L’ouverture du secteur éducatif à l’économie de marché dans le contexte social de crise

L’ouverture du secteur éducatif à l’économie de marché dans le contexte social de crise

La crise scolaire au Sénégal s’est accentuée d’année en année jusqu’à atteindre son apogée dans les années 1980. L’école sénégalaise est peu à peu plongée dans « une perte de prestige » (Malamine Maro, 2005). Les grands centres d’intérêt qui sous-tendent la promotion sociale ont été durement affectés par la crise économique. L’administration publique, secteur qui recrute en masse les diplômés, s’est lancée dans une réforme de réduction de ses effectifs. Cette grande machine d’ascension sociale pour les familles modestes s’est bloquée au moment où le « secteur privé connaît un véritable marasme : l’Etat et les entreprises parapubliques lui doivent de lourdes créances » (Nacuzon Sall, 1996). En réalité, la nouvelle donne à laquelle les familles doivent désormais faire face est que les études deviennent coûteuses, demandent un plus grand soutien financier au moment où « la scolarité s’allonge indéfiniment ». La décennie qui commence à partir de 1980 se caractérise par «l’élaboration d’une stratégie de massification des grèves ». Celle-ci se traduit par l’élargissement de la « base géographique du mouvement revendicatif » (Momar Coumba Diop, 1992 : 446). A partir des années 1990, la tension s’empare à nouveau de la scène scolaire et les acteurs cèdent à la violence : « des barricades de pierres» « de fûts vides, de kiosques renversés », de matériaux divers et de « pneus brûlés » font leur apparition dans les rues. Les grévistes font usage « d’armes blanches, de gourdins, de bombes paralysantes et asphyxiantes et recourent à la séquestration de personnalités scolaires et universitaires » (Harouna Sy, 2008 : 12). Les mouvements de contestation ont depuis l’indépendance, installé le système d’enseignement dans une permanente instabilité. Les grèves éclatent presque chaque année, aux mêmes périodes et pour les mêmes revendications. Il y a une régularité chronologique et une sorte de réglage périodique de l’éclatement des grèves revendicatives. Mais c’est à partir de 1980 que le rythme des mouvements revendicatifs longs et coûteux s’est intensifié au Sénégal. Entre 1960 et 1979, le système scolaire a enregistré sept longues grèves. Elles passeront à quinze entre 1980 et 1999, puis enregistreront une  baisse notable entre 2000 et 2008 pour atteindre le nombre de huit.

Les politiques d’ajustement structurel imposées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire international comme solution libérale au sous-développement, sont largement mises en cause dans cette détérioration des tissus social et économique. « Ajustement » n’est rien d’autre que « le nouveau terme introduit par les économistes, pour parler de politiques d’austérité. Au tout début des années 1980, on ne parle que d’ajustement conjoncturel avec les interventions à court terme du FMI. C’est l’entrée en scène de la Banque Mondiale, agence de développement sur le moyen et le long terme qui a transformé cet ajustement conjoncturel en ajustement structurel. (Makhtar Diouf, 1992 : 63).

L’éducation, la santé et l’emploi sont les secteurs qui ont le plus souffert des programmes d’ajustement (Diaoune 2000 : 11). Les politiques d’austérité auxquelles ces réformes structurelles ont abouti, ont été menées au détriment des logiques sociales. Dans l’ensemble « l’objectif déclaré est comme dans toute politique économique conjoncturelle, le rétablissement des grands équilibres : stabilité des prix, équilibre des finances publiques et de la balance des paiements, croissance économique, plein emploi ». (Makhtar Diouf, 1992 : 63).

Trois catégories de mesure pour résorber la crise vont être prises à travers un Plan de redressement économique et financier (P.R.E.F.) coïncidant avec le « sixième plan de développement » 1980/1985 auquel succédera un quatrième « plan d’ajustement à moyen et long terme (P.A.M.L.) » allant de 1985 à 1992. Les premières mesures visent l’assainissement des finances publiques et se traduisent par la fermeture de vingt trois ambassades, la réduction des subventions aux denrées de consommation et la fermeture des internats dans les établissements du secondaire.  Sur le plan de l’éducation et de la formation, la part des dépenses d’éducation est restée à peu près constante entre 1981 et 1988 soit 23% du budget national, ce qui explique pourquoi dans le même temps le taux de scolarisation, pour les enfants de 7 à 12 ans ait progressé de 12 points (Makhtar Diouf, 1992). Deux facteurs expliquent cette situation paradoxale. D’une part, le progrès de l’alphabétisation dans les communautés rurales : ce sont les villageois euxmêmes qui financent les abris scolaires avec le produit de la taxe régionale prélevée au niveau local. D’autre part, l’instauration des classes à double flux consistant à dispenser des cours de manière alternative à un effectif de deux salles de classes, en une journée. Ce phénomène des classes à double flux cache d’autres paradoxes. En effet, dans les écoles rurales « il y a des élèves et pas assez d’enseignants, soit on dispose d’enseignants et pas de salles de classes, soit enfin, il y a trop d’enseignants et d’élèves, et pas de tables-bancs » (Essono, 2004). D’où l’idée des classes multigrades permettant de regrouper des élèves de plusieurs niveaux d’études, dans une même salle de classe et confiés à un même enseignant qui les reçoit soit le matin, soit l’après-midi, en fonction de l’emploi du temps.

