Modèles phonologiques non allomorphiques, précédents et formalisation

Contre-exemples

Malheureusement, il est très facile de trouver des contre-exemples à la distribution de voyelles proposée par Pöchtrager :
1) Prenons premièrement la distribution « non attestée » o-ü : un mot très « populaire » est popüler ‘populaire’; bromür ‘bromure’, etc. Mais, selon A1, ü n’enfreint pas les lois de l’harmonie turque selon le modèle : il peut être représenté en cette position. Selon A3, U ne diffuse que vers les positions vides. Nous pouvons donc simplement rectifier le tableau et affirmer que la séquence o-ü est une séquence possible en turc. Cela n’affecte en rien le modèle.
2) Prenons maintenant la séquence « non attestée » i-{ö, ü, u}. Ici aussi nous trouvons des exceptions : Kilören ‘un nom de famille’, kilükal ‘potin’, hirgür ‘dispute’, Sirru’l Esrar ‘Le secret des secrets’, etc. Mais encore une fois, le modèle prédit la possibilité de ces séquences de voyelles : i, à cause de son noyau vide, ne peut diffuser. Nous devons modifier encore une fois le tableau de distribution de voyelles et ajouter que la distribution de voyelles i-{ö, ü, u} est attestée.
3) Finalement, même s’il est très difficile de trouver des mots comportant la séquence « non attestée » {o, ü, u, i, e, ö}-i, il est quand même possible d’en trouver : Belkis ‘nom propre’, par exemple. Certains auteurs diraient (Yavaş 1978, par exemple) que le i apparait en raison du k qui le précède (assimilation consonantique), comme dans les mots suffixés suivants: faik-i ‘haut’, şevk-i ‘désir’, fevk-i ‘hauteur, majesté’, etc., qui sont aussi des exceptions au modèle de Pöchtrager.
Mais il est intéressant de voir les mots que ce dernier donne lui-même en tant que contre exemples à sa propre théorie : blendir, hemstir, etc. Ici, aucun k n’est présent qui produirait une assimilation consonantique. L’explication ne doit donc pas se trouver du côté de la consonne. L’auteur prétend qu’ils ne sonnent pas comme des mots « natifs » aux oreilles des locuteurs de cette langue.
Ce troisième type d’exception servira de fondement à ce qui suivra, étant donné que les deux autres types d’exceptions ne violent pas les propositions incluses dans le modèle.
C’est aussi, comme nous l’avons vu, l’observation principale sur laquelle se fonde Pöchtrager pour élaborer son modèle. Mais avant, une note sur la distinction « natif/non natif ».
Nous avons déjà vu que cette distinction ne tient pas quand on tente de l’exploiter pour parler du lexique turc (certains mots « non natifs » sont harmoniques et certains mots natifs ne le sont pas). Quand on dit que, en suivant le Principe de minimalité, un processus s’applique dès que ses conditions sont rencontrées, l’origine de ce mot ne devrait pas intervenir dans la discussion
Il s’agit en fait, même si présenté d’une autre manière, du même problème rencontré par l’auteur dans ses speculations (c’est lui qui en parle de cette façon) à la fin de l’article. Pourquoi, demande-t-il « are there hardly any native DWs [mots disharmoniques] » (p.470)? C’est en fait le problème fondamental à quoi sont confrontés toutes les théories présentées jusqu’à présent. Le modèle de Pöchtrager est un modèle de plus qui tente de répondre au défi que pose la complexité introduite dans le système phonologique par le grand nombre de mots empruntés à des langues ne partageant pas son système phonologique et ses restrictions.
