LES MODES DE VIE, NOTION ET ENJEU ENERGETIQUE

MODES DE VIE : DE QUOI PARLE-T-ON ?

Modes de vie, styles de vie, genres de vie, habitudes, habitus, comportements, pratiques sociales, conduites, … ces notions constituent un corpus de termes se référant à l’être, à l’agir des êtres humains . La notion de « mode(s) de vie » que nous avons choisi d’étudier se situe au beau milieu de ce champ sémantique, dans un enchevêtrement de relations avec les autres termes. Notion familière, car utilisée dans le langage courant, elle a la particularité pour qui s’y intéresse de plus près d’être délimitée par des contours mouvants. Les nuances dans l’acception de la notion la rendent même difficile à définir selon Emelianoff et al.(2013) . Le sociologue Pierre Kende – qui en a fait un objet d’étude de la société dans les années 70 – indiquait à ce sujet « qu’il a d’ailleurs été reconnu qu’il serait « illusoire d’espérer qu’on puisse définir le mode de vie d’une façon unitaire, objective et arrêtée une fois pour toutes » (Kende, 1973) » (Kende, 1976). Mais cette propriété de plasticité – en adéquation avec le fait que la notion vise à détourer un objet aussi riche et multiforme que la vie des êtres humains – ne constitue pas une raison de se priver de son usage, bien au contraire. Le tout est alors de s’accorder sur les frontières de l’objet étudié, ce qui constitue l’ambition de cette section. Nous y présentons donc la notion de mode de vie telle que nous la concevrons dans nos recherches.

Le sociologue Gérard Mauger propose, « pour fixer provisoirement les idées, [de] définir un mode de vie comme un ensemble de pratiques et/ou de représentations propres à un groupe social » (Mauger, n.d.). Par pratique sociale (parfois réduit à pratique), on entend en sociologie un « comportement habituel d’un individu ou d’un groupe » . Le terme de pratique se rapporte plus généralement « à toute activité humaine et s’oppose à la théorie, alors considérée comme abstraite » (Weil, n.d.). Les pratiques désignent ainsi la manifestation visible de l’agir humain. Les représentations sociales sont au contraire plutôt invisibles, étant définies comme un ensemble de connaissances et de croyances par lesquels l’esprit humain appréhende son environnement, oriente et justifie ses comportements. « On reconnait généralement que les représentations sociales, en tant que systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et communications sociales. De même interviennent-elles dans les processus aussi variés que la diffusion et l’assimilation des connaissances, le développement individuel et collectif, la définition des identités personnelles et sociales, l’expression des groupes, et les transformations sociales ». (Jodelet, 2003).

Cette notion de système d’interprétation est à la base de deux caractéristiques essentielles de la notion de modes de vie : sa dimension structurelle d’une part et le fait que son emploi suggère une idée de cohérence d’autre part. L’idée de cohérence est évoquée par exemple par Yannick Lemel dans cet extrait : « Les pratiques quotidiennes, la vie de tous les jours – utiliser un robot ménager, faire les courses – comme les événements exceptionnels – que faire lorsqu’on vous expulse de votre logement ? – ne se déroulent pas de manière quelconque et au hasard, et le sociologue des modes de vie doit décrire et expliquer comment et pourquoi les activités d’un individu ou d’une famille constituent un ensemble structuré. » (Lemel, 1994). Cette cohérence des pratiques est ainsi en partie expliquée par l’existence d’un système d’interprétation. Quant à la dimension structurelle, elle est évoquée par le sociologue Hartmut Lüdtke quand il définit les modes de vie comme « habitudes régulières de comportement, qui reflètent des situations structurelles en même temps qu’un comportement habituel et des affinités sociales » (Lüdtke, 1996). Cette dimension structurelle est utile dans notre contexte de recherche car elle nous permet de nous focaliser sur des comportements qui ont une certaine récurrence,  certaine persistance tels que les activités qui génèrent une mobilité régulière ou qui sont signifiantes pour la vie menée. La notion de cohérence nous permet quant à elle de percevoir ces comportements dans un cadre commun.

