Lois de croissance et loi d’échelle dynamique

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Décompositions spinodale et binodale

En résumé, dans le cas où l’énergie libre du système homogène F0 présente une partie non-convexe, il existe une région instable délimitée dans le diagramme de phase par la courbe bi-nodale (figure 1.2). On peut construire cette courbe en traçant la tangente commune aux deux régions convexes de F0 . A l’intérieur de cette région, il existe des compositions qui sont in-stables vis-à-vis de n’importe quelle petite fluctuation, cette région est délimitée par les points tels que F000 = 0. La courbe correspondante dans le diagramme de phase est la courbe spinodale. Dans cette région on parle de décomposition spinodale (SD), entre la spinodale et la binodale de nucléation croissance (NC) qui nécessite la formation de germes. Dans le diagramme de phase d’un système ternaire, la région instable forme un dôme (voir l’exemple de celui du système étudié, figure 2.3, page 37).
Il faut noter que la distinction entre décompositions spinodales et binodales caractérise le mécanisme initiateur de la séparation de phase. Ces mécanismes très différents provoquent des changements de compositions, et après un certain temps des domaines de compositions homogènes (c1 et c2 dans la terminologie utilisée) sont formés (voir figure 1.3). Leurs tailles évoluent, puisque le coût énergétique associé aux interfaces favorise cette croissance, on va voir comment dans la suite. Une fois les compositions d’équilibre atteintes, il est délicat de dire si ces domaines ont été formés par décomposition spinodale ou nucléation croissance. On verra que le mode de formation influe sur la géométrie des domaines, mais il n’y a pas de lien univoque évident entre cette dernière et l’un ou l’autre mécanisme de séparation de phase.

Expression de l’énergie libre du système

Jusqu’ici on a considéré uniquement l’énergie libre du système homogène F0 pour com-prendre les situations où la séparation de phase est possible. On a mis de côté la contribution des variations de composition, en particulier des interfaces, qui est effectivement négligeable dans la limite thermodynamique d’un système complètement séparé. Afin d’étudier la dynamique de la séparation, il est nécessaire d’introduire ces contributions interfaciales qui sont le moteur de l’évolution. Je suis ici le formalisme de Cahn et Hilliard [Cahn and Hilliard, 1958] qui ont éva- lué la contribution énergétique d’une interface, puis ont considéré la décomposition spinodale [Cahn, 1965].
On considère un modèle où la composition est décrite par f(r), telle que f(r) = c(r) c2 , de c1+c2 telle sorte que f = 1 pour la phase 1 et f = +1 pour la phase 2. L’énergie libre du système s’écrit maintenant sous la forme : dV f0(φ ) + κ(∇φ )2 .
Classiquement, f0 prend la forme d’un développement analytique, vu comme un développe-ment de Landau au voisinage du point critique, ou comme un potentiel d’interactions microsco-piques phénoménologique 1 : f0(φ ) = aφ 2 + bφ 4 par exemple. Dans cette expression, le signe de a indique s’il existe une zone instable (a est négatif sous la température critique). On peut noter qu’on a omis le terme linéaire en φ , qui ajouterait uniquement une constante à l’échelle du système, et le terme en φ 3, qui permet de prendre en compte une asymétrie entre les deux compositions d’équilibre. Ces raffinements ne changent pas les grandes lignes de la phénoménologie de la séparation de phase, exprimées par la version la plus simple du modèle. Dans ce cas qui est souvent utilisé comme exemple [Cates, 2012], le potentiel f0(φ ) est symétrique, et les composi-tions des phases séparées correspondent aux minima de la fonction. De même, le terme κ(∇φ )2 apparaît dans un développement autour de la composition homogène [Cahn and Hilliard, 1958], et prend en compte les variations de composition.

Étape primitive et étape tardive (mûrissement)

On peut distinguer deux grandes étapes de la séparation de phase. Tout d’abord, une étape primitive (“early stage”), où des fluctuations apparaissent dans le système homogène, et vont s’amplifier. Comme évoqué précédemment, dans le cas de la décomposition spinodale toute fluc-tuation est instable. On peut toutefois montrer qu’il existe des modes plus rapides que d’autres. Ainsi certaines fréquences spatiales vont croître plus rapidement [Cahn, 1965]. Dans le cas de la nucléation-croissance, cette étape est caractérisée par la formation de germes au sein du système (voir aussi la figure 1.3).
Dans un deuxième temps, lors de l’étape tardive (“late stage”), les domaines ont atteint leur compositions d’équilibre, et les changements de composition sont localisés à des interfaces dont l’épaisseur est négligeable devant la taille des domaines. Comme mentionné plus haut, lors de cette étape tardive, la croissance qui suit la nucléation-croissance ou la décomposition spinodale est uniquement différenciée par la forme des domaines au début du régime. Dans ce qui suit, je présente les éléments de bases décrivant la croissance des domaines dans cette étape tardive, aussi appelée mûrissement.

