Mutations du système de santé et logique de parcours

Depuis une quinzaine d’années, la notion de parcours est devenue l’un des leitmotivs des réformes menées dans le champ de la santé (Tabuteau, 2013). Du parcours de soins coordonnés instauré en 2004 jusqu’aux expérimentations d’organisations innovantes autorisées par l’article 51 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) 2018, s’est imposée progressivement l’idée d’un nécessaire dépassement de la logique à l’acte, jusqu’ici dominante, au profit de prises en charge plus coordonnées. Les acteurs de terrain sont désormais incités à penser et à gérer solidairement les processus de prise en charge des patients, afin de les rendre plus cohérents et continus, en évitant des ruptures, en particulier aux interfaces entre les intervenants (Bloch et al., 2011) .

Le développement des maladies chroniques 

L’essor des maladies chroniques dans les pays développés est un fait communément décrit dans la littérature institutionnelle et académique. Selon la Caisse Nationale d’Assurance Maladie , 20 millions de personnes en sont aujourd’hui atteintes en France, soit 35% de la population couverte par le régime général de l’assurance maladie. Elles constituent la première cause de décès en France (60% des décès selon le plan maladies chroniques 2007-2011) et dans le monde (63% des décès selon l’Organisation Mondiale de la Santé). L’augmentation de la prévalence de ces maladies résulte du vieillissement de la population, à l’origine du développement de maladies dégénératives (cancers, maladies neurologiques…), ainsi que de facteurs environnementaux, liés au mode de vie (sédentarité, alimentation) et à une exposition à des facteurs externes comme la pollution (Grimaldi et Pierru, 2020). Les progrès de la médecine ont de leur côté contribué à l’allongement de la durée de vie des malades chroniques et à un recul des maladies infectieuses, grâce notamment à la vaccination et aux traitements antibiotiques. Ainsi, de nombreuses maladies autrefois aiguës et rapidement mortelles sont devenues chroniques (Vernay et al., 2015, Brunn et Chevreul, 2013). Ce phénomène, connu sous les termes de « transition épidémiologique » (Omran, 1971), est présenté comme l’un des défis majeurs auxquels les systèmes de santé sont confrontés. Ainsi, selon le ministère de la santé et des solidarités en France, « les maladies chroniques représentent à l’évidence un nouveau paradigme pour notre système de santé et appellent des dispositifs ou des innovations qui permettent une prise en charge globale des personnes concernées, et autant que possible, personnalisée ».

Ces nouvelles modalités de prise en charge ont vocation à traiter les conséquences non seulement sanitaires, mais aussi fonctionnelles, sociales et psychologiques, de la maladie chronique pour le patient et la société, dont rend compte la définition proposée par le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP). Pour le HCSP, une maladie ou plus généralement un « état chronique » se caractérise par : « 1. la présence d’un état pathologique de nature physique, psychologique ou cognitive appelé à durer ; 2. une ancienneté minimale de trois mois ou supposée telle ; 3. un retentissement sur la vie quotidienne comportant au moins l’un des trois éléments suivants : une limitation fonctionnelle des activités ou de la participation sociale, une dépendance fonctionnelle vis-à-vis d’un médicament, d’un régime, d’une technologie médicale, d’un appareillage ou d’une assistance personnelle, la nécessité de soins médicaux ou paramédicaux, d’une aide psychologique, d’une adaptation, d’une surveillance ou d’une prévention particulière pouvant s’inscrire dans un parcours de soins médico-social » (HCSP, 2009, p. 17). Cette définition prend en compte l’ensemble des impacts de la maladie et oriente la prise en charge sur un accompagnement au long cours et multi-dimensionnel, adapté aux besoins spécifiques du patient.