Sa réponse est la suivante : nous pouvons probablement affirmer que la vaste majorité des mots non monosyllabiques en turc étaient à l’origine des mots suffixés monosyllabiques qui se sont ensuite lexicalisés avec suffixe. Parce que, comme il le suggère, les suffixes ne contiennent en général qu’une expression nucléaire de type « the scarcity of native disharmonic words follows […] [D]isharmony never had much a chance to occur » (p.470). La disharmonie provient donc de l’extérieur du système. Mais, puisque « [t]here is no way that certain words are marked as exceptions to spreading, as this would be a violation of the MH (hypothèse de minimalité) » (p.459), Pöchtrager est forcé de développer un modèle assez complexe pour accommoder ces mots « non natifs » : les mots disharmoniques tels que blendir posent donc un problème réel pour le modèle.
Mais prétendons pour l’instant qu’ils ne le font pas. Regardons plutôt quelques faits qui me semblent beaucoup plus problématiques pour le modèle de Pöchtrager (2010).
Il est attesté que la phonologie de L1 a des répercussions sur la façon dont les mots de L2 seront intégrés dans le lexique de L1 (Calabrese et Wetzels 2009; Major 2001; van Coetsem 1989, pour des exemples de processus de transfert dans la littérature concernant l’apprentissage de langue seconde et la phonologie de l’emprunt). Il est très difficile d’expliquer pourquoi komünist ‘communiste’ (pris du français comme komünist) tend à être transformé en kominist. (C’est vrai pour tous les modèles, car en turc, la diffusion est censée se produire de gauche à droite). Dans ce modèle, o est composé de ( { A } U ). Il n’y a aucun i pouvant être diffusé vers la seconde syllabe. D’où ce i provient-il donc? Le ü est tout à fait bien là où il est selon le modèle, dans le fait qu’il partage le U avec le o et parce que U ne diffuse pas vers une position non vide.
Le modèle a en fait des problèmes pour rendre compte des changements qui se sont produits sur les formes de beaucoup de mots empruntés. Pourquoi les mots suivants ontils été transformés?
Exemple
minibüs du français ‘minibus’ → minübüs
mumkin de l’arabe ‘peut-être’ → mümkün
imperator du serbo-croate ‘empereur’ → imparator
Les analyses traditionnelles ont au moins quelque chose à dire sur ce qui se passe : c’est conforme à (ou plus près de) ce que devrait être une séquence harmonique de voyelles pour le turc. Pöchtrager n’a aucun moyen de décrire ce qui s’est passé ici : ces séquences sont tout à fait acceptables dans son modèle, et aucune transformation ou diffusion ne devrait se produire.17
Regardons un autre cas problématique : dans sa forme accusative, sanat ‘art’ était prononcé sanati, ce qui est correct selon le modèle de Pöchtrager, parce que A ne diffuse pas. Mais actuellement nous entendons souvent sanati. Que s’est-il donc passé?
Pourquoi la séquence parfaitement correcte a-i n’est-elle plus là? Les analyses traditionnelles n’ont aucun problème à expliquer ce qui s’est passé. Cette séquence n’est pas correcte relativement aux règles harmoniques du turc, et donc l’harmonisation se doit d’intervenir pour corriger la séquence problématique.
Le problème de la variation libre peut aussi être approché d’une manière similaire. Pöchtrager discute le cas du suffixe de relativisation –ki. Ce suffixe varie des fois (on retrouve les deux possibilités suivantes : dün-kü/dün-ki, les deux signifiant ‘celui d’hier’). La seule façon d’expliquer ce qui se produit est de supposer l’existence d’un second –ki (l’optionalité n’est pas exprimable en Government Phonology) qui aurait la même fonction, le même sens et la même distribution, mais un différent I sous-jacent (un –ki avec un noyau vide, un avec un noyau contenant I). On trouve le même type de variation avec le suffixe –acak:

