Morphologie verbale d’un corpus écrit de l’ouest du canton de Neuchâtel

Morphologie verbale d’un corpus écrit de l’ouest du canton de Neuchâtel

Une histoire sociolinguistique du canton de Neuchâtel

Introduction

Le patois neuchâtelois, nous dit-on souvent, a disparu il y a plus d’un siècle, devenant ainsi l’un des premiers patois francoprovençaux suisses à s’éteindre (Gauchat 1908). De nos jours, en Suisse, des dialectes francoprovençaux sont encore parlés en Valais, bien que dans la majeure partie des localités, les locuteurs sont rares et âgés . Dans les cantons de Vaud et Fribourg, quelques groupes de patoisants existent toujours . Bien entendu, et ce dans toute la Suisse romande, cette langue a cessé d’être utilisée quotidiennement depuis longtemps. De ce fait, certains Romands pensent que le français régional qu’ils parlent est du patois, et ignorent sa vitalité et son existence passées .
Un grand nombre de questions se posent lors de la disparition d’une langue. Comment une situation linguistique stable depuis plusieurs siècles peut-elle se trouver déséquilibrée à un tel point qu’une des deux langues utilisées est effacée du quotidien, voire, à terme, de la mémoire collective ? Les locuteurs patoisants possèdent-ils une image trop négative de leur langue pour désirer conserver son usage ? Peut-on aussi considérer les entreprises de sauvegarde comme un lieu d’interaction entre les pratiques et les locuteurs patoisants ?
Dans cette partie, nous nous plongerons donc dans l’étude de la situation sociolinguistique du canton de Neuchâtel au XIXe siècle. Avant de développer notre réflexion, nous expliquerons notre méthodologie ainsi que quelques éléments d’épistémologie. Nous aborderons, dans le premier chapitre, les siècles qui précèdent, dans le but de comprendre la situation sociolinguistique, que nous analyserons en second point. Ensuite, nous discuterons le concept de diglossie, qui nous permettra de saisir les rouages de l’équilibre pluriséculaire – puis du déséquilibre rapide – entre le français et le patois. Dans un second chapitre, nous mettrons en évidence les diverses représentations sociales de la langue, car elles sont à la fois conséquences et causes de la situation sociolinguistique, selon les processus interactionnels que nous décrirons. Pour finir, nous tenterons de saisir les pratiques du patois. Celles-ci, orales avant la fin du XIXe siècle, se déplacent à l’écrit dès la seconde moitié du XIXe siècle.

Le francoprovençal en Suisse romande

Mais avant de nous concentrer sur Neuchâtel, décrivons brièvement l’usage du patois en Suisse romande. Tout d’abord, pour ce qui est des cantons de Vaud et Fribourg, il semblerait que les élites urbaines comprenaient le patois, et le pratiquaient même de temps à autre (Merle 1991 : 61)10. Le patois est plutôt laissé aux « ruraux » (Ibid. : 62), bien qu’en ville, le Journal de Lausanne a fait de la place pour publier des textes en patois (Ibid. : 69). Mais aux environs de 1800, « l’oralité à Lausanne, devient française » (Ibid. : 90) ; en effet, selon Merle (Ibid. : 90) le fait que Vaud devienne canton, « fait triompher le français », à travers la mise en place de l’instruction obligatoire. La date du « triomphe » du français serait aussi, selon Gauchat (1908), de env. 1800 pour Neuchâtel. Pour Fribourg, les Tableaux Phonétiques indiquent que « [d]ans les campagnes qui ne subissent pas l’influence de grandes localités et où la population est restée homogène le patois est encore la langue courante des personnes d’âge mûr et parfois même des jeunes gens » (165).
Dans le canton de Genève, le français gagne l’oralité après 1750 (Merle 1991 : 23 ; Gauchat 1970). L’usage écrit du patois sera, quant à lui, intimement lié à des questions identitaires (Merle 1991 : 23-24), notamment par la célèbre chanson de l’escalade C’é què laino, mais aussi politiques, à travers des pamphlets (Merle 1991 : 40-43/Petit 2016). Selon Merle (1991 : 59), l’écriture dialectale disparaîtra lors de l’annexion de Genève à la France (1798). Selon les TP, le patois s’est mieux maintenu dans les régions rurales, “surtout dans les terres catholiques annexées au canton par les traités de 1815 et 1816” (164).
Selon Gauchat (1908), l’ordre dans lequel le français pénètre la société romande serait donc le suivant. Concernant les contextes d’usage (diaphasique), il sera d’abord une langue juridique et administrative dès le Moyen Age, puis la langue du culte et des écoles lors de la Réforme. D’un point de vue diatopique, le français triomphera d’abord dans les grandes villes, puis dans les petites villes, et enfin à la campagne. Cette évolution d’un pôle rural à un pôle urbain peut aussi être perçue de façon diastratique : les élites urbaines seront les premiers à parler uniquement le français (dès le XVIe siècle, voire même avant [Cf. Skupien Dekens 2013]), et les derniers à abandonner le patois seront les individus issus de milieux agricoles.
On peut donc considérer le XIXe siècle comme un tournant pour la vitalité du patois, qui cède ses usages au français. Chaque canton dispose néanmoins de ses problématiques spécifiques, et les réactions des acteurs sont ainsi différentes selon les lieux. Toutefois, il est certain que certaines similitudes avec d’autres cantons sont observables.