Ceux-ci sont en effet pluriels et mêlent des dimensions cliniques et non cliniques, ces dernières étant souvent plus difficiles à saisir par le système de santé. Dans une enquête menée auprès de patients atteints de cancer, Waelli et al. (2021) soulignent l’importance et la diversité de leurs attentes sur des besoins autres que les soins. Celles-ci portent sur l’impact des traitements sur la vie quotidienne (besoin d’aides pour les tâches ménagères, de soutien logistique pour les proches, etc.), sur des traitements ne relevant pas de la médecine conventionnelle (acupuncture par exemple) , sur les aspects organisationnels de la prise en charge (adaptation des rendez-vous aux contraintes du patient, désignation d’un référent que le patient pourrait contacter, besoin d’une meilleure coordination entre les intervenants), des besoins en termes d’assistance logistique et administrative (aide financière, juridique, etc.) et enfin des demandes relatives à l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (usage de la messagerie internet pour communiquer avec le médecin, développement de la télé-médecine, etc.). L’éventail des besoins est non seulement large, mais il est également évolutif, ce qui nécessite de réitérer régulièrement l’évaluation pour actualiser l’accompagnement. Les synergies entre les différentes problématiques découlant de la maladie et la singularité de leur expression selon les personnes, nécessitent par ailleurs que soient mieux pris en compte leur vécu et leur capacité à prendre en charge leur santé, grâce à la connaissance intime et l’expérience qu’elles détiennent sur leur maladie, dans une logique d’ « empowerment » (Pélicand et al., 2019). L’usage de la notion de parcours, en particulier sous les vocables de « parcours de santé » et de « parcours de vie » particulièrement promus depuis le début des années 2010, en complément de l’approche plus restrictive du parcours de soins, vient appuyer cet objectif d’une approche globale, personnalisée et favorisant l’implication du patient (Bloch et Hénaut, 2014) (cf. section 2).

Or, ces caractéristiques heurtent l’organisation du système de santé, fondée historiquement sur le soin curatif, lui-même organisé autour des spécialités médicales et dominé par une approche de la maladie par organe. Les dimensions préventive et éducative, et les aspects autres que le soin, en particulier la gestion des conséquences sociales de la maladie, ont constitué jusqu’à une date récente le parent pauvre de cette organisation. En outre, si l’accent mis sur les traitements médicaux a permis des progrès diagnostiques et thérapeutiques dont la lutte contre les maladies chroniques a tiré profit, il a aussi contribué à segmenter les prises en charge, devenues une juxtaposition de prestations médicales ou de séquences de soins. Les modalités de facturation des établissements (la Tarification A l’Activité) et de rémunération des professionnels de ville (majoritairement à l’acte) encouragent également à la multiplication des actes, sans coordination globale (Or et al., 2013). Enfin, les différents plans de santé publique – plan cancer, plan Alzheimer, etc. -, adoptés au fil du temps, privilégient une approche monopathologique, qui est dans l’ensemble « inadaptée à la réalité des maladies chroniques caractérisée par les interactions entre les traitements et entre les différents organes affectés, par des synergies multiples et complexes entre les facteurs de risques ou d’aggravation de la maladie et, de plus en plus souvent, par la pluri-pathologie. Elle est aussi en contradiction avec les parcours tels qu’ils sont vécus par les patientes et patients : longs, marqués par une fluctuation de leur état, une incidence forte entre leur situation psychologique, sociale et leur pathologie et, dans le même temps, une réelle expertise des malades, acquise au fil du temps » (Conseil Economique, Social et Environnemental, 2019, p. 25). Dans le prolongement de ce constat, Le CESE appelle à repenser les modalités de la prise en charge des malades chroniques dans une perspective globale, prenant en compte simultanément les aspects préventifs, éducatifs et curatifs du soin, et l’accompagnement social des patients.

