Live musical et réalité virtuelle

En mai 2020, alors que la population française s’apprête à sortir de la période de confinement imposée par le COVID-19 , l’association Technopol lance la table ronde virtuelle « Danser Demain » pour inviter les acteurs de la culture et des musiques électroniques à réfléchir autour des enjeux de la consommation de la fête et de la musique. En cette ère post-pandémie, les contacts physiques, inhérents à leur pratique, sont déconseillés voire prohibés. L’ancien maire de la nuit d’Amsterdam, Mirik Milan , intervient alors au sujet de la remédiation de la fête et du live musical en émettant cet avis tranché sur le livestream : « Je veux être très clair à propos de ce qui va suivre : proposer du streaming depuis un club vide ne sera jamais une solution pour la vie nocturne. » . Les mesures sanitaires émanant de la crise du COVID-19 imposent en effet successivement la distanciation sociale puis le confinement, modifiant drastiquement les habitudes quotidiennes des habitants du monde entier et remettent en question les dynamiques collectives et de regroupement, pourtant bien propres aux représentations plurielles de l’art et notamment de la musique. C’est dans l’impossibilité de se réunir que réside alors le besoin d’opérer une remédiation de la culture : selon McLuhan , la remédiation ou remédiatisation est le transfert d’une oeuvre d’un support médiatique à un autre. Appliquée au live musical, à propos duquel nous avons décidé de mener notre réflexion, cette remédiation se manifeste par le transfert de la scène physique à la scène virtuelle, permise par un unique intermédiaire : l’écran, qui peut toutefois se matérialiser sous différentes formes – télévision, téléphone, tablette, casque de réalité virtuelle, ordinateur… Le concert remédié, dès lors virtuel, peut également se surnommer live musical « depuis son canapé ». Cette expression est apparue dans les médias pour désigner les dispositifs permettant d’effectuer des actions qui se cantonnent habituellement à des lieux précis (nécessitant un déplacement pour y parvenir) depuis chez soi, sans avoir à se déplacer. On peut probablement établir une analogie avec le fameux concept du « spectacle dans un fauteuil », popularisé par Alfred de Musset , qui consiste à proposer un théâtre qui se lise « depuis son fauteuil » plutôt qu’un théâtre qu’on regarde en salle de spectacle.

Live musical et réalité virtuelle : les promesses d’une révolution portées par les médias, une réalité plus incertaine

Nous avons précédemment pu soulever que la réalité virtuelle avait largement été expérimentée des années 1970 aux années 1990, mais qu’elle n’avait pourtant été proposée au grand public que bien plus tard, au milieu des années 2010. Cela explique sans doute en partie l’éveil médiatique tardif suscité à son égard : on peut dès lors recenser un nombre conséquent d’articles évoquant la réalité virtuelle sous le prisme du gaming. Mais le lien entre celle-ci et le domaine de la musique est moins évident et il nourrit une réflexion peu nuancée qui place beaucoup d’espoir en cette alliance sans pour autant parvenir à en parler précisément. Dans cette première partie, il s’agit donc d’une part d’analyser les discours émis par les médias autour de la réalité virtuelle au service de la musique et d’autre part de déterminer d’où provient l’engouement pour ce dispositif dans l’imaginaire commun, alors que peu de concerts en réalité virtuelle ont réellement été mis en place, du moins de manière accessible et popularisée.

Pour ce faire, nous avons sélectionné dix articles provenant de médias diversifiés, parus entre avril 2016 et octobre 2017, qui traitent de la réalité virtuelle dans la musique, de sa pratique et de son avenir. Notre analyse, menée en amont et au début de la période de COVID-19, s’appuie sur un corpus très limité dans le temps, les articles pertinents que nous avons étudiés datant tous de ces deux années. Les extraits évoqués sont tirés non seulement de la presse généraliste (Libération, France 24) et spécialisée (Trax Magazine), mais aussi de blogs dédiés à la réalité virtuelle ou à la musique (Réalité Virtuelle, Hey Alex, Irma Asso, Métier Musicien) : ces derniers sont les sources les plus pointues et les plus fiables de notre étude. A partir de ce matériel, nous avons ensuite analysé les éléments de langage récurrents et avons dressé un tableau de recensement afin de catégoriser les différents procédés et les systèmes sémantiques utilisés pour qualifier la réalité virtuelle dans la musique et pour inciter les lecteurs et lectrices à porter un regard particulier sur le dispositif.

