Lorsque le roman investit l’Histoire

Lorsque le roman investit l’Histoire

Lebaroque entre artet littérature

Le point d’interrogation qui clôt l’intitulé de notre mémoire est capital dans la mesure où il détermine la ligne directrice de notre recherche, à savoir prouver le caractère baroque d’Elissa, la reine vagabonde. Compte tenu de l’appartenance générique de cette oeuvre, notre premier réflexe fut naturellement de chercher à propos du « roman baroque ». Mais force fut pour nous de constater que cette notion non seulement posait problème aux théoriciens, mais qu’elle était le plus souvent, sinon absente, du moins reléguée en seconde zone dans la plupart des ouvrages consultés1. Parmi les raisons susceptibles d’expliquer une telle lacune se trouve le fait que le roman, dit baroque, soit apparu à une époque, le XVIIe siècle, où les genres dominants étaient la poésie et le théâtre. En effet, le genre romanesque était encore en pleine mutation. Sa structure incertaine et irrégulière était bien loin de ressembler à celle qu’il allait acquérir au XIXe siècle, son âge d’or. En plus du discrédit dont il fut frappé, il était noyé dans une nébuleuse terminologique telle, que les dénominations se trouvent encore hésitantes, voire prudentes : roman de l’âge baroque, prose baroque2, âge du romanesque3…etc. Ceci étant, nous nous sommes tournée vers une notion plus englobante, et qui dépasse le cadre restreint du roman, à savoir celle de « récit baroque ». Là, nous avons eu quelque satisfaction à en retrouver non seulement des mentions, mais aussi des études, dont la plus marquante est sans doute celle de Gérard Genette, intitulée « D’un Récit baroque »4. Orienté essentiellement dans une perspective structuraliste, l’article présente à la fois les avantages et les insuffisances de toute approche rigoureuse et précise : s’il propose une approche novatrice du récit baroque, avec tout le dispositif terminologique et méthodologique qui s’impose, il n’en demeure pas moins incapable à lui seul de rendre compte d’une notion aussi vaste, riche et protéiforme.

Ainsi, la notion de baroque est d’autant plus difficile à cerner qu’elle englobe des réalités fort diverses, allant de la peinture jusqu’à la littérature, en passant par l’architecture, la sculpture, les ballets de cour et la musique. Mais la principale raison de cette difficulté réside, sans doute, dans le fait que l’esthétique baroque soit longtemps demeurée dans l’ombre, surtout en France où les institutions officielles ne voulaient reconnaître dans le XVIIe siècle que le « Grand Siècle classique », quitte à faire fi de toute une production foisonnante qui s’est également distinguée sous le règne de Louis XIII1. Dans cette optique, Jean-Pierre Chauveau déplore que « le baroque ne s[oit] (…) dans ce contexte français [qu’]une parenthèse confuse et malheureuse2». Cependant, une telle conception ne durera pas longtemps, puisque le baroque, qu’il soit artistique ou littéraire, bénéficie aujourd’hui d’un regain d’intérêt dont témoigne le large éventail de publications et de recherches qui lui sont consacrées. Ce sont, justement, ces dernières qui nous permettront de jeter la lumière sur cette notion encore floue, insaisissable et qui demeure encore rebelle aux définitions closes et absolues. Donc, la meilleure méthode de la saisir consistera pour nous en une synthèse des travaux qui l’ont prise comme objet d’étude. Ainsi, nous nous intéresserons dans ce chapitre à des théoriciens et chercheurs comme : Heinrich Wölfflin, Eugenio d’Ors, Jean Rousset, Victor-Lucien Tapié, Claude-Gilbert Dubois, Gérard Genette, Bernard Chédozeau, Giselle Mattieu- Castellani, Jean-Pierre Chauveau et Mario de Carvalho.