Ces deux premiers points permettent de situer la notion de modes de vie par rapport à la notion de comportement, également employée régulièrement dans le champ de la transition énergétique ou du changement climatique, en particulier dans le cadre d’injonctions aux « changements de comportements », à « agir sur les comportements ». Cette dernière notion est par exemple utilisée pour distinguer les facteurs humains (comportementaux) des facteurs non humains (facteurs techniques, technologiques) en vue d’expliquer la consommation d’énergie des ménages. Si elle a une signification relativement précise dans le champ de la psychologie, le terme a été repris dans le langage courant dans un sens plus général (« manière d’être ou d’agir d’une personne »). Ainsi la notion de comportement peut englober l’ensemble de l’agir humain (actes isolés et ensembles d’actions, actes anodins ou décisifs, habitudes et actes à caractère exceptionnel). Elle se distingue donc de celle de mode de vie qui désigne une partie de ces comportements : ceux qui revêtent un caractère habituel et structurant et qui s’inscrivent dans un cadre de cohérence. En outre, la notion de comportement caractérise uniquement les faits et geste observables et n’englobe donc pas les représentations, c’est-à-dire le système d’interprétation qui régit les comportements observés, au contraire de la notion de modes de vie.

Nous avons jusqu’à présent évoqué les modes de vie comme un ensemble de pratiques et représentations communes à un groupe social. En fait, la notion de mode de vie peut tout aussi bien caractériser les pratiques et représentation d’un groupe social (p. ex. mode de vie estudiantin) que celles d’un individu ou d’une population toute entière (p. ex. mode de vie occidental). Choisir de se focaliser sur l’individu ou sur un groupe d’individus pose alors une question de niveau d’observation, de distance focale. Mais cela fait également écho à la problématique de la part relative des choix individuels et des déterminants collectifs dans la conduite des individus. Cette problématique nous incite à aborder deux autres notions qui rendent également compte d’un ensemble de pratiques et de représentations propres à un individu ou à un groupe d’individus : les notions de style de vie et de genre de vie. La notion de genre de vie fait ainsi la part belle aux déterminants collectifs tandis que la notion de style de vie focalise davantage sur la part des choix individuels. Quant-à-elle, la notion de mode de vie possède une grande souplesse d’interprétation car elle couvre l’ensemble du spectre et peut donc inclure ces deux notions. Ajoutons que pour distinguer modes de vie et styles de vie, les notions de valeur et de distinction prennent plus de sens dans le style de vie (Valette-Florence, 1994). La notion de style de vie sera ainsi plus adaptée à l’activité d’analyse, en particulier en sociologie (p. ex. « quel est la part de choix individuels dans un ensemble de déterminants collectifs ? »). La notion de mode de vie, plus courante, plus « neutre » (d’un point de vue disciplinaire) et ayant une acception plus large sera particulièrement adaptée dans le cadre de nos recherches qui ne visent pas à éclairer cette frontière entre déterminants individuels et collectifs. Néanmoins, la frontière est mouvante entre les termes de style et de mode de vie en fonction des disciplines les invoquant, des périodes… d’autant que le terme lifestyle en anglais peut couvrir les deux (alors que way of life correspond davantage au mode et genre de vie).

Une notion multidimensionnelle

En tant qu’objet ou cadre d’analyse, la notion de mode de vie est systématiquement considérée comme une notion multidimensionnelle, dans le sens où elle aborde différentes dimensions de la vie des individus ou des ménages. Pour rendre compte de cette spécificité et introduire ces différentes dimensions, nous nous appuyons ici sur les découpages adoptés dans sept publications accordant une place importante aux modes de vie.

Les trois premières sont des publications des années 1970 ou 1980, une époque à laquelle l’intérêt pour les analyses des modes de vie grandissait avec l’accès à des séries de données diversifiées et uniformisées, rendant possibles les comparaisons internationales ou intertemporelles. La première publication dresse un état des travaux français relatifs à la prospective des modes de vie et de la consommation (Kende, 1976). La seconde propose une analyse comparative des modes de vie des pays d’Europe de l’Ouest (Scardigli, 1987). L’auteur s’interroge d’une part sur les homogénéités et hétérogénéités des modes de vie entre pays européens, mais aussi sur leur homogénéisation entre les années 1960 et les années 1980. La troisième publication se penche sur la différenciation des modes de vie dans trois pays du bloc soviétique (Hongrie, Pologne et Tchécoslovaquie), région du monde où les analyses des modes de vie ont constitué un thème privilégié de la réflexion idéologique et de la recherche sociologique (Vavàkovà, 1984).

