L’organisation des activités scientifiques et les relations science industrie

Depuis le milieu des années 1990, les connaissances ont pris une importance telle pour l’économie des pays développés que les enjeux de croissance reposent désormais sur la capacité à les acquérir, les créer et les utiliser (OCDE, 1996). En effet, les économies fondées sur les connaissances, comme elles sont entre autres appelées , induisent que les pays produisent et utilisent davantage de connaissances, mais aussi que se développe un régime d’innovation permanent reflétant le niveau toujours plus complexe des technologies et l’importance accrue des connaissances scientifiques dans les processus d’innovation. Dans ce contexte, de nombreuses technologies issues des avancées de la recherche scientifique fondamentale ont transformé la société, comme l’Internet et le laser, pendant que d’autres, comme les sciences de la vie, contribuent à un progrès toujours plus rapide dans les secteurs de la santé et des biotechnologies (OCDE, 2000). En outre, ces économies voient apparaître divers acteurs de l’innovation qui n’est plus uniquement le fait des grandes firmes, mais également de petites entreprises innovantes dont on assiste à l’émergence. Issues de la sphère académique, elles constituent une des expressions de la valorisation économique des résultats de recherches scientifiques financées par fonds publics à laquelle se livrent les institutions scientifiques. Ces dernières, et notamment les universités, sont appelées à jouer un rôle croissant et surtout un rôle économique dans l’innovation et la croissance. Dans cette optique, de nouvelles structures émanant d’initiatives publiques sont mises en place afin de soutenir cette transition. D’autant plus que la pression que font peser les pouvoirs publics sur les institutions scientifiques afin de produire une connaissance qui sera ensuite valorisée par le marché survient alors comme une légitimation des financements qui leur sont alloués et comme un changement profond de leurs pratiques (Kreimer, 2003). Les interactions entre les différents acteurs de la production des connaissances scientifiques, qu’ils soient publics ou privés, se montrent ainsi de plus en plus importantes et de plus en plus complexes, tout comme les lieux de la création des connaissances se sont également accrus (Gay et Picard, 2004). Par ailleurs, au fur et à mesure que la frontière entre milieu académique et sphère industrielle devenait de plus en plus floue, témoignant des évolutions et des changements de perspective de la nature de l’activité inventive (Hert, 2003), diverses théories économiques se sont développés afin d’appréhender ces phénomènes. Elles ont notamment révélé le caractère problématique de la définition et de l’usage des frontières entre recherche publique et recherche privée, entre recherche fondamentale et recherche appliquée, d’autant plus qu’un  amalgame s’est imposé au fil du temps. Il résulte notamment de la vision strictement linéaire de l’innovation et de circulation des résultats de la recherche académique vers la recherche industrielle, et s’est vu conforté par les analyses économiques qui ont émergé vers le milieu du 20ème siècle et qui ont accompagné la (re)structuration du système de recherche.

SCIENCE ET INDUSTRIE : UNE ORGANISATION DICHOTOMIQUE CONFORTEE PAR LES ANALYSES ECONOMIQUES DE L’INNOVATION

L’institutionnalisation politique d’un cadre dichotomique entre la science et l’industrie

