Modèle d’observation systémique des interactions parents-enfants

Création des AEME : évolution sociétale

À présent, nous allons voir dans quel contexte de telles structures ont été créées et comment le soutien à la parentalité est devenu un axe central de la protection de l’enfance. La plupart des pays industrialisés d’Europe ont connu, depuis les années 1960, d’importantes mutations de l’institution familiale (Kellerhals et Widmer, 2012). Dans ce nouveau contexte politique, social et économique de l’après-guerre, et tout au long de la deuxième moitié du 20ème siècle, l’individualisme prend le pas sur le communautarisme. Ainsi, les individus aspirent à davantage d’autonomie et d’indépendance ce qui va se manifester dans l’évolution des relations interpersonnelles, sous le double effet de l’émancipation des femmes et de la valorisation de l’enfance (Neyrand, 2011). Les années 1970 ont été marquées par de nombreuses modifications au niveau législatif français, suite à des changements sociaux et idéologiques forts. La contraception est légalisée en 1967, la puissance paternelle est abolie en 1970 au profit de l’autorité parentale conjointe, l’égalisation des filiations naturelle et légitime a lieu en 1972 et, en 1975, le divorce par consentement mutuel est reconnu (Neyrand, 2011). C’est la notion traditionnelle de famille et de rôle de chaque membre de celle-ci qui est remis en question, voire révolutionné. Ces mutations ont eu notamment pour effet une forte montée des unions libres et des séparations conjugales, et donc des foyers monoparentaux (Neyrand, 2011). Ces changements ne sont alors pas accompagnés de mesures étatiques suffisantes pour protéger ces nouvelles familles de la précarité et de la solitude, raison pour laquelle les inégalités s’accentuent.

Les foyers monoparentaux sont davantage exposés aux risques sociaux qui en découlent. Pour ces familles, qui sont le plus souvent constituées de femmes seules ayant un ou plusieurs enfants à charge, les difficultés à concilier vie familiale et vie professionnelle sont fréquentes. Selon les statistiques, elles sont en outre souvent moins qualifiées et ont donc moins de ressources financières pour gérer plus de contraintes. Dans ces conditions, les mères de familles monoparentales subissent statistiquement des taux de chômage supérieurs à ceux des mères en couple (Commaille, 2013). Or, le travail occupe une place centrale dans notre société, il est même qualifié de donneur d’identité. En plus d’une sécurité matérielle et financière, il assure des relations sociales. En effet, Émile Durkheim (1950) insiste sur le fait que les groupes professionnels jouent un rôle important dans le processus de socialisation de l’individu. Les modes d’intégration reposent donc en grande partie sur l’activité professionnelle (Paugam, 2003). Pour ces mères qui peinent à s’insérer dans le monde du travail, s’intégrer dans la société semble donc ardu. Le risque d’isolement n’en est alors que renforcé.

Parallèlement à ces mutations sociales, les travaux de René Spitz sur l’hospitalisme3 ont mis en lumière la massivité des pathologies présentées par les bébés privés des soins de leurs parents durant la seconde Guerre mondiale. L’affectivité du jeune enfant est alors (re)découverte. Une nouvelle approche de la petite enfance, axée sur le développement intellectuel et cognitif de l’enfant, symbolisée par la figure de Jean Piaget4, va alors se développer. Cette théorisation va être critiquée dans la mesure où elle exclut le rôle social de son système explicatif. Dans la théorie de l’apprentissage de Lev S. Vygotsky, cette dimension sociale va être centrale ; le développement de l’enfant y est conçu comme la résultante de l’interaction entre celui-ci et son environnement, le rôle de l’entourage tenant une place déterminante. Cette approche accorde « la primauté l’intelligence » (Neyrand, 2000, p.42). Quelle que soit la compréhension que l’on a du processus de l’apprentissage, que ce soit les stades de Piaget ou la zone proximale de développement de Vygotsky, il est intéressant de noter que l’on tente de comprendre l’enfant, de comprendre comment il devient adulte avec un système de pensée et d’apprentissage qui lui est propre et comment il se développe cognitivement.