Le vieillissement de la population 

Le vieillissement de la population constitue le second défi auquel les systèmes de santé occidentaux sont confrontés. S’agissant de la situation française, le rapport Grand âge et autonomie (2019) rappelle que la part des personnes âgées de 75 ans et plus dans la population totale, qui est passée de 6.6% en 1990 à 9.1% en 2015, va continuer à croître pour atteindre 12.2% en 2030 et 16.4% en 2050, en raison de la hausse de l’espérance de vie et de l’arrivée à un âge avancé des premières générations nées durant le baby-boom. Se fondant sur les estimations de la DREES, le rapport anticipe une hausse associée du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie , dont l’incidence doublerait, passant de 20 000 personnes supplémentaires par an entre 2020 et 2030 à 40 000 par an entre 2030 et 2040. Le nombre de bénéficiaires de l’APA augmenterait ainsi de 1 265 000 personnes en 2015 à 1 582 000 en 2030, puis 2 235 000 en 2050. Face à ces projections, le rapport préconise une « réforme d’ampleur », conjuguant un renouvellement du regard sur le grand âge, un effort financier et une restructuration de l’offre, « le modèle actuel semblant à bout de souffle » (p. 14).

Les constats posés dans le rapport sur les dysfonctionnements actuels dans l’accompagnement des personnes âgées rejoignent ceux posés pour les malades chroniques, la plupart des personnes âgées souffrant d’ailleurs de pathologies chroniques, souvent intriquées. Face à la complexité de prises en charge nécessitant la prise en compte de problématiques indissociablement sanitaires et sociales, mêlant une dégradation de l’état de santé et des limitations sociales et fonctionnelles, le rapport déplore des réponses en silos, sans véritable intersectorialité sanitaire, sociale et médico-sociale, et une coordination imparfaite des professionnels. Ce diagnostic n’est pas nouveau. Dans son rapport annuel 2010, le HCCAM soulignait déjà que « notre système de soins, performant dans le traitement en quelque sorte « vertical » de pathologies isolées, est très vite désemparé lorsqu’il s’agit de prendre en charge des sujets polypathologiques et fragiles, qui appellent un travail d’une très grande transversalité. Car les besoins de soins du grand âge n’ont pas pour principale caractéristique d’être coûteux ou mobilisateurs de moyens lourds, mais plutôt d’être très complexes :

➤ Complexes parce qu’ils supposent des arbitrages souvent difficiles et incertains dans les stratégies thérapeutiques, qui exigent à la fois de bien connaître chaque maladie dans le contexte du grand âge, mais aussi – et c’est le sens d’une approche gériatrique – le retentissement global des différents soins et leurs interactions possibles sur un organisme fragilisé et vulnérable ;
➤ Complexes parce qu’ils ajoutent au soin technique et médical le savoir-faire propre du soin infirmier et des gestes d’accompagnement et d’entretien qui visent à protéger, maintenir ou restituer des capacités d’autonomie ;
➤ Complexes enfin, parce que les éléments d’accompagnement social, les conditions concrètes de vie lors du retour à domicile, la disponibilité et l’information de l’entourage familial et sa capacité à se mobiliser lors des modifications de prise en charge se révèlent aussi déterminants que la qualité des soins elle-même (HCAAM, 2010, p.75).

La complexité intrinsèque de la prise en charge des patients âgés est majorée du fait de son déroulement majoritairement au domicile. Cette caractéristique est le fruit du mouvement de désinstitutionalisation des personnes âgées en perte d’autonomie mis en œuvre à partir des années 1970, visant à organiser à leur domicile un accompagnement autrefois assuré dans des institutions asilaires (Couturier et Salles, 2014) : seules 10.7% des personnes âgées de 75 ans et plus vivaient en établissement en 2015, ce pourcentage restant relativement stable dans le temps, malgré le vieillissement de la population, en raison d’une baisse des taux d’institutionnalisation à âge donné . Or, contrairement à un EHPAD, le domicile est un lieu ouvert, faiblement protocolisé et « protocolisable » (Couturier et Salles, 2014), qui nécessite des efforts d’adaptation et de coordination de professionnels divers venant de structures différentes et mus par des logiques d’intervention spécifiques. Bien souvent, cette coordination fait défaut ou est insuffisante, en raison de l’absence de référent bien identifié et d’un suivi centralisé des interventions (rapport Grand âge et autonomie, 2019).

