NATIONALISME, GUERRE ET « RECOLONISATION »

La cosmologie, les mythes et les croyances igbos passent de génération en génération par l’art de raconter. L’oralité tient une grande place en tant que véhicule pour transmettre tout ce qui fait la culture igbo. L’art de raconter, de pouvoir intéresser et en même temps de pouvoir transmettre un savoir ou donner une leçon est très vivace et très apprécié dans la culture igbo. Comme l’écrit Igboanusi :

« La littérature orale igbo couvre tous les aspects de performance orale- contes, chants, proverbes, virelangue, théâtre et festivals. Elle reflète le mode de vie, la culture et les croyances igbos. La littérature igbo contemporaine est une extension de cette littérature orale nourrie de la langue et de la culture igbo. Les écrivains igbos contemporains poursuivent cette tradition et, si les circonstances ont fait qu’ils s’expriment en anglais, ils reconnaissent leur dette envers un héritage littéraire oral unique » (2001).

Ainsi, de l’oralité à l’écriture, le conte rentre aisément dans le roman. Flora Nwapa insère des veillées de contes dans Idu (1970) ainsi que dans Efuru (1988). Achebe dans Things Fall Apart offre un conte de la tortue qui explique pourquoi la tortue a la carapace craquelée et non pas lisse (pp.91-94). Adichie a baigné dans la culture orale igbo et elle avoue aimer « écouter sa grand-mère dire d’incroyables histoires de tortues, d’éléphants et d’autres créatures » (Fallon, 2005). À la suite d’Achebe, elle offre dans Purple Hibiscus le même conte qui explique pourquoi la tortue a une carapace craquelée (pp.157-161). Cette répétition du même conte souligne le désir d’Adichie de renforcer ses liens avec l’art oratoire, notamment le conte. Un conte peut être dit et redit plusieurs fois avec de petits détails qui peuvent changer, pourvu que la leçon que le conteur veut faire passer ou la morale du conte ne soient pas modifiées. Dans Half of a Yellow Sun, le conte, lieu d’échange et de réflexion au sein du monde rural, est offert par Adichie sous un autre format. On retrouve les caractéristiques de la performance orale de l’art oratoire igbo adaptées au cadre de la ville, aux questions contemporaines et à l’actualité du jour dans les veillées chez Odenigbo. Il y a des visiteurs tous les soirs et surtout les week-ends. On y discute de sujets divers et variés tels que le Panafricanisme, le colonialisme, le tribalisme ou encore les rapports de race. On y lit aussi de la poésie. L’assistance est composée de personnes de différentes origines comme un Indien, une dame Yorouba et d’autres Igbos tels qu’Odenigbo lui-même qui assure la direction des échanges dans ce cadre convivial.

Ainsi donc, c’est avec beaucoup d’aisance qu’Adichie glisse de l’oralité à l’écriture, comme ses prédécesseurs. Néanmoins, le parcours personnel, les expériences vécues de chaque écrivain le façonnent et le définissent.

Présentation de C. N. Adichie et les sources de son œuvre 

Présentation de C.N. Adichie

C.N Adichie est née le 15 septembre 1977, à Enugu au Nigeria. Elle est l’avant-dernière d’une famille de six enfants. Elle a grandi dans la ville universitaire de Nsukka, sur le campus où ses parents travaillaient, son père comme professeur de statistiques et sa mère comme secrétaire générale du bureau des inscriptions. Enugu et Nsukka sont des villes localisées dans Enugu State en pays igbo. Son père est originaire d’Abba et sa mère d’Umunnachi, deux villes situées dans Anambra State, toujours en pays igbo. Ainsi, Adichie est bien ancrée dans la culture igbo. Les villes d’Enugu, Abba, Umunnachi et surtout Nsukka reviennent souvent dans ses ouvrages. Le père d’Adichie, James Adichie, compte beaucoup pour elle. Ce qui est intéressant, c’est le parcours académique de cet universitaire qui remonte au grand père de l’auteure, ce grandpère paternel qui meurt dans un camp de réfugiés. Dans les années 1930, ayant compris l’importance de l’école des Blancs, il vend tout ce qu’il possède pour payer les frais de scolarité de son fils James. Ensuite, tous les matins, il l’emmenait à l’école à Nimo. Plus tard, au niveau secondaire, les études de James sont interrompues faute d’argent pour payer les frais de scolarité. Il commence à travailler et passe les examens en tant que candidat libre. À l’obtention de son diplôme, il suit des études de mathématiques à l’université d’Ibadan. Il obtiendra ensuite une bourse qui lui permettra de faire un doctorat en statistiques à l’université de Berkeley. Il devient ainsi le premier professeur nigérian de statistiques. La détermination et la ténacité du grand-père ont porté leurs fruits. Malgré les difficultés financières qui le sortent du système, James Adichie travaille, poursuit ses études en tant que candidat libre et réussit. Ainsi, les études et la réussite académique occupent une place prépondérante dans la famille.