C’est un attrait nouveau qui dénote une volonté sociale d’influer sur cet apprentissage et de le comprendre. Parallèlement, de nombreux et nombreuses théoricien.ne.s vont se pencher sur le développement émotif de l’enfant. La théorie de l’attachement5, développée par John Bowlby dans les années 1950-1960, va expliquer comment la relation précoce qui s’établit entre le nourrisson et la personne qui en prend soin contribue au bien-être du bébé ou peut mener à une psychopathologie de celui-ci. Comme nous le verrons ensuite plus en détail, les différentes recherches effectuées à ce sujet mettent en lumière les compétences que le parent doit avoir pour favoriser la construction d’un attachement sécurisant pour son enfant ainsi que les facteurs influençant la qualité des soins parentaux. Les études établissent un lien entre un bon développement cognitif, affectif et social de l’enfant et un attachement sécure. Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste française, a contribué à populariser cette idée de l’importance fondamentale des premières années de vie pour le développement, à travers les relations qu’entretient le nourrisson avec ses parents et en particulier avec sa mère (Neyrand, 2011). Progressivement, l’importance de l’enfance a donc été largement reconnue et la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CDE) adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1989 lui confère un véritable statut. L’« intérêt de l’enfant » devient ainsi un leitmotiv des politiques publiques (Segalen et Martial, 2013). Le contexte dans lequel s’exerce la parentalité a été modifié par la CDE en déplaçant l’attention vers les enfants, leur accordant des droits. L’idée selon laquelle les parents auraient un pouvoir absolu sur leurs enfants a été fortement remise en question ; l’accent a été davantage mis sur la responsabilité des parents plutôt que sur leur autorité (Daly, 2008).

L’attachement insécure

Il peut arriver que d’une façon ou d’une autre l’environnement de l’enfant ne réponde pas à l’expression de ses besoins d’attachement de manière adéquate. Le jeune enfant va alors développer des stratégies d’adaptation. Dans ce genre de situation, il va s’agir d’un attachement dit insécure soit « anxieux évitant », soit « anxieux ambivalent/résistant ». Il a été observé que les enfants avec un attachement évitant réagissent peu lors d’une séparation avec la figure d’attachement et, lors des retrouvailles, ils ne recherchent pas la proximité et le contact avec celle-ci, sachant qu’elle ne leur apportera pas de réconfort. Guédeney (2010, p.25) explique qu’il s’agit d’un ensemble de stratégies de « minimisation des besoins d’attachement et de diversion de l’attention ». A l’inverse, dans le cas d’un attachement ambivalent/résistant, l’enfant mettra en place des stratégies de « maximisation des besoins d’attachement, au détriment des capacités d’exploration » (Guédeney, 2010, p.26). En effet, lors d’une séparation avec la figure d’attachement, l’enfant montre de la détresse. Il éprouve ensuite des difficultés à être réconforté et oscille entre recherche de contact et rejet de la figure d’attachement.

Dans ces deux cas, il ne s’agit pas d’attachements « pathologiques » ou de troubles de l’attachement ; l’insécurité de l’attachement reste adaptative. C’est-à-dire que c’est la meilleure réponse qu’a trouvé l’enfant pour garder un certain niveau de proximité avec sa figure d’attachement en fonction de ce que celle-ci était en mesure de lui donner. Malgré tout, cette insécurité de l’attachement « limite les potentialités de développement optimal, en particulier la négociation des conflits, le confort émotionnel, la liberté cognitive et la qualité des relations sociales proches. En présence d’autres facteurs de risques, elle potentialise les risques de dysfonctionnement de l’enfant (estime de soi, cognition, santé mentale, santé physique, relations sociales) » (Guédeney, 2010. p.27). En ce qui concerne l’attachement désorganisé, qui fait également partie des attachements dits insécures, il représente une véritable vulnérabilité à des troubles cognitifs, émotionnels et du comportement. Ce sont des situations où la figure d’attachement est à la fois source de sécurité et d’alarme.