En réalité, les ressources sont rentabilisées au maximum, en accueillant des effectifs d’élèves deux fois plus nombreux. Un tel système d’enseignement au rabais ne concerne que les milieux défavorisés. L’école élémentaire remplit davantage une fonction d’alphabétisation que d’instruction. (Ly et Diouf, 1989). Les réformes structurelles qui ont conduit à la réduction du budget alloué à l’enseignement et à la baisse de la qualité de l’enseignement, ont dans le même temps contribué à la baisse du revenu des ménages. Beaucoup d’élèves « sont périodiquement renvoyés de l’école parce que les parents victimes des vagues de licenciement, n’arrivent plus à faire face aux échéances de paiement ». (Jacques Sy, 2002 : 89).

Les temps forts qui ont marqué la crise autrement dit l’année blanche de 1988 et l’année invalide de 1994 ont entraîné la rupture symbolique du contrat de confiance qui lie l’école publique au citoyen. Dans le même temps, la crise sociale a été un terreau dans lequel plusieurs phénomènes ont vu le jour, à savoir le recrutement massif par l’Etat d’enseignants non fonctionnaires appelés « volontaires de l’éducation », le programme de « l’Education pour tous » (EPT) ainsi que l’ouverture de l’école à l’économie de marché. Les pages suivantes permettront d’étudier la répercussion de tous ces différents phénomènes sur les trajectoires scolaires.

Les phénomènes marquant la libéralisation du secteur éducatif

L’explosion de l’offre en matière de formations professionnelle et technique, dans le secteur privé a été le phénomène le plus marquant de la crise scolaire. Les écoles de formation ont en ce sens augmenté de dix fois leur taille en dix ans. (cf. Tableau 1). Des transformations d’ordre juridique ont accompagné l’essor du secteur privé, rendant possible la diversification de l’offre de formation. Entre 1991 et 1994 des dispositions législatives autorisent la création dans le privé, d’écoles d’enseignements professionnel et technique. Ces dispositions législatives marquent l’affaiblissement de l’Etat dans la mesure où ces nouvelles structures privées ne sont pas soumises aux mêmes contraintes budgétaires que dans la fonction publique. « Que ce soit sous formes d’actions collectives ou d’initiatives individuelles, les acteurs économiques n’investissement pas seulement des champs engendrés par la nouvelle constellation nationale, voire internationale, ils prennent aussi de plus en plus possession de certains secteurs de la vie économique et sociale où l’Etat a pendant longtemps joué un rôle prépondérant sinon exclusif ». (Baumann 1998 : 27). Ces secteurs concernent la santé et l’éducation. A titre d’exemple, on assiste à l’ouverture de cliniques et d’établissements d’enseignement (y compris supérieur) appartenant à des particuliers.

Le chômage des jeunes diplômés a modifié durablement le rapport que les populations sénégalaises ont toujours entretenu avec l’institution scolaire. Considérée avant la crise comme un corridor d’accès vers la fonction publique, l’école est désormais perçue, à cause du chômage massif des jeunes diplômés comme une impasse.

Plusieurs remarques s’imposent lorsqu’on s’intéresse à l’emploi et à son corollaire le chômage. Ce dernier ne rend qu’imparfaitement compte au Sénégal, des réalités socioéconomiques parce qu’il n’existe pas de véritable statut de chômeur. Les personnes sans activités ne bénéficient pas d’aides venant d’organismes étatiques. Il s’y ajoute que l’oisiveté est très mal perçue socialement. Les gens sans activités se réfugient derrière le statut « d’hommes d’affaires » dans le secteur informel ou de « rat de l’administration » . Les diplômés de l’enseignement secondaire, voire supérieur qui pouvaient traditionnellement prétendre à un poste dans l’éducation nationale (Baumann, 1998 : 28) ont été parmi les plus touchés par l’arrêt des recrutements dans la fonction publique.

En 1991, le chômage des diplômés sortis de l’enseignement supérieur devient une réalité sociale qui suscite beaucoup d’inquiétude chez les parents d’élèves et chez les élèves du secondaire, dans la mesure où il s’agit d’un phénomène tout à fait nouveau, dans le secteur de l’éducation et de la formation. Tant bien que mal, les secteurs de l’emploi parvenaient à absorber la population sortie des établissements scolaires même avec le diplôme de fin d’études du collège (Bepc). « Avec les crises en tout genre, aujourd’hui au Sénégal, un Doctorat (serait-il de médecine !) n’ouvre pas automatiquement beaucoup de portes. L’administration publique doit réduire ses effectifs, elle ne recrute plus ou presque plus » (Nacuzon Sall, 1996). La situation est plus préoccupante à la capitale où 25% des diplômés n’arrivent pas à trouver un emploi. Il faut souligner aussi que de vains subterfuges sont utilisés par les chômeurs issus de l’enseignement public, pour donner l’impression qu’ils  exercent une activité professionnelle. C’est le cas de A. T. que nous retrouvons ci-dessous. Ancien étudiant, il a quitté l’école après avoir obtenu son diplôme de maîtrise.

