L’or, une dynamique narrative et sociale

L’or, une dynamique sociale et narrative 

L’influence du capitalisme sur la littérature française du XIXe siècle n’est plus à démontrer. Ainsi, les mutations socio-économiques qui se sont opérées dans ce siècle, avec l’ascension de la bourgeoisie, vont propulser l’argent au rang de divinité. Ce qui fait de l’argent la seule dynamique de la machine sociale qui, comme le dit Boubakour Samira, « (…) dicte sa loi et impose une structure sociale ».

La course vers l’argent est la seule chose qui pousse et anime la société bourgeoise de cette époque. De ce fait, la Révolution française, elle qui prônait plus de liberté et de justice sociale, sera biaisée par la bourgeoisie et son corollaire l’argent. Ce dernier, va faire en sorte comme le pense Barbéris, à ce que « le sentiment chrétien, le sentiment de l’honneur, [cèdent] d’un coup au dynamisme neuf de l’individualisme et du désir de fortune ». Puisque l’argent a pris le dessus sur la naissance avec le transfert de pouvoir qui s’est opéré entre l’aristocratie et la bourgeoisie. Mais, il faut remarquer que Balzac ne se limite pas à l’observation de ce fait, il ira plus loin par l’introduction du gain dans le roman. Et, ceci constitue une chose rare à cette époque. En plus il ne s’arrête pas là, il fera de cette thématique le moteur de son roman, l’élément central du récit. Effectivement, toute puissance matérielle qui émane d’un vouloir se transforme en pouvoir, le Père Grandet en est conscient et il consacrera sa vie à accumuler le métal précieux, l’argent devient le nouveau maitre de la société. Et c’est pourquoi Honoré de Balzac dans La Peau de chagrin affirme ceci : « L’homme s’épuise par deux actes instinctivement accomplis qui tarissent les sources de son existence. Deux verbes expriment toutes les formes que prennent ces deux causes de mort : Vouloir et Pouvoir. ». Dès lors, le thème de l’argent sera présent dans toute l’œuvre de Balzac. Par ailleurs, parler de la présence de l’argent dans cette œuvre revient à dire, en un seul mot, le rôle que joue l’or tant dans la société que dans le récit.

Et cela, nous permet de parler des deux sous point de ce chapitre dont l’un est de montrer que l’or constitue une dynamique sociale et dont l’autre est lui aussi de prouver que l’argent demeure un moteur de la narration.

Une dynamique sociale 

« Mais ce qui me sert de médiateur pour ma propre vie me Sert également de médiateur pour l’existence d’autrui. Mon Prochain, c’est l’argent ».

L’instabilité politique, caractère dominant du XIXe siècle, témoigne du foisonnement d’une vie politique. La Restauration et la Monarchie de Juillet sont les moments ou les repères historique dans Eugénie Grandet. Ces deux moments historiques apportent de nouvelles valeurs consubstantielles au capitalisme bourgeois. La Restauration et la Monarchie de Juillet ont comme grands maux : la fièvre du gain. Le pouvoir devient le support et le levier de la classe dominante qui instaure la gouvernance de l’argent ou du métal précieux.

Ainsi, la société française va être animée par l’appât du gain. De ce fait, il n’est pas anodin que dans Eugénie Grandet, roman dans lequel on remarque la peinture de l’irrésistible ascension de la bourgeoisie, Balzac commence la biographie du Père Grandet qu’à partir de 1789, date importante dans l’Histoire de la France qui correspond à la Révolution française où on voit un homme partir de rien pour arriver au sommet. Par ce fait, il montre à toute la société française que tout est possible, il suffit simplement d’y croire et de se donner les moyens pour y arriver. Par ce biais, la course vers le pouvoir et la fortune est déclenchée.