Le jeune enfant va manifester des comportements contradictoires en cas de stress, hésitant entre l’approche et l’évitement et ne parviendra pas à élaborer une stratégie cohérente pour être réconforté par sa figure d’attachement (Hennighausen et Lyons-Ruth, 2010). Mary Main (1990) suppose que cela peut être le cas lorsque la figure d’attachement a subi un traumatisme lié à sa propre figure d’attachement et que ce traumatisme est resté « non-résolu ». Elle peut alors adopter un comportement « effrayé et / ou effrayant » dans les échanges avec son bébé. En effet, l’expression d’une peur par le bébé peut réveiller, chez la figure d’attachement, une frayeur ; la base de sécurité est alors menacée. Il peut arriver qu’un parent, très isolé socialement, fasse progressivement de la relation avec son enfant une source de sécurité pour lui-même. La séparation risque alors d’être désorganisante car lorsque l’enfant se tournera vers son parent pour se réconforter, il ne rencontrera que la propre anxiété de séparation et le besoin de réconfort de ce dernier. Dans d’autres cas, la figure d’attachement peut se montrer menaçante, brusque, faire des mimiques ou des gestes de réprimande.

Face à ces attitudes, le jeune enfant ne peut pas utiliser comme base sécurisante sa figure d’attachement qui lui fait peur ou qui répond à son anxiété en montrant sa propre anxiété (Pierrehumbert, 2003). Or, la théorie de l’attachement pose comme postulat que l’expérience que fait un individu avec sa ou ses figures d’attachement aura des conséquences directes sur sa capacité à tisser, plus tard, des liens affectifs avec d’autres personnes. (Grossmann et Grossmann, 2009). En effet, à partir des réponses de l’entourage aux comportements d’attachement du jeune enfant, des modèles internes opérants vont se mettre en place. Ceux-ci « […] orchestrent le comportement, la cognition et les affects dans les relations proches ; ils contrôlent également l’attention portée aux informations associées à des événements liés à l’attachement et la mémoire associée à ces événements » (Guédeney, 2010. p.29). Ces modèles vont traduire la confiance en les autres et en soi comme personne digne ou non d’être aimée et soutenue par les autres en fonction des réponses que l’enfant a reçues. Plus l’enfant est encore jeune, plus des changements au niveau de l’environnement pourront facilement modifier ces modèles du monde et de soi.

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Table des matières

1. Introduction
1.1 Objectifs
2. Cadre théorique
2.1 L’Accueil éducatif mère-enfant
2.1.1 Présentation générale
2.1.2 Cadre légal
2.1.3 Création des AEME : évolution sociétale
2.2 Lien d’attachement
2.2.1 La constitution du lien d’attachement
2.2.2 Les figures d’attachement
2.2.3 L’attachement sécure
2.2.4 L’attachement insécure
2.2.5 Les troubles liés à l’attachement
2.2.6 Les facteurs influençant la qualité des soins
2.3 Soutenir les parents
2.3.1 Posture professionnelle et empowerment
2.3.2 Différents programmes d’intervention
2.3.3 Modèle d’observation systémique des interactions parents-enfants
3. Méthodologie
3.1 Terrain et population de recherche
3.2 Récolte de données
3.2.1 Déroulement des entretiens
3.3 Ethique
4. Description et analyse des données
4.1 Objectif 1
4.1.1 Difficultés rencontrées par les mères accueillies
4.1.2 Problématiques au niveau du lien mère-enfant
4.1.3 Durée des prises en charge
4.1.4 Analyse de l’objectif 1
4.2 Objectif 2
4.2.1 Construction de la prise en charge
4.2.2 Accompagnement
4.2.3 Fin du placement
4.2.4 Analyse de l’objectif 2
4.3 Objectif 3
4.3.1 Limites et freins de l’intervention
4.3.2 Évolution des situations
4.3.3 Analyse de l’objectif 3
5. Conclusion
5.1 Synthèse
5.2 Limites de la recherche et difficultés rencontrées
5.3 Discussion et perspectives d’avenir
5.4 Bilan
6. Références
6.1 Ouvrages
6.2 Sites internet
6.3 Articles
6.4 Rapports, divers
7. Annexes
A. Compte-rendu de l’entretien avec M. Pfaehler
B. Grille d’entretien
C. Formulaire de consentement
D. Projet éducatif personnalisé (PEP)
E. Grille d’observation du lien « mère-enfant »
F. Référentiel du SPJ

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