De la même façon, l’instruction était primordiale pour le grand-père maternel d’Adichie. Contrairement aux usages des années 1940, ce dernier inscrit sa fille à l’école et prône déjà l’égalité des sexes. Adichie se rappelle : « A story my mother told often about him was of the letter he had sent her when she was away in boarding school, written in English, that began with the words « my dear son ». She thought he had mistakenly mixed up « daughter » for « son », English not being his forte, and when she told him the correct word was « daughter », he replied, « I know the difference. I just want you to know that I believe you can do anything a son can do ». » (Adichie, 2014).

Ce grand-père très progressiste qui croyait en l’égalité des sexes meurt lui aussi dans un camp de réfugiés. Adichie revient souvent sur l’impact de leurs disparitions dans la vie de sa famille dans les essais, articles et ouvrages qu’elle écrit. Un autre membre de la famille qui est important du fait de son impact sur l’écriture d’Adichie est son oncle Michaël, le frère de son père. Ce dernier a arrêté ses études au niveau secondaire et est resté au village. Avec lui, l’auteure avait des discussions sur les pratiques et les usages igbos qui l’intriguaient. Uncle Mai était toujours prêt à l’écouter, à lui raconter des histoires et à apporter des réponses à toutes ses questions. Il l’aidait ainsi à comprendre des pratiques culturelles qui, parfois, n’avaient pas de sens pour elle telles que les femmes qui ne peuvent pas officier à la bénédiction de la noix de cola (Adichie, 2012).

À côté de l’influence directe de la famille dans les écrits d’Adichie, la ville de Nsukka reste fondamentale dans la production littéraire de l’auteure. Le campus universitaire de Nsukka est un lieu très important. Son père étant enseignant à l’université, la famille logeait dans un quartier dédié au corps enseignant sur le campus. L’auteure y passe son enfance et son adolescence. Des expériences de cette époque ressortent aisément dans ses ouvrages. Le plus étonnant est que l’auteure ait grandi dans la maison où Chinua Achebe a vécu avec sa famille. Adichie et sa famille y ont emménagé quand elle avait cinq ans. Chinua Achebe reste un auteur très influent dans la pensée littéraire d’Adichie et aussi dans son style d’écriture. Things Fall Apart d’Achebe est un ouvrage culte pour Adichie. Elle se réclame de cet auteur et voit en lui un père littéraire. Le campus de Nsukka a aussi connu un autre auteur très influent pour Adichie, c’est Christopher Okigbo. Il a travaillé sur le campus de Nsukka et a perdu la vie sur le front de Nsukka au début de la guerre du Biafra. Okigbo, son œuvre et sa vie se retrouvent dans Half of a Yellow Sun. L’auteure s’en inspire pour aborder le thème de la déesse des Eaux, Mammy Water, et aussi pour rendre hommage à l’écrivain disparu en recréant un personnage à son image. Au-delà de la vie sur le campus, le reste de la ville, le marché avec la tresseuse Mama Joe sont des éléments de Nsukka que l’on retrouve fréquemment dans les publications d’Adichie .

La lecture et l’écriture ont toujours fait partie de l’univers d’Adichie. Comme elle le dit dans son Ted Talk sur « The single Story », elle a commencé tôt. L’écrivaine, telle qu’elle est connue aujourd’hui, le doit à une famille très soudée. Elle est la cinquième d’une famille de six enfants sur lesquels elle peut compter à tout moment. Par exemple, de sa sœur Uche avec laquelle elle a onze ans de différence, elle dit : « To be her little sister is to feel always that a firm cushion exists at my back » (Adichie, 2016). L’opinion de son père compte beaucoup pour elle. Il lit tout ce qu’elle écrit. Sa réaction à la sortie de Half of a Yellow Sun a été un moment inoubliable pour Adichie. Dans une interview avec Emma Brockes, elle confie ceci : « I knew the novel would be good : I didn’t know it would be this good. » And then he said thank you, « Our story has been recorded. » I remember thinking, OK, it’s over. I don’t care what anybody else thinks. My father was central and he was so generous. I had used so many of his stories. It’s still very painful for him. » (2014).