Dionysos contre

Apollon Une autre conception du baroque est apportée par la critique d’art au XXe siècle. En 1930, la voix de l’esthéticien et écrivain espagnol Eugenio d’Ors (1882- 1954) s’élève pour refuser de « voir dans le baroque une notion historiquement datée1 », mais plutôt une catégorie éternelle de l’esprit faite de liberté créatrice débordante, et qui viendrait en alternance avec ces tendances classiques, moins propices à la liberté et plus réglementées et coercitives. En cela, d’Ors rejoindrait l’alternance nietzschéenne2 entre l’ordre apollinien et le désordre dionysiaque. Il va sans dire que cette conception présente le baroque sous un jour favorable, en lui conférant ce dynamisme et cette vitalité nécessaires à la pérennité de tout art. Mario de Carvalho3 cite quelques unes des vingt-deux espèces du genre baroque les plus connues, répertoriées par d’Ors : Barocchus Romanus ; Barocchus Gothicus ; Barocchus Rococo ; Barocchus Romanticus…etc. Quelque mérite quelle ait, la conception orsienne a souvent été critiquée en raison de la dualité, si ce n’est l’inimitié, qu’elle instaure entre deux arts qui passeraient leur temps à se succéder l’un à l’autre plutôt qu’à se rencontrer. Cependant, son apport n’en demeure pas moins considérable, en ce qu’elle offre la possibilité de retrouver le baroque en dehors de son siècle d’apparition, et fait de lui un état d’esprit susceptible de revenir à n’importe quelle époque de notre histoire.

Le détour par l’Histoire

La compréhension de l’essence du courant baroque et de ses véritables enjeux ne saurait se passer d’un détour par l’histoire de l’Europe qui l’a vu naître, à savoir celle des XVIe et XVIIe siècles. Dans Baroque et Classicisme2, Victor-Lucien Tapié retrace le parcours du baroque depuis sa naissance en Italie jusqu’à son extension fulgurante dans le reste de L’Europe et aux Amériques, en passant par son aventure controversée en France. C’est ainsi qu’il s’attelle à prouver l’étroite solidarité entre le baroque et la Contre-Réforme3 catholique qui l’a impulsé. Il le définit comme un courant « monarchique, aristocratique, religieux et terrien »4. Monarchique car, selon l’auteur, le baroque s’épanouit dans les cours en quête d’un art susceptible de concrétiser leur idéal de faste et de somptuosité5. Aristocratique du fait qu’il se développe dans des sociétés fortement hiérarchisées, où la noblesse qui tient les rênes du pouvoir se reconnaît dans cet art propre à consolider sa foi catholique6. Religieux vu son attachement à l’esprit du Concile de Trente1. Terrien car le contexte qui voit son essor est dominé par un regain d’intérêt pour la terre, bien inépuisable et si précieux pour le propriétaire et le paysan qu’il est entouré de prestige2. De plus, le paysan n’est pas écarté du plaisir des spectacles baroques qui, s’ils ne répondent pas chez lui à des caprices de parade exhibitionniste, satisfont par contre à ses besoins d’émerveillement et de ferveur religieuse3.

