Modélisation poromécanique du gonflement d’enrobés bitumineux par reprise d’eau

La matrice bitumineuse

     Le bitume est utilisé dans le procédé industriel d’enrobage des boues de coprécipitation. Il s’agit d’un bitume de distillation directe. Ses caractéristiques dépendent de sa provenance puisqu’elles sont notamment liées au procédé de raffinage. Un bitume est caractérisé par son grade, qui est lié à ses caractéristiques physiques. Il s’agit d’un indice de pénétrabilité, qui est obtenu au moyen de tests normalisés de pénétrabilité d’une aiguille [15]. Les valeurs retenues correspondent à l’intervalle de l’enfoncement d’une l’aiguille, exprimé en 1/10 𝑖è𝑚𝑒de millimètre, au bout de 5 secondes, sous une charge de 100 g et à une température de 25°C. Les grades usuels des bitumes industriels sont 40/50, 70/100, 180/220… [15]. Ces valeurs sont liées à la viscosité du bitume. Plus le grade est élevé, plus le bitume est fluide, et plus sa viscosité est faible. Compte tenu de son comportement visqueux, le comportement élastique du bitume est le plus souvent négligeable devant le comportement visqueux. La rigidité du bitume n’est donc pas le paramètre prépondérant. Le bitume utilisé industriellement pour la fabrication des enrobés bitumineux français est le Viatotal 70/100. Son analyse chimique est donnée dans le Tableau 2.1 [21]. Les bitumes utilisés pour la fabrication des enrobés belges et japonais sont différents. Il s’agit respectivement du Mexphalt R85/40 [22] et du Straight Bitumen 60/80 [5]. Les indices de pénétrabilité de ces bitumes traduisent un comportement moins fluide par rapport au bitume utilisé pour la fabrication des déchets bitumineux français.

Principaux résultats des expérimentations japonaise

     Pour rappel, il s’agit de résultats d’une campagne expérimentale menée par une équipe japonaise en 2003 [5]. Elle porte sur des enrobés bitumineux non radioactifs reproduisant des enrobés industriels produits à la Hague (notés STE3). Au cours de cette campagne expérimentale, l’impact de la proportion de sel soluble et insoluble sur la reprise en eau et le relargage des ions césium ont été étudié (Figure 2.15). Pour cela, cinq types d’échantillons ont été produits, chacun ayant une composition en sels particulière (Figure 2.16). Comme le montre la Figure 2.15 (a), plus l’échantillon contient de sels solubles (des nitrates de sodium), plus la reprise en eau est importante. Les deux échantillons ne contenant pas de nitrate de sodium reprennent peu d’eau. Entre ces deux échantillons, la présence de sulfate de baryum ne modifie pas de manière significative les résultats, alors que la fraction massique de sulfate de baryum atteint 30%. Il est admis que le gonflement du matériau est étroitement lié à la reprise en eau. Cependant, aucune mesure directe du gonflement n’est effectuée dans cette étude. Bien que plus la reprise en eau soit grande, plus le gonflement soit important, il n’est pas évident aux vues des résultats expérimentaux que toute reprise en eau conduise à un gonflement proportionnel. Les résultats présentées Figure 2.15 (b) vont dans ce sens. Le relâchement des ions césium est plus important (0.3% à 100 jours) pour les deux échantillons contenant du nitrate de sodium que pour les échantillons qui n’en contiennent pas (environ 0.15% à 100 jours). L’hypothèse, qui est formulée dans ces travaux pour interpréter les résultats, est la suivante : la présence de nitrate de sodium augmente la prise en eau, celle-ci conduit au gonflement de l’échantillon ce qui facilite la lixiviation des ions césium. La quantité d’ions césium relargués par l’échantillon nommé ‘’Cs’’, contenant 5% de 𝐶𝑠𝑁𝑂3 , et par l’échantillon nommé ‘’Na(0)’’, contenant 5% de 𝐶𝑠𝑁𝑂3 et 30% de 𝐵𝑎𝑆𝑂4 , est quasiment identique. Si la cinétique de relargage des ions est dépendante du gonflement, alors il est possible de conclure que le gonflement de ces deux échantillons est quasiment identique. La quantité d’eau supplémentaire reprise par l’échantillon nommé ‘’Na(0)’’ n’a pas conduit à un gonflement significatif, cf. Figure 2.17. Cela suggère la présence d’une porosité initiale non négligeable lorsque l’enrobé bitumineux contient des sels insolubles.