« L’essentiel c’est que je ne sors pas pour mendier ; même ceux avec qui je loge ne savent pas que je chômais… Mais qu’est-ce que je fais ? je suis dans les activités, l’essentiel je ne vole pas ( rires) mais je me débrouille, je suis toujours en activité » A.T Maîtrise en 1993. 

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Table des matières

Introduction
Chapitre I L’ouverture du secteur éducatif à l’économie de marché dans le contexte social de crise
1.1. Les phénomènes marquant la libéralisation du secteur éducatif
1.1.1 L’acte de naissance de l’enseignement privé
1.1.2 La libéralisation de l’économie point culminant de la contestation scolaire
1.1.3 Le phénomène de synchronisation en temps de crise
1.2. Le préscolaire, espace d’égalisation des rapports sexués et réalité contrastée
1.2.1 – Les « jardins d’enfants », une réalité sociale très contrastée
1.2.2- Les inégalités dans le recrutement du personnel
1.2.3 – Les performances scolaires à l’orée du certificat d’études
Chapitre II La reproduction sociale et sexuée des inégalités dans les trajectoires scolaires et dans l’accès au premier emploi
2.1. Les reproductions sociale et scolaire des inégalités de sexe
2.1.1 Garçons et filles dans la vie active à l’heure des réformes structurelles
2.1.2 L’investissement dans les groupes de travail comme trait d’union entre le secondaire et le marché de l’emploi ?
2.1.3 Les stratégies scolaires des groupes sexués dans les secteurs public et privé de l’enseignement secondaire
2.2- Garçons et filles de l’élémentaire à l’entrée dans le secondaire moyen
2.2.1 Tableau des inégalités scolaires dans l’élémentaire et le secondaire moyen
2.2.2 La déperdition scolaire à travers les cycles d’études
2.3. Les groupes sexués dans l’enseignement secondaire
2.3.1 Le secondaire, une étape charnière du processus scolaire
2.3.2 Les filles dans les filières de l’enseignement général et technique : performances et contre-performances
Chapitre III La dimension transnationale de la construction sexuée des trajectoires scolaires
3.1. La différenciation sociale et sexuée dans le secondaire marocain
3.1.1 Ambitions scolaires et inquiétudes devant l’avenir
3.1.2 La relégation des filles, une donnée transnationale
3.1.3 Projection dans l’avenir et filières d’études
3.1.4 Les élèves entre lien intergénérationnel et valorisation de la famille nucléaire
3.2. Les inégalités sociales dans le secondaire béninois et sénégalais
3.2.1 Ouvriers et inactifs à la recherche d’un emploi après leur scolarisation
3.2.2 Le système d’enseignement béninois : prééminence masculine dans le recrutement du personnel et rapport sexué inégalitaire
Chapitre IV Les déterminants familiaux de la répartition sexuée des rôles sociaux
4.1. Présentation des modèles familiaux wolof
4.1.1 Les tâches domestiques ou la manifestation sociale des contraintes sexuées
4.1.2 La socialisation des garçons par une préparation à un rôle d’autorité
4.1.3 Les parents comme exemples concrets de la répartition des rôles familiaux
4.1.4 L’insertion des garçons dans « les structures alimentaires de la parenté »
4.1.5 Du sentiment d’adhésion vers des rapports contrariés avec la sphère domestique : l’effet « schizophrénie »
4.2. Le modèle social à l’épreuve des politiques d’ajustement structurel
4.2.1 Les transformations à l’œuvre dans le modèle parental
4.2.2 Une vision sexuée des rôles en pleine mutation
4.2.3 L’émergence d’un modèle synthétique de socialisation
4.2.4 Le nouvel usage des idéologies sexuées
Chapitre V Les activités de sociabilité scolaire, une affaire fondamentalement masculine ?
5.1. La socialisation introvertie, un processus tourné vers la sphère privée ?
5.1.1 Concilier travaux domestiques et investissement dans les groupes de travail
5.1.2 L’envers du décor ou les facteurs décourageant les longues études
5.1.3 La temporalité différentielle des projets scolaire et professionnel
5.2. La socialisation extravertie, un processus orienté vers la sphère publique ?
5.2.1 Les transformations à l’œuvre dans les modèles de socialisation
5.2.2 La relation entre les modèles familiaux et les groupes socio-professionnels
5.2.3 Les modèles introverti et extraverti dans la question de l’accès au logement
Chapitre VI Les variations des modèles familiaux dans le choix du groupe de travail
6.1. Présentation et typologie des groupes de travail
6.1.1 La configuration des groupes de travail
6.1.2 La mixité, une réalité à facette multiple des interactions garçons-filles
6.2. L’influence des liens de famille sur le choix d’un groupe de travail
6.2.1 Les modèles familiaux dans le choix d’un groupe de travail
6.2.2 La famille, un lieu d’homologation de l’investissement scolaire
6.2.3 La charge domestique dans le choix du groupe de travail
Conclusion

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