Loi d’échelle dynamique et auto-similarité

Un des aspects les plus importants du développement théorique de la séparation de phase est la notion de loi d’échelle dynamique (dynamic scaling). Celle-ci postule que lors de la croissance des domaines, l’état du système à un instant donné peut être défini par une unique longueur ‘(t) et un état de référence, qui dépend de la physique précise de la séparation (transport diffusif ou hydrodynamique, fraction volumique, etc.). Cette hypothèse implique en particulier pour la fonction de corrélation spatiale C(r;t) qu’il existe une fonction Y telle que : r C(r;t) = Y ‘(t) : (1.20).
La loi d’échelle dynamique suppose de plus que la longueur caractéristique évolue selon une loi puissance du temps ‘ ta , dont l’exposant a dépend de la physique du problème.
Une écriture similaire pour le facteur de structure trouve une application immédiate dans l’ob-servation de la séparation de phase en diffraction de lumière. Si l’existence de cette loi d’échelle on sait qu’elle définit la variation de l’aire d’une surface en faisant varier le voisinage (donc le volume) (voir par exemple [Meyer et al., 2003]) : 2Hn = lim ÑA (1.19) A diam(A)!0.
(n est la normale au point considéré, et A l’aire d’un voisinage de ce point). Cette expression permet également de bien comprendre qu’une interface de courbure moyenne nulle est celle qui minimise l’énergie de surface. Voir [Taylor, 1992a] pour une discussion de ces propriétés, également lorsque la tension de surface n’est pas isotrope. n’a été démontrée que pour certains systèmes, ou sous des hypothèses de calculs (groupe de renormalisation par exemple), elle a été observée pour de très nombreux systèmes physiques.
Proposée initialement dans le cadre de simulations du modèle d’Ising [Marro et al., 1979, Binder and Stauffer, 1974], cette loi a pu être mise en évidence par des expériences de diffraction de lumière sur des solutions non miscibles près du point critique [Chou and Goldburg, 1979, Wong and Knobler, 1981, Guenoun et al., 1987]. Le type de système étudié a été étendu aux polymères, dont la dynamique plus lente a permis de compléter ces observations [Wiltzius et al., 1988, Bates and Wiltzius, 1989]. Ces expériences et simulations (voir [Bray, 1994] pour plus de références) ont montré que lors de la croissance, il existe bien une seule longueur ‘ définissant le système.
Cette hypothèse très forte sur la dynamique est très précieuse, puisque qu’elle permet de faire des prédictions précises sur la géométrie du système à n’importe quel instant. On peut de plus trouver la loi de croissance ‘(t) ta par des arguments d’échelle. Il est remarquable que ce concept soit commun à des systèmes aussi divers, et le fait de pouvoir ou non mettre en évidence une telle longueur dynamique est une information cruciale concernant l’évolution d’un système.

Croissance par diffusion moléculaire : ‘(t) t1=3

Comme on l’a vu plus haut en calculant la pression de Laplace, le coût énergétique des inter-faces est contrôlé par la courbure moyenne : minimal lorsque la courbure est nulle, il augmente avec celle-ci. Cet effet est reflété par l’augmentation de la pression de Laplace en traversant l’in-terface. Pour cette raison les interfaces fortement courbées (au sens de la courbure moyenne) vont évaporer des molécules qui iront se condenser sur les interfaces moins courbées où elles seront dans un état d’énergie plus faible. Dans le cas géométriquement simple d’une assemblée de gouttes sphériques, cela veut dire que les gouttes les plus petites sont les plus instables et vont alimenter les autres, ce qui fait globalement augmenter la taille caractéristique des gouttes.
En repartant de la pression de Laplace, discutée plus haut, on peut proposer un argument d’échelle pour la croissance (inspiré de [Huse, 1986]). On considère le potentiel chimique à l’interface m (plus précisément la contribution au potentiel chimique due à la courbure de l’inter-face). Il est donné par la variation de l’énergie libre associée à une petite variation de concentra-tion ; ici ce serait le changement de l’interface dû au transport d’une molécule à travers celle-ci. Dans ce cas, la variation d’énergie libre est simplement le travail d F = dW = gHdV (H est la courbure moyenne, dV la variation de volume correspondante). On a donc : m ¶ n g d n= ¶ F H dV ; (1.21).
n est le nombre de molécules, on identifie dV =d n à un volume moléculaire W, et on suppose que la courbure moyenne est de l’ordre de 1=‘.
Par ailleurs, les variations du potentiel chimique m sont du même ordre dans le système (puisqu’elle sont dues aux contributions de l’interface) et on suppose qu’elles s’étendent sur des longueurs de l’ordre de ‘(t), jÑmj gW=‘2. En effet, la variation du potentiel chimique induit des gradients de concentration autour de l’interface sur une distance qui s’obtient en résolvant l’équation de diffusion. On retrouve bien une variation sur un ordre de grandeur ‘. Ce calcul est exact dans le cas de gouttes sphériques diluées, mais le résultat est plus délicat à justifier dans un cas plus concentré.

