe au confluent de plusieurs héritages : le cas des terminologies nautiques
II/ Étymologies et classifications des navires
A/ L’emprunt au vocabulaire byzantin
B/ Les embarcations slaves et finnoises
Chapitre III : L’héritage maritime scandinave
I/ L’apport du vocabulaire scandinave : problématiques et tentatives d’identifications
A/ Skyd’/skedija et chnieka : deux navires de guerres d’origine scandinave
B/ Les parties de navire et l’emprunt au scandinave
II/ Héritage scandinave et diffusion de pratiques issues de la culture scandinave : le cas de la levée navale
A/ Principes du leiðangr
B / La levée navale dans le DAI, réinterprétation du chapitre IX
C/ Les attaques des Russes contre Constantinople
D/ Un autre cas de diffusion possible du leiðangr : la Normandie
Chapitre IV : Voyages expérimentaux et reconstitutions d’itinéraires
I/ L’archéologie expérimentale, objectifs et méthodologie
A/ Méthodologie
B/ La reconstruction de navires
II/ Les différents voyages
A / La « Voie des Varègues aux Grecs »
B/ La voie Baltique-Volga et le voyage en Serkland
C/ Résultats et limites des voyages d’essais
Partie II : Le traitement de l’espace russe dans l’historiographie scandinave
Chapitre V : Cartographie et géographie mentale de la Rus’
I/ Les désinences relatives à l’espace russe
A/ L’Austrvegr et la voie vers l’Est
B/ Le Garðaríki
C/ La « Grande Suède » ou la « Froide Suède »
II/ Cartographie des toponymes russes
A/ Les hydronymes
B/ Les villes
C/ Sýrnes et Gaðar : identification et nouveaux éclairages
Chapitre VI : Voyager en Russie d’après les sources scandinaves
I/ La Géographie russe d’après les sagnamen
A/ L’emprunt à la culture chrétienne et aux sources classiques
B/ L’insertion de la Rus’ dans la géographie mythologique scandinave
II/ La Russie « terre de mythes » et les fornaldarsögur : voyages, rencontres et définition de l’altérité
A/ Créatures et populations de la Russie : Interactions, oppositions et évolution du héros
B/ Marges, distances et conception de l’altérité
Partie III : Voyageurs dans la Rus’ ancienne à la lumière des sources scandinaves
Chapitre VII : Les raisons du voyage vers la Rus’
I/ Les raisons d’un départ forcé
A/ Le contexte scandinave
B/ L’exil : la Rus’ terre de refuge
C/ Unions matrimoniales et raisons amoureuses
II/ Un interlude dans la vie du scandinave : évoluer en Russie pour mieux revenir
A/ De l’enfance à l’âge adulte : fosterage et éducation
B/ Acquisition de richesses et renommée
C/ Migrations pendulaires et séjours temporaires
III/ L’évangélisation de la Russie
A/ Le christianisme en Russie aux IXe-Xe siècles
B/ Les missions évangélisatrices
C/ Miracles et développement du culte de Saint Óláfr
D/ La christianisation de la Russie dans les fornaldarsögur
IV/ Le mercenariat
A/ Le séjour à la cour des Princes russes
B/ Fin de service et voyage retour : richesse, conversion et apport culturel
V/ Marchands et marchandises à Garðaríki
VI/ Voyageurs en Russie dans l’historiographie scandinave : tableaux récapitulatifs et analyse des données
A/Constitution des tableaux
B/ Analyse des données
Conclusion

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