De ce fait, nous constatons un abandon généralisé des vrais systèmes de valeurs. Le capitalisme règne dans une société bourgeoise pervertie par l’argent. L’amour du gain fait bouger la société, il crée des remous importants dans la société. En effet, nous pensons avec Martine Reid, qu’il occupe la vie, les activités et les pensées de tous et en même temps, l’argent façonne la condition humaine de la France du XIXe siècle. L’or attire sa meute féroce, qui sait cerner sa proie, la flatter pour pouvoir la saisir le moment venu. Ces propos de Balzac sont assez illustratif de ce fait :

« Le notaire, assis dans son coin, regardait l’abbé d’un air calme en se disant :- Les des Grassins ont beau faire, ma fortune, celle de mon frère et celle de mon neveu montent en somme à onze cent mille francs. Les des Grassins en ont tout au plus la moitié, et ils ont une fille : ils peuvent offrir ce qu’ils voudront ! Héritière et cadeaux, tout sera pour nous un jour. A huit heures et demie du soir, deux tables étaient dressées. La jolie madame des Grassins avait réussi à mettre son coté d’Eugénie. Les acteurs de cette scène pleine d’intérêt, quoique vulgaire en apparence, munis de cartons bariolés, chiffrés, et de jetons en verre bleu, semblaient écouter les plaisanteries du vieux notaire, qui ne tirait pas un numéro sans faire une remarque ; mais tous pensaient aux millions de monsieur Grandet. Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraiche de madame des Grassins, la tête martiale du banquier, celle d’Adolphe, le président, l’abbé, le notaire, et se disait intérieurement : ils sont là pour mes écus. Ils viennent s’ennuyer ici pour ma fille. Hé ! Ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-là me servent de harpons pour pêcher ! » (EG, 92-93) .

Le désir de se hisser à la plus haute strate de la hiérarchie sociale est ce qui caractérise le XIXe siècle jusqu’à notre époque actuelle. C’est pourquoi, la littérature de ce siècle est une littérature de situation, qui se veut proche des populations et de leur quotidien. En observant la société de son époque, Honoré de Balzac ne peut pas passer à coté de la situation socioéconomique de ce siècle, où la passion permet à l’être humain de se distinguer parmi les autres espèces; la passion du profit devient le moteur des actions humaines.

Au reste, l’argent établit une nouvelle stratification de la société avec l’éviction de l’aristocratie. C’est ce qu’affirme Anwar Younes Kaddis Youssef dans sa thèse en ces termes : « la disparition des privilèges a fait naitre une stratification fondée uniquement sur l’argent » .

Ainsi, l’argent devient un maillon des relations humaines et sociales. Il détermine la vie de chaque individu, et s’impose comme élément déterminant dans l’une des institutions la plus sacrée de la société et de la religion: le mariage. Ce qui justifie ces propos d’Adolphe Sarr dans sa thèse, en affirmant que « (…) les créatures balzaciennes (…) conçoivent l’amour [voire le mariage] comme un moyen de faire fortune. » . L’apport matériel, c’est ce qu’on regarde dans le mariage, pas de place pour les sentiments, le Comte de Restaud, ainsi que le banquier Nucingen ne se marient-ils pas avec les filles d’un riche bourgeois, le vermicellier Goriot, pour la fortune de leur père. Les des Grassins et les Cruchot ne tournent-ils pas autour de la riche héritière, Eugénie, pour sa fortune. Comme l’affirme Fœdora, personnage balzacien dans La Peau de chagrin : « le mariage est un trafic (…) » .

En outre, le mariage est désacralisé, réduit à une simple transaction. Effectivement, Mme d’Aubrion donne sa fille en mariage à Charles Grandet en échange de ces millions sur lesquels elle compte pour solder les dettes de sa famille. Rieger, analysant Le Père Goriot dit ceci :

« (…) dans une société ou le gout du luxe et de l’âpreté des ambitions dominent, l’intérêt corrompt tous les rapports à l’intérieur du mariage comme dans les liaisons conjugales. Les hommes sont des corsaires, des chasseurs de dot pour qui, une femme est avant tout une proie et un moyen de parvenir ou de s’enrichir. ».

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Table des matières

Introduction
Première partie: La présence de l’argent
Chapitre 1: L’or, une dynamique narrative et sociale
1-1. / Une dynamique sociale
1-2. / Un moteur narratif
Chapitre 2: Les sources de la richesse du Père Grandet
2-1. / Une source de richesse habituelle au XIXe siècle
2-2. / La spéculation comme une source de richesse
2-3. / La thésaurisation passionnelle comme une source de richesse
Deuxième partie: Les procédés d’écriture du récit du profit
Chapitre 3: Les figures du discours
3-1. / L’ironie
3-2. / La démesure et le contraste
Chapitre 4: Les champs lexicaux
4-1. / Le lexique de la finance
4-2. / Le vocabulaire du droit notarial
Conclusion

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