Science et industrie se présentent traditionnellement comme deux mondes dichotomiques, le premier correspondant à la recherche fondamentale et le second à la recherche appliquée. Polanyi (1962) oppose également ces deux mondes en parlant respectivement de la République de la science et du Royaume de la technologie. Ainsi, la République de la science représenterait l’institution scientifique qui fonctionne selon ses propres critères. Elle répondrait à des règles dictées par elles et souvent contrôlées par elle. C’est une « République d’explorateurs » qui partent à la découverte de l’inconnu, qui cherche à assouvir leur curiosité avec comme récompense leur satisfaction intellectuelle et la reconnaissance académique. A la différence du Royaume de la technologie qui évoluerait suivant les mécanismes inhérents à ceux du marché, avec comme objectif premier la recherche de profit. Nous expliquons ce schisme entre la science et l’industrie de deux manières, présentant par ailleurs certaines complémentarités. Dans un premier temps, il procède de l’amalgame qui est fait entre recherche fondamentale et recherche publique, et, de la même manière, entre recherche appliquée et recherche privée. En effet, une large croyance s’est installée selon laquelle les activités de recherche qui sont financées par fonds publics seraient exclusivement des activités de recherche fondamentale. Ces institutions publiques ne réaliseraient donc pas de recherches appliquées et ne seraient donc pas créatrices de technologie. Certes, les nouvelles découvertes et les nouvelles connaissances produites constitueraient une source d’innovation, mais en tant que fonds de connaissances mis à la disposition des industries dans leur processus de R&D. Les universités et les organismes publics de recherche réalisant principalement de la recherche fondamentale et étant financées essentiellement par fonds publics, la recherche fondamentale est assimilée à de la recherche publique, quand bien même les recherches de ces institutions peuvent aboutir à des applications industrielles. De la même manière, les industries réalisant de la recherche à des fins commerciales, la recherche appliquée (productrice de technologie) a été assimilée à de la recherche privée. La deuxième explication réside dans le fait que cette dichotomie résulte de l’impossibilité de traiter la science suivant les mécanismes de marché, chers aux analyses économiques. Cette vision conduit alors à ce que les connaissances scientifiques nouvelles apparaissent en tant que bien public et soient traitées comme tel en économie. Ne répondant pas aux mécanismes de marché, il est certes établi que la science peut contribuer à l’industrie et par là même à l’innovation, mais en tant qu’externalité positive.  L’objet de cette section est ainsi de mettre en évidence le rôle qui a été assigné à la science, ainsi que de proposer une explication de la manière dont ce rôle s’est historiquement construit. D’un point de vue économique, le problème d’allocation des ressources est une des questions fondamentales. Les travaux qui apparaissent sur la question de la science dès la fin des années 1950 semblent apporter une justification économique de la nécessaire intervention des pouvoirs publics dans le soutien de la recherche fondamentale. Les connaissances scientifiques se présentent alors comme des biens publics impliquant une intervention du gouvernement afin de pallier la défaillance de marché concernant l’allocation des ressources et le problème de l’inévitable sous investissement du secteur privé en recherche fondamentale. Avec comme référence le cas des politiques en matière de science et de technologie mises en place aux Etats-Unis et en France, nous avons pu constater que l’enjeu initial n’était pas essentiellement économique. L’économique est venu rationaliser le politique dont la justification du soutien à la science résidait dans un enjeu de défense nationale et, dans une moindre mesure, de santé. Concernant plus précisément les situations américaines et françaises, on peut effectivement observer un certain parallélisme au regard de la mise en œuvre de politiques touchant à la science. La prise de conscience d’une nécessaire valorisation de la recherche fondamentale apparaît simultanément des deux côtés de l’Atlantique, les enjeux en termes de défense apparaissant clairement aux yeux de ces deux nations. De plus, ces politiques, qui concernent au final principalement des préoccupations de financements et d’allocation des ressources, ont conduit à une institutionnalisation de la recherche fondamentale que ce soit aux Etats-Unis ou en France. Les deux nations y ont néanmoins répondu différemment. Par ailleurs, c’est à partir de la montée en considération de la recherche universitaire et de l’accroissement des financements publics en direction de la recherche fondamentale, que s’est instauré petit à petit cet amalgame entre recherche publique et recherche fondamentale et que le fossé s’est creusé entre le milieu académique et la sphère industrielle.

La science au regard des politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics

Que l’on se situe aux Etats-Unis ou en France, l’intervention publique en matière de
soutien et de financements à la recherche scientifique ne constitue pas une tradition de longue date. En effet, la question du soutien à apporter à la recherche fondamentale n’entre réellement dans les prérogatives des politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, cette préoccupation est particulièrement portée par la politique de défense. Jusqu’à il y a environ 60 ans, il n’y avait pas vraiment de planification de la question de la science, surtout à long terme, ni même d’institutionnalisation de la recherche scientifique. Les interrogations des pouvoirs publics concernant la recherche fondamentale ou la recherche académique intervenaient plutôt au cas par cas, selon les situations. Plus précisément, on entend par l’institutionnalisation de la recherche, la prise en compte et la mise en évidence de la recherche académique en tant qu’institution, autrement dit, en tant qu’un ensemble de règles qui vont former le système et en assurer le bon fonctionnement. Ainsi, « throughout U.S. history, there  has been no long-term, overarching design or plan for scientific and technological development. Progress was incremental, a response to specific situations – from the early challenges of westward expansion, the mapping of the country’s geography, and inventorying its natural resources to the more recent adventures of space exploration. Such challenges, plus those of military defence and the pursuit of economic development, have provided powerful motivation for the scientific community » (Tisdell, 1981, p. 134). Divers dispositifs vont alors être mis en place répondant d’un côté, à la réclamation des scientifiques d’obtenir des fonds d’importance croissante pour poursuivre leurs recherches et de l’autre, exprimant le fait que le gouvernement avait compris que la science servirait au développement économique et surtout militaire du pays. Il est vrai que cette institutionnalisation de la science a été, pour une grande part, portée par la politique de défense et par le lancement de grands programmes (comme celui de l’exploration spatiale), surtout en cette période d’après Seconde Guerre mondiale et de Guerre froide. Pour ce qui a trait à la situation américaine justement, à partir de l’après Seconde Guerre mondiale, la recherche universitaire apparaît comme la clé de l’avenir des Etats-Unis, dans la mesure où est mis en exergue le fait qu’elle produit de nouveaux savoirs, de nouvelles technologies et qu’elle forme les nouvelles générations de scientifiques et d’ingénieurs. La communauté scientifique a en effet développé une série d’arguments dans le but d’obtenir un soutien fédéral permanent vis-à-vis des activités de recherche de la nation, et plus spécifiquement de la recherche fondamentale ; ceci dans la mesure où le secteur privé ne pouvait délivrer le niveau adéquat de ressources. En effet, “the private sector applied the existing stock of knowledge for profit but had little interest in producing additions to the stock.” (Averch, 1985, p. 7). En France, en dépit d’une première prise de conscience de l’importance scientifique antérieure à la Seconde Guerre mondiale, mais survenant également dans un climat international conflictuel, le schéma de développement de la politique scientifique est quelque peu similaire à celui qui s’est déroulé aux Etats Unis. D’autant plus que les réformes ne prennent alors réellement effet qu’après la Seconde Guerre mondiale et que c’est à ce moment là que la question du financement va conduire à une politique plus systématique de la recherche publique française. De la même manière, on assiste alors à une institutionnalisation de la recherche française et à un soutien public à la recherche fondamentale. Durant cette période où surviennent les prémisses de l’organisation scientifique telle que nous la connaissons aujourd’hui, les deux systèmes en développement vont faire face à des contextes de développement des politiques scientifiques similaires et à la nécessité de financements émanant des pouvoirs publics pour soutenir la recherche fondamentale. L’enjeu lié à la défense, dans ces contextes de fins de conflits et de tensions avec l’extérieur, va venir justifier le soutien public à la recherche et servir l’enjeu économique. Ce problème de l’allocation des ressources à la recherche fondamentale va ainsi constituer l’élément d’injonction du politique à l’économique. Pour autant, de part et d’autre de l’Atlantique, les logiques mises en œuvre afin d’organiser la recherche publique vont prendre des formes différentes et ce, à plusieurs niveaux. Par exemple, les universités sont les principaux acteurs de la recherche publique aux Etats-Unis alors que ce rôle est surtout attribué aux organismes de recherche en France, comme le CNRS. Les financements sont alloués par le gouvernement américain suivant une logique de projets par le biais d’agences, alors qu’en France, les financements sont récurrents.