Sources de son œuvre

Culture igbo : langue, cuisine, chants et arts

Les sources de l’œuvre d’Adichie, en particulier ce qui me concerne par rapport à la guerre du Biafra, sont pluridimensionnelles. La culture et les traditions igbos dans lesquelles l’auteure a grandi peuvent être perçues dans son écriture. En premier lieu, des traits de la culture igbo comme la langue et la cuisine sont en toile de fond de ce qu’elle écrit. Le lecteur est confronté à la langue dès la dédicace : «…This book is dedicated to their memories : Ka fa nodu na ndokwa ». Elle prend néanmoins le soin d’expliquer l’expression utilisée en la répétant en anglais, ce qui permet au lecteur de comprendre ce qui est dit en igbo : « Omalicha’[…] beautiful » (p. 37) ou « Aru amaka gi ! You look well ! » (p. 39). Elle s’arrange pour que le contexte nous explique l’expression igbo utilisée « my aunty ! Kedu ? I am even better now that I see you » (p. 380). Et avant la fin du livre, le lecteur pourrait connaître et retenir quelques expressions igbos telles que « Kedu » pour « comment ça va ? ». L’influence de la langue igbo est bien visible dans l’œuvre d’Adichie. Elle n’hésite pas à utiliser des éléments spécifiques à la langue igbo qu’elle fait passer dans le texte anglais. Ceux ci sont multiples. Des noms igbos avec des significations qui « parlent » au lecteur, des exclamations, des expressions, des proverbes, des contes, des spectacles traditionnels avec l’apparition de masques aident à maintenir l’atmosphère culturelle igbo bien que le texte soit écrit en anglais. Achebe avait initié une écriture qui permettait à l’écrivain d’utiliser sa langue maternelle pour bien faire passer son expérience personnelle sans pour autant rendre le texte écrit en anglais incompréhensible. Pour Christopher Anyokwu, « « the Achebe model » has become standard practice, namely, the deployment of supra-linguistic, para-verbal nuances such as folklore, proverbs, wise sayings, folksongs and other allied forms of language games, stylistic strategies which emboss and semiotize the Africanity or the sense of place in the novel ». (Anyokwu, 2011, p. 81).

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE 1 : C. N. ADICHIE ET SON ŒUVRE
Chapitre 1 : Présentation de C. N. Adichie et les sources de son œuvre
Chapitre 2 : C. N. Adichie : jeune écrivaine engagée
PARTIE 2 : ENTRE MYTHOLOGIE IGBO ET REALITE
Chapitre 1 : Purple Hibiscus ; un bildungsroman au féminin
Chapitre 2 : Half of a Yellow Sun ; un Things Fall Apart au féminin
PARTIE 3 : NATIONALISME, GUERRE ET « RECOLONISATION »
PERSPECTIVE MASCULINE
Chapitre 1 : Fédéralisme, construction nationale et la communauté igbo
Chapitre 2 : Le soleil, symbole de la communauté igbo
Chapitre 3 : Survive The Peace & Divided We Stand de Cyprian Ekwensi
Chapitre 4 : Girls at War, Collected Poems, de Chinua Achebe
PARTIE 4 : NATIONALISME, GUERRE ET « RECOLONISATION » 
PERSPECTIVE FEMININE
Chapitre 1 : Mammy Water, déesse protectrice
Chapitre 2 : Traumatisme de guerre – écritures (Nwapa, Emecheta)
Chapitre 3 : Adichie : Réécriture/concepts de guerre postcoloniale ; The Book : The World Was Silent When We Died
PARTIE 5 : APRES LA GUERRE
Chapitre 1 : Mémoire et réconciliation – la question de la mémoire officielle
Chapitre 2 : Fédération retrouvée – pillage et mauvaise gouvernance
PARTIE 6 : AMORCE D’UN NOUVEAU COURANT LITTERAIRE FEMININ SUR LA GUERRE DU BIAFRA – ADIMORA-EZEIGBO DANS LES PAS D’ADICHIE : ROSES AND BULLETS
Chapitre 1 : Mammy Water : Construction de la déesse selon les normes patriarcales
Chapitre 2 : Ginika, fille de Mammy Water
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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