Distribution: une autre explication

Pöchtrager a sans doute raison quand il dit qu’expliquer la distribution de i est le noyau du problème et sans doute aussi la clé pour la solution. Mais peut-être pas pour les raisons qu’il nous donne. Je donnerai maintenant une possible solution à cette question en 1 et 2 ci-dessous. 1 conteste les données présentées par Pöchtrager (le fait que seulement ce qui résulte de l’emprunt ou du contact a créé des séquences disharmoniques) et d’autres qui n’ont pas été prises en compte dans sa discussion.
1) L’explication de cette distribution peut être cherchée dans la discussion de Pöchtrager sur la responsabilité qu’ont les mots « natifs » et « non natifs » dans l’apparition de mots disharmoniques. La raison du fait que les mots polysyllabiques natifs ne sont (presque) jamais disharmoniques doit être trouvée dans le fait que les suffixes turcs généralement ne donnent pas la possibilité de créer des séquences disharmoniques (voir la discussion ci-dessus : les mots de plus d’une syllabe seraient à l’origine des mots monosyllabiques suffixés qui se seraient lexicalisés avec le suffixe). Premièrement : le fait que certains suffixes « natifs » et « non natifs » ont le pouvoir de créer des séquences disharmoniques est un fait important. Deuxièmement : certains processus phonologiques et morphologiques ont aussi ce pouvoir. Les processus suivants seront maintenant abordés : a) la suffixation;
b) la formation d’acronymes; c) l’épenthèse et d) la composition de mots, un processus discuté par Pöchtrager ailleurs dans l’article, mais pour d’autres raisons (la liste des procédés créant des séquences disharmoniques n’est peut-être pas complète).
a) certains suffixes « natifs » créent en fait des séquences disharmoniques : -(i)yor ‘présent 3ième pers. Sg.’, -gil ‘et sa/leur famille’, -(i)mtrak ‘ressemblant à X’, -ken ‘en faisant X’, etc.

