METHODE ET COMPLEXITE CHEZ EDGAR MORIN

Généralité sur la méthode

     La problématique de notre sujet, intègre un terme qui nous renvoie aussitôt au 17e siècle : celui de la « méthode ». En effet, lorsque nous prononçons le terme de « méthode », nous ne pouvons pas ne pas penser à la figure emblématique de Descartes qui a inspiré au monde scientifique moderne cette idée qui renvoie à la notion d’ordre dans toute entreprise de recherche de la vérité. Il est donc judicieux, quel que soit l’auteur qui nous intéresse, lorsque nous voulons traiter de « méthode », de dire d’abord en quoi consiste la méthode en général, et particulièrement celle de Descartes qui, de droit, peut revendiquer la paternité de ce terme du point de vue moderne. Ainsi, notre travail, même s’il porte sur la méthode et la complexité chez Edgar Morin, nous invite de prime abord à revisiter, même s’il sera sommaire, les pensées de certains auteurs qui ont traité de la « méthode » antérieurement à Morin. Et de ce point de vue, en plus de l’incontournable Descartes, nous pensons aux idées d’induction et d’empirisme de John Locke et de David Hume au déterminisme galiléo-newtonien et laplacien. En fait, en quoi consiste la « méthode » en général ? La méthode, en sa première acception, est une manière d’exposer des idées, de découvrir la vérité ; selon le Lalande, c’est « un chemin par lequel on est arrivé à un certain résultat […], un programme réglant d’avance une suite d’opérations à accomplir et signalant certains errements à éviter, en vue d’atteindre un résultat déterminé ». De cette définition très générale, le mot « méthode » dénote une question pratique. Il s’agit de se fixer a priori une démarche ou un ensemble de procédés jugés aptes à conduire une tâche jusqu’à un but donné. Ainsi « le mot méthode, d’origine grecque, signifie chemin : celui, tracé à l’avance, qui conduit à un résultat. La méthode ou bien se rapporte à la meilleure façon de conduire un raisonnement, ou bien est un programme ». La méthode exige donc du scientifique une attitude conformiste. Dans son activité, il n’a pas à chercher par d’autres voies en dehors de celle établie, car il en existe une seule qui demande à être suivie. Ainsi, dans le cadre de la méthode, celui qui entreprend une activité de recherche philosophique ou scientifique est tenu de fixer son attention sur les principes méthodologiques donnés et de se diriger à un but, sans un quelconque besoin de porter un regard critique sur sa direction. Le seul bon chemin est celui tracé à l’avance ; tout dérapage mène à l’échec et à la chute. Et de ce point de vue, l’ordre doit être le principe fondateur de la démarche du chercheur ou du savant. La méthode s’assigne donc un objectif ou un but, celui « de permettre de dériver des résultats de même forme à partir de propriétés communes. Dans l’acceptation la plus stricte, une méthode est un algorithme défini préalablement aux questions d’une classe donnée, et qui, à toute question de la classe, fournit au bout d’un nombre fini d’espaces une solution soit par une réponse affirmative ou négative, soit par le calcul d’une valeur numérique ». On comprend dés