L’Ontologie Spinoziste

La réflexion sur la nature des relations entre la philosophie et la science consiste le plus souvent à les séparer ou à les unir par le nœud de la complémentarité. Ce qui explique les critiques dont a fait l’objet la philosophie vient de ce que, pour les positivistes, la science se suffit à elle-même. En effet, Auguste Comte rejette la métaphysique et partant, la philosophie, car pour lui, seule la connaissance scientifique est positive, donc vraie. Toutefois, avant de clamer son autonomie, comme l’ont si bien fait les positivistes, la science faisait partie intégrante de la philosophie qui était considérée comme la totalité du savoir. D’où donc l’idée que la science est l’ombre de la philosophie ; puisque derrière chaque découverte scientifique, il existe une philosophie qui la fonde et la sous-tend .

Voilà pourquoi philosophie et science sont voués à un destin commun Et ce qu’il est convenu d’appeler le spinozisme d’Einstein constitue un bel exemple qui nous permet de jeter une lumière vive sur la nature des relations entre la philosophie et la science. En effet Einstein, à la lumière de ses lectures sur les textes de Spinoza, penseur par excellence de la nécessité et du déterminisme oriente ses travaux en physique dans l’esprit du spinozisme. Celui-ci indique qu’il n’y a pas de contingence dans la nature, car tout y est déterminé de façon nécessaire et de toute éternité. Une telle vision véritablement influencer Einstein lorsqu’il s’agira d’interpréter ses découvertes scientifiques. De là, on voit que la philosophie est au cœur de l’élaboration des théories physiques et de leur interprétation. Ainsi, Einstein a pu déclarer qu’il était : « plus un philosophe qu’un homme de science.» Cependant, pour mieux comprendre le spinozisme d’Einstein, il faut d’abord saisir l’ontologie spinoziste qui identifie Dieu à la nature. Cette ontologie permet de croire que tout ce qui se produit dans la nature est le fruit d’une nécessité à laquelle nul être ne peut échapper. Selon Spinoza, tout est nécessaire car tout découle de la nécessité de la nature divine. Aussi la nature n’est pas le domaine de la contingence, elle est plutôt la manifestation physique de Dieu. C’est pour cela qu’il dit : « Il n’est rien donné de contingent dans la nature, mais tout y est déterminé par la nécessité de la nature divine à exister et à produire quelque effet d’une certaine manière » .

L’ontologie spinoziste

La méthode de la philosophie est la connaissance réflexive et selon Spinoza, la meilleure méthode consiste à partir de Dieu qui est la cause de toutes les choses dont nous possédons une idée. L’idée de Dieu est la source de toutes les autres idées et l’appropriation de celles-ci est le résultat d’une méthode synthétique et géométrique. C’est la raison pour laquelle Spinoza précise que le but de l’Ethique est justement de « nous élever de la conscience à la connaissance de nous-mêmes, connaissance qui enveloppe celle de Dieu ; c’est pourquoi, dans une exposition synthétique, il faut d’abord parler de Dieu. » Ainsi, toutes les idées doivent s’enchaîner les unes aux autres à partir de l’idée de Dieu dans une déduction progressive et, rien n’est soutenu qui ne soit immédiatement évident ou démonstrativement établi à la façon des géomètres.