Conclusion et interprétation des mécanismes de lixiviation en milieu non confiné

   Valcke et al. proposent une représentation schématique (Figure 2.21) qui décrit l’enchainement des mécanismes de la reprise en eau en milieu non confiné. La matrice bitumineuse est représentée en gris, les carrés blancs représentent les cristaux de sels et les ronds blancs les pores remplis de solution saline. La reprise en eau se produit uniquement par le bord haut, ce qui est mis en évidence par les flèches bleues sur le schéma, les flèches blanches illustrant le gonflement de l’échantillon. Les différentes étapes du processus tel qu’indiqué sur le schéma sont :
a) L’enrobé bitumineux est composé d’une matrice bitumineuse contenant des cristaux de sels. Ici seuls les cristaux de sel solubles, du nitrate de sodium, sont représentés.
b) L’échantillon d’enrobé bitumineux est mis au contact de l’eau par la face supérieure. L’eau diffuse lentement au travers de la matrice bitumineuse. L’eau pure rentre en contact avec les cristaux de sels. Cela conduit à la dissolution progressive de ces cristaux. Il se forme progressivement une zone totalement lixiviée. La zone lixiviée se caractérise par l’absence de cristaux de sel, ceux-ci ont été dissous. Une forte porosité est présente dans cette zone lixiviée, deux mécanismes contribuent à la formation de cette porosité : La première est la dissolution des cristaux de sel, qui laissent un vide occupé par la solution de lixiviation. La seconde est le gonflement local dû à la surpression interstitielle. Cette surpression interstitielle est due aux phénomènes osmotiques. La forte augmentation de la porosité vient modifier les propriétés de la matrice bitumineuse : la diffusion des espèces au travers de la matrice s’accélère, et l’osmose perd de son intensité. Les sels dissous peuvent plus facilement diffuser hors de l’échantillon.
c) Au fur et à mesure de la dissolution complète des cristaux de sel, le front de lixiviation progresse en profondeur dans l’échantillon. L’échantillon continue à gonfler tant qu’il reste des cristaux de sel. La porosité continue de croître dans l’échantillon.

Le modèle COLONBO

     Le modèle COLONBO [36], [2], [3] et [16] est développé par le CEA. Il s’agit d’un modèle homogénéisé à l’échelle macroscopique, qui s’intéresse principalement aux phénomènes chimiques (diffusion, dissolution, …) en vue de prédire la cinétique de relargage des radionucléides contenus dans les sels. Pour rappel, la composition réelle des enrobés est bien connue, mais varie de manière significative en fonction des campagnes de production. Ce modèle s’intéresse à des enrobés dits « de référence », constitués du bitume de référence (Viatotal 70/100) et contenant un seul sel : le nitrate de sodium (𝑁𝑎𝑁𝑂3), qui est soluble. Le comportement d’enrobés bitumineux contenant d’autres sels solubles, notamment du sulfate de sodium (𝑁𝑎2𝑆𝑂4), est considéré comme identique à celui contenant du nitrate de sodium. Les sels insolubles, en particulier le sulfate de baryum (𝐵𝑎𝑆𝑂4), forment avec le bitume pur une matrice homogénéisée que l’on appellera par extension matrice bitumineuse. C’est la nature insoluble de ce sel ellemême, qui justifie cette hypothèse. Le gonflement du matériau est considéré comme totalement libre et aucune contrainte mécanique limitant le gonflement n’est prise en compte. Le transport des ions, issus de la dissolution des sels, dans l’eau est considéré comme diffusif uniquement. Il est régi par la première loi de diffusion de Fick. Il s’agit d’une des hypothèses fortes du modèle. Le matériau est considéré comme imperméable, le transport darcéen est négligé. De même, l’osmose n’est pas prise en compte dans le modèle. Rappelons que l’objectif de ce modèle est la prédiction de la cinétique de relargage des radionucléides. Tout comme pour le transport du sel et de l’eau, le transport des radionucléides est considéré comme purement diffusif. Le modèle décrit l’avancement du front de dissolution, séparant les zones lixiviées et les zones non lixiviées du bitume (cf. Figure 2.29). Le front de dissolution est défini à partir de la valeur de l’activité de l’eau. Celle-ci tend à augmenter avec l’arrivée de l’eau ‘pure’ du site de stockage géologique. Lorsque l’activité de l’eau atteint le seuil de solubilité, les sels se dissolvent conduisant à la création de pores saturés en solution saline saturée. La dissolution génère une augmentation de volume et donc un gonflement. Ce mécanisme de dissolution, qui s’accompagne d’une augmentation de la porosité, conduit également à une augmentation d’environ deux ordres de grandeurs du phénomène diffusif. En effet, des mesures expérimentales [2], [4] ont mis en évidence un coefficient de diffusion de l’eau dans la couche lixiviée égale à 𝐷𝑤,2𝑒𝑓𝑓 =1.10−13 𝑚2. 𝑠−1 et dans le bitume pur de 𝐷𝑤,𝑏𝑒𝑓𝑓 = 5.10−15 𝑚2. 𝑠−1 . La Figure 2.30 présente l’évolution de l’épaisseur de la zone lixiviée, ou zone perméable, en fonction de la racine carré du temps. Sur ce graphique, les résultats numériques donnés par le modèle COLONBO sont comparés aux mesures expérimentales et à une solution analytique. Ce graphique met en évidence la capacité d’un modèle diffusif à bien reproduire la cinétique de la reprise en eau pour un enrobé bitumineux.