lors, pour des problèmes similaires, que la méthode, par l’analogie et les ressemblances au niveau des données, peut permettre de faire une sorte d’anticipation sur les différentes phases qui mènent aux résultats visés. La méthode permet d’aller droit au but par la canalisation du processus ; autrement dit, tout au long de l’activité, l’action est guidée par un certain nombre de règles. Avant de poursuivre notre travail, nous pouvons nous poser quelques questions : pourquoi a-t-on jugé nécessaire d’instaurer une méthode de travail ? La méthode doit-elle être considérée comme une exigence première pour toute recherche scientifique ? Peut-on parler d’une méthode qui s’applique à n’importe quelle recherche de la vérité ? Ou encore, y a-t-il une unique méthode pour chaque science si la science se dit au pluriel ; ou en plus clair, classera-t-on les méthodes, s’il y en a plusieurs, d’après les sciences auxquelles elles s’appliquent ? Pourquoi les épistémologues ont-ils tant débattu autour de l’idée de « méthode » ? La recherche d’une vérité théorique certaine avait déjà poussé Aristote, au IVe siècle av. J-C. , à entreprendre une logique ou « Organon ». C’était pour Aristote une manière de rejeter la dialectique de son maître Platon ; il s’agissait pour ce dernier, dans la recherche de la vérité, d’installer un dialogue avec ses interlocuteurs chaque fois qu’il y a matière à réflexion. Or, selon Aristote, un simple accord sur les points de vue ne saurait garantir une vérité. La vérité n’est pas le résultat d’une somme d’opinions. Il était donc nécessaire pour Aristote de trouver un instrument capable de préserver le raisonnement des erreurs qui le guettent en permanence. L’ « Organon » d’Aristote concerne les propositions et leurs inférences, et les raisonnements d’une manière générale11. Cet instrument assurait la cohérence et la validité formelle des théories et discours. La méthode d’Aristote est une logique dont le type de raisonnement est déductif : le syllogisme. Cet instrument devait s’appliquer aux différentes sortes de sciences reconnues par Aristote, les sciences théoriques, les sciences pratiques et les sciences poétiques. Il permettait de montrer les preuves que l’on devait exiger des propositions comme gage de vérité. Les principes fondateurs de cette logique sont : « le principe d’identité », formulé comme suit : A est A, c’est-à-dire l’impossibilité que le même existe et n’existe pas en même temps et sous la même relation ; le principe du tiers exclu et le principe de non-contradiction. Ces principes ont pour fonction principale de débusquer les erreurs de raisonnement. La déduction syllogistique d’Aristote « vient donc à bon droit au premier rang des méthodes » . Cependant, l’ambition d’une formalisation du syllogisme conduit celui-ci à livrer des conclusions fausses du point de vu du contenu. Des prémisses fausses, on peut aboutir à une conclusion vraie. « Or toutes les conclusions que l’on déduit d’un principe qui n’est point évident, ne peuvent aussi être évidentes, encore qu’elles en seraient déduites évidemment […], lorsqu’on a de vrais principes » nous dit Descartes dans les Regulae.