Certaines implications théoriques du modèle de Pöchtrager

Le modèle de Pöchtrager, même si confronté à beaucoup de problèmes, a ses forces : il prédit des distributions que lui-même considère non attestées mais qui existent (o-ü and i- {ö, ü, u}). Il prédit aussi que la distribution {o, ü, u, i, e, ö}-i n’apparaitra pas, et c’est presque vrai. De façon plus importante, le modèle est en mesure de rendre compte de la majorité des mots disharmoniques de façon cohérente sans le recours aux diacritiques traditionnels que l’on trouve dans la majorité des travaux concernant l’harmonie vocalique turque.
Au niveau théorique, la conséquence la plus frappante que je vois avec les modèles du type de celui de Pöchtrager est que ce que nous avons à la fin de l’analyse n’a rien à voir avec ce à quoi le concept d’harmonie vocalique référait traditionnellement. Rien de similaire à une propriété ou à un trait n’est partagé ici à l’intérieur d’un mot phonologique.
Ce qui était pourtant l’idée derrière le concept d’harmonie vocalique. Si nous gardons cela présent à l’esprit, une théorie qui nous donne les moyens de prédire comment les voyelles vont se comporter, mais où les voyelles à l’intérieur d’un mot ne partagent plus rien à la fin de l’analyse (sauf le fait d’être des voyelles) n’est pas ce que nous voudrions appeler une théorie de l’harmonie vocalique; et une langue qui obéirait à ces lois ne serait probablement pas appelée langue harmonique.
Mais ces conséquences pourraient bien avoir un impact sur la manière avec laquelle nous regarderons l’harmonie vocalique turque dans le futur. D’un côté, l’harmonie vocalique turque pourrait bien ne pas être un processus harmonique régulier, mais quelque chose d’autre (un type très restreint d’assimilation vocalique, peut-être?) qui lui ressemblerait dans ses conséquences. D’un autre côté, il est possible que notre compréhension de l’harmonie vocalique soit erronée et que la sorte de proposition que l’on trouve dans des travaux tels que ceux de Pöchtrager nous aidera à mieux comprendre quels types de phénomènes sont à l’oeuvre dans l’harmonie vocalique turque et plus généralement, dans l’harmonie vocalique. Mais je vois quand même de graves défauts dans l’analyse donnée. Par exemple, je suis certain que aspiratör est au même niveau de « non-nativité » que blendir, même si l’affirmation « A ne diffuse pas » en conjonction avec A3 fait de aspiratör un mot bien formé relativement à l’analyse de Pöchtrager. Bien plus : selon le modèle, ikolelüpona-da-ki-ler, s’il y avait une compagnie ayant IKOLLÜPONA (mon exemple) comme acronyme (-dakiler ‘les gens de’) serait représenté comme harmonique et donc comme plus « natif » que blendir. Je suis certain que ce n’est pas le cas18 : la classe de mot contenant blendir ne peut être mise de côté dans la discussion, surtout quand on voit à quel point l’emprunt est important pour expliquer les distributions de voyelles attestées et non attestées et le rôle que les séquences contenant i ont pour l’analyse de Pöchtrager. Comme je l’ai dit, ce type de séquence de voyelles deviendra probablement beaucoup plus fréquent avec l’arrivée de l’anglais comme langue donatrice.
La variation libre est aussi expliquée avec l’addition de nouvelles voyelles, ce qui peut être considéré comme un point important pour le modèle, en ce sens qu’il prédit que le système vocalique est plus grand que généralement considéré (un ajout, si cela se révèle vrai, empiriquement important); mais ce peut aussi être interprété comme un point négatif en ce sens que ce geste peut être vu comme une façon de se débarrasser de contreexemples compromettants.
Je ne suis pas certain aussi s’il s’agit d’une richesse du modèle que de prouver qu’en turc nous avons deux suffixes représentés différemment en profondeur qui ont le même sens, la même fonction, la même distribution et la même forme de surface.
La conséquence majeure de la proposition de Pöchtrager est de montrer que la distribution de voyelles est explicable. Mais en turc, si nous prenons la version de l’harmonie vocalique offerte par cet auteur, en conjonction avec la distribution de voyelles proposée, le Principe de minimalité et les exceptions que je lui oppose, n’importe quel mot composé de séquences de voyelles prises dans l’ensemble {Voyelles turques} est un mot possible dans cette langue.
1) Cette conséquence est paradoxale dans une discussion de l’harmonie vocalique et 2) les seuls faits que le modèle n’est pas en mesure d’expliquer sont les ajustements qui sont trouvés aux mots empruntés (nous avons vu que les analyses traditionnelles sontmeilleures pour expliquer ce qui se produit). Si, comme la littérature sur l’acquisition d’une langue seconde et le contact linguistique le démontre, la phonologie de L1 influence la manière dont les mots de L2 seront empruntés, cela veut dire que c’est un bon endroit pour observer certains aspects de la phonologie d’une langue : ne pas être en mesure d’expliquer pourquoi certains mots empruntés qui sont conformes au modèle phonologique proposé sont transformés dans le processus d’emprunt, est un grave handicap pour le modèle. Le modèle a des problèmes à expliquer ce type de phénomène parce qu’il n’y a aucune raison, si on regarde le modèle et ses implications logiques, de transformer quelque chose quand tout est déjà parfait.
Ce problème a peut-être seulement à voir avec le fait de postuler A1 : à partir du moment où dans une langue harmonique n’importe quelle voyelle est habilitée à entrer dans le noyau non initial, nous devons commencer à nous poser des questions sur les pouvoirs de ce modèle.

Autres construits problématiques

Introduction

Kabak et Vogel (2011) mentionnent aussi les problèmes auxquels font face la Phonologie lexicale, la Théorie de l’optimalité et les modèles faisant usage de co-phonologie(s) quand il s’agit de prendre en charge les exceptions. Je ne présenterai pas un compte-rendu détaillé de ces modèles 1) parce que seulement les conséquences de leur architecture sont importantes pour la présente discussion; 2) parce que ces problèmes ne nécessitent pas de description détaillée et que les problèmes sont plus ou moins les mêmes que ceux que nous avons rencontrés jusqu’à présent; 3) parce qu’une revue critique est déjà existante relativement aux problèmes auxquels font face ces modèles19 et 4) parce que Kabak et Vogel (2011) présentent très bien les problèmes. Je suggère donc aux lecteurs désireux de connaitre plus en détails les problèmes rencontrés d’aller voir directement cet article.