Interprétation du rôle joué par les sels insolubles

     La section précédente permet de comprendre que les sels insolubles n’ont pas un rôle moteur dans la reprise en eau des enrobés bitumineux. Cependant les résultats expérimentaux présentés dans la partie 5.5.1, mettent en évidence une reprise en eau significative pour des enrobés monosels de sulfate de baryum. L’interprétation qui est faite de ces résultats, se base sur l’influence des cristaux de sulfate de baryum sur la microstructure du matériau. Une microporosité serait présente autour des cristaux de sel de sulfate de baryum. Cette porosité conduirait à une reprise en eau importante par l’enrobé bitumineux sans gonflement, dissolution de cristaux de sel et relargage de sel significatif. Expérimentalement on constate un seuil, de contenance en cristaux de sel, à partir duquel la reprise en eau est significativement plus importante (cf. Figure 5.38). Ce seuil se situe entre 30% et 40% massique de cristaux de sel de sulfate de baryum initialement présent dans l’enrobé bitumineux. La microporosité est présente autour des cristaux de sulfate de baryum, qui sont répartis de manière homogène dans l’enrobé bitumineux (cf. Figure 2.2). A partir d’une certaine densité de cristaux dans la matrice bitumineuse, des chemins préférentiels peuvent se former et conduire à une reprise eau plus rapide en profondeur dans l’échantillon. Les mesures RMN présentées dans la section 2.3.1.4 appuient cette interprétation. En effet la pénétration de l’eau dans les échantillons testés est plus rapide en présence de sulfate de baryum.

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Table des matières

CHAPITRE 1 Introduction
CHAPITRE 2 Présentation du matériau et état de l’art
2.1 Les déchets bitumineux
2.1.1 La matrice bitumineuse
2.1.2 Les enrobés bitumineux français
2.1.3 La composition en sels
2.1.4 Homogénéité de l’enrobé
2.1.5 Comparaison avec les enrobés bitumineux belges et japonais
2.2 Les phénomènes physiques de la lixiviation
2.2.1 La diffusion
2.2.2 Le transport darcéen
2.2.3 L’osmose
2.2.4 La dissolution/précipitation des cristaux de sel
2.3 Les campagnes expérimentales
2.3.1 Campagnes expérimentales traitant de la lixiviation en milieu non confiné (gonflement libre)
2.3.2 Campagne expérimentale traitant de la lixiviation en milieu confiné
2.4 Les modèles numériques existants
2.4.1 Le modèle COLONBO
2.4.2 Modèle CHM (UPC)
2.4.3 Conclusion
CHAPITRE 3 Le modèle de comportement
3.1 Les constituants : hypothèses et notations
3.1.1 Hypothèses
3.1.2 Notions de porosités Eulérienne et Lagrangienne
3.2 Les mécanismes de transport
3.2.1 Le transport darcéen
3.2.2 L’osmose
3.2.3 La diffusion fickienne
3.2.4 Les flux de la phase liquide et de sel dissous
3.3 Les équations de conservation
3.4 Les lois complémentaires
3.4.1 La dissolution/précipitation des sels
3.4.2 L’évolution de la porosité
3.4.3 Loi d’évolution de la masse volumique de la phase liquide
3.4.4 Les lois d’évolution des paramètres de transport
3.5 Le modèle mécanique
3.5.1 Contraintes effectives de Terzaghi
3.5.2 Loi de conservation mécanique
3.5.3 Modèle mécanique viscoélastique de Maxwell
3.5.4 Méthode d’homogénéisation : l’approche Mori-Tanaka
3.6 Implémentation numérique
3.7 Conclusion
CHAPITRE 4 Présentation des résultats expérimentaux et des paramètres matériaux 
4.1 Description du cadre d’obtention des résultats expérimentaux
4.2 Éssais de lixiviation en milieu non confiné
4.2.1 Les matériaux testés
4.2.2 Protocole expérimental
4.2.3 Les mesures de masse de sel lixivié et de masse d’eau absorbées
4.2.4 Mesures de gonflement
4.3 Mesures expérimentales complémentaires
4.3.1 Mesures de porosité
4.3.2 Paramètres mécaniques élastiques
4.3.3 Mesures des paramètres mécaniques de viscosité
4.4 Données expérimentales tirées de la littérature
4.4.1 Mesures de coefficient de diffusion
4.4.2 Paramètres de la loi de dissolution
4.5 Conclusion
CHAPITRE 5 Résultats numériques
5.1 Hypothèse de modélisation de l’essai de référence
5.2 Recalage N°1 (porosité initiale négligeable)
5.2.1 Hypothèses de modélisation – Paramètres matériaux
5.2.2 Etude paramétrique et stratégie de recalage
5.2.3 Recalage final et analyse des résultats
5.3 Nouvelles hypothèse de modélisation
5.4 Recalage n°2 et prise en compte d’une porosité initiale
5.4.1 Hypothèses de modélisation
5.4.2 Prise en compte des quantités d’eau et de sel liées à l’hydratation de l’échantillon
5.4.3 Résultats
5.4.4 Validation sur d’autres échantillons
5.4.5 Analyse à long terme et conclusion
5.5 Sels insolubles
5.5.1 Mesures expérimentales de reprise en eau et de sel relargué
5.5.2 Point sur le rôle moteur des sels insolubles
5.5.3 Interprétation du rôle joué par les sels insolubles
5.6 Conclusions et perspectives
CHAPITRE 6 Conclusions et perspectives
Références
Annexes

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