En outre, Tapié ne manque pas de contester certaines idées reçues qui présentent le baroque comme une antithèse de la Renaissance, ou encore qui y voient un art jésuite. Ainsi retrace-t-il une double Renaissance : celle d’avant le sac de Rome (1527) et celle d’après. Cette dernière porte déjà les germes du baroque visibles dans les oeuvres tourmentées de Michel-Ange et mouvementées du Corrège4. Quant à l’association du baroque à la Compagnie de Jésus, l’historien s’applique à la battre en brèche dans un exposé minutieux des conceptions artistiques des jésuites qui ne valent que pour le Gesù5 de Rome, et que la Compagnie s’est fort peu souciée d’imposer à ses adeptes qui essaimaient un peu partout en Europe6.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 : Le baroque entre art et littérature
Introduction
1- L’ère de la réhabilitation
2- Dionysos contre Apollon
3- D’un baroque littéraire : Circé et le paon
4- Le détour par l’Histoire
5- Pour une grammaire narrative du récit baroque
6- Correspondances
7- De l’oralité à la prose imprimée
8- Retour à la mythologie
9- Et la fascination persiste
10- Lorsque le baroque vire au carnavalesque
Synthèse
Chapitre II : D’un mélange générique
Introduction
1- Épopée d’une reine phénicienne
1. Définition du genre épique
2. L’exploit épique
3. Histoire, légende et mythe
1- 3. 1. Entre vérité historique et scepticisme archéologique
1- 3. 2. Entre légende et mythe
1- 3. 2. 1. Le mythe cosmogonique
1- 3. 2. 2. Le mythe étiologique
1- 3. 2. 3. Le mythe eschatologique
4. Les personnages épiques
4. 1. Une héroïne au service de la collectivité
4. 2. Les personnages secondaires
Lorsque le roman investit l’Histoire
1. Définition du roman historique
2. Une référentialité attestée
2. 1. Les personnages référentiels
2. 2. La spatio-temporalité
2. 2. 1. La spatialité
2. 2. 2. La temporalité
3. Insertion des énoncés référentiels dans la fiction romanesque
3. 1. De Tolstoï à Mellah
3. 2. Le roman historique moderne ou la carnavalisation d’un genre
4. Une héroïne problématique
4. 1. La polyphonie
4. 2. Le dialogisme :
Elissa épistolière
1. Définition du genre épistolaire
2. Permanence et subversion d’une tradition
2. 1. Qui parle dans la préface ?
2. 2. Survivances
2. 3. Un pacte hors du commun
3. Discours, dialogisme et altérité
3. 1. De l’usage des pronoms :
3. 2. Le dialogue dans l’absence
4. Approche structurelle et typologique de la lettre
4. 1. Une monodie épistolaire
4. 2. Une typologie déconcertante :
4 . 2 . 1. L’expression de soi
4. 2. 2. La dénonciation
4. 2. 3. La formation
Elissa mémorialiste
1. Définition des mémoires
2. Une mise au point à propos d’un genre
2. 1. Mémoires authentiques
2. 2. Mémoires fictifs
3. Dimension individuelle de l’héroïne
3. 1. Proximité par la narration
3. 2. A la recherche du mythe posthume
3. 2. 1. Lorsque l’aveu casse le mythe
3. 2. 2. Et le mythe est sauvegardé
4. Un témoignage pour la postérité
Elissa essayiste
1. Définition de l’essai
2. Expression d’une subjectivité.
3. Liberté d’un genre
3. 1. Leurs formes se rencontrèrent
3. 2. Tentative de formalisation
4. L’essai comme genre subversif
Conclusion
CHAPITRE III : D’UN RÉCIT BAROQUE
Introduction :
Spécificités d’Elissa, la reine vagabonde
Les textes de départ
1. Geste d’Elissa entre histoire et mythe :
2. Naufrage des stèles, histoire véridique
Approche structurale du récit baroque
1. L’amplification par développement :
1. 1. Nécessité d’un découpage
1. 2. Expansion de l’introduction
1. 3. Expansion des quatre chapitres
1. 3. 1. Chypre
1. 3. 2. Sabratha
1. 3. 3. Hadrumète
1. 3. 4. La Colline parfumée
1. 4. Expansion du cinquième chapitre
2. Amplification par insertion
2. 1. Le récit dans le récit
2. 1. 1. Le récit premier
2. 1. 2. Le récit second
2. 1. 3. Un narrataire paradoxal
2. 2. D’autres insertions
2. 2. 1. Une reine documentaliste
2. 2. 2. Une reine ethnologue
2. 2. 3. A quoi rêve une reine
3. Amplification par intervention
3. 1. Présence de la narratrice dans le récit
3. 2. Intervention par l’essai
3. 3. Intervention par comparaison
Conclusion
Chapitre IV : D’un baroque thématique et rhétorique
Introduction
D’une thématique baroque
1. Circé, le paon et le masque1. 1. De la métamorphose
1. 2. … à l’ostentation :
1. 3. Jeux de masques :
1. 3. 1. Deux attitudes antithétiques
1. 3. 2. Le déguisement baroque
2. Le mouvement et l’inconstance
2. 1. L’espace en mouvement
2. 1. 1. L’univers changeant
2. 1. 2. L’univers approprié
2. 2. Les intermittences du coeur :
3. L’eau et la fuite
3. 1. La mer salutaire
3. 2. Elissa, une reine de la mer
4. L’étrange et l’insolite
4. 1. Comment peut-on ignorer la musique
4. 2. Une nuit pas comme les autres
5. La mort
5. 1. La mort effective
5. 1. 1. La malédiction
5. 1. 2. La mort personnifiée
5. 2. La mort programmée
5. 2. 1. L’immolation imminente
5. 2. 2. Le rêve funèbre D’une rhétorique baroque
1. La métaphore
1. 1. De l’usage des métaphores
1. 2. A corps baroque métaphore baroque
1. 2. 1. Entre nouveauté et stéréotypie
1. 2. 2. Retour aux violons ailés
1. 2. 3. Une créativité à partir de clichés
2. L’antithèse
2. 1. Antithèses exclusives
2. 1. 1. L’antithèse au service du sens
2. 1. 2. L’antithèse au service de la forme
2. 2. Antithèse par complémentarité
3. L’oxymore
3. 1. Le titre oxymorique
3. 2. L’oxymore à l’oeuvre
4. Quelques figures de construction
4. 1. Le chiasme
4. 2. La parataxe et l’asyndète
Conclusion
Conclusion générale
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Mots-clés
Résumé du mémoire en français
Résumé du mémoire en anglais

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