Méthodologie

Nous présentons ci-dessous la méthode à laquelle nous nous sommes référée pour le développement de notre première partie, dans laquelle nous analyserons le canton de Neuchâtel grâce à une perspective de sociolinguistique historique (SLH). Pour ce faire, nous mettrons tout d’abord en évidence un état de la recherche sur le sujet de la situation sociolinguistique à Neuchâtel au XIXe siècle et avant, dans le but de mieux circonscrire nos bases de travail et les questions laissées en suspens par les chercheurs. Ensuite, nous expliquerons les méthodes mises en œuvre pour notre propre analyse. Pour finir, nous introduirons notre corpus. Cette présentation sera accompagnée d’une critique historique des textes.

État de la recherche

Les questions du contact historique entre le patois et le français à Neuchâtel, ainsi que des représentations liées à ce contact, ont été au centre d’un nombre restreint de travaux de recherche, que nous présenterons ici. Ce canton est parfois uniquement mentionné comme exemple sur la problématique de la disparition précoce du patois. Les études de SLH qui portent sur les régions romandes sont rares et se concentrent essentiellement sur l’ensemble du domaine francoprovençal, mentionnant parfois synthétiquement la situation en Suisse romande13. Certaines études développent toutefois une approche méso (un ou deux cantons), à travers d’études spécifiques de Fribourg, Valais, Genève et Vaud, du Jura14. Neuchâtel n’est que très peu traité, malgré l’intérêt et les questions que soulève l’extinction précoce du patois. Néanmoins, deux articles dignes d’intérêt peuvent être signalés.
Le premier, de Carine Skupiens Dekens, s’intéresse à « La situation linguistique en Suisse romande au moment de la Réforme : l’exemple de Neuchâtel », et le second est écrit par Andres Kristol : « Regards sur le paysage linguistique neuchâtelois (1734- 1849). Le témoignage sociolinguistique des signalements policiers ».
Skupiens Dekens met en évidence la situation diglossique au XVIe siècle, et pour cela elle choisit d’approfondir un facteur externe du renforcement du français à Neuchâtel : la Réforme. Elle défend, dans cet article, une importance peu considérable de cet évènement sur l’acquisition du français dans le canton de Neuchâtel chez les lettrés, qui semblaient déjà le manier ou le comprendre suffisamment. L’influence de la Réforme serait plus forte pour la majorité de la population, suite à la scolarisation, mais le français était déjà connu avant l’arrivée des réformateurs. Bien entendu, le patois est toujours parlé, à cette époque, dans la vie quotidienne. Cette étude permet donc de poser des jalons quant à l’histoire de la diglossie neuchâteloise.
Quant à Kristol, il utilise des sources plutôt originales pour déterminer les usages et les représentations du patois et du français entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Il analyse en effet des signalements policiers, initialement examinés par Norbert Furrer, dans La Suisse aux 40 langues (2002), mais dont le dépouillement et l’étude pouvaient encore être approfondis pour le canton de Neuchâtel (Kristol 2013 : 279). Ce corpus permet essentiellement une approche micro, à travers l’établissement de profils linguistiques.
Ceux-ci, comme le note l’auteur, sont peu représentatifs d’un point de vue statistique, puisqu’il s’agit de 266 signalements sur un laps de temps de 66 ans et sur environ 50’000 habitants. Par ailleurs, les témoignages apparaissent peu précis quant aux pratiques réelles des locuteurs (Ibid. : 282-83). Cet article permet de baliser quelque peu la situation linguistique ; selon ces sources, Kristol considère que [j]usqu’au premier quart du XIXe siècle […] le pays de Neuchâtel est un pays
parfaitement bilingue (ou diglossique, mais les modalités du partage fonctionnel entre le français et les patois locaux restent à déterminer). (Ibid. : 293) Suite à ce constat d’un nombre restreint de recherches sur la situation sociolinguistique, nous avons voulu compléter les résultats de ces deux études par d’autres types de sources. Nous souhaitons notamment déterminer les « modalités de partage fonctionnel » que mentionne Kristol.

