Naissance d’une commune mixte à la frontiere algéro-tunisienne

NAISSANCE D’UNE COMMUNE MIXTE A LA FRONTIERE ALGERO-TUNISIENNE

A la fin des années 1840, la conquête de l’Algérie du Nord est achevée. Le régime militaire domine et les officiers administrent les régions et les hommes dans le cadre des Bureaux arabes. Le territoire de commandement est partout, mais le poids des colons s’affirme et avec lui la volonté de promouvoir le peuplement européen plutôt qu’une administration soucieuse des Algériens. La création de la commune mixte est à la croisée de ces intérêts, de ces perceptions divergentes de l’espace conquis et de sa population, entre la fin du Second Empire et le début de la IIIème République. Cette institution originale est une nouvelle forme de commune parmi toutes celles qui voient le jour dans un contexte d’expérimentation. Sa nature doit répondre aux exigences du terrain, mais elle renvoie surtout aux repères culturels de ses penseurs. La référence au modèle communal est omniprésente et elle s’accommode de connaissances sur l’Algérie précoloniale. La commune mixte de La Calle s’inscrit dans un espace qu’officiers, colons et administration convoitent. Ils désignent les sites d’une colonisation prometteuse, rêvent leurs usages, cartographient des villages hypothétiques bien avant que la circonscription n’existe. Son développement ultérieur, par étapes, se pose sur alors sur un territoire plusieurs fois remanié par les autorités françaises.

LA COMMUNE MIXTE, UNE INSTITUTION

Militaires puis civils ont projeté de coloniser les confins de l’Est algérien selon différents scenarii. Parmi les structures existantes, la commune mixte qui va finalement se développer, est une forme possible de territoire, une déclinaison, dont la création s’inscrit dans le contexte de l’expérimentation coloniale, indissociable de la remise en cause de l’administration militaire et la marche vers l’agrandissement du territoire civil. Elle constitue un territoire inédit à plus d’un titre.

L’obsession communale 

Que le régime politique en place soit impérial ou républicain, l’organisation administrative en territoire militaire puis civil se rapporte à une référence unique : la commune. Au XXIème siècle, la commune peut se définir, comme le propose le juriste Luciano Vandelli selon trois paramètres essentiels qu’il hiérarchise. Elle est d’abord une institution locale autonome, « en mesure d’adopter ses propres règles et d’accomplir ses propres choix ». Elle est ensuite une portion de territoire, une cellule de base, une circonscription administrative ; elle est enfin une institution représentative de la population. Nous retrouvons ces éléments de définition dans l’organisation communale de l’Algérie coloniale de la fin du milieu du XIXème siècle. Néanmoins, ils s’appliquent à des entités diverses. Commune indigène, subdivisionnaire, commune mixte et commune de plein exercice : toutes ces variantes de la commune y renvoient, rappelant qu’au XIXème siècle, la commune est considérée comme le cadre administratif le plus abouti, hérité de la commune rurale médiévale. Autrefois née des chartes de franchises qui libéraient les habitants du joug seigneurial, elle est alors perçue comme l’espace de l’émancipation, de l’autonomie d’un groupe partageant un intérêt commun. Ainsi, c’est à partir de ces repères historiques que le maréchal Mac-Mahon, désigné gouverneur général de l’Algérie par l’Empereur Napoléon III, justifie l’organisation communale de la colonie en 1868 : « si on veut se reporter à notre histoire, on voit que le gouvernement général de l’Algérie s’inspire de ce qui s’est fait à l’époque où Louis le Gros organisait en France les communes et réunissait, en un même faisceau, les intérêts des paysans afin de les mettre en présence de ceux des Seigneurs . » A cette date, la question communale est présente de part et d’autre de la Méditerranée. Le gouverneur général Mac Mahon, et ministre de la guerre Niel, travaillent à l’élaboration d’une organisation pour l’Algérie et inventent la commune mixte tandis la loi municipale connaît en France métropolitaine de nouvelles modifications. Celle du 28 juillet 1867 élargit les attributions des conseils municipaux et rend aux maires leurs pouvoirs de police . Ainsi, les difficultés relatives à l’organisation administrative de l’Algérie semblent en effet faire écho aux débats relatifs à l’incertitude des futures institutions de la France. La question de l’autonomie communale face à la prééminence de l’État a donné lieu à de nombreux épisodes législatifs dominés par les enjeux du statut des communes, du mode de désignation des maires, ou encore de son autonomie budgétaire. Ils aboutissent à la promulgation de la loi municipale du 5 avril 1884 qui crée un régime juridique uniforme pour toutes les communes de France . Cette loi est partiellement étendue au territoire algérien, et plus particulièrement aux communes de plein exercice, par l’article 164 qui propose des dispositions relatives à l’Algérie et aux colonies .