Les deux publications suivantes sont plus récentes et sont issues de travaux préparatoires à des exercices de prospective. La première est une rétrospective des modes de vie en France entre les années 1960 et les années 2000 (Mor, 2010a) réalisée dans le cadre du projet Prospective des modes de vie à l’horizon 2050 et empreinte carbone (PROMOV), projet sur lequel nous reviendrons (en particulier dans le chapitre 2). La seconde publication est le résultat d’un travail d’identification des variables relatives aux modes de vie et aux valeurs (Theys et Vidalenc, 2013) dans le cadre de la prospective du programme Repenser les villes dans la société post-carbone .

Enfin, deux publications complémentaires ont été utilisées bien qu’elles soient moins centrées sur les modes de vie. La première propose une approche économique et sociologique de la consommation et des modes de vie en France sur un demi-siècle (Herpin et Verger, 2008). Les modes de vie y sont considérés comme une grille interprétative, permettant d’élargir la focale de l’analyse de la consommation. La seconde est une Radioscopie de la France en mutation, 1950-2030 (Jouvenel et al., 2003) et propose une analyse rétrospective et prospective des mutations de la société française, se penchant en particulier sur les dimensions relatives aux modes de vie.

L’analyse de ces sept publications nous a permis d’élaborer une liste des dimensions considérées lorsqu’on aborde les modes de vie. Du fait du caractère souple de la notion de modes de vie, cette liste n’a pas l’ambition d’être exhaustive, universelle ou définitive mais nous aidera à affiner les contours de la notion. Nous avons cherché dans la mesure du possible à employer des termes « actifs », relatifs plus ou moins directement à des choix, conscients ou non.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I. LES MODES DE VIE, NOTION ET ENJEU ENERGETIQUE
1.1 MODES DE VIE : DE QUOI PARLE-T-ON ?
1.1.1 UNE NOTION MULTIDIMENSIONNELLE
1.1.2 LES MODES DE VIE COMME GRILLE DE LECTURE DES TRANSFORMATIONS SOCIALES
1.1.3 MUTATIONS PASSEES DES MODES DE VIE
1.1.4 CONCLUSION
1.2 DES MODES DE VIE A L’ENERGIE
1.2.1 LES MODES DE VIE COMME FACTEUR EXPLICATIF DE LA CONSOMMATION D’ENERGIE
1.2.2 LES MODES DE VIE COMME DETERMINANT STRUCTUREL DES USAGES DE L’ENERGIE
1.2.3 DES DIMENSIONS DES MODES DE VIE AUX USAGES DE L’ENERGIE
1.2.4 PLACE DES MODES DE VIE DANS LA CHAINE DE TRANSFORMATION DE L’ENERGIE
1.2.5 CONCLUSION
1.3 CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE II. ÉNERGIE ET FUTURS MODES DE VIE : ETAT DE L’ART ET POSITIONNEMENT DE NOTRE CONTRIBUTION
2.1 LES MODES DE VIE DANS LA PROSPECTIVE ENERGETIQUE : ETAT DE L’ART
2.1.1 INTRODUCTION A LA PROSPECTIVE ENERGETIQUE
2.1.2 LES MODES DE VIE DANS LA PROSPECTIVE ENERGETIQUE : ANALYSE D’EXERCICES FRANÇAIS
2.1.3 ENSEIGNEMENTS D’EXERCICES DE PROSPECTIVE PIONNIERS POUR LEUR PRISE EN COMPTE D’EVOLUTIONS DES MODES DE VIE
