Modèle psychosocial du travail de proximité (Psychosocial Outreach Theory)

Les facteurs associés à l’itinérance

Certains facteurs structurels font consensus chez des chercheurs pour expliquer l’itinérance (Laberge & Roy, 2001). On note, parmi ces facteurs, la crise du logement, les réformes dans les politiques sociales, les changements dans le marché de l’emploi ainsi que la politique de dés institutionnalisation en santé mentale. Cette politique visait à redonner aux personnes atteintes de maladies mentales le droit de vivre dans la communauté comme citoyens à part entière. Par conséquent, elle a également généré la transformation des services par le développement et la mise en place de nouvelles techniques d’intervention et de divers programmes de soins au sem même de la communauté (Dorvil, Guttm an , Ricard, & Villeneuve, 1997). Toutefois, le phénomène de l’itinérance existait avant la période de désinstitutionnalisation. Ce qui est nouveau depuis la désinstitutionnalisation, c’est l’augmentation importante de la proportion des personnes ayant une maladie mentale qui se retrouvent sans domicile fixe (Dubreucq, 2008).

L’itinérance est un phénomène complexe à définir et souvent ce phénomène est cerné en décrivant les problèmes associés. Il est reconnu que des personnes qui vivent une situation d’itinérance sont confrontées à des problèmes de dépendance, de santé physique et de santé mentale (Centre Dollard-Cormier – Institut Universitaire sur les Dépendances, 2008; Ruest & Faulkner, 2009). L’itinérance est un facteur aggravant de toute maladie physique ou mentale (Denoncourt, Bouchard & Keays, 2007), en ce sens que la détérioration de la santé physique ou mentale d’une personne itinérante est liée aux conditions de vie extrêmement dures que l’on retrouve dans la rue (Collin & Suissa, 2007; Echenberg & Jensen, 2009; Everett, 2012; Poirier et al., 2000; Poirier, 2007). Cependant, la reconnaissance de la multiplication et l’aggravation des problèmes associés à l’itinérance n’en expliquent pas les conduites particulières, ni les causes spécifiques, ni le sens social (Poirier et al., 2000). Et même si les auteurs apportent des nuances méthodologiques et conceptuelles au portrait statistique de la santé mentale des personnes itinérantes, il y a un consensus sur le fait que ces personnes souffrent d’une grande détresse psychologique (Lupien, 2013).

Selon les époques, différents termes ont été utilisés pour décrire la pauvreté, l’instabilité résidentielle et l’exclusion (Poirier et al., 2000). Le mendiant, le clochard, le vagabond, l’itinérant, le « sdf» (sans domicile fixe) en sont quelques exemples. Dans la littérature, scientifique et clinique, il n’existe pas une définition unique de l’itinérance. « L’itinérance est une question complexe qui ne peut se résumer ni s’expliquer par une formule simple» (Roy & Hurtubise, 2007, p.1). Pour Laberge et Roy (1994), l’absence de modèle intégrateur n’est pas vraiment problématique, car à travers la variété et la diversité des groupes, des individus et des étapes que constituent ces processus dynamiques de marginalité et d’exclusion sociale, il existe une richesse d’analyse, de cadres théoriques et de points de vue. Ceci étant dit, malgré les différentes approches et théories, on peut observer dans la littérature des écrits cliniques et scientifiques, que les auteurs ont tendance à se recentrer autour de quatre éléments nécessaires à la compréhension de la marginalité et de l’exclusion sociale, soit : la précarité, la vulnérabilité, la « ghettoÏsation » et l’isolement (Laberge & Roy, 1994). Globalement, la précarité d’une personne itinérante réfère à la pauvreté, à la précarité matérielle, au mode de vie précaire et aux conditions de survie qu’impose la rue. Quant à la vulnérabilité, elle situe la personne dans un espace de fragilité professionnelle et relationnelle, entre autres, causée par la transformation actuelle de nos sociétés, entre l’intégration sociale (avoir un travail et des relations stables) et l’exclusion (être sans travail et isolé socialement). La « ghettoÏsation » est, pour sa part, un processus de marginalisation et d’exclusion sociale qui touche principalement des personnes rattachées à des milieux spécifiques. Celle-ci réfère à une dimension sociospatiale de mise à l’écart de populations marginalisées, telles que les personnes itinérantes, et des services dédiés à cette clientèle (Morin, 2001). Pourtant, l’existence de secteurs marginalisés va à l’encontre des efforts d’intégration sociale. Finalement, l’isolement s’explique par le résultat de l’exclusion et de l’auto-exclusion (concept que nous abordons un peu plus loin dans le présent chapitre).