Observations et considérations vues de l’espace direct

De nombreux travaux, cités précédemment, ont étudié la séparation de phase dans l’espace de Fourier, confirmant les hypothèses de croissance et les lois d’échelles dynamiques. La plupart de ces résultats s’échelonnent entre les années 70 et les années 80. Les seules mesures dans l’espace direct étant plutôt des observations post mortem en microscopie optique ou électronique. A partir des années 90, de nouvelles techniques d’observation vont permettre d’observer la séparation de phase dans l’espace direct et en trois dimensions. La microscopie confocale des polymères et des colloides a pu faire le lien entre les observations en diffraction et la microstructure, en particulier pour les états bicontinus. White et Wiltzius ont observé la croissance de gouttes [White and Wiltzius, 1995]. Jinnai, Hashimoto et collaborateurs ont systématiquement étudié la séparation de phase de polymères, comparant des simulations 3D à des mesures de diffraction [Koga et al., 1999] tandis qu’ils développaient l’observation en microscopie confocale [Jinnai et al., 1995, Jinnai et al., 1997] (figure 1.8 (a)).

Asymétrie dynamique : viscosité, viscoélasticité, systèmes vitreux

L’observation de systèmes de plus en plus divers, en particulier pour les mélanges de poly-mères, et la richesse des phénoménologies, a suscité le prolongement des théories de la séparation de phase dans les liquides. Tanaka a ainsi développé le concept d’asymétrie dynamique (“dyna-mic asymmetry”) pour étudier la séparation de phase de certains polymères dont une phase est viscoélastique [Tanaka, 2000] (figure 1.9 (a)). De nombreuses références sont citées dans la re-vue de Tanaka. L’idée étant que s’il existe un contraste fort entre les propriétés de transport des deux phases, la croissance sera impactée. Les effets viscoélastiques sont probablement ceux qui causent le plus d’effets (inversion de phase, évolution spectaculaire de la vitesse de croissance…), mais une asymétrie de diffusion ou de viscosité est également évoquée dans le formalisme de Ta-naka.

