L’Obsession de la “ Question technique ”

QUEL REGARD SUR LES TECHNIQUES ? 

« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur ces choses », disait Epictète. Cette maxime stoïcienne, que l’on nous pardonnera de détourner de sa signification morale initiale, pourrait résumer ce qui parcourt ce mémoire de manière « obsédante », en nous suggérant une paraphrase du vénérable Epictète, selon laquelle « ce ne sont pas les technologies numériques qui nous troublent, mais le regard que l’on porte sur elles… ».

Comment « juger » ou plutôt penser les profondes mutations, dues aux technologies numériques, qui affectent aujourd’hui tous les maillons de la « chaîne des savoirs », de leur production de plus en plus éclatée, « distribuée », à leur transmission dans les instances les plus diverses, légitimes ou non ? Plus précisément, comment analyser, comprendre, mais aussi accompagner les changements intervenant dans l’enseignement, liés à la diffusion des nouvelles technologies numériques ? Telle pourrait être la question très générale, formulée d’une manière qui ne l’est pas moins, qui sous-tend ce mémoire. Elle appelle une explication, que l’on ordonnera en trois temps : un constat, une hypothèse et un postulat.

Un détour par la question technique, un parcours dans les nouvelles approches 

Nous avons dit que ce mémoire n’aborderait pas, en définitive, la question centrale des mutations socio-cognitives dans l’enseignement. Il nous faut ici préciser et tenter de justifier une démarche apparemment paradoxale : un travail de recherche qui repousse ainsi l’étude de son questionnement initial est-il le signe d’une « fuite en avant » théorique, d’une dispersion de son objet de recherche ? Plus gravement, à force d’annoncer l’importance de ces mutations dans l’enseignement dues au numérique, sans les traiter au fond, ne risque-t-on pas de succomber au piège d’une incantation invérifiable ? Nous espérons répondre par la négative à cette interrogation critique, pour les deux raisons suivantes : la continuité d’une démarche et la nécessité théorique de ce « détour ».

Tout d’abord, ce mémoire de DEA s’inscrit dans une continuité de réflexion sur les mêmes questions : succédant à un mémoire de maîtrise qui portait sur l’histoire de la notion d’hypertexte,  il ne fait, d’une certaine manière, qu’en développer certains aspects alors présents en filigrane, concernant les théories et approches de la technique et des médiations. Par ailleurs, ce travail n’est lui-même qu’une étape préalable à une thèse de doctorat, consacrée aux nouvelles modalités du savoir et de l’enseignement à l’heure de la numérisation. Si nous avions au départ l’intention de poser les jalons de cette nouvelle « écologie cognitive pédagogique », le temps nous a manqué pour approfondir vraiment l’analyse de cette question complexe. La deuxième raison tient davantage au fond des problématiques soulevées qu’aux circonstances aléatoires et inhérentes à tout travail de recherche. Si nous avons délaissé, provisoirement, les pratiques éducatives rendues possibles par le numérique au profit des théories des philosophes de la technique ou, pour dire vite, si nous sommes passés de l’étude des CD-ROM à celle de la notion du Gestell chez Heidegger, ce n’est pas sous l’effet d’un « enivrement théorique » gratuit ou déplacé. C’est que nous sommes convaincus que la « question de la technique » se niche au coeur même de notre questionnement initial et qu’elle se décline peut-être sur des niveaux très différents et hétérogènes, reliant des objets techniques, des pratiques, des représentations, des concepts, des théories…

Les nouvelles technologies reposent avec force la question des conceptions de la technique, disions-nous plus haut. Et parce que le regard porté sur ces « choses » étranges que sont les techniques, les objets, les machines est largement « troublé » par des préjugés ancestraux, brouillé par des représentations dichotomiques bien ancrées, il nous a paru indispensable de procéder à une sorte de nettoyage de nos « lunettes » habituelles, en essayant de les débarrasser notamment des principales scories qui encombrent toujours la vision des techniques : dénégation, mépris, angoisse d’un déterminisme irrésistible, ou apologie illusoire…