Les politiques de la science et de la technologie aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale, la science ne semble pas susciter d’intérêt particulier dans les sphères politiques où il n’existe pas d’organisation spécifique et reconnue ayant pour mission de fédérer les activités scientifiques. Des instances existent, comme la National Institute of Health fondée en 1887, mais elles ne concernent que
des domaines particuliers, comme les sciences médicales. Les politiques globales concernant la science semblent absentes et la réalisation, ainsi que l’organisation de la recherche académique, relèvent de chacune des universités. Certes, ce non interventionnisme ne se limite pas qu’à la science. Depuis 1789, le gouvernement fédéral américain n’est que lentement intervenu de manière active dans les affaires de la nation. L’activisme gouvernemental ne s’est accéléré qu’à la suite des événements qui ont suivi 1929 et en particulier après l’investiture de F. D. Roosevelt à la présidence en 1933. Puis, ce n’est vraiment qu’après la Seconde Guerre mondiale que les politiciens, aussi bien que les citoyens, ont appelé le gouvernement à intervenir pour aider à surmonter la crise, en reconnaissant que dans de nombreux domaines, un soutien continu du gouvernement serait dans l’intérêt de la nation. La recherche scientifique fondamentale fait justement partie de ces domaines requérant une implication accrue du gouvernement (NSF, 1994), dans la mesure notamment où l’industrie ne peut fournir le soutien nécessaire à la recherche fondamentale en raison des profits attendus, perçus comme trop bas et surtout envisageables qu’à plus ou moins long terme.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE – ECONOMIE DE LA SCIENCE : D’UN SYSTEME DICHOTOMIQUE A UN SYSTEME DE CO-PRODUCTION DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES
CHAPITRE 1 – Science et industrie : une organisation dichotomique confortée par les analyses économiques de l’innovation
CHAPITRE 2 – Le développement des relations science industrie expliqué par des contextes juridique, financier, économique et technologique en évolution
CHAPITRE 3 – Un système alternatif de production des savoirs
DEUXIEME PARTIE – LA CO-PRODUCTION DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES EN FRANCE. UNE ILLUSTRATION PAR LES DEMANDES DE BREVETS DEPOSES PAR LE CNRS DE 1995 A 2005 ET LA POLITIQUE FRANÇAISE DES GENOPOLES MISE EN PLACE A LA FIN DES ANNEES 1990
CHAPITRE 4 – Une analyse des données bibliographiques des brevets demandés par le CNRS de 1995 à 2005
CHAPITRE 5 – Une analyse des brevets CNRS co-demandes par les entreprises de 1995 à 2005
CHAPITRE 6 – La politique des Génopoles en France comme figure emblématique de la situation française en matière de relations science industrie
CONCLUSION GENERALE

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