L’empirisme de Locke

       La méthode de Locke consiste à un développement véritable de l’empirisme. Locke était médecin, et ses pratiques médicales lui ont certainement révélé que les fondements de la philosophie de Descartes et de sa méthode ne sont pas en mesure de nous élancer jusqu’aux confins de la nature humaine, du réel en général. Effectivement, l’activité de John Locke s’applique sur le corps humain, c’est-à-dire sur le concret. Cela semble ne pas rimer avec l’abstraction pure. Avec Locke, la démarche est inversée, car là où Descartes part des évidences, à savoir les idées claires et distinctes, Locke choisit comme point de départ l’expérience sensible. C’est une manière pour lui de rejeter les démonstrations purement abstraites même si elles sont logiques. A ce niveau, Locke rejoint Morin lorsqu’il dit qu’ « aucun système logiquement organisé ne peut embrasser l’univers dans sa totalité ni rendre compte exhaustivement de sa réalité »31. La raison à laquelle Locke croit c’est celle-là qui tire ses ressources des données de l’expérience. Il ne s’agit pas pour Locke d’un combat contre les pouvoirs et les forces de la raison humaine c’est plutôt une nouvelle dynamique qui plonge l’esprit dans le sensible. Cette nouvelle méthode ne trace pas à l’avance le chemin à suivre, car l’ordre des raisons cette fois-ci est tributaire de celui des phénomènes de la nature ou de la structure du corps humain ; autrement dit, toutes nos connaissances nous viennent de l’expérience. Locke suppose que l’âme était une « tabula rasa » à ses débuts ; ce qui va le pousser à se poser une question à laquelle lui-même répond : « D’où puise-t-elle (l’âme) tous ces matériaux, qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances ; et c’est de là qu’elles tirent leur première origine ». Cette réponse de Locke nous indique combien il se réclame d’une philosophie de l’expérience, tout à fait hors du champ des spéculations auxquelles se livrent certains de ses pairs. Il remet en cause toute méthode reposant sur des « a priori » ou sur des hypothèses. La pratique médicale à laquelle il se livrait, lui montre que, pour donner des indications médicales, il doit se résoudre à suivre les symptômes directement observables. De ce fait, l’esprit se conformera à l’ordre des phénomènes tels qu’on les observe directement. L’ordre que les phénomènes tracent est celui que l’entendement est appelé à poursuivre pour la compréhension de la nature. Autant nous comprenons les phénomènes de la nature et leurs liens de causalité autant notre entendement retrouve un ordre adéquat pour cerner le réel ; car, en fait « les observations que nous faisons sur les objets extérieurs ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons, et sur lesquelles nous réfléchissons nousmêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, que nous pouvons avoir naturellement ». A ce titre, l’observation des phénomènes, en tant qu’elle est une expérience sensible immédiate, est la « methodus medenti », ou méthode de traitement. Le souci de Locke était de comprendre les phénomènes pathologiques dans leur constance et leur régularité. Partant des premiers matériaux fournis par la sensation issue des objets de l’extérieur, l’entendement prend le relais et essaie de connaître ses propres opérations. « Sensation » et « réflexion » sont donc les deux sources de nos idées selon Locke : la première renvoie aux impressions qui nous viennent du monde extérieur ; la seconde, est l’acte réflexif de l’esprit en vue de saisir ses propres opérations. Locke reconnaît alors les limites de l’esprit humain. L’entreprise de Locke consiste à montrer comment l’esprit humain acquiert les connaissances qu’il possède. Avec Locke, l’empirisme prend le dessus sur le rationalisme et la métaphysique. Tout ce qui se situe au-delà de l’expérience sensible échappe à l’esprit humain. La méthode chez Locke doit se ramener au sensible, à l’observation directe. Ici encore, ce qui est visé c’est la connaissance d’un ordre au niveau des phénomènes. Et même si Locke part du réel pour le connaître, il ne met pas en relief la complexité de celui-ci, c’est-à-dire la possibilité que le réel déroge à l’ordre et se révèle autrement ; mieux encore Locke ne se soucie pas de l’environnement du réel, il oublie aussi que les phénomènes que l’on observe sont le résultat de plusieurs interactions entre les composants de ce réel, et entre le réel et les autres réalités qui l’entourent. Malgré tout, il faut reconnaître le mérite de Locke d’avoir restauré le sensible dans le domaine de la connaissance.