ACTUALITE ET ACUITE DE LA « QUESTION DE LA TECHNIQUE »

« La question de la technique occupe une position carrefour » :
– elle est au carrefour des problèmes et des enjeux qui se nouent autour des nouvelles technologies, dans les domaines les plus divers (culture, éducation, travail, entreprises…) : quelle est leur « logique d’outil », quelle est la part spécifiquement technique des usages, des processus socio-culturels, quelles nouvelles formes de savoir et d’apprentissage apparaissent avec le numérique, quel est le poids des normes techniques dans les formes d’organisation des entreprises, de nouvelles formes de démocratie sont-elles possibles à partir des réseaux du cyberspace…

– elle est également au carrefour d’un certain nombre d’interrogations philosophiques: en faisant sauter les distinctions les mieux établies et en brouillant les frontières classiques entre objet et sujet, nature et artifice, individu et société, support et pensée, hommes et techniques…, la technicisation généralisée touche des questions essentielles, tenant à la définition même de l’homme, de la culture, de la nature, de l’être.. et elle conduit à une réactualisation du débat philosophique sur l’essence et les conditions d’évolution de la technique.

– enfin la « question de la technique » se trouve au croisement de problématiques spécifiques, notamment au sein des Sciences de l’Information et de la Communication, où elle représente le trait d’union des multiples approches prenant ou intégrant le fait technique pour objet ; elle est, là aussi, l’occasion d’un renouvellement marquant et d’un enrichissement théorique indéniable.

ACUITÉ DES ENJEUX, URGENCE DE LA RÉFLEXION

Le « phénomène technique » est devenu une question majeure de notre époque, dont l’évidence massive n’échappe à personne, tant sont immenses les mutations, les chocs dus à l’accélération technologique. Si aujourd’hui plus encore qu’hier, la technique fait peur ou émerveille et si le problème de sa pensée se pose avec une acuité renouvelée, c’est bien par l’importance des bouleversements engendrés par le progrès technique, la force des enjeux qui y sont liés, le poids colossal de ce qu’on appelle la (ou les) « technoscience(s) », enjeux et mutations qu’il s’agit de repérer et de comprendre.

La question technique se pose à nous sur un double plan : effectif, concret, « technique », ou politico-social…, par la prise en compte des accélérations et des ruptures du progrès technique, mais aussi au plan théorique, épistémologique, par le renouvellement nécessaire du regard porté sur ces progrès. Se posant avec une acuité dépassant de loin les cercles étroits de la recherche, elle devrait intéresser tous les citoyens, tous les acteurs sociaux et politiques et trouver dans le débat public une place à la hauteur de ses enjeux. Nous en sommes encore loin, malheureusement…

Des ruptures techniques essentielles

La technique contemporaine est entrée, selon l’expression de Bernard Stiegler, dans « l’ère de l’innovation permanente », phénomène totalement inédit dans l’histoire : nous sommes la première génération humaine à assister, de son vivant, à des innovations et des bouleversements techniques aussi nombreux que rapides et à voir changer aussi profondément son système de représentation spatio-temporel.

Dans l’évolution complexe, hétérogène des technologies elles-mêmes, trois grands domaines paraissent représentatifs des accélérations inouïes en cours : les technologies de la maîtrise du vivant, les nouveaux matériaux, les technologies de l’information et de la communication. Pour exemple, le génie génétique, les nanotechnologies, les autoroutes de l’information : ces trois symboles forts de la technologie actuelle condensent l’actualité technique et ses enjeux.