La désaffiliation sociale Dans l’ensemble, l’itinérance se construit par une combinaison de facteurs sociaux, individuels et structurels qui s’inscrivent dans la trajectoire de vie d’une personne. Il s’agit d’une étape d’un processus qui s’échelonne sur plusieurs années (Carle & Bélanger-Dion, 2007) et conduit à une désaffiliation sociale (voir Figure 1, inspiré de Carle & Bélanger-Dion, 2007). La désaffiliation est la question la plus préoccupante de l’itinérance (Plante, 2007 : 222). Au coeur de ce processus de désaffiliation sociale, on retrouve la forme la plus extrême de la pauvreté qui s’échelonne sur plusieurs années par une multiplication de ruptures, d’impasses et de difficultés propices à la dégradation des liens sociaux, dont la résultante varie entre la rue et l’instabilité résidentielle affectant toutes personnes vulnérables ou vivant des situations de précarité (Carle & BélangerDion 2007; Poirier et al., 2000; Ruest & Faulkner, 2009; Simard, 2005). Cette trajectoire de désaffiliation sociale s’ associe à un syndrome d’ exclusion, dans lequel la honte, le sentiment d’impuissance et de désespoir sont le reflet d’une souffrance psychique, d’une grande détresse psychologique, vécue quotidiennement par les personnes itinérantes (Lupien, 2013; Plante, 2007). Il existe un autre aspect associé à l’exclusion sociale: l’auto-exclusion, où la personne s’exclut elle-même en utilisant des stratégies de retrait, de rupture, ou même d’isolement complet (Cousineau, 1994).

Dans certaines conditions, pour survivre, la personne est obligée de s’exclure elle-même de sa propre subjectivité. Elle se coupe de sa propre souffrance pour ne pas supporter l’intolérable et s’anesthésie, paradoxe gravissime où pour survivre, la personne s’empêche de vivre. Cette conduite peut aller jusqu’à l’incurie qui devient une pathologie de la disparition, de l’abandon et du désinvestissement de soi-même (Furtos, 2005; Plante, 2007). Ainsi, la résultante de cette coupure avec le monde extérieur peut être non seulement une cassure avec la réalité, mais mener même jusqu’à la mort. « Être marginalisé ou exclu suppose une distanciation du social dans le sens de détérioration plus ou moins complète des conditions de vie » (Laberge & Roy, 1994, p.5). Pour mieux les comprendre afin de mieux intervenir, il est important de saisir la dynamique psychologique qui entoure la pauvreté extrême, l’exclusion sociale, la difficulté de s’organiser mentalement, de se projeter dans le futur et de gérer adéquatement le quotidien (Poirier et al., 2000). Victimes de l’indifférence collective, les exclus essayent de s’y rendre indifférents pour ne pas trop en souffrir. Ils s’aident parfois de l’alcool et des drogues au risque de s’enfoncer un peu plus dans leur exclusion et de se faire rejeter davantage. ( … ) ils sont d’abord des maltraités sociaux. Pour qu’ils changent de point de vue et acceptent des soins dont ils ont souvent besoin, nous devons comprendre, avant de les aborder, qu’on peut souffrir à en mourir sans être malade: il suffit d’être exclu. (Maisondieu, 200 1, p.14).

L’accessibilité à des services adaptés Malgré la présence de services diversifiés dans la communauté, l’accessibilité des services pour les personnes présentant un profil d’itinérance – de désaffiliation socialedemeure difficile à établir (Denoncourt, Desilets, Plante, Laplante & Choquet, 2000; Echenberg & Jensen, 2009; Fortier & Roy, 1996; Laberge 2000; Plante, 2007; Simard, 2010). Diverses raisons peuvent expliquer cette difficulté: les services deviennent de plus en plus spécialisés et ont des critères d’accès spécifiques, ce qui accroit l’exclusion des personnes qui ne cadrent pas avec ces critères. En ce sens, les conditions de vie même des personnes itinérantes constituent un obstacle à l’accessibilité des services. Pour les centres hospitaliers, ceci peut se traduire par des pressions administratives et bureaucratiques de donner congé au «patient» même s’il n’a pas de domicile fixe.

De plus, le manque de confiance de certaines personnes envers les services, entre autres pour les individus ayant eu un parcours de vie difficile en bas âge (violence familiale, famille d’accueil, centre jeunesse), est un obstacle à l’accessibilité des services. Denoncourt et al., (2000) abordent les obstacles liés aux perceptions (par exemple les préjugés) et les obstacles bureaucratiques (par exemple l’impossibilité pour la personne itinérante de fournir des papiers d’identité). Ils identifient comme obstacle majeur la « ghettoÏsation ». Il subsiste également une forme de stigmatisation de l’itinérance par une vision réductrice qui laisse croire que le statut de citoyen est remplacé par celui d’itinérant tout en considérant que les besoins primaires de ces personnes sont fondamentalement différents des nôtres et que l’itinérance est un choix de vie. Il s’agit en quelque sorte d’une forme de normalisation de l’itinérance qui porte les gens à avoir une attitude de déresponsabilisation. Lorsque ceci est présent chez un intervenant, celuici risque d’établir que l’individu ne se mobilise pas et peut mettre fin à son suivi avec la personne.