Décideurs politiques, juristes ou publicistes pensent l’organisation du territoire conquis selon ce prisme occidental, fait d’héritages médiévaux et de cadres législatifs récents. Faisant peu de cas de l’organisation du territoire avant la présence française, ils tentent néanmoins d’identifier dans ce qu’ils connaissent de l’Algérie précoloniale les marques de structures comparables : une organisation communale existait-elle alors ? La tribu et le douar sont les deux entités évoquées par les juristes ou encore les Saintsimoniens. Elles désignent des formes de regroupement qui organisent la société, que nous définironsultérieurement.

Dès 1843, la référence à la tribu est au cœur des écrits du saint-simonien B.-P. Enfantin, affirmant que « le beau nom de commune convient infiniment mieux à une tribu arabe qu’à un village français .» Moins élogieux que ne le sera Mac Mahon sur le sens commun qui précède la commune en France, il considère que les communes françaises, qu’il nomme aussi villages, « sont des égoïsmes rapprochés mais non associés . » Il perçoit la superposition de la commune sur une tribu telle une continuité parce que ce qu’il appelle « sentiment communal » préside à l’organisation de la vie des tribus . Selon lui, l’administration française ne doit pas réglementer la vie des populations algériennes dans une logique de rupture, mais plutôt prendre appui sur l’existant, car « la France n’a pas tout à enseigner en Algérie, elle a quelque chose à apprendre des Arabes . » Ces idées exprimées en 1843 par Prosper Enfantin à la suite d’une mission officielle en Algérie renvoient à la perception saint-simonienne de la Méditerranée que l’on retrouve en 1860 dans les écrits d’Ismail Urbain, puis dans la politique du Royaume arabe de Napoléon III. La commune n’est alors pas considérée comme un vecteur d’assimilation, mais plutôt comme une structure hybride entre les apports algériens et français. Cette approche qui remet en cause l’idée d’une colonisation européenne s’évanouit avec la chute de l’Empire.