La particularité de cette ontologie spinoziste trouve son explication et sa justification dans la célèbre formule : « Deus sive naturae » c’est-à- dire Dieu, l’être le plus parfait est la Nature même. Or, cette formule n’est pas toujours comprise car, nombreux sont ceux qui conçoivent la nature dont parle Spinoza comme la « Physis» chez les Grecs qui désigne purement et simplement la matière. Selon Spinoza, Dieu ou la Nature est unique, éternel, nécessaire et tout découle nécessairement de lui, il n’a créé ni le monde, ni les choses. Ils existent nécessairement car Dieu existe. Ainsi, puisque tout trouve sa source en Dieu, toute chose porte en elle une certaine marque d’éternité. Donc, le temps que nous sentons s’écouler est absolument impuissant pour rendre compte de cette éternité. En outre, c’est parce que l’homme n’a pas encore acquis une connaissance parfaite des choses que son imagination trouve des artifices pour lui montrer sa finitude. Mais, si le temps est rejeté, c’est parce qu’il est le fruit de l’imagination, contrairement à la durée qui s’écoule infiniment. Toutefois, Spinoza précise qu’il ne faut pas confondre la durée avec le temps, ni croire qu’ils entretiennent une quelconque relation car, c’est toujours l’imagination qui nous pousse à penser que le temps mesure la durée alors que cette dernière est intrinsèquement liée à l’éternité. Voilà pourquoi l’intelligence humaine doit toujours percevoir les choses comme ayant une certaine éternité. Tout se tient et tout est lié à cette éternité. D’où son dédain pour la contingence et son amour pour le déterminisme. Celui-ci est pour Spinoza la seule modalité à partir de laquelle les choses et les évènements deviennent connaissables. Autrement, le monde, la nature et les choses seraient incompréhensibles, inexplicables pour l’esprit humain. Ainsi les concepts du déterminisme et de la nécessité sont les clès au moyen desquels, le monde et toute sa structure sont élucidés. Le déterminisme est défini selon le dictionnaire philosophique Lalande comme « une doctrine philosophique selon laquelle, tous les événements de l’univers et en particulier les actions humaines sont liées d’une façon telle que, les choses étant ce qu’elles sont à un moment quelconque du temps, il n’y a pour chacun des moments antérieurs ou ultérieurs, qu’un état et un seul qui soit  compatible avec le premier » . Par conséquent, tout ce qui se produit dans la nature a une cause qui l’ explique ; aussi, n’est-il pas impossible qu’un esprit suffisamment renseigné comprenne cet enchaînement et sache que tout est déjà dans le monde ; rien ne se produit au hasard. Le hasard dans cette ontologie est synonyme de l’incapacité pour l’homme à comprendre les phénomènes de la nature. A cet égard, qu’est- ce que donc la liberté chez Spinoza si ce n’est une illusion car, l’homme doit savoir qu’il fait partie de la nécessité à laquelle il doit absolument obéir et qu’il n’est qu’un mode de Dieu au même titre que toutes les autres choses.

La question du temps 

Parler de l’ontologie spinoziste n’est pas une chose aidée car, Spinoza a une conception très différente, voire particulière d’aborder la question de Dieu. Les conceptions les plus répandues à propos de Dieu sont celles dont font l’écho les religions révélées. Dieu, le seul garant du salut de l’homme, demeure incontournable dans toutes les religions qui aspirent au salut de leurs adeptes et la presque totalité conçoit Dieu comme Seul Sauveur. Mais de quel Dieu s’agit-il chez Spinoza ? Pour la tradition judéo-chrétienne dont Spinoza s’inspire, il est comme le dit Pascal : « Le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob qui remplit l’âme et le coeur de ceux qu’il possède. Il n’est pas le Dieu des phénomènes et des savants, auteur des vérités géométriques et de l’ordre des éléments. »  C’est le Dieu de la genèse qui créa la terre et les cieux en six jours et se reposa le septième : « Ainsi furent achevés les cieux et la terre et toute leur armée. Et Dieu achèvera au septième jour son œuvre qu’il a faite. »  C’est le Dieu qui créa l’homme à son image et à sa ressemblance : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à son image, il créa l’homme et la femme. » .

Il va s’en dire que Dieu ainsi conçu regorge d’attributs anthropologiques voire anthropomorphiques et la formule biblique « Dieu créa l’homme à son image » deviendra avec Spinoza « L’homme créa Dieu à son image. » Ainsi, ce que Spinoza entendra par Dieu n’aura rien à voir avec le Dieu de la Bible ; il ne sera pas non plus un individu anthropologique mais, une substance c’est-à-dire : « Ce qui est en soi et est par soi : c’est-à-dire, ce dont le concept n’a besoin du concept d’aucune autre chose duquel il doive être formé. » .