2.1.4 CONCLUSION ET ENSEIGNEMENTS POUR NOS RECHERCHES
2.2 MODELISATION ENERGETIQUE ET REPRESENTATION DES COMPORTEMENTS
2.2.1 PARADIGMES ASSOCIES A L’HYPOTHESE DE RATIONALITE
2.2.2 AUTRES PRINCIPES DE REPRESENTATION DES COMPORTEMENTS
2.2.3 CONCLUSION
2.3 POSITIONNEMENT DE NOTRE RECHERCHE
2.3.1 EXPLORER LA DIVERSITE DES FUTURS POSSIBLES
2.3.2 ALLIER APPROCHE QUALITATIVE ET MODELISATION PROSPECTIVE
2.3.3 REPRESENTER LES MODES DE VIE POUR QUANTIFIER LES USAGES DE L’ENERGIE
2.4 CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE III. PROPOSITION D’UNE APPROCHE QUANTITATIVE DES MODES DE VIE POUR LA PROSPECTIVE ENERGETIQUE
3.1 MODE DE REPRESENTATION DE LA POPULATION ET DE SES MODES DE VIE
3.1.1 EXPLOITATION D’UNE COMBINAISON DE BASES DE DONNEES STATISTIQUES NATIONALES
3.1.2 LA MATRICE POPULATION COMME MODALITE DE REPRESENTATION D’UNE POPULATION ET DE SES PRATIQUES
3.2 PROCESSUS DE SIMULATION
3.2.1 ENRICHISSEMENT DE LA MATRICE POPULATION
3.2.2 ÉLABORATION DES MATRICES DE CORRELATIONS
3.2.3 SELECTION ET ORDONNANCEMENT DES VARIABLES
3.2.4 CONCLUSION
3.3 MODELISATION DE CHANGEMENTS DE MODES DE VIE
3.3.1 PRINCIPE DE L’INTRODUCTION DE CHANGEMENTS DANS LE PROCESSUS DE SIMULATION
3.3.2 TRANSFORMATION DES MATRICES DE CORRELATIONS
3.3.3 EXEMPLE DE TRANSFORMATION DE MATRICE DE TYPE BACKCASTING : EVOLUTION DES ASPIRATIONS DES MENAGES EN TERMES DE LOCALISATION
3.3.4 EXEMPLE DE TRANSFORMATION DE MATRICES DE TYPE FORECASTING: EVOLUTION DES ASPIRATIONS DES MENAGES EN TERMES DE LOCALISATION
3.3.5 CONCLUSION
3.4 MISE EN ŒUVRE OPERATIONNELLE DU PROCESSUS DE SIMULATION
3.4.1 ÉTAPES DE MISE EN ŒUVRE DU PROCESSUS DE SIMULATION
3.4.2 PROBLEMES LIES A LA MISE EN ŒUVRE OPERATIONNELLE
3.5 CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE IV. EXPLORATION DE SCENARIOS D’EVOLUTION DES MODES DE VIE POUR LA FRANCE A L’HORIZON 2072
4.1 CONTEXTE : L’EXERCICE « DESSINER UNE FRANCE ZERO EMISSION A L’HORIZON 2072 »
4.2 MISE EN ŒUVRE DU PROCESSUS DE SIMULATION DES MODES DE VIE : ESQUISSES DE SCENARIOS, CHOIX DE MODELISATION
4.2.1 PREFIGURATION DES SCENARIOS : TROIS TRAJECTOIRES D’EVOLUTION DES MODES DE VIE
4.2.2 SELECTION DES VARIABLES ET DEFINITION DES SUITES DE VARIABLES DU PROCESSUS DE SIMULATION
4.2.3 TRANSFORMATION DES MATRICES
4.2.4 EXTRACTION ET MISE EN FORME DES RESULTATS
4.2.5 CONCLUSION
4.3 RESULTATS DE SIMULATIONS DES USAGES ENERGETIQUES
4.3.1 USAGES RESIDENTIELS
4.3.2 USAGES INDIRECTS LIES A LA DEMANDE EN BIENS
4.3.3 USAGES LIES A LA MOBILITE
4.3.4 CONCLUSION ET DISCUSSION
4.4 MISE EN PERSPECTIVE DES RESULTATS
4.4.1 DEMANDE EN LOGEMENTS
4.4.2 DEMANDE EN BIENS ET SERVICES
4.4.3 DEMANDE EN MOBILITE
4.4.4 CONCLUSION ET DISCUSSION
4.5 EXPLOITATION DES RESULTATS DANS LA DEMARCHE « DESSINER UNE FRANCE ZERO CARBONE A L’HORIZON 2072 »
4.5.1 UNE APPROCHE MULTI-MODELE
4.5.2 DISCUSSION DES INTERACTIONS ENTRE MODELES
4.5.3 RESULTATS PRELIMINAIRES
4.6 CONCLUSION DU CHAPITRE
CONCLUSION GENERALE

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