Mutilation et altérité dans le théâtre d’Arthur Adamov

« Ce qu’il y a ? Je sais d’abord qu’il y a moi. Mais qui est moi ? Mais qu’est-ce que moi ? Tout ce que je sais de moi, c’est que je souffre. Et si je souffre, c’est qu’à l’origine de moi-même il y a mutilation, séparation. » .

Telles sont les premières lignes de L’Aveu, première œuvre autobiographique d’Arthur Adamov. C’est ainsi qu’il commence par se définir, mais contrairement à ce que l’on pourrait attendre, cette définition ne se caractérise pas par une affirmation, mais par un questionnement, une incertitude, une absence de définition, un manque. A l’origine de luimême, écrit-il, il y a mutilation. Issu du latin mutilare, qui signifie «mutiler, retrancher, couper, estropier, diminuer, amoindrir », le terme « mutilation » désigne la « perte accidentelle ou ablation d’un membre, d’une partie du corps ». Ainsi la mutilation engendrerait-elle l’absence, le manque, la privation. A l’origine de lui-même, il y aurait privation. Mais privation de quoi ? Précisément d’une partie de lui-même. Notons en effet que dans cette première présentation, les termes « mutilation » et « séparation » sont mis sur le même plan. La séparation équivaudrait elle à la mutilation ? Séparer, c’est désunir les parties d’un tout, priver un tout d’une de ses parties, et par conséquent mutiler ce tout. A l’origine de lui-même, il y aurait donc un manque, manque d’une unité, mutilation de l’unité.

Sa vie, nous la connaissons grâce à L’Homme et l’enfant , autobiographie publiée en 1968. Il convient néanmoins de la rappeler brièvement avant d’aborder son œuvre. Il naît en 1908 à Kislovotsk, dans le Causase, et passe les premières années de sa vie à Bakou. En 1914, il émigre avec sa famille en Allemange. C’est alors que la guerre éclate. La famille passe les huit années suivantes à Genève. Victime de xénophobie, il garde de cette ville une image chargée de haine. De ces années émane aussi son « premier grand souvenir de théâtre » : une représentation de Macbeth par les Pitoëff. De 1922 à 1924, les Adamov vivent à Wiesbaden, en Allemagne à nouveau. Inscrit au lycée français de Mayence, le futur dramaturge rencontre « Victor A. », ami qui occupera une grande place dans sa vie et dont la figure se retrouvera à travers l’œuvre de l’écrivain. C’est en 1924 que la famille s’installe à Paris, où Victor convainc son ami de « faire du théâtre ». Il écrit alors sa première pièce, Mains blanches. Mais la reconnaissance en tant que dramaturge n’arrivera que bien plus tard. Il lui faut attendre 1950 pour être « joué enfin » : le 11 novembre, sa pièce La grande et la petite manœuvre, mise en scène par Jean-Marie Serreau, est représentée pour la première fois au Théâtre des Noctambules, et le 14, c’est au tour de la mise en scène de L’Invasion par Jean Vilar de voir le jour au Studio des ChampsElysées. Entre temps, il aura été proche des surréalistes – il fut expulsé de leur groupe par Breton après avoir déclaré son admiration pour Tzara – , d’Artaud ; il aura connu Irène, premier véritable amour, avec laquelle se sont exacerbés ses penchants masochistes ; il aura subi la Seconde Guerre Mondiale, interné en 1941 au camp de concentration d’Argelès ; il aura rencontré « Jacquie T. », surnommée «Le Bison», qui deviendra son épouse, Jacqueline Adamov. Mais il aura surtout, en 1945, publié L’Aveu, où il exprime ses tourments, ses névroses, sa séparation, sa mutiation, son mal. Ce mal finira par avoir raison de lui : le 15 mars 1970, il se donne la mort. Il laisse derrière lui une pièce inachevée sur Ferdinand de Lesseps, son journal et une œuvre autobiographique et théâtrale, reflet de cette désunion qu’il ressentait en lui-même.