En 1923, le juriste Emile Larcher consacre un chapitre de son Traité élémentaire de législation algérienne à la question communale. Près de 80 ans séparent ces écrits de l’ouvrage de Prosper Enfantin sur la colonisation de l’Algérie, mais le juriste revient sur « la société musulmane telle [qu’elle était] lors de la conquête » et propose une comparaison entre la commune française et des éléments de l’organisation sociale en Algérie. Il affirme qu’ « en pays arabe, l’unité était la tribu ou mieux le douar dont on méconnaîtrait singulièrement la natureà la vouloir comparer à nos communes françaises .» Larcher n’envisage pas dans ce cas le douar commune, création du sénatus-consulte de 1863, mais plutôt le douar originel, unité du peuplement. Le douar, avant d’être une unité administrative, est en effet une agglomération vivante faite de tentes et de gourbis. Pour le juriste, dans ce sens premier, le douar n’est pas comparable à la commune. Il la définit selon trois paramètres : elle est une circonscription territoriale, c’est-à-dire un maillage déterminé par une superficie et une limite ; elle est également une personne administrative, dotée d’un budget propre, et d’un organe de gestion. Mais ces trois paramètres ne sont pas les plus importants : « la commune est essentiellement une personne civile ou morale, reconnue par la loi, mais non créée par elle. Ses deux qualités de circonscription et d’unité administrative ont été postérieures à la formation de l’association communale (…) En général l’étendue d’une commune, les limites de sa circonscription résultent des conditions géographiques, de la situation locale ou de traditions anciennes. C’est non la volonté du législateur, mais la nature des choses qui crée la commune. » Emile Larcher l’affirme : « dans la société musulmane telle que nous l’avons trouvée lors de la conquête, on ne rencontre pas cette unité territoriale et ce groupement d’individus (…) on ne peut voir quelque chose d’analogue que dans le thaddart kabyle. » Selon Larcher, il n’y a pas de commune au sens métropolitain du terme dans l’Algérie précoloniale et la plus petite entité territoriale correspond au douar. Il constitue la fraction « parfois nomade », l’unité de base mais n’est pas comparable à la commune française qui territorialise des individus unis par un intérêt commun dans une entité identifiée et délimitée. Du coup, les communes mises en place dans la colonie, qu’elles soient mixtes ou de plein exercice, ne sont pas constituées à partir du regroupement des hommes, mais d’après la volonté du législateur. Le juriste définit ce processus comme inverse de celui qui s’est passé en France : « ce n’est que par le développement de la colonisation et de la civilisation européenne que lescirconscriptions artificielles dénommées communes par autorité prennent une unité, acquièrent une vie propre et deviennent véritablement des communes». L’artificialité caractérise ainsi la commune érigée en situation coloniale. La structure administrative est envisagée tel un cadre vide dans lequel les populations prennent place. L’espace administratif précède l’espace social. Ceci est pourtant à nuancer dans le cadre de la commune mixte. Sa structure prend forme sur un lieu déjà remanié par l’administration française qui a d’abord régi le territoire selon un régime militaire avant la mise en place et la diffusion du régime civil. Les bureaux arabes en ont été les rouages de 1844 à 1870 et ont géré et encadré les populations algériennes. Elle se superpose également sur un maillage qui organise la vie des populations locales en tribus et qui précède la présence française. Larcher préfère évoquer le douar à la tribu pour envisager l’organisation sociale précoloniale.

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Table des matières

Introduction
Du terrain au territoire
D’un sujet circonscrit à un objet de recherche : un cheminement
Au rythme du territoire
Chapitre I – naissance d’une commune mixte à la frontiere algéro-tunisienne
1.La commune mixte, une institution
L’obsession communale
Du contrôle en territoire militaire à l’outil de colonisation
La commune mixte en contexte militaire
La commune mixte en territoire civil
La commune mixte, une commune ?
2.Aux origines de la commune mixte de La Calle, les projets de colonisation de l’Est algérien
Une revendication d’élus en quête de terres
Les usages rêvés des officiers
3.La commune mixte de La Calle : du substrat militaire aux douars communes
Le cercle de La Calle
La commune mixte de Zerizer
La territorialisation des tribus
Vers la création des centres
Chapitre II -Les centres de colonisation
1.Créer les centres, matérialiser la colonisation
Un territoire singulier
La création du centre du Tarf
Les centres de la commune mixte de La Calle
2.Le centre de colonisation, territoire de l’Européen
« Algériens » et immigrants, de nouvelles catégories
Les premières limites d’une territorialisation autoritaire
Chapitre III – administrer la commune mixte : le défi de l’unité
1.Administrer un territoire de colonisation : une stratégie
L’administration coloniale, un objet de la recherche
Une stratégie différenciée
2.L’administrateur, un fonctionnaire nommé dans un territoire inédit
Des pouvoirs exceptionnels
Le recrutement
Les premiers administrateurs de La Calle
Le garant d’un territoire ségrégé
Une mobilité relative
3.Autour de l’administrateur, des auxiliaires européens : administrateurs adjoints et adjoints spéciaux
Les administrateurs adjoints, hommes de terrain de la commune mixte
Les adjoints spéciaux, des agents élus dans les centres
4.L’administration des douars : les adjoints indigènes
Le recrutement
Menaces sur les adjoints indigènes
L’affectation dans les douars, entre mérite et sanction
La question foncière
L’administrateur dans les douars, une pratique exceptionnelle
5.La commission municipale, espace privilégié du contact ?
« Un curieux mélange d’Européens élus et d’indigènes nommés»
La commission municipale dans la pratique
Conclusion

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