La Substance est une notion philosophique apparue avec Aristote. Elle sert à désigner ce qui demeure d’une chose à travers ses divers changements donc, en tant que substance, rien ne saurait limiter ou annuler Dieu, son être est absolument infini. C’est dans cette optique, que Roger Scruton dira que : « L’inexistence est une privation ou un manque, elle ne peut nullement être dite de Dieu. Conséquemment son essence implique son existence.»  Si Scruton tient à donner cette précision c’est que pour celui qui a lu Spinoza, il est clair que l’idée de Dieu est incompatible avec toute idée de manque, car son existence implique la perfection, la totalité. Dieu est partout et tout est en lui, il est présent dans chaque être, dans chaque chose. Dés lors, il ne sera pas faux de dire avec Scruton que si Dieu est présent dans tout être et toute chose, il existe nécessairement dans toute sa perfection. Donc, la substance est conçue comme l’absolu, l’inconditionné, ce qui ne dépend de rien d’autre. Dieu est ici causa sui, il ne reçoit rien qui intègre son essence ou pose son existence, il est par conséquent infini, car tout est causé par lui et tout est en lui. Il est donc une substance nécessairement active et nécessairement productrice de tous ses effets.

Pour définir Dieu, Spinoza affirme dans la première partie de l’Ethique que : « Dieu, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle, infinie existe nécessairement. » L’éternité existe en chacun des modes de Dieu et l’homme en tant que mode est capable de connaître les choses dans toute leur nécessité. Par ailleurs, selon Spinoza, l’existence de Dieu n’est devenue problématique que parce que l’essence qu’on lui assigne ne lui correspond pas. Et la faute incombe aux livres sacrés qui ont brouillé les rapports en mettant à la place de Dieu une fiction anthropologique dont il est absurde de certifier l’existence. Ainsi, pour montrer que le monde aurait pu ne pas exister, on allègue l’imperfection, mais le monde n’est jugé imparfait que par une vue inexacte de notre esprit. Le monde a toute la perfection qu’il peut avoir, il ne peut être autre qu’il n’est parce qu’il existe nécessairement. Pour qu’il fût autre, il faudrait que Dieu lui-même fût autre, ce qui est impossible. On voit ainsi que, dans l’ontologie spinoziste, en dehors du nécessaire, le hasard et la contingence ne sont que des défauts de notre entendement.

Par conséquent, Dieu et le monde (le cosmos ou l’univers et tout ce qu’il contient) existent de façon nécessaire. Parler de l’existence de Dieu, c’est parler ipso facto de l’existence de tous les êtres du monde et de leur relation intrinsèque. On s’aperçoit ainsi que dans l’ontologie spinoziste, le concept de nécessité constitue le paradigme à partir duquel Dieu et le monde deviennent connaissables. C’est pourquoi les notions de hasard, de contingence et de possibilité n’ont aucun fondement dans cette philosophie. A la conception d’un Dieu créateur, Spinoza oppose la nécessité de la production divine. Tout dans la nature existe selon un ordre qui n’est pas le fruit de la création mais découle de la nature divine. Cela est tout à fait compréhensible lorsqu’on sait que Spinoza a toujours rejeté l’idée d’un Dieu possédant un entendement et une volonté qui le guident dans ses choix. Son Dieu est totalement étranger à cela, s’il existe, toutes les autres choses existent nécessairement puisqu’il implique leur présence.  Donc, nous ne pouvons concevoir un ordre différent et plus parfait que la nature elle-même. Pour Spinoza l’ordre produit par Dieu se présente comme suit : « Toutes les choses dépendent de la puissance de Dieu. Pour que les choses puissent être autrement qu’elles sont, il faudrait donc nécessairement aussi que la volonté de Dieu fut autre ; or la volonté de Dieu ne peut être autre. Donc les choses ne peuvent être autrement. »  Le seul fait d’accepter toute idée de contingence, aussi minime soitelle, détruirait immanquablement toute la philosophie spinoziste en ce que pour celleci, les choses doivent nécessairement suivre l’ordre déjà établi et pas autrement.

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Table des matières

Introduction générale
Première partie : L’Ontologie Spinoziste
A/ La question du temps
B/ Le déterminisme
Deuxième partie : Le Spinozisme d’Einstein
A/ Le paradoxe des temps multiples
B/ Einstein : un esprit classique
Conclusion générale
Bibliographie

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