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Table des matières

I La séparation de phase : de la théorie au matériau modèle 
1 La séparation de phase dans les liquides 
1.1 Approche thermodynamique et équations d’évolution
1.1.1 Origine microscopique
1.1.2 Stabilité de composition
1.1.3 Décompositions spinodale et binodale
1.1.4 Expression de l’énergie libre du système
1.1.5 Équations de la dynamique : Modèle H
1.1.6 Tension de surface
1.1.7 Pression de Laplace
1.2 Lois de croissance et loi d’échelle dynamique
1.2.1 Étape primitive et étape tardive (mûrissement)
1.2.2 Loi d’échelle dynamique et auto-similarité
1.2.3 Croissance par diffusion moléculaire : `(t) t1=3
1.2.4 Croissance hydrodynamique visqueuse : `(t) t
1.2.5 Croissance par coalescence de gouttes
1.2.6 Autres régimes de croissance
1.2.7 Transition entre régimes
1.3 Morphologie de la séparation de phase
1.3.1 Influence de la condition initiale
1.3.2 Observations et considérations vues de l’espace direct
1.3.3 Asymétrie dynamique : viscosité, viscoélasticité, systèmes vitreux
1.3.4 Séparation de phase secondaire
1.3.5 Retour sur la physique statistique
2 Un verre modèle 
2.1 La séparation de phase dans les verres
2.1.1 Origine microscopique
2.1.2 Propriétés des verre de silicates : diffusion, viscosité, transition vitreuse
2.2 Le système étudié : un borosilicate de baryum
2.2.1 Choix du système
2.2.2 Synthèse du verre
2.2.3 Diagramme de phase
2.3 Caractérisation du système
2.3.1 Températures de transition vitreuse
2.3.2 Viscosité
2.3.3 Tension interfaciale
2.4 Morphologies initiales et croissance diffusive
2.4.1 État initial du verre
2.4.2 Diffusion – Croissance LSW
II Méthodes expérimentales et numériques 
3 Tomographie à rayons X synchrotron 
3.1 Principe de la tomographie
3.1.1 Rétroprojection filtrée
3.1.2 Tomographie locale
3.1.3 Reconstruction de la phase
3.1.4 Polychromaticité et autres écarts à l’idéalité
3.2 Dispositif expérimental à ID19 – ESRF
3.2.1 Rayonnement synchrotron
3.2.2 Ligne de lumière ID19
3.2.3 Acquisition des images : platine de rotation et caméra
3.2.4 Four
3.3 Traitements thermiques
3.3.1 Traitements thermiques effectifs
3.3.2 Temps d’équilibration
3.4 Écoulements macroscopiques et autres effets de bords
4 De l’image à la forme 
4.1 Filtrage et segmentation
4.1.1 Filtrage de la Variation Totale
4.1.2 Segmentation : marche aléatoire biaisée
4.1.3 Perspectives : reconstruction avec a priori
4.2 Topologie
4.3 Forme des domaines : volumes, surfaces
4.3.1 Mesure des volumes
4.3.2 Mesure des surfaces
4.4 Tailles caractéristiques
4.4.1 Longueur caractéristique “surfacique”
4.4.2 Spectre de puissance et fonction de corrélation spatiale
4.4.3 Distributions de longueurs de cordes
4.5 Courbures locales
4.5.1 Courbures moyennes et gaussiennes dans le repère local
4.5.2 Mesure par ajustement d’une quadrique
4.5.3 Maillage ou pas maillage ?
4.5.4 Fiabilité
4.6 Effets de taille finie et biais d’échantillonnage
4.7 Suivi temporel
III Mûrissement de bicontinus visqueux asymétriques 
5 Croissance auto-similaire en régime visqueux 
5.1 Paramètres physiques
5.2 Mécanisme de croissance : pincements et réarrangements
5.3 Loi de croissance observée
5.3.1 Définition de la longueur caractéristique
5.3.2 Croissance linéaire limitée par la fragmentation
5.4 Loi d’échelle dynamique
5.4.1 Principe : croissance auto-similaire
5.4.2 Renormalisation des courbures
5.4.3 Renormalisation de la topologie
5.4.4 Renormalisation des distributions de tailles de cordes
5.5 Du point de vue de l’autre phase
5.6 Asymétrie et morphologie
6 Forme et stabilité des éléments du système : ponts liquides, noeuds du réseau, domaines isolés 
6.1 Asymétrie et stabilité des ligaments dans le bicontinu
6.1.1 Stabilité d’un tube visqueux dans un fluide de viscosité différente
6.1.2 Stabilité et rétractation de liens rompus
6.1.3 Stabilité et fraction volumique
6.2 Dynamique de ruptures dans le réseau
6.2.1 Temps de pincement, temps de rétractation
6.2.2 Dynamique de fragmentation d’un réseau
6.2.3 Fragmentation totale et seuil de percolation
6.3 Forme des domaines
6.3.1 Dynamique de changement de forme
6.3.2 Simulation de la dynamique de changement de forme
6.3.3 Forme à fragmentation
6.3.4 Statistique de forme
Conclusion
7 Modèle auto-similaire de fragmentation et arrêt de la croissance 
7.1 Fragmentation et loi d’échelle dynamique
7.1.1 Fragmentation progressive du bicontinu
7.1.2 Modèle de fragmentation auto-similaire
7.2 Seuil de fragmentation et arrêt de la croissance
7.2.1 Évolution de la fraction volumique du domaine percolant
7.2.2 Vers l’instabilité du domaine percolant
Conclusion
8 Avant le mûrissement visqueux 
Perspectives
Annexes 
A Liste des expériences
A.1 vsip_s
A.2 vsi01
A.3 vsi02
A.4 vsi05
A.5 vsi06
A.6 vsi09
A.7 vsi10
A.8 vsi20
A.9 verre7
A.10 verre8
A.11 verre9
A.12 v05
A.13 v12
A.14 v17
A.15 v18
A.16 v21
A.17 v22
A.18 v23
A.19 v30
A.20 v31
A.21 v32
A.22 v36
A.23 v34
A.24 v35
A.25 vba01
A.26 vba02
A.27 vba03
A.28 vbapp02
A.29 vbap03
A.30 vbap_s1 et vbapp_s1
A.31 vbap_s2 et vbapp_s2
Bibliographie 

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