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Table des matières

Sommaire
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Introduction
Problématique
L’itinérance : un phénomène complexe
Les facteurs associés à l’itinérance
La désaffiliation sociale
Portrait de l ‘itinérance
L’accessibilité à des services adaptés
Équipe ltinérance de Trois-Rivières (ÉI3R)
Un projet innovateur
Questions de recherche
Contexte théorique: notre cadre de référence
La pratique outreach
Le travail de rue
La notion spatiotemporelle du travail de rue
Les travailleurs de rue : des ponts vers d’autres services
Valeurs et attitudes en travail de rue
Approche communautaire
Ce qui fait consensus
Le suivi communautaire
Son origine
Les différentes propositions du suivi communautaire
Modèle psychosocial du travail de proximité (Psychosocial Outreach Theory)
Créer un contact
Établir une relation de confiance
Aider la personne à cibler des objectifs et des moyens pour les atteindre
Méthode
Approche qualitative
Analyse de contenu thématique
Provenance des données
Sources de données secondaires
Caractéristiques des répondants
Intervenants participants
Usagers participants
Ce qui distingue notre recherche
Procédé d’analyse des données
Résultats
Problématiques des usagers
Instabilité résidentielle
Problèmes de santé mentale
Problèmes de santé physique
Problèmes de dépendance
Problèmes judiciaires
Difficulté dans la gestion des émotions et problèmes de comportements
Faible revenu et difficulté dans la gestion du budget
Faible connaissance des services et vide de services
Abandon des responsabilités parentales
Point de vue des intervenants: des personnes vivant de multiples problématiques
La pratique de l’équipe: cheminement, approches, concepts
Les défis de la mise sur pied de l’Équipe ltinérance de Trois-Rivières
Créer une identité d’équipe sans perdre sa propre identité
Développer de nouvelles façons de faire
Intervenir auprès d’une nouvelle clientèle
Les forces de l’Équipe ltinérance de Trois-Rivières: les différences de chacun et la capacité de se concerter dans l’équipe
Une mission « at large », d’intervention et de soutien, pour les personnes vulnérabilisées par la désaffiliation sociale
Une pratique interdisciplinaire dans une approche de soins et de services intégrés
offerts dans le milieu de la personne
Une approche axée sur le lien: un suivi non conditionnel à des résultats
Le logement d’abord, du cas par cas
Processus d’intervention d’urgence
Un contact humain dans une relation d’égal à égal
Un hybride entre le travail de rue, l’approche communautaire et l’approche conventionnelle
Fonctionnement
Demande de service
Par références
Par demande de la personne elle-même
Suivis à intensité variable
Suivi d’équipe
L’organisation du temps: au jour le jour
Un suivi qui offre du temps pour le « après la rue »
Fin du suivi
Coordination et réunions cliniques
Coordination des suivis et recherche de solutions
Les réunions cliniques: un espace pour prendre soin de la santé mentale des intervenants
Cibles et modalités d’intervention
Répondre aux besoins de base
Avoir un chez-soi
Gestion du budget / Fiducie volontaire
Réduction des méfaits
Santé mentale: un soutien psychosocial
Santé physique: soins de santé et soutien psychosocial
Orientation et Références / Soutien dans les démarches
Réduire les problèmes associés à la judiciarisation
Éducation à de saines habitudes de vie
Réinsertion sociale: Intégration au travail/Bénévolat / Retour aux études
L’accompagnement: une modalité d’intervention centrale
Buts après la rue: projet de vie envisagé par les personnes
Partenariat
Difficulté de collaboration
Travailler en partenariat, un besoin pour les usagers
L’accessibilité à d’autres services: des mécanismes d’accès plutôt complexes
Autorisation à l’échange d’information: une question de confiance entre l’usager et l’intervenant
Discussion
La pratique de l’Équipe ltinérance de Trois-Rivières
Un hybride entre le travail de rue, l’approche communautaire et l’approche conventionnelle
Une pratique interdisciplinaire et intersectorielle dans une approche de soins et de services intégrés offerts dans le milieu de la personne
Savoir-être et capacités personnelles des intervenants : les qualités nécessaires pour intervenir auprès d’une clientèle en processus de désaffiliation sociale
Un suivi axé sur le lien passe par la création du lien de confiance
L’accompagnement est une modalité d’intervention essentielle auprès des personnes en processus de désaffiliation sociale
L’apport de la psychoéducation
Chaque profession offre un apport à l’équipe
La philosophie du logement d’abord
Les cibles d’intervention
Partenariat: collaboration et accessibilité aux services
Un besoin de formaliser des mécanismes de collaboration
Les limites de la recherche
Conclusion
Références
Appendices
Appendice A: Certificat d’éthique de la recherche UQTR / lettres de renouvellement
Appendice B: Autorisation à utiliser les données dénominalisées colligées dans le cadre de l’évaluation du projet Équipe ltinérance de Trois-Rivières
Appendice C: Grille d’entretien individuel
Appendice D: Grille du groupe de discussion (focus group) auprès de l’Équipe ltinérance de Trois-Rivières (ÉI3R)

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