Les Co-phonologies

La co-phonologie (Orgun 1998, Inkelas 1998, par exemple) est un construit introduit dans la théorie linguistique pour empêcher le lexique d’être divisé en plusieurs niveaux (comme en Phonologie lexicale, par exemple). Ces différentes phonologies s’occupent du comportement de différentes classes de processus : au lieu d’ajouter des niveaux au modèle, et de se retrouver de toute façon avec les mêmes résultats (une division en mots « natifs/non natifs », « harmoniques/non harmoniques », etc., pour le cas qui nous occupe), seulement présentés d’une manière plus « élégante », il est plus simple de considérer que la connaissance linguistique est divisée de manière à prendre en charge différemment les patrons « normaux » et les patrons « exceptionnels » (ceux qui sont la conséquence des phénomènes d’emprunt, entre autres). Donc une phonologie pour les phénomènes qui ne posent pas de problèmes, et une autre pour les cas qui en posent.
Mais le fait d’associer des items avec une phonologie spécifique crée des problèmes dans le sens qu’il devient difficile de prendre en compte des mots qui réagissent exceptionnellement à une règle mais réagissent normalement à d’autres, de cette manière devenant sujet à deux co-phonologies différentes. Le problème majeur reste aussi celui de contraindre le nombre de co-phonologies nécessaires pour rendre compte de toutes les données, et d’expliquer sur quels critères se base la proposition d’ajouter des co-phonologies.

La Théorie de l’optimalité

La Théorie de l’optimalité traite les exceptions 1) en termes de la nature des représentations ou 2) en termes de l’ordonnancement des contraintes.
Dans le premier cas, on protège certaines propriétés lexicales avec des Faithfulness Constraints, ce qui les rend immunes à l’effet des autres contraintes (AGR, dans notre cas, qui est la contrainte d’harmonie par excellence); ce qui permet de laisser passer n’importe quel mot s’il a été préspécifié de cette manière.
Dans le deuxième cas, on ordonne les contraintes d’une telle manière que les effets des contraintes (dans notre cas encore : des contraintes sur les séquences de voyelles possibles dans une langue harmonique) puissent s’annuler mutuellement. Généralement, dans ce type de modèle, l’ordonnancement des contraintes se fait relativement à des mots que l’on choisit de préserver des effets non désirés (ici, le problème majeur est comme toujours celui de la solution à donner aux mots disharmoniques). La spécification est donc faite sur une base individuelle sans se préoccuper des classes de faits se comportant de manière similaire, ce qui nous ramène à un marquage de type diacritique.
La majeure part de la discussion est en fait, comme le note Green (2007), une discussion sur la distinction contrainte universelle/spécifique. La majeure partie des problèmes rencontrés se trouvent à apparaitre, continue Green, à cause d’une mauvaise délimitation de ce qui relève ou non de la phonologie (voir plus loin le chapitre sur les « Origines du problème »). Ce qui relève de la phonologie est descriptible, en Théorie de l’optimalité, par de réelles contraintes phonologiques/phonotactiques universelles, et un ordonnancement de celles-ci, comme dans tout travail fait avec ce modèle. Mais ce qui ne tombe pas sous ce critère devrait être traité au niveau du lexique et de la morphologie, selon Green, ce qui ne relève pas de la phonologie, mais de contraintes spécifiques à chaque langue donnée.
Le vrai critère pour une analyse phonologique, selon Green (2007) (et nous avons vu que pour Government Phonology c’est vrai aussi; nous verrons qu’il en est de même pour Singh), est la systématicité, l’automaticité. Le reste est du domaine des conventions propres à une langue, pourrait-on dire.
Pour l’harmonie vocalique, on voit tout de suite que l’analyse de Green (2007) est pertinente : les problèmes apparaissent au niveau des exceptions à des contraintes formulables très simplement. En effet, l’harmonie vocalique, s’il s’agit d’une contrainte universelle, est un processus très simple à formaliser. Il ne suffit que de supposer une contrainte de type AGR (‘agreement’) qui fait en sorte que des suites de sons ne partageant pas certains traits ne peuvent apparaitre au niveau de l’output.