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Table des matières

Introduction générale
Architecture de la thèse
Chapitre 1 : Champ d’investigation de la thèse
Introduction
Section 1 : Le contexte d’émergence de la logique de parcours : nouvelles complexités de prise en charge et mutations du système de santé français
Le développement des maladies chroniques
Le vieillissement de la population
Les transformations organisationnelles du système de santé
Section 2 : Vers un changement de paradigme : de la logique à l’acte à la logique de parcours
Emergence et développement de la notion de logique de parcours
La logique de parcours comme support d’une nouvelle conception des prises en charge
Section 3 : Questions autour d’une évolution plébiscitée
Des difficultés récurrentes de mise en œuvre
Une logique dont le périmètre et les implications restent à définir
Synthèse du chapitre 1
Chapitre 2 : Les approches parcours au prisme des enjeux organisationnels des prises en charge
Introduction
Section 1 : La gestion du parcours de santé comme un processus productif, entre standardisation et personnalisation
L’activité de production des parcours de santé
Les enseignements d’une gestion différenciée des prises en charge : la typologie de Lamothe
(1996) sur les parcours intra-hospitaliers
Section 2 : L’évaluation des besoins dans une logique de parcours de santé : des travaux
complémentaires, mais sans cadre intégrateur
La littérature en santé publique : l’évaluation des besoins entre impensé et approche générique De la pratique de l’évaluation à sa théorisation : retour sur la critique des outils d’évaluation
existants et l’élaboration d’un modèle conceptuel
Section 3 : La coordination dans les approches parcours : une pluralité d’analyses théoriques Du parcours programmable au parcours non programmable : des modalités de coordination plurielles
Objets et acteurs-frontière et objets intermédiaires au service de la logique de parcours
La coordination par l’intégration des ressources
La coordination dédiée en santé : caractérisation et interrogations
Synthèse du chapitre 2
Chapitre 3 : La logique de parcours comme nouvel objet de gouvernement : vers un nouveau régime de gouvernementalité ?
Introduction
Section 1 : L’action publique : apports et limites de l’analyse en termes de paradigmes et proposition d’une approche par la gouvernementalité
Les paradigmes de l’action publique (Administration Publique, New Public Management et paradigmes post-NPM) : présentation et contribution à l’analyse des politiques publiques
Proposition d’une analyse de l’action publique sanitaire en termes de gouvernementalité (Foucault, 2004)
Section 2 : Analyse des travaux d’application de la gouvernementalité dans le champ hospitalier et positionnement de la thèse
Les formes de gouvernementalité dans le champ hospitalier
A la recherche d’une cohérence globale : le « changement de paradigme » (Bloch et Hénaut, 2014) conduit-il à la constitution d’un nouveau régime de gouvernementalité de la santé ?
Section 3 : L’opérationnalisation des politiques publiques sanitaires : une analyse au prisme des dispositifs (instruments et acteurs) qui soutiennent leur déploiement
Les cadres théoriques sur les instruments de politiques publiques et perspective adoptée dans le cadre de la thèse
L’émergence de nouvelles professionnalités ? Le cas des coordonnateurs d’innovations
Section 4 : Questions de recherche
Synthèse du chapitre 3
Chapitre 4 : Méthodologie
Introduction
Section 1 : Design général de la recherche
Le cadre général : une recherche-intervention articulée autour de l’accompagnement et de l’évaluation de plusieurs projets
Une démarche exploratoire fondée sur plusieurs études de cas
Section 2 : Présentation des terrains et des dispositifs étudiés
Les terrains
Les politiques et leurs instruments
Section 3 : Présentation détaillée des méthodes utilisées et articulation avec les objectifs de la recherche
Caractérisation des différentes approches parcours : enjeux, contenu et effets (QR n°1)
L’analyse des évolutions de la doctrine et des pratiques des pouvoirs publics dans le champ de la santé (QR n°2)
Synthèse du chapitre 4
Conclusion

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