Adamov serait l’homme de la désunion. Celle-ci transparaît dans son œuvre, particulièrement à travers son théâtre. Les critiques ont en effet coutume de distinguer trois périodes au sein de son écriture dramatique. La première, allant de La Parodie, écrite en 1948, aux Retrouvailles, datant de 1954, correspond à un théâtre que certains qualifient de « métaphysique », proche de l’absurde, associé à celui de Beckett et de Ionesco, rapprochement qu’Adamov lui-même évoque dans L’Homme et l’enfant, le désignant par le terme « troïka ». La seconde partie se pressent déjà en 1954, avec l’écriture du PingPong, qui constitue un tournant dans l’œuvre dramatique de l’écrivain. Elle s’affirme en 1956, avec Paolo Paoli, et dure jusqu’à Off-Limits, en 1968. Il s’agit de la période de l’engagement politique, période d’un théâtre influencé par Brecht. Enfin, en 1968, avec M. le Modéré, commence une dernière période qui s’achève avec sa mort, le 15 mars 1970, témoignant d’une volonté de concilier ses deux modes d’écriture antérieurs. « Mes visées, déclare-t-il en septembre 1969 dans un entretien avec Armand Delcamps, ce serait, dans l’idéal, d’arriver dans une pièce à une assimilation étrange, insolite pour nous, du monde onirique et du monde social, politique enfin» Arthur Adamov aurait-il enfin, dans la troisième partie de son œuvre, trouvé cette unité qu’il n’aurait eu de cesse de rechercher ?

L’unité existe pourtant entre Adamov l’homme et Adamov l’écrivain. Il semble en effet qu’il soit difficile de dissocier son œuvre théâtrale de son œuvre autobiographique, et peut-être, plus largement, de dissocier sa vie de son œuvre tant il puise en lui-même pour créer. En ce sens, Néjib Abdelmoula choisit d’intituler sa thèse de doctorat consacrée à l’écrivain La dramaturgie subjective d’Arthur Adamov. De même, cinq des communications du colloque organisé en 2008 à l’Université de Provence par MarieClaude Hubert et Michel Bernard, Onirisme et engagement chez Arthur Adamov, traitent des liens entre théâtre et autobiographie. Ainsi, si l’œuvre correspond à sa vie et que sa vie est marquée par la séparation, alors cette séparation se doit de transparaître dans son œuvre. C’est précisément ce qui se produit, et ce dès l’origine. Dans L’Homme et l’enfant, Adamov parle en ces termes de sa toute première pièce, Mains blanches : « Une fille, montée sur une chaise, prend la main d’un garçon également monté sur une chaise, la lâche, la reprend. Le théâtre de la séparation déjà. » .

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Table des matières

PARTIE I – L’AUTRE, FIGURE MUTILATRICE
A – PERSÉCUTION ET MUTILATION : CADRE DE L’ACTION DRAMATIQUE
1°- Les titres : la domination et le conflit
2°- La persécution d’une société en crise
3°- La mise en scène de la mutilation corporelle
B – UN PERPÉTUEL RAPPORT DE BOURREAU À VICTIME
1°- « Ils », la domination totalitaire
2°- La mutilation familiale
3°- L’amour ou l’espoir avorté
C – DU JE MUTILÉ AU JE MUTILANT
1°- La mutilation de l’esprit
2°- L’automutilation
PARTIE 2 – L’ALTÉRATION PAR LA MUTILATION, LA MUTILATION PAR L’ALTÉRATION
A – LA MUTILATION, CARACTÉRISTIQUE DE L’AUTRE ?
1°- Le corps mutilé comme corps étranger
2°- La mutilation comme moyen de devenir autre
3°- L’autre, miroir de soi-même : la mutilation, miroir de soi même
B – L’ALIÉNATION DES PERSONNAGES
1°- La séparation
2°- Des personnages étrangers à eux-mêmes
3°- La dépossession
C – MUTILATION DU DISCOURS ET INCOMMUNICABILITÉ
1°- « Personne n’entend personne »
2°- Une automutilation du discours
PARTIE 3 – LA MUTILATION OU LE CHEMINEMENT VERS UNE CRÉATION AUTRE
A – MONDE MUTILÉ, LANGAGE MUTILÉ
1°- L’inadéquation du langage au monde
2°- L’innommable
3°- La vanité du langage
B – TROUVER UN AUTRE LANGAGE… POUR UN AUTRE THÉÂTRE
1°- L’écriture, remède à la séparation ?
2°- Le choix du théâtre, art de la communication
3°- Communiquer autrement
C – MUTILATION ET CRÉATION
1°- Mutiler pour mieux dévoiler
2°- L’unité dans la séparation

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