De l’incertain dans l’atome

     L’avènement de la mécanique quantique au début du XXe siècle remet en cause tout le système classique d’un univers déterministe. Rappelons-nous les propos de Pierre Simon de Laplace : « Une intelligence qui, pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule des mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux ». Dans l’univers déterministe l’imprédicibilité, le hasard, l’improbable étaient bannis. Le démon de Laplace envisageait un univers parfaitement ordonné. Mais voilà que l’atome irréductible et insécable depuis Démocrite s’est révélé comme un micro-univers composé d’un noyau autour duquel gravitent des électrons. Dans la physique quantique, « les particules qui apparaissent ne peuvent plus être considérées comme des objets élémentaires clairement définissables, repérables, mesurables […]. La particule se brouille, se dissocie, s’indétermine, se polydétermine sous le regard de l’observateur ». Les difficultés définitionnelles des éléments subatomiques sont liées non seulement à la petitesse des particules mais surtout à leur instabilité permanente. L’atome perd son caractère classique d’élément insécable en se révélant en un univers extrêmement complexe dont les composants sont : électrons, protons et neutrons. L’étrangeté quantique apparaît dés qu’on veut déterminer à la fois, avec précision, la vitesse et la position de l’électron. Il s’avère impossible de connaître les deux en même temps ; car « chaque fois que l’on mesure la position, la vitesse change, et vice-versa, l’électron nous glisse entre les doigts en quelque sorte de face proprement quantique ». Car plus on éclaire l’électron pour le localiser, plus il devient instable et par conséquent échappe à toute tentative de localisation. Il résulte de ce qui précède que l’électron est à la fois onde et particule : il est onde parce qu’il est en perpétuel mouvement ; il est particule parce que c’est un point matériel, un élément de matière pesant. Einstein et Max Born s’indignent face à une telle situation. D’abord Erwin Schrödinger, à la suite de Broglie, écrit un article publié en 1926 où il affirmait que l’électron n’est pas une particule mais une « onde de matière ». Cette interprétation fut rejetée par Max Born et le groupe de Göttinger qu’il dirigeait. Tentant de résoudre l’énigme fondamentale qui s’est posée, Born définit la « fonction d’onde » de De Broglie et Schrödinger comme la mesure de la probabilité de trouver un électron en un point donné de l’espace ». Avec Born, on ne parle plus, « d’onde de matière » mais « d’onde de probabilité ». Cette interprétation de l’électron s’explique par le fait qu’il est de toute évidence impossible de suivre exactement la trace d’un électron comme l’aurait espéré réussir la physique newtonienne. La querelle entre le groupe de Max Born et Schrödinger donne lieu à de nombreux articles. Einstein de son côté pour montrer son indignation par rapport à « l’étrangeté » de la physique quantique écrit à Born en lui disant dans une de leurs correspondances que « l’idée qu’un électron exposé à un rayonnement choisit en toute liberté le moment et la direction où il veut sauter m’est insupportable. S’il en était ainsi, j’aimerais mieux être cordonnier ou même employer dans un tripot que physicien ». Selon Einstein, l’idée « d’onde de particule » était grossière car il est inconcevable pour lui que la particule n’obéisse aux lois établies dans le paradigme classique. Et même si la mécanique corpusculaire s’impose, il n’y adhère pas, car il est convaincu que celle-ci est incapable de nous dire tout sur le secret du « Vieux ». Une fois encore, « le flou quantique » 66, ce caractère double des particules qui refusent de nous livrer simultanément le secret de leur position et de leur mouvement, prouve que nous ne sommes plus face à un « désordre de dégradation et de désorganisation. C’est un désordre constitutionnel, qui fait nécessairement partie de la physique, de tout être physique »67 comme l’annonce Morin. Le désordre dans la micro-physique est une corroboration de l’idée de complexité de la matière quelle que soit sa nature. Il est désormais illusoire de vouloir suivre un quelconque « fil d’Ariane », car, de toute façon, ce prétendu « fil » est devenu un labyrinthe. C’est pourquoi « la découverte d’une impossibilité physique n’est pas le produit d’une résignation au bon sens, c’est la découverte d’une structure intrinsèque du réel que l’on ignorait jusque-là et qui condamne à l’impossible un projet théorique » selon Ilya Prigogine. Une nouvelle méthode est à retrouver, et celle-ci est d’autant plus nécessaire que le désordre dépasse les frontières du « sous-sol micro-physique » et atteint l’univers tout entier depuis sa création. En tout cas, avec la théorie du big-bang, aucune partie de l’univers n’échappe désormais au désordre.

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Table des matières

INTRODUCTION
I – PREMIERE PARTIE : De la science classique au paradigme de la complexité
1 – Généralité sur la méthode
2 – La méthode cartésienne
3 – L’empirisme
a) L’empirisme de John Locke
b) David Hume et la méthode inductive
4 – Le déterminisme
5 – L’irruption du désordre
a) De l’incertain dans l’atome
b) La théorie du big-bang
c) La théorie du chaos : « l’effet papillon »
II – DEUXIEME PARTIE : Au cœur de la complexité
1 – De la complexité de la physis
2 – De l’organisation
3 – De l’organisation à l’éco-organisation
4 – La notion d’autos chez Edgar Morin : La complexité du biologique
5 – La dialectique de l’ordre et du désordre
6 – De la complexité du réel à la pensée complexe
7 – Vers une rationalité ouverte : la méthode de la complexité
CONCLUSION

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