Nous avons ainsi pu recenser trois tendances principales révélatrices de la manière dont les media ont traité l’arrivée de la réalité virtuelle dans la musique auprès du grand public. Premièrement, le fait que les médias qualifient l’utilisation de la réalité virtuelle à des fins musicales comme une révolution pour la musique, à l’orée d’un grand tournant, voire d’un changement d’ère. Ils placent le dispositif sous le prisme du phénomène, de la nouveauté, du rare, déchaînant ainsi des discours sensationnalistes et peu modérés à son égard. Deuxièmement, et paradoxalement, l’incertitude, voire le doute qui découlent de cette innovation au service de la musique incitent les media à utiliser régulièrement le conditionnel ou les adverbes et les mots temporisateurs, trahissant le manque d’informations dont ils disposent à propos de ce nouveau mode de consommation de la musique. Enfin, une troisième tendance : l’expression d’une accessibilité très limitée. Contrepied de la première tendance, mieux prise en compte par la presse généraliste que par les blogs spécialisés, cette dernière tendance admet que la réalité virtuelle n’est pas encore monnaie courante dans le domaine de la musique et qu’elle reste encore très peu accessible, même marginale.

C’est donc grâce à ces trois axes que nous allons tenter de mener une réflexion autour de l’hypothèse suivante : « l’inclusion dans le live musical de procédés et médiations numériques comme la réalité virtuelle, présentés comme innovants, motive une floraison de discours disparates sur la « révolution » de la musique et sur sa diffusion, démultipliant ainsi des promesses contradictoires et non avérées quant à l’expérience des publics. » .

Typologie de la révolution, du grand tournant : un discours sensationnaliste émis par la presse 

L’adjectif « sensationnaliste » provient du latin sensatio (« compréhension ») et désigne le goût ou la recherche pour le sensationnel, c’est-à-dire tout ce qui fait sensation, qui produit une forte impression et suscite l’intérêt du public. Le terme « sensationnalisme » se rapporte aujourd’hui quasi-exclusivement à la presse et décrit le procédé suivant : sélectionner une information spécifique et la présenter sous un certain angle, afin de provoquer la réaction du lectorat et de l’inciter le plus possible à s’intéresser à l’histoire décrite. On parle alors de presse sensationnaliste ou presse à sensation par opposition à la presse d’information ou d’opinion qui s’efforcent de relater le plus véridiquement possible l’information émise. Le terme « sensationnaliste” apparaissait déjà en 1967 dans Le Nouvel Observateur pour définir le comportement médiatique que déchaînait la figure politique communiste latino américaine de Che Gevara : « Il court, il court, le Che. Il est passé par ici, il est passé par là. Ce n’est plus le serpent de mer, c’est le furet des journaux sensationnalistes.».

Ce procédé est ainsi destiné à susciter l’attention du lectorat en mettant d’une part l’accent sur une information particulière, intrinsèquement considérée comme « sensationnelle », et d’autre part en employant un lexique particulier qui attise une émotion forte : l’horreur, l’indignation, la surprise, l’émerveillement, la tristesse, la compassion… Dans le cadre de notre étude, nous souhaitons dresser une analyse qui est celle de la représentation de la réalité virtuelle sous le prisme du live musical dans les médias : il s’agit non seulement de mobiliser un sentiment de surprise et d’émerveillement à plusieurs échelles, en utilisant la sémantique pour démontrer son côté novateur, mais aussi de donner une impression de « jamais vu ». Cela s’explique premièrement par le fait que le traitement médiatique de la réalité virtuelle dans la musique est très réduit (rappelons que les dix articles n’ont pas été sélectionnés pour une raison précise, mais uniquement parce qu’ils sont les seuls à traiter le sujet) et deuxièmement par le fait que les médias disposent de peu d’informations tangibles à mettre en avant, ce qui les entraîne à utiliser l’emphase pour donner l’impression au lectorat que la réalité virtuelle offre de réelles perspectives.

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Table des matières

Introduction
Développement
I. Live musical et réalité virtuelle : les promesses d’une révolution portées par les médias, une réalité plus incertaine
1.1. Typologie de la révolution, du grand tournant : un discours sensationnaliste émis par la presse
1.2. De la promesse à l’exécution : la grande incertitude
1.3. La réalité virtuelle, un dispositif encore marginal
II. Vers une mutation et une déterritorialisation du live musical : focus sur le livestream
2.1. La notion de « présence à distance » à l’orée d’une mutation des interactions
2.2. De la fosse au canapé, une déterritorialisation du live musical
2.3. Multiplicité des mises en scène du livestream : des tentatives de reproduction du live musical habituel au choix de retour à l’authenticité
III. Nouveaux dispositifs, nouvelles expériences des publics
3.1. Un bouleversement de l’expérience du live musical sous le prisme de l’inédit
3.2. Un véritable atout pour les publics : expérience plus intime et personnalisée de la musique, accessibilité(s)
3.3. Une perte de l’expérience originale du live musical ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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