Méthodologie de travail

Un élément central pour réaliser notre travail a été de définir un corpus suffisamment varié et qui documente la manière dont le patois était perçu et la situation linguistique dans le canton de Neuchâtel. Contrairement à la partie morphologique de notre travail (2e partie), nous ne nous focalisons pas uniquement sur quelques localités, mais sur l’ensemble du canton16. En effet, la plupart des sources sont produites par des intellectuels qui habitent Boudry, Neuchâtel, la Béroche et La Chaux-de-Fonds. Comme il s’agit d’une analyse sociolinguistique d’un temps passé, nous appliquerons à la fois les méthodes de l’histoire et celles de la sociolinguistique. Cette double approche donne lieu à la sociolinguistique historique, que nous allons définir plus précisément avant de présenter notre corpus.
Le champ d’études de la SLH est encore assez récent, du moins pour ce qui est du domaine gallo-roman. Il est théorisé en français principalement dans l’ouvrage collectif Sociolinguistique historique du domaine gallo-roman. Enjeux et méthodologies d’Aquino/Cotelli/Kristol (2009). Notons cependant que cette discipline existe depuis déjà un certain temps pour d’autres domaines linguistiques. Cotelli (2009 : 4) note notamment un changement dans les approches entre les années 1980 et 1990. Lors de sa genèse, cette discipline avait essentiellement pour but d’analyser le changement linguistique dans son contexte social (Ibid. : 5). Cette tendance n’est pas la seule ; on relève aussi une SLH « plus proche d’une sociologie du langage ou d’une ethnographie linguistique » (Ibid. : 10), notamment à travers des questions de contacts de langues et de politiques linguistiques (Ibid. : 13)17. Pour notre première partie, notre démarche se veut plutôt de cette deuxième approche, puisque nous chercherons à définir les relations et interactions entre les langues et les membres de la société.
Concernant les méthodes de cette discipline, que nous allons appliquer, elles consistent « principalement [en une] adaptation des méthodes sociolinguistiques à des matériaux dits historiques » (Rubio 2016 : 1). Dans cette approche, sont notamment pris en compte « [le] rapport aux langues, ou [les] représentations des langues » (Ibid. : 5). La grande différence, par conséquent, avec la sociolinguistique, est le type de corpus : enregistré vs écrit (Kristol 2009 : 26), ainsi que la manière de l’aborder. Il s’agit donc, d’un point de vue théorique, d’ouvrir ce champ, essentiellement focalisé sur des sources orales, à des sources écrites (Ibid. : 26).
En plus de diverger par sa forme, le corpus en SLH est aussi différent en raison de son accessibilité. En effet, les sociolinguistes qui travaillent sur des situations actuelles créent eux-mêmes leur corpus, par des questionnaires précis appliqués à un nombre représentatif de témoins. Pour notre cas, c’est-à-dire dans l’étude d’une situation passée, les sources disponibles « [d]ans la mesure où elles existent, […] existent en nombre limité. L’information disponible est toujours lacunaire » (Ibid. : 27). De la sorte, les informations données par le corpus ne se calquent pas entièrement sur celles dont nous avons besoin pour appliquer complètement les concepts sociolinguistiques. Certaines interprétations peuvent donc être faussées, comme pour toute réflexion de nature historique.
Pour reconstituer la situation sociolinguistique à Neuchâtel, nous avons utilisé des concepts actuels du domaine de ce champ d’études, essentiellement les représentations linguistiques, les pratiques langagières, la diglossie, le bilinguisme ainsi que le codeswitching. Nous avons appliqué ces derniers sur des données parcellaires et datant du XIXe siècle. Nous avons développé, dans l’ensemble une approche diachronique du XIXe siècle, durant lequel se produisent des tournants au niveau de la pratique du patois.
Puisqu’un grand nombre de nos sources est daté de la fin du XIXe siècle, une approche synchronique vient compléter cette approche diachronique.
Par la suite, puisqu’il s’agit d’une recherche portant sur un objet historique, il est crucial d’interpréter les différents types de sources selon leur nature, leur auteur et leur contexte de production. C’est ce que nous aborderons dans le sous-chapitre « Description et critique des sources ».
Après avoir choisi, transcrit et critiqué le corpus, un des points importants était, d’un côté, de définir comment les témoins percevaient les langues – le patois tout comme le français – au XIXe siècle. D’un autre côté, il était important de déterminer la situation sociolinguistique, notamment de préciser s’il s’agit d’une diglossie, et le cas échéant, jusqu’à quand. Nous nous évertuerons donc, d’une part, à comprendre les enjeux épistémologiques de la diglossie19, puis à considérer notre corpus à travers cet outillage conceptuel. Bien que nous traiterons les représentations dans un second temps, celles-ci sont en interaction avec le contexte sociolinguistique (diglossique).
Néanmoins, comme nous le verrons à travers la description de notre corpus, cette question des représentations sera peu aisée, car nous n’avons pas accès aux représentations des citoyens de classes populaires. En effet, nos sources proviennent presque essentiellement des élites intellectuelles, notamment des membres de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Neuchâtel (SHAN).
En effet, les signes permettant de déterminer l’évolution du statut social du patois sont multiples. Nous pouvons observer des signes « implicites », comme l’usage de traductions, les représentations elles-mêmes ou le regard porté par des études pré-