Origine du problème

Introduction

Nous avons vu que tous les modèles présentés ne sont cohérents qu’à moins de relayer une grande partie des items lexicaux dans une partie « particulière » de la grammaire. Ce processus de « mise à l’écart » se fait en fonction des contraintes générales du modèle avec lequel on travaille, mais les résultats sont les mêmes : il s’agit de préspécifier ces items lexicaux de manière à ce qu’ils ne subissent pas les effets des processus harmoniques que l’on a décrits.
La raison majeure de l’existence de ces exceptions est le contact linguistique : à une époque où l’arabe et le persan étaient aussi parlés par les élites, une grande quantité de mots fut empruntée, mots qui ne respectaient pas toujours les contraintes harmoniques du turc. Des adaptations ont parfois été faites, mais les résultats ne sont pas toujours plus harmoniques que les formes originelles : même, certains mots harmoniques à l’origine sont adaptés de telle manière que le résultat est disharmonique.
Je répèterai quelques résultats observés plus haut de manière à pouvoir mener une discussion plus approfondie des conséquences logiques impliquées par les modèles que nous avons vus. Le statut théorique de l’emprunt, du contact linguistique, de laconnaissance phonologique et de l’influence de cette dernière sur la production et la perception d’un système autre seront ensuite évalués relativement à ce qui pose problème dans les descriptions.

Le transfert L1 → L2

Comme nous le savons depuis longtemps, la phonologie de L1 influence la manière de recevoir les mots empruntés à L2 : certaines particularités propres à L2 présentent des impossibilités pour notre système phonologique, et ce dernier doit trouver une manière de rendre ces formes « acceptables » pour qu’il y ait possibilité d’intégrer ces formes dans le lexique. Les mots empruntés sont donc souvent une bonne fenêtre sur la phonologie d’une langue.

Pourquoi en sommes-nous là?

Maintenant, il faut se poser la question suivante : pourquoi sommes-nous dans cette situation? Car il faut bien se rendre à l’évidence : aucun modèle n’est épargné par les exceptions aux règles qu’il stipule pour le turc. Tous les modèles se retrouvent pris avec des exceptions qui ne suivent pas les contraintes harmoniques : ces exceptions sont prises en charge par de la spécification dans les représentations (niveaux différents créés en Phonology lexicale, Faithfulness Constraints en Théorie de l’optimalité, Affirmation 1 en Government Phonology (ce qui revient à de la préspécification), association lexicale ou recours à des voyelles opaques pour les théories autosegmentales) ou tout simplement par des diacritiques de toutes sortes. Mais le problème fondamental pour tous ces modèles est que les conséquences de ce type de modèles sont très lourdes pour l’analyse générale : une description formelle très cohérente mais, au niveau des faits empiriques, beaucoup de données qui sont inexplicables ou imprévisibles, et donc nécessairement laissées de côté (ou mises tout simplement de côté). Kabak et Vogel (2011), par exemple, ont fait un très bon travail de recension des problèmes rencontrés par les différents modèles, mais ne sont pas arrivés à la seule conclusion qui, pour moi, est logiquement celle à laquelle nous devrions arriver (ils prétendent qu’il n’y a aucun moyen de se passer de la préspécification; je prétend par contre qu’il faut se débarrasser de l’idée d’harmonie vocalique en turc, du moins en tant que processus phonologiquement conditionné).
Je pense que la conclusion à laquelle nous devrions arriver est la suivante, qui est celle plus ou moins assumée par Clements et Sezer (1982) dans leur article : peu importe comment on peut « sauver » l’harmonie vocalique turque de ses exceptions, les formes rencontrées en turc actuel sont tellement éloignées de ce que l’on voudrait qualifier de formes « possibles » dans une langue harmonique qu’il devient difficile de voir en quoi les modèles proposés procurent une façon de se sortir des problèmes théoriques rencontrés.
Et ce, non seulement pour les racines, mais, contra Clements et Sezer (1982), aussi pour les suffixes et processus d’affixation, qui sont probablement, comme il a été mentionné plus haut, la raison de l’analyse en termes d’harmonie. Une forme telle que aspiratördekiler ‘ceux qui sont dans l’aspirateur’ (aspiratör ‘aspirateur’-deki ‘qui est dans’- ler ‘pl.’, forme qui n’a rien de spécial pour le locuteur du turc), n’est pas une forme que l’on voudrait décrire comme « harmonique » (les voyelles partageant quelque propriété dans un domaine spécifique autre que le fait d’être des voyelles).
En regard de ce qui a été présenté jusqu’à maintenant, on peut se demander pourquoi ces modèles ont encore besoin du concept d’harmonie vocalique pour décrire la langue turque.
Il semble que ce soit pour la présupposition très bien connue qu’un morphème se doit d’être représenté comme invariant (en structure profonde) et recevoir ses formes variées de surface en fonction des processus pris en charge par la composante (module) phonologique.22 Si on garde cette présupposition à l’esprit, il serait difficile sans postuler d’harmonie vocalique de rendre compte du fait que le suffixe –di ‘passé’ alterne de quatre manières différentes (il possède quatre allomorphes) relativement à la voyelle qui le précède. Et les auteurs ne veulent pas aussi avoir à dire que les phénomènes harmoniques reliés à la suffixation prennent non seulement en compte de l’information phonologique mais aussi de l’information morphologique et/ou lexicale. Quand Clements et Sezer (1982) proposent que l’harmonie vocalique turque s’applique seulement dans le contexte de la suffixation, ils ne disent en fait que cela : à l’intérieur des racines, si on postule la règle phonologique suivante.