L’accélération technologique est particulièrement visible dans la micro-informatique, où les innovations techniques incessantes rendent caducs des matériels datant de quelques années seulement : dix années à peine séparent les TO7 et MO5 du Plan Informatique Pour Tous de 1984, faisant figure de (petits) dinosaures informatiques, des ordinateurs multimédias d’aujourd’hui… Peu d’autres secteurs technologiques ont connu une évolution aussi radicale et constante, bousculant sans cesse les repères et obligeant à une course-poursuite sans fin derrière les innovations. Pour s’en tenir au seul et immense monde de ce qui est couramment appelé la «révolution numérique », nul besoin d’insister sur les multiples signes de cette actualité de la technique, tant les innovations sont « à la une » : évolution de la micro-informatique vers le multimédia, essor des supports optiques de l’information, nouvelles prothèses numériques de l’intelligence, virtualisation des échanges, des savoirs, dispositifs d’écriture inédits, nouvelles machines à communiquer, à travailler, à circuler, à penser, explosion des réseaux numériques (Internet), téléprésence, mondes virtuels, fusions technologiques attendues des autoroutes de l’information, etc.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
1.ACTUALITE ET ACUITE DE LA « QUESTION DE LA TECHNIQUE »
1.1Acuité des enjeux, urgence de la réflexion
1.1.1Des ruptures techniques essentielles
1.1.2 Mutation ou révolution ?
1.1.3Penser et s’approprier les techniques : deux impératifs indissociables
1.2La technique comme impensé de la philosophie ? Un statut problématique
1.2.1La question du déterminisme ?
1.2.2Actualité ou réactualisation d’une interrogation permanente ?
1.2.3Pluralité d’approches pour une question problématique
1.2.4La question de « l’essence de la technique »
2.TECHNOPHOBIE, TECHNICISME : LA DOUBLE IMPASSE
2.1Limites et persistance d’un ancien clivage
2.2La méfiance vis-à-vis des nouvelles technologies : le discours du ressentiment
2.2.1Aux fondements du discours technophobe
2.2.1.1La Technique autonome
2.2.1.2Retour sur Heidegger
2.3 La vision « émerveillée » ou l’aliénation techniciste
2.3.1La « complainte du progrès » comme idéologie dominante
2.3.2Conséquences et effets pervers du technicisme
2.4Des pré-supposés communs aux deux visions, une meme impasse
2.4.1Une vision essentialiste, spiritualiste, de la technique
2.4.2L’illusion de la neutralité : la conception instrumentale
2.4.3L’idéalisme ou l’aveuglement sur notre « technicisation »
2.4.4Le dualisme
2.4.5Une ignorance commune de la technicité ? L’hypothèse de Simondon
2.4.6Repenser autrement les techniques
3.PARCOURS THEMATIQUE A TRAVERS LES DIFFERENTES APPROCHES DE LA MEDIATION
3.1Quand les médiations (et leurs problématiques) brouillent les frontières
3.1.1Médiation : terme flou ou notion carrefour ?
3.1.2Essor d’un nouveau courant de recherche : la question technique et (ou dans) les Sciences de l’Information et de la Communication
3.1.2.1La médiation : nouveau paradigme des Sciences de l’Information et de la Communication ?
3.1.3La « galaxie » des approches de la médiation : six « constellations » de référence.
3.1.3.1Avertissement sur un parcours problématique
3.2trois « nexus » des approches de la médiation
3.2.1Le refus des dualismes, le principe de non-séparabilité : des approches continuistes
3.2.1.1Hommes et techniques sont indissociables
3.2.1.1.1L’homme s’invente dans la technique
3.2.1.1.2L’homme « individu technique porteur d’outils » ? remplacé et aliéné par la machine ? ou bien « chef d’orchestre des ensembles techniques » ?
3.2.1.1.3Des acteurs humains et non-humains
3.2.1.2A l’encontre de l’Esprit détaché de la Matière : pas de pensée hors de ses supports
3.2.1.3Réconcilier le culturel et le technique
3.2.1.4Entre le vivant et le non-vivant ?
3.2.1.5Des frontières brouillées ou à renégocier ?
3.2.2Penser les interfaces, le couplage, le milieu, l’entre-deux… : le nexus de la médiation
3.2.2.1Au niveau « micro » des interfaces
3.2.2.2Les médiations comme processus ?
3.2.2.3 Le « milieu associé » des objets techniques
3.2.2.4Le « couplage structurel »
3.2.3Hétérogénéité, hétérogénèse : des pensées de l’hybride
CONCLUSION
ANNEXES

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