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Table des matières
Remerciements
Introduction générale
Première partie
Une histoire sociolinguistique du canton de Neuchâtel
1. Introduction
2. Le francoprovençal en Suisse romande
3. Méthodologie
3.1 État de la recherche
3.2 Méthodologie de travail
3.3 Définition et critique du corpus de l’analyse sociolinguistique
3.3.1 Sources imprimées
3.3.2. Sources manuscrites
4. La situation sociolinguistique
4.1 Concepts
4.2 Une diglossie stable
4.1 Un corollaire du bilinguisme : le code-switching
4.2 Les facteurs de la disparition du patois
4.3 Neuchâtel dilalique
4.4 Conclusion du chapitre
5. Représentations linguistiques
5.1 Concept
5.2 Le Romantisme
5.3 Les théories linguistiques du XIXe siècle
5.4 Le mythe de Babel
5.5 La pureté de la langue
5.6 Dénominations du patois
5.7 Les caractères du patois
5.8 Des locuteurs stéréotypés
5.9 Conclusion du chapitre
6. Un déplacement des pratiques
6.1 Les pratiques orales
6.2 Les pratiques éditoriales
6.2.1 La position des éditeurs face à leur objet
6.2.2 Mettre le patois par écrit
6.3 Un déplacement des valeurs attribuées au patois
6.3.1 Appréhender l’objet par les valeurs imputées
6.3.2 Valeur historique, authenticité et patrimoine
7. Conclusion
Deuxième partie
Morphologie verbale d’un corpus écrit de l’ouest du canton de Neuchâtel
1. Introduction
2. Méthodologie
2.1 Le corpus
2.1.1. Sélection du corpus
2.1.2 Avantages et inconvénients du corpus écrit
2.2 Méthode d’analyse
2.2.1 Le classement des données
2.2.2 L’établissement des profils et la sélection des phénomènes
2.3 Bibliographie critique
2.4 Terminologie de la morphologie verbale
3. Profils linguistiques des auteurs
3.1 Fritz Chabloz
3.2 Auguste Porret
3.3 Charles-Frédéric Porret
3.4 Textes mixtes de la Béroche
3.5 Mme Ribaux-Comtesse
3.6 Émile Zwahlen
3.7 Louis Favre
3.8 Texte anonyme de Boudry
3.9 Texte anonyme du Vignoble
3.10 Louis-Frédéric Favre
3.11 Texte anonyme de Neuchâtel (Mlle Détrey)
3.12 Texte anonyme de Neuchâtel
3.13 Synthèse des profils
4. La variation diatopique dans la morphologie verbale
5. Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
Ouvrages de références
Sources primaires
Editées
Manuscrits
Sources secondaires
Webographie

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