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Table des matières

Résumé
Table des matières
Introduction
1 Analyses de l’harmonie vocalique turque
1.1 Introduction
1.2 Analyse traditionnelle
1.3 Le lexique
1.4 La suffixation
1.5 Les exceptions
1.6 Statut actuel de l’harmonie vocalique turque
1.7 Autres types d’analyse
1.7.1 Introduction
1.7.2. Les approches autosegmentales
1.7.2.1 Le modèle de van der Hulst et van de Weijes
1.7.2.2 Critique
1.7.2.3 Le modèle de Clements et Sezer
1.7.3 L’harmonie vocalique turque selon Government Phonology
1.7.3.1 Introduction
1.7.3.2 Pöchrager et les exceptions
1.7.3.3 La proposition de Pöchtrager
1.7.3.4 Contre-­‐exemples
1.7.3.5 Distribution: une autre explication
1.7.3.6 Certaines implications théoriques du modèle de Pöchtrager
1.7.4 Autres construits problématiques
1.7.4.1 Introduction
1.7.4.2 Les Co-­‐phonologies
1.7.4.3 La Théorie de l’optimalité
1.7.4.4 La Phonologie lexicale
1.8 Conclusion
2 Origine du problème
2.1 Introduction
2.2 Le transfert L1 → L2
2.3 Pourquoi en sommes-­‐nous là?
2.4 Expliquer la disharmonie différemment
2.5 Proposition
2.6 Le turc, sa phonologie et les mots « non natifs »
2.7 Les paradoxes
2.7.1 Le Paradoxe du bateau de Thésée
2.7.2 La perception
2.7.3 L’acquisition
2.7.4 La phonologie « extra-­‐segmentale »
2.8 Le dernier problème
2.9 Considérations métathéoriques
2.9.1 Un exemple bien de chez-­‐nous
2.9.2 son application au turc
2.10 Conclusions et généralisations
3 Modèles phonologiques non allomorphiques, précédents et formalisation
3.1 Introduction
3.2 L’harmonie vocalique et la Phonologie naturelle
3.3 Un précédent : Skousen et le finnois
3.4 Les travaux de Singh, Ford et Singh et l’harmonie vocalique turque
3.4.1 Introduction
3.4.2 La Phonotactique générative
3.4.3 La Phonotactique générative et l’harmonie vocalique turque
3.5 La Phonotactique générative et Whole Word Morphology
3.5.1 Introduction
3.5.2 Le Modèle Whole Word Morphology
3.5.3 Whole Word Morphology et le turc
4 Conclusions
5 Bibliographie

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